… DE LEURS ORIGINES, DE LEURS DIFFERENCES, ET DE LEUR AVENIR DANS LA LITURGIE
Quand nous parlons de « Messes en breton » ou de « Messes bretonnes », il n’est pas certain que nous parlions exactement de la même chose. Dans les deux définitions il y a une différence qui n’est pas toujours perçue, tant par les organisateurs que par les fidèles.
Par « Messe en breton », nous entendons, évidemment, une messe entièrement célébrée en langue bretonne : Ordinaire de la messe, psaumes, répons, lectures, épître, Evangile, homélie, prières, cantiques. Parfois une exception, le Credo en latin.
Par « Messe bretonne », nous entendons une messe dans laquelle la langue bretonne a sa place, mais « cohabite » avec le français, ou encore le latin. Nous avons alors une messe bilingue ( breton-français ) ou trilingue ( Français, latin, breton ), une messe désignée avec humour, « FLB » (français, latin, breton ). Dans la « messe bretonne », le problème est de savoir à quelle langue la « première place » est donnée. En toute logique, par le fait même de l’appellation, nous pensons que celle-ci revient naturellement au breton. C’est ignorer une réalité capitale d’aujourd’hui : les paroissiens ne sont plus – par le fait d’une non-transmission de l’héritage linguistique et culturel – bretonnants, et de culture bretonne, que celle-ci soit profane ou religieuse. De plus, le clergé bretonnant et de culture bretonne a quasiment disparu, ce qui est une triste et regrettable réalité.. Les paroisses, le clergé, les fidèles et les équipes en charge de la liturgie ne sont plus l’expression d’une spiritualité bretonne telle qu’elle existait encore à l’aube des années soixante, années des « grandes mutations sociétales ». Partant de cette réalité, la messe bretonne définie ainsi sera une « messe d’exception » à l’occasion de Pardons, fêtes ( festivals ), d’un mariage, d’obsèques, la messe dominicale habituelle étant désormais, partout, essentiellement célébrée en français. S’adressant désormais à des fidèles francophones, on ne peut reprocher au clergé d’en tenir compte, mais on ne saurait voir là le prétexte justifiant le rejet de l’identité bretonne à l’église. A noter : la part de plus en plus grande prise par les chants issus des « Communautés Nouvelles », chants, qui pas plus que ceux en français, ne reflètent l’âme bretonne. Nous parlons ici de la Bretagne bretonnante, ou qui le fût dans un passé encore très proche.
Dans la fin des années cinquante, l’Eglise a déserté le terrain culturel et spirituel breton. Elle n’ignorait pourtant pas que culture, foi et tradition sont intimement liées à (et dans) un peuple, et qu’il était de son devoir d’en tenir compte ; c’est ce qu’elle appelle « l’inculturation », c’est-à-dire être dans la culture du peuple qu’elle a en charge en étant elle-même partie prenante de cette culture dans l’annonce de l’Evangile ; toutes les encycliques des Papes traitant de cette question le rappellent. Jean-Paul II l’a clairement écrit dans son livre-testament « Mémoire et Identité » (1)…
D’ailleurs, l’Eglise l’a fort bien compris en ce qui concerne les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud et autres pays, en suscitant très tôt l’émergence d’un clergé indigène qui soit en osmose avec les traditions, dans ce qu’elles avaient de bonnes et compatibles avec la foi catholique. Un paradoxe est à souligner : les prêtres étrangers venant actuellement seconder leurs confrères bretons ne comprennent pas l’indifférence de beaucoup de Bretons pour leur riche répertoire de cantiques, et certaines de leurs traditions qui avaient leur place à l’église. Très attachés à leurs traditions, chez eux de tels rejets seraient impensables. Ce qui vaut donc pour ces peuples, ne vaudrait-il pas pour les diverses cultures des pays d’Europe et pour la Bretagne ? A cet égard, on ne peut que regretter qu’un certain clergé et certaines équipes liturgiques, certes dévoués dans leur apostolat, se soient comportés (et se comportent encore trop souvent ) dans les paroisses en véritables « corps étrangers », cachant à peine leur indifférence pour l’héritage religieux breton dont ils en ignorent les richesses. Cette fermeture d’esprit est d’autant plus regrettable, que ces équipes liturgiques mettent leur point d’honneur à s’ouvrir aux autres cultures religieuses. Un bon point toutefois : les esprits évoluent lentement. Mais un constat s’impose malgré tout : le Breton attaché à sa culture, à ses traditions, à sa langue, se sent toujours l’étranger dans l’église de ses ancêtres, au profit d’expressions religieuses qui, pour respectables qu’elles soient, se montrent alors comme la négation de sa propre identité ou comme l’impression de bénéficier à l’église d’une faveur condescendante pour son identité, démontrant ainsi de manière encore trop criante que celle-ci n’est qu’une « option culturelle » parmi d’autres.
