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Croix d’autel, croix de choeur et croix de procession

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min
Cliché du photographe Raphaël Binet ayant exercé à Saint-Brieuc de 1918 à 1935.

Une discussion récente concernant l’utilisation de la tête amovible d’une croix de choeur (considérée comme croix d’autel) comme croix de procession et croix d’autel, et la difficulté de trouver des informations sur le net, m’incitent à publier un article sur la question.

 

Un constat

Régulièrement, nous pouvons constater dans nos églises l’absence de croix d’autel, une croix de choeur orientée vers les fidèles positionnée à proximité étant la norme.  Parfois, la croix de choeur est une croix de procession avec une longue hampe, dont le support permet de la maintenir dressée. Parfois, le support est de grande taille et seule la tête de cette croix (donc la croix elle-même, sans la hampe) est tenue en guise de croix de procession.

Penchons-nous aujourd’hui sur ce sujet :

L’instruction Redemptionis Sacramentum, « sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie » (INSTRUCTION Redemptionis Sacramentum), ne dit rien de l’aménagement de l’autel, de la croix ou du crucifix (ces deux derniers mots n’apparaissant même pas dans la-dite instruction).

Le code des rubriques quant à lui prescrit que pour la célébration de la messe il y ait « sur l’autel au milieu une croix assez grande avec le Crucifié » (C.R. n. 527) et le Cérémonial des évêques précise que « l’image du Crucifié doit être tournée vers la table de l’autel » (C. E., liv. 1, c. 12, n° 11). La remarque du Cérémonial est d’autant plus importante que celui-ci décrit la messe épiscopale en fonction de la célébration face au peuple.

L’article 94 de l’Instruction Inter Oecumenici dit que « la croix et les chandeliers, qui sont requis sur l’autel pour chaque action liturgique, peuvent aussi, au jugement de l’Ordinaire du lieu, être placés en dehors de l’autel » (Instruction, art 94).


La raison invoquée est que, comme la disposition de la croix face au célébrant peut gêner la visibilité des fidèles, spécialement au moment de l’élévation et au Per Ipsum, l’Ordinaire du lieu peut permettre que la croix soit désormais placée non plus sur l’autel, mais en dehors, soit que son pied repose sur le dallage du sanctuaire, soit qu’on la suspende. Dans les mêmes conditions, on pourrait admettre que la croix ne soit plus placée au milieu de l’autel, mais qu’elle soit un peu écartée à droite ou à gauche, toujours cependant devant l’autel.

Cependant, les croix de choeur / procession placée en guise de croix d’autel ne sont plus écartées un peu à droite ou à gauche, mais complètement sur le côté de l’autel. Sauf à avoir une petite croix posée sur l’autel, le célébrant n’a donc pas l’image du Crucifié tournée vers lui.

La remarque de gêne n’a lieu d’être que si on opte pour un mobilier liturgique (croix et chandeliers) disproportionné, et l’on ne peut donc faire de cette interprétation la norme. Si l’on prend la Présentation Générale du Missel Romain (PGMR n° 308), il est dit en version originale latine :

Item super altare vel prope ipsum crux, cum effigie Christi crucifixi, habeatur, quæ a populo congregato bene conspiciatur. Expedit ut huiusmodi crux, ad salutiferam Domini passionem in mentem fidelium revocandam, etiam extra celebrationes liturgicas prope altare permaneat. 

ce qui signifie

De même, sur l’autel ou à proximité, bien visible pour le peuple assemblé, il y aura une croix portant l’image du Christ crucifié. Il est utile que cette croix, qui rappelle à l’esprit des fidèles la passion salutaire du Seigneur, reste près de l’autel même en dehors des célébrations liturgiques.

Il est vrai, argueront certains, que le Cérémonial selon le missel de Paul VI dit que

Si la croix est placée sur l’autel ou à côté, il s’incline d’abord vers elle et elle est encensée de trois doubles coups. Il s’incline à nouveau, puis va vers la droite et fait le tour.

