Devoir de mémoire : des femmes missionnaires…au temps de Louis XIV

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min

En un temps où l’on parle beaucoup, dans le petit monde paroissial de « la place des laïcs », il peut être éclairant d’élargir l’horizon et de regarder ce qui se passait… trois siècles avant Vatican II.

Chez nous. En Bretagne. Dans le sillage d’un prêtre « atypique », un missionnaire tellement ardent que ses contemporains le surnommaient : «ar beleg fol», on voit naître des initiatives qui nous font un peu sortir des clichés qui occultent en général des réalités très différentes. Tel est le cas de quelques femmes, vivant «  dans le monde, sans être du monde », au temps de Louis XIV.

Claude Le Belec et Domnat Rolland, sont deux laïques qui conduisirent au Christ beaucoup de personnes, enlisées dans leurs soucis matériels. Ce sont des mères de famille, illettrées comme beaucoup d’autres, que la prédication de Dom Michel, ainsi qu’en un siècle antérieur, celle du Poverello d’Assise, sut atteindre. Elles étaient de simples baptisées, se contentant d’observer les lois de l’Eglise, et un jour, ayant pris conscience du « cadeau du baptême », elles se sont mises à la suite du Christ, avec les moyens de leur temps et dans l’état de vie qui était le leur.

Claude Le Belec, une veuve qui tient un commerce de vins dans le port de Douarnenez, offre, au cours d’une mission dans la petite cité, l’hospitalité à Dom Michel. Quelques personnes sont réunies dans la maison. Le prédicateur trouve les mots qui ouvrent l’âme de ces commerçants de bonne volonté, à des réalités qu’ils n’imaginaient pas jusque là. Claude, en particulier, va vivre une conversion radicale. Cette ménagère active  va découvrir l’oraison, l’adoration, la Parole de Dieu, qu’elle ne sait pas lire, mais qui l’imprègne dès qu’ elle scrute les « tableaux » que Dom Michel utilisait pour expliquer les réalités spirituelles.

L’entourage de cette marchande respectée s’étonne de la transformation qu’elle constate chez elle : Claude veut faire partager sa foi, elle devient une apôtre. Tout en gardant son travail, elle se dépense pour aller aider les pauvres dans la ville. Elle parvient à convaincre le recteur de Ploaré  (un « vénérable et discret Missire » !) de faire chanter les commandements de Dieu au peuple rassemblé le dimanche.

Deux autres veuves, émues par la joie et la charité de leur voisine, se joignent à elle. Ensemble, ces trois « laïques » vont proposer à des amis et parents de se retrouver par petits groupes, dans leurs maisons, pour recevoir un enseignement, pour prier et chanter.

Pendant trente ans, ces « missionnaires laïques » se virent invitées dans quelques lieux de leur diocèse de Cornouaille, et aussi dans les diocèses de Léon et de Tréguier. Elles avaient trouvé un moyen d’intéresser des auditoires plus larges en se rendant aux « assemblées qui se faisaient aux chapelles des Saints aux jours de leur fête ( les pardons) »

Le zèle de ces femmes attire la curiosité, puis leur joyeuse simplicité touche des coeurs.

Une fois, « un navire sur lequel Claude le Belec avait mis le tiers de son bien et de celui de ses enfants, périt en mer. Elle vit l’affliction et les larmes de ses enfants, sans être touchée de cette perte. Elle leur recommanda le mépris des faux biens de la terre, la confiance en Dieu, et la conformité à ses saintes volontés ; et finit son exhortation en leur ordonnant de se prendre tous par la main, et de danser avec elle, pour donner à Dieu une preuve de la joie qu’ils ressentaient en se soumettant à sa Divine providence. Elle chantait en même temps un air Breton, dont le sens était, que soit Dieu donne, soit qu’il ôte les biens, soit qu’il vivifie, ou qu’il mortifie ; soit qu’il nous couronne de roses ou d’épines, nous lui en devons toujours mille actions de grâce, parce qu’en tout cela il cherche la gloire et notre sanctification.