D’UNE MAUVAISE INTERPRETATION DES REFORMES LITURGIQUES
Les années post-conciliaire ont été le terrain idéal pour mener à terme le processus de francisation commencé sournoisement bien des décennies plus tôt. Toute l’œuvre d’un clergé breton attentif à une identité bretonne de la Foi à l’église va être balayée sans le moindre état d’âme. Et on ne peut alors que songer à l’œuvre immense de l’abbé Perrot qui va être niée et détruite (2).
Le Concile Vatican II dans sa « réforme liturgique » avait autorisé un usage plus large de la langue vernaculaire du pays, ce qui ne pouvait qu’être bénéfique. On peut aujourd’hui sur bien des points en douter… Cette «réforme» avait pour seule intention la meilleure compréhension de la liturgie et de l’annonce de l’Evangile par les fidèles. En aucun cas, cette autorisation, soumise d’ailleurs à des conditions de circonstances, n’était une obligation. Pourtant elle fût interprétée comme telle, avec les conséquences iconoclastes sur toutes la tradition liturgique de l’Eglise. Outre la beauté de la liturgie et le sens du sacré, nous savons que les deux premières victimes furent le latin et le chant grégorien qui lui étaient intimement liés. L’usage de la langue vernaculaire étant recommandé : le latin fut immédiatement considéré, avec le chant grégorien qui en était inséparable, comme appartenant à l’expression d’une foi qui n’était plus en phase avec notre époque. Mais en Bretagne bretonnante, le problème se doublait d’un autre : la langue bretonne et les cantiques qui lui étaient autant liés que le grégorien l’était au latin. Dans une société bretonne très largement francisée, le breton à l’église apparaissait donc aussi décalé que le latin. Les cantiques bretons furent considérés comme « vieilleries » au même titre que le mobilier d’église, les vases sacrés, les ornements liturgiques, les bannières, les statues, et toutes formes de dévotions. Bref ! tout ce qui était l’expression d’une foi populaire qui avait été celle de nos aînés étaient condamnés (NDLR : à ce sujet, consultez notre sélection parlant des dévotions populaires dans Evangelii Gaudium, encyclique du Pape François). Cette mode qui dissimulait mal son fond idéologique soixante-huitard,.et qui faisait bien légèrement « table rase du passé », mais aussi du beau et du sacré sera, parmi bien d’autres, l’une des causes de la désertion des églises.
