Balade en centre Bretagne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

Quand il fait très chaud, évitez d’aller vous agglutiner sur les plages : partez à la découverte de la verte et fraîche Kreiz-Breiz, même les enfants vous en sauront gré !

Direction Pontivy, ex Napoléonville, arrêt à la chapelle de la Houssaye, et même si elle est encore fermée en raison de l’heure matinale, vous profiterez à plein de la solitude de cet endroit aux portes de la grande ville industrieuse des bords du Blavet.

Traversez la ville en empruntant ses artères tirées au cordeau, façon toute militaire, la place d’armes où, devant la statue du général de Lourmel (1811-1854), héros de la guerre de Crimée, la sous-préfecture et le palais de justice se font face.

N’hésitez pas à vous arrêter devant le château des Rohan : à cette heure, les places de parking ne sont pas toutes occupées. Certes le château est lui aussi fermé, mais le tour des douves sèches offre une bonne occasion de se dégourdir les jambes et d’admirer l’architecture militaire jusqu’au mode de restauration récent de la courtine qui s’est partiellement effondrée il y a quelques années. Les panneaux explicatifs sont à cet égard d’une parfaite clarté…

Saint Meriadec, 14° évêque de Vannes au VII° siècle

Direction plein nord, la forêt de Quénécan et le barrage hydro-électrique du lac de Guerlédan, dont la vidange, il y a quelques années, avait donné lieu à un spectacle insolite…

La jolie petite église Saint Meriadec de Stival, bien mise en valeur par les aménagements de l’ancien placître, est malheureusement fermée, mais pas celle de Saint Aignan, toute aussi fleurie, qui mérite largement un arrêt.
Comme, plus à l’est, à l’église de la Trinité-Porhoët, on y admire un arbre de Jessé et une représentation de la Sainte Trinité. On dit que ces retables proviendraient de l’église abbatiale de Bon-Repos, toute proche : rien de plus vraisemblable.

Voyez, tête-bêche avec le pauvre Jessé, la vilaine démone, la poitrine nue, tentatrice en diable, elle tient d’une main le fruit du pommier, qui se dit en latin « malus », le mal personnifié, tandis que de l’autre, avec ses doigts crochus, elle se saisit d’un des rameaux de l’arbre qui s’enracine dans la poitrine du patriarche.

La queue de serpent lovée autour de son bras dissimule un horrible tête venimeuse derrière le tronc de l’arbre. Elle est là pour rappeler l’identité de cette femme : Satan en personne, représenté ainsi pour rappeler, avec l’incarnation de Jésus-Christ dans la famille humaine, le péché originel qui en affecte chacun de ses membres, à l’exception notable de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, gwir Doué, gwir dén, et de sa mère, l’immaculée conception qui, à juste titre, occupent le centre de la composition.
Comme chacun de nous, jusqu’à ce que le baptême l’ait effacé, le péché originel n’a pas manqué d’affecter le vieux Jessé et sa descendance royale : de David et Salomon à gauche, jusqu’à Ozias à droite, chacun des personnages portant couronne, sceptre et manteau rouge étant nommé par le phylactère qu’il porte.
Des deux prophètes qui encadraient Jessé et la démone, seule la statue d’Isaïe à droite subsiste, celle de Jérémie, à gauche a été malencontreusement volée.

La représentation de la Trinité est tout aussi éloquente : sous une couronne ducale qui surplombe une tenture dont l’envers est de couleur bleu et l’endroit rouge, à la manière héraldique, se tiennent deux personnages assis. A gauche, nu de la tête aux pieds, sous un manteau rouge, c’est Jésus-Christ, la main droite levée, montrant ainsi les cicatrices de sa passion. A droite, c’est Dieu le Père, couronné et vêtu d’or, son manteau est bleu, il tient de sa main gauche le globe terrestre. De l’autre main, ils tiennent l’un et l’autre comme un livre ouvert qui ressemble aux tables de la Loi, celle de Moïse que Jésus est venu, non pas abolir, mais accomplir et compléter. Le premier des commandements, c’est, répond Jésus à un pharisien qui l’interrogeait :
« écoute, Israël (« shéma Israël », in Deutéronome 4, 1 ; 5, 1 ; 6, 4 ; 9, 1 ; 20, 3 ; 27, 9), le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. » (Marc 12, 29b-31)

