D’UNE AUTRE FACETTE DE LA GUERRE FAITE A LA LANGUE BRETONNE : A-DREÑV AN NEUD-ORJAL (derrière les barbelés)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

A la Libération, la majorité des Bretons qui, à divers titres, militèrent pour les multiples causes bretonnes, dont le combat pour la défense de la langue bretonne n’était pas le moindre, se retrouvèrent tous suspectés d’autonomisme, donc de séparatisme, donc d’être des « Breiz Atao ». Une étiquette qui se voulait infamante et sans appel, car synonyme de collaboration avec l’occupant allemand.

Il va sans dire qu’à cette époque, être reconnu comme un «Breiz Atao» pouvait avoir sur l’intéressé des conséquences dramatiques.

Aujourd’hui encore ce raccourci historique un peu court reste la référence d’historiens peu scrupuleux sur l’objectivité que se doivent de respecter ceux qui prétendent à ce titre. Tout étant connoté « politique », point n’était donc besoin d’avoir fait seulement dans le culturel, l’artistique, le folklore, le religieux et la linguistique pour se retrouver justiciable, et  avoir des comptes à rendre à des justiciers de circonstance, et être internés dans l’attente que « justice » soit rendue.

C’est ainsi que toute une élite bretonne chargée  de calomnies, d’opprobre, mais avec, pour la majorité,  des dossiers vides, se retrouva derrière les barreaux.

De ces internements, certains descendants de ceux qui les subirent  en font la honte de leur passé familial, voulant ignorer que seuls  l’amour et la pérennité de la Bretagne dicta les divers engagements de leurs grands-parents et de leurs parents. C’est cette frilosité déplacée qui nous dicte de ne donner ici aucun nom.  Il y avait pourtant derrière les barreaux du « beau monde » qui étonnerait plus d’un de ceux qui entendent jouer les « Monsieur Propre » de l’Histoire contemporaine bretonne, fut-ce au détriment de l’honneur et de la mémoire de ceux à qui nous devons  aujourd’hui, en tant que Bretons, d’être conscients de notre identité et de notre culture.

Parmi ces combats, retenons celui pour la langue bretonne, et sur ce terrain, nous souhaitons aujourd’hui vous entretenir d’un fait quasiment inconnu de l’Histoire. Du moins n’en parle-t-on pas … par ignorance, par manque d’intérêt ?

 

KAMP  MARC’HARID – SKOL  VREZHONEK

En Bretagne, il y eu plusieurs camps d’internement avec leurs sinistres prisons. Parmi celles-ci, il y avait à Quimper « Mesgloagwen » et à Rennes le « Camp Margueritte », et c’est donc de ce dernier que nous allons parler.

Comme dans toutes prisons, les détenus avaient un emploi du temps  bien réglementé, mais aussi des temps libres (si l’on peut dire). A charge pour eux de les employer intelligemment. C’est ainsi que certains se firent écrivains, poètes, musiciens, dessinateurs, artistes, non seulement pour garder le contact avec leurs familles, mais pour exprimer leurs peines, leurs espoirs de jours meilleurs, manière aussi de maintenir haut un moral souvent au plus bas. Ces activités seront plus tard autant de témoignages pour l’Histoire, sur une époque très controversée, et sur laquelle circule encore aujourd’hui davantage de mensonges que de vérités.

Au « Camp Margueritte », l’un des prisonniers, éminent linguiste, institua  avec succès des cours  de breton.  Et c’est la majorité des Bretons internés qui les suivirent, occasion de se retrouver entre camarades, d’entretenir l’amitié, de parler des rêves déçus, des projets réduits à néant, mais aussi de ne point s’enfermer dans une nostalgie stérile, de se tourner vers l’avenir et de se préparer à reprendre le combat sur les plans culturels et linguistiques (1). Le recueil de ces cours de breton rédigé sur des bouts de papiers de fortune portait en titre A DREÑV AN NEUD-ORJAL (derrière les barbelés). Tout fonctionnait bien, jusqu’au jour où un « Comité » d’opposants à ces cours entendit les faire interdire, et s’en ouvrit par une pétition au responsable du camp. Voici la teneur de cette pétition, une sorte d’anthologie de la bêtise, de l’ignorance crasse et d’un jacobinisme-patriote plus que décalé.

« Pétition à Monsieur le Responsable du Camp pour faire interdire les cours de langue bretonne.

Animés d’un haut esprit national et soucieux de maintenir l’unité de l’Empire et son intégrité linguistique, et considérant la consonance teutonique du YA breton, et la nécessité de nous désolidariser de cette propagande, les soussignés prient Mr le Responsable d’ouvrir les yeux sur les dangers de laisser se propager un patois qui était et reste en voie de disparition et de faire interdire les cours de breton » (2).

Dans cette pétition où suivent 18 signatures on remarquera qu’elle ne comporte aucun intitulé qui indique la qualité d’un quelconque organisme représentatif et la qualité des signataires. Sont-ils des gardiens issus de la résistance ou non, ou sont-ils d’autres détenus anti-bretons qui par cette action entendent se désolidariser de leurs compagnons de cellules ? Toujours est-il que cela laisse à penser qu’ils ne souhaitent surtout pas être confondus avec les nationalistes bretons, et se refaire ainsi une « virginité » auprès des autorités. En outre, elle n’est pas datée, mais elle est d’avril 1945.