Si le Concile libéralisa l’usage de la langue vernaculaire, cela ne signifie pas qu’avant elle n’était pas employée. Partout, dans la liturgie de l’Eglise, la langue populaire a voisiné avec le latin, et il n’y avait aucun problème, chacune ayant sa fonction bien définie… La langue vernaculaire (le breton ou le français en Bretagne) étant en général réservé au prône, aux lectures et aux cantiques. Le latin étant réservé à l’Ordinaire de la messe, et aux chants grégoriens propres aux divers cycles liturgiques et cérémonies de circonstances. En Bretagne bretonnante, c’est donc la langue bretonne qui se partageait avec le latin la liturgie, le français était une exception, telle une langue étrangère. C’est d’ailleurs pour cette raison que le gouvernement franc-maçon de Combes fit en 1902 interdire le breton à l’église, au catéchisme, sous peine de sanctions graves pour les prêtres contrevenants.. Dans les villes comme dans les campagnes, tout le monde connaissait par cœur la « Messe des Anges », la « Messe Royale de Du Mont », la « Messe des Morts », les diverses « Antiennes » et chants des principales fêtes. Et les fidèles savaient fort bien ce qu’ils chantaient, et à qui tel cantique s’adressait, et pourquoi…
ILS ELEVAIENT TROP L’AME ! ILS FURENT DONC CONDAMNES…
Langue bretonne, cantiques bretons, latin et chants grégoriens avaient également contre eux plusieurs « défauts » : la pureté de leurs textes, expressions d’une théologie populaire qui disait avec des mots simples l’essentiel de la foi. Des cantiques qui, à l’instar des vitraux ou de la richesse des sculptures de nos calvaires formaient une véritable catéchèse populaire. Mais aussi source d’une musique transcendante, dont la richesse et la beauté, dont le dépouillement – et non un misérabilisme – ne pouvait qu’inviter au recueillement, à l’élévation de l’esprit, de l’âme, donnant un avant-goût de Paradis. Deux « défauts » qui les condamnaient à être jetés dans la même charrette que toutes les beautés ( et le sacré) sur lesquels nos ancêtres avaient tant prié. Les cantiques traditionnels en français ne furent pas mieux traités, car peu survécurent à « l’épuration ». Il faut bien se rappeler, que dans les années soixante-soixante dix, une « certaine Eglise » était en « pleine recherche et expérimentation ». Nous constatons aujourd’hui que ce fut beaucoup de temps perdu pour « rechercher » et « expérimenter »,. D’ailleurs, certains « cherchent et expérimentent» toujours ce que l’Eglise avait trouvée et expérimenté depuis deux mille ans. Peine perdue, il eu suffit pour ces « chercheurs » de se pencher davantage sur son Enseignement dont la source était celui du Christ… et d’ouvrir son missel au lieu de le jeter : tout y était… C’était trop simple… mais nous aurions ainsi évité bien des ruines spirituelles qui aujourd’hui nous « interpellent ». Quant aux cantiques en français de ces époques, où le meilleur voisinait avec parfois des goûts plus douteux, ils font aujourd’hui figure de « petits chefs-d’œuvre » dont sourde une certaine nostalgie, et appartiennent désormais au répertoire dit « traditionaliste ».
En ce qui concerne la place des cantiques bretons dans les messes et autres cérémonies, nous l’avons dit plus haut, ils étaient, pour un certain clergé (des « liturgistes » pionniers de la francisation) condamnés à s’effacer au profit des cantiques en français nouvelle mouture. Et bien évidemment, pour certains forcenés de l’innovation, nos cantiques anciens étaient eux aussi taxés d’êtres trop « traditionalistes » (comprendre trop marqués « bretons »). Nous savons aussi que ce qualificatif en matière religieuse est tout autant disqualifiant qu’en politique le qualificatif de fasciste : ce qualificatif-argument majeur des ignorants est d’ailleurs souvent source de blocages. C’est ainsi que l’on « débretonnisera » certains cantiques à Sainte Anne : on ne dira plus « Bénis tes Bretons », jugé trop « identitaire », mais « Bénis tes enfants », plus « ouvert », chacun pouvant dorénavant reconnaître en Sainte Anne « sa Patronne », et non plus celle des seuls Bretons…