Si la croix est suspendue au-dessus de l’autel ou placée derrière celui-ci, l’image faisant face à l’assemblée, elle est encensée quand il revient au milieu de l’autel.

Si la croix de procession sert de croix d’autel et a été placée à quelque distance de ce dernier, elle est encensée quand il a atteint une position convenable à proximité de celle-ci.

Ce cérémonial auquel se réfèrent certains date d’avant 2002, date à laquelle la PGMR a été revue et dont une traduction en français a vu le jour en 2008. En comprenant ces différents textes, que constatons-nous ?

  • Au n° 276 de ceette PGMR voici ce qu’on dit de l’encensement : « si la croix est sur l’autel ou près de lui, le prêtre l’encense avant l’autel ; sinon il l’encense lorsqu’il passe devant elle ». Ce qui laisse supposer qu’elle peut être assez éloignée de l’autel.
  • Le missel rénové permet que la croix de procession, apportée à l’entrée du prêtre, serve de croix d’autel (cf n°117 PGMR : « Il y aura aussi sur l’autel ou à proximité une croix avec l’effigie du Christ crucifié. Les chandeliers et la croix pourront être portés durant la procession d’entrée ») ; cependant, en pratique, cette faculté est difficile à concilier avec deux exigences du même missel : que la croix d’autel soit unique, et qu’elle reste à l’autel même en dehors des Offices, comme nous l’avons vu plus haut (« prope altare permaneat« ).  Elle ne peut donc en toute logique être retirée, y compris momentanément pour une procession d’entrée.
  • Mais, au n° 122 de la PGMR, dans la lignée de ce qui est dit au n°117, il est mentionné en latin dans le texte « Crux effigie Christi crucifixi ornata et in processione forte delata, iuxta altare erigi potest ut fiat crux altaris, quæ una tantum esse debet, secus in loco digno reponatur » autrement dit que la croix ornée de l’effigie du Christ crucifié, si elle a été portée en procession, peut être dressée jouxtant l’autel, pour devenir la croix d’autel qui doit être unique, sinon elle est déposée à un endroit digne. C’est aussi ce que dit le n° 129 du Cérémonial des Evêques.
  • Au n°297 de la même PGMR, il est dit que l’Eucharistie doit s’accomplir sur un autel. Il est précisé « qu’en-dehors d’un lieu sacré, elle peut s’accomplir sur une table convenable, où l’on mettra toujours la nappe et le corporal, la croix et les chandeliers ».
  • Enfin, rappelons le n° 308 évoqué ci-dessus.

 

Une seule et même croix

La croix « peut être dressé près de l’autel » est-il dit. Nous constatons cependant les recommandations suivantes, le cérémonial des évêques étant normatif :

  1. Il doit y avoir une croix avec l’image du Christ crucifié bien visible de l’assemblée (CE). Qu’elle soit apposée sur un pilier, pendue au dessus de l’autel ou posée à côté de l’autel, elle ne se substitue pas à la croix d’autel.
  2. Une croix avec l’image du Christ crucifié, doit être posée sur l’autel, tournée vers le célébrant (CE).
  3. La croix d’autel (destinée au prêtre) et la croix destinée à l’assemblée peuvent n’être qu’une seule et même croix, mais la croix destinée à l’assemblée ne peut se substituer à celle qui doit être devant le célébrant, puisque une règle absolue s’impose : le prêtre doit dire la messe face au Christ.
  4. La croix d’autel doit être permanente.
  5. Dans la mesure du possible, il est préférable d’avoir une seule croix dans le sanctuaire.

Ce qui signifie, selon le principe du rasoir d’Ockham (en latin lex parsimoniae), que pour avoir une croix unique, il faut que la croix dite d’autel soit posée sur l’autel (ou juste devant), étant à la fois visible du célébrant et de l’assemblée.