Au dessus, l’Esprit Saint ressemble davantage à un aigle qu’à la colombe traditionnelle !
Aux quatre coins de la composition, les quatre évangélistes : Mathieu, Marc, Luc et Jean, avec les quatre vivants qui les symbolisent : l’homme, le lion, le taureau et l’aigle ; je vous laisse le soin de les identifier et de lire le phylactère que porte Jean, le plus jeune, représenté imberbe en bas à droite aux côtés de l’aigle.
Mais ce qui rend cette représentation de la Trinité particulièrement émouvante dans la vérité de son évocation est, tout en bas, comme une décoration honorifique sur des armoiries, la représentation de l’Eucharistie : hostie et calice qu’adorent deux anges photophores.

Ce sacrement à notre disposition est en effet la merveilleuse et la plus fidèle représentation de la Sainte Trinité qui soit puisque, corps et sang du Christ, elle est l’image sur terre du Dieu trine qui s’est révélé ainsi et que nous adorons de la sorte sans bien comprendre l’ampleur du mystère.

A cet égard, la petite lumière rouge, à côté du tabernacle, là où sont entreposées dans un ciboire les hosties consacrées nous rappelle que, jusque dans cette modeste petite chapelle, Dieu est présent par Jésus-Christ qui est venu parmi nous pour notre salut ;

A cet égard, avant de quitter l’église de Saint Aignan notre attention est attirée par un énorme confessionnal qui proclame en toutes lettres : « ma zad,  pec’het a meuz » (« mon père, j’ai pêché») avec l’illustration sculptée de l’enfant prodigue qui s’adresse ainsi à son père « mon père, j’ai péché contre le ciel et envers toi » (Lc 15, 21), signe parfait de la contrition nécessaire au pardon des péchés.

Ce mobilier d’église est apparu à la suite du concile de Trente (1545-1563) avec la contre-réforme destinée à contrecarrer la « religion prétendue réformée » qui estimait pouvoir se passer de tout intermédiaire pour s’adresser à Dieu, notamment pour le pardon des péchés et l’obtention du salut éternel réservé à quelques uns uniquement par grâce divine et indépendamment des œuvres réalisées, ce qui n’est pas exact : nous nous employons tous à l’obtention de notre salut par la prière et notre conduite ici-bas….

Après le pique nique de rigueur au bord du lac de Guerlédan, aux pieds du barrage, en route pour les Forges de Salles ouvertes à la visite l’après midi.

Très intéressante et instructive visite de cet établissement industriel créé au XVI° siècle par les Rohan, adeptes du protestantisme, comme toutes les grandes familles de la Bretagne de l’époque, les Rieux, d’Avaugour, Laval, etc… manière de s’opposer politiquement au nouveau duc qui n’est autre que le roi de France après les mariages successifs de la duchesse Anne (1477-1514) avec Charles VIII (1470-1498) puis Louis XII (1462-1515) et les « traités » d’annexion de 1532 sous le règne de son gendre, François I° (1494-1547)

Un des plus vieux bâtiments, datant des Rohan est le temple où les ouvriers se rassemblaient pour le prêche dominical sous la surveillance des cadres. Ce n’est qu’à partir de 1802 avec Henri, comte de Janzé (1784-1869), le nouveau propriétaire, que le temple sera transformé en chapelle catholique avec le mobilier correspondant dont l’autel avec une prédelle peinte représentant, non pas saint Éloi, patron des forgerons, mais saint Pierre, lui même avec ses clés, en larmes après son reniement, provenant sans doute d’une chapelle voisine en ruine dont certaines pierres sculptées et clés de voûte restent visibles dans la cour, devant le four, désormais éteint. Le silence a succédé à l’activité industrieuse et le cadran solaire ne rythme plus que les heures de visite et de farniente….