Il était évident, que tant que les fidèles étaient à majorité bretonnants, la substitution des cantiques bretons avec des cantiques français, ou en français, ne pouvait se faire qu’à « petites doses ». Très tôt, dans les années 30 ont vit apparaître des cantiques bretons francisés ; on gardait l’air, mais les paroles étaient nouvelles et en français . Cela avait un double avantage, proposer un changement qui heurterait d’autant moins qu’il reposait sur une tradition musicale, habituer les fidèles à chanter en français sur des airs qu’ils connaissaient déjà. Mutation d’autant mieux acceptée que le « complexe » de la langue bretonne sévissait toujours. Pour ce « tour de passe-passe », des personnalités religieuses fort compétentes, des musiciens furent mis à l’ouvrage. Que ces « traducteurs-réformateurs » aient en toute sincérité travaillé pour le bien de l’Eglise et des fidèles, et redoublé de zèle avec la libéralisation de l’usage de la langue vernaculaire, qui ne pouvait, vu l’évolution françisante de la société bretonne être que le français, nous n’en doutons pas (3). Nous nous plaçons uniquement sur le « plan breton ». Est-ce que « l’âme bretonne » à l’église, dans sa liturgie « rénovée » y a gagné ? La réponse est non : dans « l’affaire », le Breton a tout perdu et la langue française a tout gagné. Certes, les responsables ne sont pas avares d’arguments pour justifier cette francisation totale, mais dans ce débat, les Bretons attachés à vivre leur foi dans un « minimum » de leur identité n’en manquent pas non plus, à condition de savoir exactement de quoi l’on parle. A cette époque, par ignorance du problème et de ses enjeux, des Bretons pensèrent très naïvement que la place « libérée » par le latin et le grégorien reviendrait de droit à la langue bretonne et aux cantiques bretons. Las ! toute la place fût prise par le répertoire en français. Leurs promoteurs avaient la prétention de remplacer les trésors spirituels, liturgiques, musicaux et culturels que représentaient les cantiques bretons et le chant grégorien par d’insipides ritournelles guimauves et soporifiques, invitation à une exubérance gestuelle en décalage avec la mentalité religieuse traditionnelle (4).
Deux exemples parmi des centaines, :notre célèbre cantique du Paradis, « Jezuz pegen braz ve », avec de nouvelles paroles deviendra en français, « Jésus qui êtes aux Cieux ». Dès la fin des années 40, le très beau « O Elez ar Baradoz » sera remplacé par le mièvre « Le voici l’Agneau si doux ».
Dans ces années de bouleversements liturgiques, il y eu une autre victime : le célèbre « Paroissien des Fidèles », ou « Missel ». Du jour au lendemain, il était devenu obsolète, ringard, démodé, et alla rejoindre le rayon des antiquités. En Bretagne bretonnante, tous les Diocèses, toutes les paroisses avaient leur « livre de messe » bilingue en latin-breton (pas de français). Pour des « historiens » de l’Histoire religieuse en Bretagne, et que titille, d’après eux, la « pauvreté spirituelle » de nos aînés, ils ne comprenaient rien à ce qu’ils disaient et chantaient ; en somme, ils vivaient bêtement leur foi sous la « dictature » du recteur. Ah ! c’est qu’aujourd’hui notre foi est « pensée et raisonnée», adulte et rayonnante. Soit, mais la baisse abyssale de la pratique religieuse, transformant nos églises en annexes des maisons de retraites, la pénurie de prêtres obligeant à faire appel à un clergé étranger (certes très dévoué), l’ennui qui se dégage de la plupart des messes, laisse planer un sérieux doute sur la «maturité» de notre foi, et devrait nous inviter à plus de modestie. Exit donc le missel traditionnel au profit de carnets de chants, de feuilles volantes éphémères.
Ces carnets présentent tous un « supplément » de recueils de cantiques bretons les plus courants, idem pour de rares chants latins, preuve, nous dira-t-on que ceux-ci sont prit en compte dans la liturgie. Sans doute, sauf qu’à bien regarder de près ces carnets, on s’aperçoit que les pages concernant les cantiques bretons et latins ne sont guère « froissées » par un usage intensif ; par contre, toutes celles concernées par les chants en français avouent une « grande fatigue »…
Nous ne prétendons pas qu’autrefois tout était parfait à l’église et dans la liturgie, et que ce fût un « âge d’or » ; il y avait bien des lacunes, d’où la nécessité d’une « réforme », mais intelligente. Nous prétendons par contre qu’il existait une richesse spirituelle, culturelle bretonne qui était l’expression de l’âme bretonne, et c’est cela que l’on a bradé, pour la remplacer par une « Eglise en Bretagne » qui lui est étrangère, qui est comme une « Eglise apatride » interchangeable, très loin de toute inculturation.