Si la croix de procession sert de croix de choeur (ou si celle-ci n’est pas sur l’autel), alors le prêtre ne célèbre pas face à celle-ci. Il faudra au minimum, en ajouter une plate sur l’autel (ce qu’on voit dans beaucoup de paroisses), mais bien évidemment celle-ci ne peut être vue des fidèles (et le plus souvent, elle est ôtée après la messe) et reste le problème de la croix présentée aux fidèles en-dehors de la messe… (mais, ne soyons pas de mauvaise foi, il est rare de voir un choeur sans aucune croix (on la trouvera d’ailleurs souvent sur le maître-autel qu’on a délaissé…).

Et ce qui signifie aussi que si la croix d’autel doit être présente de manière permanente, une croix de procession spécifique doit être utilisée.

Evidemment, tout ce problème ne se pose pas quand on célèbre ad orientem… Dans le cas contraire, tout est possible et tout est toléré par les livres liturgiques même si cela ne fait pas toujours sens ou contredit les grands principes. La version 2002 de la PGMR ayant tendance à officialiser de mauvaises pratiques prises depuis les années 60 (communion dans la main par exemple) plutôt que de les corriger…

 

Pour en savoir plus :

  • L’Art de célébrer la messe (présentation générale du Missel romain), Desclée-Mame, 2008 : n° 117-122-297-308
  • Cardinal Joseph Ratzinger, « L’Esprit de la Liturgie », ad solem, pp. 70-71
Sur l’autel et la célébration de la messe
« On objecte également qu’il n’est pas besoin de regarder vers l’est et vers la croix puisque, en se regardant mutuellement, le prêtre et les fidèles apercevraient dans l’homme l’image de Dieu – ce qui justifierait le face-à-face pour prier. J’ai de la peine à croire qu’un illustre liturgiste ait pu prendre cet argument au sérieux. L’image de Dieu dans l’homme n’est pas immédiatement visible, comme le serait une image que l’on pourrait photographier ! Certes, on peut discerner cette image, mais avec le regard de la foi. On peut la percevoir comme on perçoit dans l’homme la bonté, l’honnêteté, la vérité intérieure, la modestie, l’amour – autrement dit tout ce qui rend l’homme semblable à Dieu. Mais pour cela il faut apprendre une nouvelle manière de voir, et c’est là précisément le rôle de l’Eucharistie.
L’objection la plus important est d’ordre pratique. Faut-il à nouveau tout changer, tout réarranger, alors que rien n’est plus dommageable à la liturgie que cet activisme constant, même s’il a pour but une rénovation authentique ? Je vois pour ma part une solution qui m’a été suggérée par les travaux d’Erik Peterson. L’orientation vers l’est, nous l’avons vu, fut mise en rapport avec le « signe du fils de l’Homme », la Croix, qui annonce la seconde venue du Seigneur. L’est fut ainsi relié très tôt avec le signe de la Croix. Là où l’orientation commune vers l’est n’est pas possible, la Croix pourrait servir d’ « est intérieur ». Elle devrait se trouver au milieu de l’autel est représenter le point focal commun pour le prêtre et les fidèles en prière. Nous obéirions ainsi à l’antique injonction qui inaugurait la liturgie eucharistique : Conversi ad Dominum – ‘Tournez-vous vers le Seigner’. Ainsi nous regarderions ensemble vers Celui dont la mort a déchiré le rideau du Temple, Celui qui pour nous se tient devant le Père, et nous prend dans ses bras pour faire de nous le nouveau Temple vivant.
Je compte parmi les manifestations les plus absurdes des dernières décennies d’avoir mis la croix de côté pour libérer la vue sur le prêtre. La croix est-elle gênante pendant la messe ? Le prêtre est-il plus important que le Seigneur ? On devrait remédier à cela le plus vite possible, cela ne requiert d’ailleurs aucune nouvelle transformation. Le Seigneur est le point de référence. Il est le Soleil levant de l’histoire. C’est pourquoi il pourrait s’agir aussi bien de la Croix de la Passion, signe du Serviteur souffrant, a flanc transpercé d’où s’écoule pour nous le sang et l’eau – l’eucharistie et le baptême-, comme de la Croix glorieuse qui, évoquant le retour du Christ, dirige notre regard vers Lui. Car c’est toujours le même et unique Seigneur : le Christ hier, aujourd’hui et à jamais (He 13,8) »

 

L’auteur s’attache à soumettre ses articles à des prêtres avant de les publier. Il s’agit toutefois d’une analyse de l’auteur qui n’engage que lui-même et non l’institution ecclésiale.