Elle a depuis raconté à une personne en qui elle a beaucoup de confiance pour la conduite de son âme, qu’elle avait retrouvé dans son coffre la même somme d’argent qu’elle avait employée sur ce navire perdu ».

A voir la réaction de cette mère de famille, au creux d’une épreuve qui atteint son foyer, se mettre à danser au lieu de s’effondrer, nous pouvons penser à la louange qui se pratique de nos jours dans certains groupes de chrétiens, attitude souvent regardée avec « circonspection » par l’entourage, mais  qui a profondément renouvelé des « pratiquants » sans joie, dans leur « pratique ». Trois siècles avant nous, on voit que des personnes engagées dans les affaires, pouvaient  également connaître l’expérience de la gratitude.

Domnat Rolland, une autre Douarneniste, avait 43 ans, lorsqu’elle alla écouter un des « catéchismes » que donnait Dom Michel dans la petite ville. Elle qui ne connaissait alors aucune prière, fut saisie par la Bonne Nouvelle qui était présentée au moyen d’images peintes. Elle désira retourner écouter les enseignements du prêtre léonard, mais son époux voyant en ces « absences » un « manque à gagner » lui défendit de s’y rendre. Finalement, il y alla lui-même, peut-être touché par l’obéissance de sa moitié, et lui aussi fit un chemin spirituel , qui le conduisit plus tard à une mort édifiante. Sa veuve, qui n’avait jamais « étudié », fit preuve d’une mémoire prodigieuse qui lui permettait de retenir tout ce qu’elle apprenait et d’enseigner à son tour les gens qui s’étonnaient de la transformation qu’ils remarquaient en Domnat.

Avec Claude Le Belec, la veuve Rolland obtient de Monseigneur René du Louët, évêque de Cornouaille, une véritable « mission auprès des peuples villes et  de la campagne…après qu’il eut entendu , avec une satisfaction extraordinaire, Domnat Rolland faire une explication sur un tableau qui marquait les principaux devoirs du Chrétien…

Elle eut jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans la même facilité à apprendre et à retenir tout ce qu’elle entendait d’instructif et le même don de s’expliquer nettement et avec grâce, et de persuader aux autres les vérités nécessaires… » (Dom Lobineau)

On peut se représenter cette humble femme du peuple, ressemblant aux portraits des frères Le Nain, attirant, non pas à elle, mais au Christ, qu’elle rencontrait dans l’oraison quotidienne, des gens «  des périphéries », qui n’abusaient pas des « dévotions » dans les églises…

« La réputation de sa vertu et de ses capacités attira, des extrémités de Léon et de Cornouaille plusieurs filles de qualité, qui vinrent demeurer chez elle, pour apprendre d’une pauvre veuve qui ne savait pas lire, la plus sublime et la plus utile des sciences… Elle instruisit avec tant de soin et de bénédiction du ciel une paysanne grossière que lui envoya Mr. le Nobletz, laquelle, de stupide qu’elle était auparavant, devint en six mois de séjour qu’elle fit auprès de Domnat Rolland, très-éclairée et capable d’instruire les autres, comme elle fit durant treize ans, avec des fruits incroyables »

 Incroyables, et pourtant avérés, les « fruits » que pouvaient porter, en un siècle éloigné du nôtre, des femmes « ordinaires », mères de famille, commerçantes, veuves… Quand elles eurent fait personnellement l’expérience  spirituelle d’intimité avec Dieu , ce qui était bien autre chose que la « pratique » routinière suivie par la majorité des baptisés, ces femmes se donnèrent avec entrain et simplicité à ce que nous appellerions « l’évangélisation », et ceci avec l’accord des « recteurs » en place, la bénédiction de l’évêque, mais non sans « les persécutions » promises aux évangélisateurs…

Nous voyons, pour ne citer que ces deux femmes de Douarnenez, que « les laïcs » pouvaient apporter un feu nouveau à la vie spirituelle de leurs contemporains.