A cette observation, des religieux ont déjà répondu : « l’Eglise n’a pas vocation à être un Conservatoire des langues, des musiques et traditions, si respectable que tout cela soit. Que sa vocation est d’annoncer le Christ, la Foi, et qu’elle doit le faire dans un langage compris par l’ensemble des fidèles ». Nous entendons bien, et personne ne prétend que sa vocation est autre. Néanmoins, cet argument n’est guère recevable dans son intégralité. Car dans ce cas c’est faire bon marché de l’inculturation, et nier que la richesse culturelle du peuple qui lui est confié puisse être un socle sur lequel la foi peut germer et s’affermir. Nous sommes alors dans le déracinement, et l’Eglise, plus que quiconque, en se référant à l’enseignement du Christ sait que tout arbre coupé de ses racines meurt. Si l’on étend l’argument à l’Europe, c’est parce qu’elle s’est coupée de ses racines chrétiennes, les niant pour plaire à d’autres cultures, d’autres croyances, qu’aujourd’hui notre civilisation est malade et se meurt. Alors ce qui vaut à l’échelle de l’Europe, vaut à l’échelle d’une patrie, d’une culture, et on pourrait aussi étendre le raisonnement à la famille, tant attaquée et méprisée. On a souvent raillé le slogan qui prétendait que « Foi et langue bretonne était sœurs ». Sans doute, dans cette affirmation qui demande à être relativisée, il y a de l’excessif, mais il y a aussi du vrai. Nous pouvons. dire que la liturgie est étroitement liée à cette trilogie : « La Vérité, la beauté, le sacré », chemin qui mène à la foi et la conforte. Il serait grand temps de l’admettre…
DE LA MESSE BRETONNE A UN « UNA VOCE » BRETON
Si nous avons fait un détour obligé par les années de « Réformes liturgiques », c’est pour mieux comprendre la situation présente. Nous avons dit que la messe « bretonne » se caractérisait par son bi ou trilinguisme, donnant leur part légitime aux cantiques bretons, mais aussi à l’Ordinaire et aux divers «Répons». En 1963, année qui était encore, mais pour très peu de temps, celle de la fin d’une Bretagne bretonne dans l’expression de sa foi, où Dieu «était encore Breton », le recteur de Plésidy ( Côtes d’Armor ) enregistra sur le vif la messe de Pâques ( Oferenn Sul Fask ), un témoignage éloquent 5 ). Voici ce que dit le texte de présentation :
« De nos jours encore, dans beaucoup de paroisses de Basse-Bretagne, le breton demeure la langue des rapports journaliers. Les églises aussi sont nombreuses où l’on chante toujours les vieux cantiques bretons ; mais plutôt rares sont celles où l’on pourrait entendre habituellement dans cette langue les lectures, commentaires et prédications de la messe dominicale. Quelle joie pourtant pour le peuple chrétien de pouvoir prier, chanter, entendre lire et prêcher dans cette langue qui est à lui ! Avec quel cœur et quel ensemble il proclame alors sa foi profonde et ses sentiments : on peut dire qu’il participe vraiment au culte liturgique. Ce disque n’a d’autre ambition que d’en fournir un témoignage ».