Illustration en noir & blanc : Croix de procession, réalisée par René Desury (An Droellen, Atelier breton d’art sacré)

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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Un commentaire

  1. Cette confusion est déjà en germe dans le Novus ordo missae de 1969, sans même parler des « adaptations »
    Tout étant laissé « au libre choix » avec des choix multiples, pourquoi s’étonner que ce soit la pagaille dans la liturgie ?
    Sachant que dans l’ordo, il existe
    – 4 formules de salutation initiale
    – 3 formules pénitentielles (sans même compter l’aspersion qui peut faire « office de »
    – Un nombre incalculables de préfaces au choix
    – 4 prières eucharistiques principales, sans compter toutes les autres plus ou moins licites
    les improvisations ou les commentaires ou les paroles modifiées par le célébrant
    Sans même parler des traductions plus ou moins fidèles en langue vulgaire, nous avons des célébrations qui ne ressemblent plus guère à la messe dans le rite romain.
    Ceux qui célèbrent le mieux la messe selon la forme ordinaire sont ceux qui savent aussi la célébrer dans la forme extraordinaire !
    La messe Paul VI a été bricolée par des liturgistes de bureau et adaptée par des pasteurs et des fidèles fantaisistes qui prennent le contre-pied de l’esprit de la liturgie. Cette liturgie a été bâtie et arbitrairement imposée à l’Eglise universelle au pas de course en moins de quatre ans ! Depuis, il est difficile de revenir dessus, comme pour la communion debout dans la main, la distribution de la communion par des femmes, la présence de filles enfants de choeur et cette agaçante manie de nombreux fidèles qui chantent le per ipsum (en français) ou étendent les mains au Pater, alors qu’il s’agit d’un geste sacerdotal.
    Quand on essaye de remettre les choses en place, on se fait taxer de passéiste, rubriciste intégriste, et j’en passe. L’horreur suprême étant de proposer la célébration ad orientem.
    Pour ceux qui tiennent mordicus à la célébration versus populum, il suffit tout simplement de dresser l’autel comme versus orientem : le crucifix bien au milieu avec le Christ face au prêtre, et au moins deux cierges symétriques. Cette manie du cierge unique est agaçante et laide quant à l’esthétique (tout ça pour laisser la place à une « composition florale » encombrante, chère et goût fort douteux. Et la croix de procession après que cette dernière soit terminée, à sa place, contre un mur ou sur un support dans un coin du choeur On peut même pourquoi pas mettre le tabernacle sur l’autel.
    Autre chose pénible : lorsqu’on parvient à mettre la croix sur l’autel, certai.n.es veulent soit tourner le visage du Christ vers les fidèles et/ou décaler la croix sur le côté pour deux raisons : 1 : elle masque en partie le visage du prêtre et de 2 : les fidèles ne voient pas Jésus ! Dans ce cas, il faut leur rappeler qu’on ne va pas à la messe pour contempler le visage du prêtre, et que si on tient à voir le Christ, il n’y a qu’à célébrer ad orientem ! Ce n’est pas plus compliqué, c’est du simple bon sens, c’est vraiment l’histoire du chien qui se mort la queue ! ce qu’il y a de curieux dans l’histoire, c’est que souvent, les mêmes personnes admirent admirent la liturgie byzantine (sans rien y connaître au passage) où non seulement le prêtre tourne le dos aux fidèles, mais il est en plus caché par l’iconostase et prononce les paroles sacrées dans une langue morte écrite dans un autre alphabet (grec ou cyrillique), mais bon, il y a l’exotisme de » l’ailleurs »
    Pour finir, je ne résiste pas à remettre ce petit dessin humoristique déjà paru sur « Ar Gedour »

    https://www.argedour.bzh/wp-content/uploads/2016/12/ad-orientem.jpg

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