A la même époque, on peut se rappeler le nom de Marguerite et d’Anne le Nobletz, deux sœurs de Dom Michel qui marquèrent également leur siècle. Marguerite, qui vécut jusqu’en 1633, fut en effet une missionnaire laïque. Elle s’adapte au « milieu » de son temps :

« les jeunes gens de Douarnenez avaient une extrême passion pour la danse, aussi bien que les autres peuples de Bretagne, qui quittent volontiers leur travail et leurs repas, pour aller bien loin  danser au son du tambour et de la cornemuse. Les filles de cette petite ville passaient avec les garçons des jours entiers de fêtes et de Dimanches et les nuits suivantes, dans ce divertissement. Mademoiselle le Nobletz alla un Dimanche attendre ces filles sur le chemin par où elles devaient passer pour se rendre à une place hors de la ville, où l’on devait danser. Elle en gagna quatre ou cinq à qui elle promit de leur faire passer le temps d’une façon qui aurait pour elles la grâce de la nouveauté, et qu’elles trouveraient beaucoup plus agréable ; ce petit nombre en sut attirer un plus grand…Mademoiselle le Nobletz mit à profit quelques chansons qu’elle avait apprises et fit danser ces filles aux chansons, ce quelles trouvèrent plus agréable que de danser au son des instruments…L’assemblée du Dimanche suivant fut bien plus nombreuse… »

L’habile « missionnaire », qui ne « prenait pas les mouches avec du vinaigre » et savait par où intéresser ces filles, les conduisait doucement à considérer le sérieux de leur existence et plusieurs d’entre elles firent une expérience de véritable conversion.

Un élan était donné par des personnes « du monde » qui surent faire partager leur découverte. On pourrait ici penser à l’intuition de l’évêque de Genève, de former des laïques et de les envoyer « visiter » les familles, malades, veuves, vieillards et orphelins. Les dispositions canoniques de l’époque ne permirent pas la chose, et les « Visitandines » durent se résigner à …la clôture !… Prévenu, heureusement, par l’expérience de François de Sales, « Monsieur Vincent » lui, se garda de faire des « Filles de la Charité » des religieuses qui n’eussent alors pas échappé à la règle : il voulut que ses dames pussent circuler dans le monde, en gardant  simplement « la règle pour clôture ».

Au XVIIème siècle encore, on voit en Bretagne des initiatives de laïques, comme les « retraites pour femmes «, que mit sur pied Catherine de Francheville, dans l’évêché de Vannes. Vite dépassée par l’affluence des intéressées, elle fut amenée  – en dépit des obstacles cléricaux- à construire une maison d’importance, où  l’on compta jusqu’à quatre cents femmes  qui venaient suivre des retraites !

Il est intéressant de réaliser que c’est en grand nombre que les épouses et mères de cultivateurs, contemporaines d’Yvon Nicolazic, se rendaient ainsi aux « exercices de piété » proposés par des Jésuites comme les Pères Huby et Rigoleuc.

Les initiatives de ces « laïcs » avant le terme, auront apporté des consolations et la vraie joie, à des générations de Bretons, qui produisirent par la suite les innombrables missionnaires, qui portèrent la Bonne Nouvelle jusque dans les îles lointaines.  Ce sont des figures qu’il n’est pas inutile de rappeler à la mémoire des « générations à venir »(Ps 77).  Cela aussi est notre Histoire.

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À propos du rédacteur Keranforest

Né en 1939 à Carantec. Agrégé d'anglais, essayiste, poète, romancier. Devenu prêtre, animateur du Tro Breizh, il a été longtemps chroniqueur au Télégramme de Brest. Poète élégiaque, il est aussi l'auteur de deux romans qui ont la Bretagne pour cadre.

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Un commentaire

  1. Absolument passionnant ! Merci pour ces belles histoires

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