Cet enregistrement est le témoignage d’une authentique « messe bretonne ». Les fidèles, en chœurs alternés hommes-femmes comme cela se pratiquait dans toutes les paroisses, chantent à pleine voix, tout naturellement, l’intégralité de la « Messe Royale de Du Mont » ( latin, Plain-Chant ), les antiennes, les chants grégoriens propres à l’office de Pâques, et bien évidemment les cantiques bretons, et l’homélie en breton. Ceci dit, il faut avoir conscience que cet enregistrement-témoignage est celui d’une Bretagne religieuse et rurale qui allait disparaître. Pourtant, à cette époque, le recteur, l’abbé Lec’hvien, était loin d’imaginer que la « Réforme Conciliaire » sur la liturgie allait donner le « coup de grâce » à l’expression bretonne de la foi. Il pensait lui aussi que l’usage étendu de la langue vernaculaire allait profiter à la langue bretonne et l’affermir dans son droit de cité à l’église. L’abbé Lec’hvien, frère du prêtre du même nom assassiné en 1944 par les FTP communistes, sera de ces prêtres bretons qui vont assister impuissants à la destruction de toute l’âme religieuse bretonne, pour laquelle ils avaient consacrés leur sacerdoce. Il faut aussi avoir conscience qu’une telle messe appartient, dirons certains, à une manière de célébrer qui n’a plus de fidèles, sinon dans la mouvance traditionaliste, encore qu’elle trouve de plus en plus de gens séduits par toute la beauté et le sacré qu’elle porte.. L’intention de l’abbé Lec’hvien était que son disque puisse servir d’exemple, dans l’essentiel, d’une messe authentiquement bretonne…
Les années 1970 sont aussi les années d’une nouvelle prise de conscience bretonne, tant sur le plan économique, qu’agricole et culturelle. Le renouveau de la musique bretonne profane que l’on croyait morte retrouvait grâce, entre autres, à Alan Stivell une nouvelle jeunesse. De même pour la danse grâce aux cercles celtiques et pour les Bagadou héritiers des Scouts Bleimor. Quelques années plus tard vont naître les écoles Diwan. Autant de « renaissances » qui vont magistralement démontrer que les Anciens, qui avaient tant œuvré, ne l’avaient pas fait en vain. Même si les nouvelles générations l’ignorent souvent, ingratitude involontaire ou volontaire, parfois par idéologie.
C’est à cette même époque que l’Eglise en Bretagne va tourner complètement le dos à toute culture bretonne et se mettre en marge de ce renouveau. Cette attitude lui vaudra de perdre bien des fidèles du milieu breton, bretonnant ou non, et tout particulièrement chez les jeunes qui découvrent ou redécouvrent à cette époque leur identité. L’Eglise va, sous prétexte d’annoncer l’Evangile autrement , tout renier de l’héritage dont elle était la dépositaire attentive et dévouée jusque là, quoi qu’en disent certains. Elle va laisser tout le terrain culturel à la gauche bretonne qui s’est faite le groom obligé des idéologies soixante-huitardes, anti-chrétiennes par nature. L’Eglise va pour beaucoup se présenter comme l’ennemi de l’identité bretonne. Pourtant elle avait à cette époque encore un atout pour préserver et faire sienne la culture bretonne : le Bleun-Brug. Certes, dans les années soixante-dix, celui-ci était à bout de souffle, et surtout noyauté par des chrétiens de gauche très actifs qui détournèrent, comme partout, les réformes conciliaires, et en le politisant l’achevèrent. Les catholiques bretons qui essayèrent de s’opposer à toutes ces dérives furent tous marginalisés comme nostalgiques, et – accusation suprême qui réglait sans appel leur sort – comme « traditionalistes ». Or le Bleun-Brug pouvait à cette époque se présenter comme l’association chrétienne bretonne la plus mandatée par son expérience et ses bilans, car il n’y en avait pas d’autres, pour être la garante d’une Eglise bretonne en Bretagne. L’intention était de faire du Bleun-Brug rénové et adapté à notre époque une sorte « d’UNA VOCE » breton. UNA VOCE fut fondée en 1964. Cette