La halte à l’abbaye de Bon Repos au bord du Blavet canalisé a été la bienvenue dans la fraîcheur des frondaisons avant de reprendre la route pour Pontivy par la grand route militaire de Mur de Bretagne dont le tracé, parfaitement rectiligne, avait été conçu pour faciliter le charroi de l’artillerie et des troupes dans ces contrées propres à la rébellion.
Un dernier et rapide arrêt a la chapelle Notre Dame de Carmés pour vérifier la qualité de la rénovation du tableau du retable qui manquait tant lors du pardon de l’an passé.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser d’un examen trop rapide, il ne s’agit pas de la remise par la Vierge du chapelet du rosaire aux saints dominicains : Dominique de Guzman (1170-1221), le fondateur de l’Ordre des Prêcheurs, et Catherine de Sienne (1347-1380), docteur de l’Église, la conseillère des papes d’Avignon, mais du don du scapulaire par Notre Dame du Mont Carmel et l’enfant Jésus au bienheureux britannique Simon Stock (1164-1265) alors supérieur général de l’Ordre du Carmel et à la carmélite espagnole sainte Thérèse de Jésus (1515-1582) plus connue par le nom du couvent qu’elle a réformé et dirigé à Avila en Castille. Sur la mer, en arrière plan, flotte un navire de la marine espagnole dont elle est la patronne et que les marins prient sous le vocable de « Stella Maris ».

Le tableau du transept sud a également été rénové avec bonheur : il représente Notre Dame de Miséricorde qui rassemble tous les pêcheurs sous son manteau protecteur, Y compris le pape, l’évêque et le donateur qui nous fait face.
Il n’a pas été replacé dans son cadre d’origine – c’est un choix – son enlèvement ayant laissé apparaître des peintures murales représentant des scènes de la passion.

Au transept nord, à gauche du retable du rosaire, une statue du saint madrilène Isidore le laboureur (1070-1130), patron des cultivateurs, que l’on voit régulièrement dans nos églises et chapelles rurales, le plus souvent représenté en habit local du temps, la faucille en main, serrant dans son bras une gerbe de blé fraîchement moissonnée. Ici, exceptionnellement, Isidore figure en semeur… « Il y a un temps pour toute chose » nous dit l’Ecclésiaste (Qo 3, 1-8)
Isidore passait son temps à prier tandis que des anges le remplaçaient à la tâche de sorte que le travail quotidien n’en souffrait pas et le maître n’avait rien à y redire…

La Chapelle ND de Carmés est, elle aussi, comme bien d’autres du pays Pourlet, due à la munificences des Rohan souhaitant ainsi se faire pardonner son adhésion au parti huguenot… Nous sommes bien loin de la sévérité dépouillée du temple protestant des Forges des Salles.
La dernière héritière huguenote des Rohan, Marguerite (1617-1684), épouse en 1654, le très catholique Henri de Chabot de Jarnac (1615-1655) que le roi autorise, malgré l’opposition des cousins Rohan-Guémenée, à reprendre le nom et le titre ducal des Rohan. La nouvelle dynastie des Rohan-Chabot est donc catholique et entend le faire savoir, la chapelle Notre Dame de Carmès en est le témoignage le plus éclatant.

Les profils des donateurs en haut à droite et à gauche du grand retable du chœur sont sans doute ceux d’Henri et Marguerite de Rohan-Chabot et non pas, comme on pourrait rapidement le penser ceux de Jésus et de Marie sa mère. Avec la décoration de l’église des carmes, ils ont ainsi œuvré, dans la mouvance jésuitique de la contre réforme, « ad majorem gloriam », pour la plus grande gloire de Dieu !
Grâces leur soient rendues… Quelle belle et instructive Bretagne avons nous là, à notre entière disposition quand le soleil des plage se fait trop ardent et les routes pour accéder à la mer si encombrées ! … Quelle chance ont les jeunes pontivyens, qu’ils soient de Jeanne d’Arc ou de Ferdinand Loth, pour peu qu’on leur fasse connaître le riche patrimoine de leurs ancêtres, devenu le leur !

« Da feiz on Tadou kozh, Ni paotred Breizh-Izel ! Ni ‘zalc’ho mad atao ! ‘Vid feiz on Tadou kozh, Hag endro d’he banniel. Ni holl en-em stardo ! Feiz karet on Tadou ! Morse ni n’ho nac’ho ! Kentoc’h ni a varvo!(ter) »

C’est bien de chanter, mais cela ne dispense pas d’agir …

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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