association, qui vient de fêter son Jubilé, avait pour vocation de sauver et maintenir le chant grégorien dans la liturgie, loin de toute polémique de rites. Ce projet « d’UNA VOCE » breton fut évoqué dès 1965. Immédiatement, il reçu l’adhésion d’un grand nombre de personnalités bretonnes, tant religieuses que laïques. Citons, les moines Dom Godu et Dom Alexis Presse. Ce dernier, très malade et grabataire ne pourra que signifier ses encouragements ; il décèdera le 1er novembre de la même année ; citons aussi le Père Chardronnet, le Chanoine Mévéllec, l’abbé Bourdélès, le frère Visant Séité, l’abbé François Le Quemener, l’abbé Lec’hvien, l’abbé Roger Abjean, directeur de la chorale «Kanerien Sant Vaze» de l’église Saint Matthieu de Morlaix. Bien d’autres religieux. donneront leur adhésion de principe. Des laïques, très nombreux, comme Luc Robet, maire de Poullan-sur-Mer, Perig et Lizig Géraud-Kéraod, Herry Caouissin et sa femme, Janig Corlay, (et l’auteur de cet article), et bien d’autres personnes, toutes soucieuses de la pérennité d’une église qui soit en Bretagne le reflet de son âme, de sa culture et de sa langue. Diverses circonstances, alors qu’il y avait urgence, firent surseoir au projet. Mais la raison principale fut les «assurances» données par des personnalités de la hiérarchie des diocèses bretons : dans « l’esprit de la réforme liturgique », la place du breton à l’église était – selon eux – assurée ; toute inquiétude quant à son avenir n’était donc pas fondée. Créer une association dans ce but ne répondait donc à aucune nécessité, et serait même préjudiciable. Naïvement, certains se contentèrent de cette promesse, et «baissèrent trop vite la garde». Des noms ? il nous serait facile d’en donner, mais l’objet de cet article n’est pas de lancer une vaine polémique. On connaît la suite : langue bretonne et cantiques bretons furent chassés des églises et aucune promesse ne fut tenue..
C’est ainsi que dans cette décennie de tous les bouleversements, l’identité religieuse bretonne fut mise au ban des paroisses, jetée hors des églises, de la liturgie, et de cette situation, de ces mentalités découlent toute l’Histoire de la fin d’une authentique identité religieuse bretonne dans la liturgie de l’Eglise en Bretagne. Dès lors, faute d’un mouvement vraiment fédérateur sur ce problème, il n’y eu plus que des projets individuels, sans audience, car groupusculaires, et ne représentant que leurs instigateurs. Ils étaient pourtant de bonne volonté, mais leur ignorance des problèmes religieux, de la liturgie, cela associé à un manque de diplomatie, ne pouvait qu’irriter les susceptibilités cléricales, et les nouvelles «chasses gardées» des équipes en charge de la liturgie dans les paroisses. Des décennies furent ainsi perdues. Décidément, nous le voyons ici encore, les Bretons semblent cultiver l’art de rater les trains qui font les événements, l’Histoire…et ils s’en étonnent toujours…
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Pour être juste, si l’Eglise en Bretagne a sa part de responsabilité, ce qu’on appelle avec une certaine emphase la nébuleuse du «Mouvement breton» a la sienne, et elle est grande. Le Mouvement breton actuel – qu’il se défende d’être confessionnel est une chose – s’est entièrement détourné de tout idéal religieux, prenant le contre-pied de leurs aînés qui ne concevait pas une Bretagne qui ferait abstraction de ses racines et de son Histoire chrétienne. Dans ce contexte, l’Eglise n’allait pas se montrer plus «royaliste que le roi», autrement dit, plus bretonne qu’une masse de gens, occasionnellement des fidèles pour qui la foi n’était plus ni bretonne, ni la priorité. Ce n’était plus une préoccupation ; l’église avait face à elle un monde, certes préoccupé de culture, de langue bretonne, mais pour qui cette culture ne se comprenait et ne se vivait qu’à travers le festif, l’éphémère, loin de toutes perspectives spirituelles..
Est-ce à dire que rien depuis n’a été fait ? Non, évidemment. Beaucoup d’initiatives ont vu le jour, et ont creusé des sillons, mais en ordre trop dispersé où l’action individuelle primait sur la force d’union. Côté positif : des personnes, des paroisses naguère hostiles à toute bretonnité se sont ouvertes. Certes, cette ouverture est encore trop timide, non exempte de préjugés qui avec un peu d’intelligence et beaucoup de charité pourraient disparaître. Néanmoins, le temps presse : il pressait d’ailleurs déjà il y a cinquante ans, et même bien avant, alors pensez maintenant !
Si l’Eglise a fait sa «Révolution d’Octobre» et du «Passé fait table rase», le monde paysan subit lui aussi à cette époque cette haine du passé. L’Eglise voulait «s’adapter au monde» et elle se mit à «tousser» comme lui, voire à se renier. Le monde rural voulu, très légitimement se moderniser et entrer dans son siècle ; à côté de réussites indéniables, il ne trouva rien de plus urgent et « moderne » que de renier tout son héritage, et lui aussi « toussa et cracha » avec la « modernité ». Chaque monde se bradait, et chacun avait ses mauvais conseillers. La destruction de l’âme religieuse bretonne coïncida exactement avec la destruction du monde paysan, deux mondes qui faisaient obstacle à une certaine modernité, qui quelques décennies plus tard pourra aligner ses bilans ravageurs. Mais ces années soixante-dix et quatre-vingt ce sont aussi des années d’autres renouveaux : celui des chapelles…
SUITE DE CET ARTICLE A VENIR (2/2) : SALUD DEOC’H ILIZ MA FARROUZ / DE LA MESSE EN BRETON / DE LA SEULE MESSE DU CHRIST
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NOTES :
1 ) « Mémoire et Identité », livre « Testament politique et spirituel » de Jean-Paul II. Editions Flammarion, 2005.
2) Si une frange du clergé breton a été séduite par les idées « modernistes », le courant du « Sillon » de Marc Sangnier, « l’Humanisme » de la Démocratie-Chrétienne d’un Degrée Du Loup, toutes voies qui menaient à la francisation de l’Eglise en Bretagne, la majorité des prêtres, des évêques étaient partie prenante de la défense de la langue et de la culture bretonne. Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur l’Histoire de l’Eglise en Bretagne.
3 ) Parmi les nombreux traducteurs et musiciens, deux seront particulièrement actifs, le Père Gélineau et Jacques Berthier ; ils seront les références des nouveaux répertoires de chants et musiques dans la liturgie. La question n’est pas de juger de leurs œuvres en tant que telles, mais de comprendre que leur activité dans ce créneau a causé un tort considérable aux cantiques bretons. Nous avons connu un admirable prêtre, Breton de surcroît, qui dans les années 1980 s’était attelé à composer un recueil de cantiques bretons entièrement réécrits en français, seule l’air restait breton, et il pensait le plus sincèrement du monde œuvrer pour la Bretagne…
4 ) Ces compositeurs de nouveaux cantiques en français pillèrent sans scrupules tous les répertoires de musiques religieuses et profanes de toutes les provinces, voir de l’étranger. De plus, les enjeux financiers ( droits d’auteurs ) étaient considérables, tant pour le compositeur qui s’accaparait un patrimoine qui ne lui appartenait pas, que pour les Maisons d’éditions bénéficiant d’un quasi monopole .
5 ) « Oferenn Sul Fask », disque enregistré en l’église de Plésidy ( Côtes d’Armor ) le 12 avril 1963 . Edition privée, produit par « Art technique sonore ». Disque qui fut à tirage très limité, et est de ce fait très rare, difficile à trouver.
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Concernant les chants liturgiques bretons, ne pas oublier l’apport important de l’abbé Loïz ar Floc’h, recteur de Louannec…
Et, sur la messe en langue bretonne, voir cette vidéo sur le site de l’INA :
http://www.ina.fr/video/RYC9712018675/apres-le-concile-messe-en-langue-bretonne-video.html
Ne pas oublier que cela se passait avant la néfaste réforme liturgique de la « Nouvelle messe » de Paul VI qui donna le coup de grâce !