Autre remarque, dont on pourrait rire aujourd’hui : la langue bretonne qui menace « l’Unité de l’Empire ». Nous retrouvons dans ces quelques mots la sentence du député Anatole de Monzie qui en 1930 prétendait que « pour l’unité de la France la langue bretonne devait disparaître », dans la droite ligne de pensée d’un abbé Grégoire qui disait la même chose en 1793 à la Convention.

Autre marque de l’ignorance abyssale des signataires de circonstances, le YA breton qui n’est, selon eux, qu’un YA teuton déguisé, preuve sans doute d’un esprit atavique de collaboration. On se demande d’ailleurs pourquoi ces messieurs sont si inquiets, puisqu’ils reconnaissent dans leur pétition que la langue bretonne, pardon le patois breton, est en voie de disparition, alors où donc est le danger si ledit patois est moribond ?  Les drôles s’amusaient à se faire peur. Il y aurait un magnifique florilège des  attendus  accusateurs qui à la Libération s’abattirent sur les militants bretons ; beaucoup provoqueraient aujourd’hui l’hilarité, mais en ces temps troublés l’imbécilité  ne faisait pas rire, car elle pouvait ruiner, conduire en prison et, dans les pires des cas, tuer.

Comment la pétition tomba aux mains des bretonnants ? Elle fut tout simplement subtilisée  par l’organisateur des cours qui s’était introduit discrètement dans le bureau du responsable du camp. Il semblerait qu’en définitive, la pétition n’eut aucune suite, faute peut-être de pouvoir mettre la main sur le document  volé, et on ne parla plus de l’affaire, d’autant que les autorités du camp avaient beaucoup plus sérieux à s’occuper que les fantasmes de ces dénonciateurs fort peu crédibles.

 

Un drapeau pour les détenus bretons

Les détenus bretons, qui ne manquaient  ni d’humour ni de sens artistique se fabriquèrent un drapeau : sur fond blanc, des barbelés en forme de croix de Saint André et en franc-canton des marguerites. Flotta-t-il sur le bâtiment de leur «Skol vrezhonek» ? On peut en douter. Un drapeau qui aurait plu à bien des vexillologues.  Les cours sur feuilles volantes étaient également insérés dans une petite couverture double sur laquelle était dessinée des barbelés en forme de L couché et au centre une marguerite épanouie et une autre en bourgeon (3).

Puis, les temps troublés étant passés, sans que disparaisse vraiment un état d’esprit partisan à l’encontre de tout ce qui était breton, de semblables cours de langue bretonne se créèrent dans beaucoup de Cercles Celtiques qui renaissaient, notamment chez les Bretons de la région parisienne. L’un de ces cours très prisé se tenait dans le quartier Montparnasse, une seconde Bretagne, rue de Rennes : c’était le célèbre local « KER-VREIZ ». Ce fut aussi le cas à la Mission Bretonne de l’abbé Elie Gautier.

En somme, une petite histoire dans l’Histoire de la guerre faite à la langue bretonne …

 

Notes :

1) Après la guerre, loin de se laisser abattre par l’anéantissement de leurs rêves, de leurs œuvres des années passées, les militants bretons s’investir beaucoup dans le culturel, la musique, le chant, la langue bretonne et bien d’autres activités artistiques, car c’était les seuls terrains sur lesquels ils pouvaient aller, la politique leur étant interdite, du moins celle qui aurait eu des visées bretonnes avérées. C’est ainsi qu’on leur doit en grande partie la renaissance des Cercles celtiques, des Bagadou, entre autres. En un mot, le renouveau breton d’après-guerre. Il faudra bien un jour s’en souvenir et leurs rendre justice.

2) Archives privées AR GEDOUR

3) Archives privées AR GEDOUR

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

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5 Commentaires

  1. Trugarez vras evit ar pennad-mañ !

    • Jean-Marie MICHEL (Yann MIKAEL)

      A-du ganit Anna, fentus hag un tammig mousgoapaus (ironik) eo ar banniel ijinet gant ar Vrezhoned toullbac’het, hag evit ar pezh a sell ouzh an ervennadeg, ez eo fentus ivez gwelout e vije bet kavet, gant ar re o doa sinet, e oa kentelioù brezhoneg un dañjer bras evit an Implaeriezh C’hall. E-lec’h all e oa an dañjer, peogwir ez eo kouezhet e gwirionez ha yezh ar Vrezhoned n’he doa kiriegezh ebet er gouezhadenn-se. A galon ganit ! Yann

  2. Minority SafePack
    Nous attirons votre attention sur cette initiative citoyenne Européenne très importante (liens et infos à la suite). C’est plus qu’une pétition c’est une démarche officielle et contrôlée qui contraindrait la commission Européenne à légiférer en faveur des minorités. Ca permettrait non seulement de mener enfin des politiques linguistiques et culturelles à partir des « régions » et aussi d’influer pour une relocalisation des décisions. Il faut un million de signatures avant le 7avril 2018, le score est passé de 650 000 à 850 000 signatures en 2 semaines. Quant aux signatures recueillies dans l’hexagone elles sont passées de 2500 à un peu plus de 3000 dans le même laps de temps, concrètement c’est un peu la honte (ainsi qu’il l’est dit en Breton dans le reportage FR3 BZH : ur vezh !) Nous comptons sur vous pour signer, partager et faire connaître cette initiative.
    Enfin il faut se munir de sa carte d’identité ou de son passeport pour valider la signature.

  3. Et pourtant, très rapidement, Youenn Olier créera la première revue politique An Avel, qui deviendra Avel An Trec’h (et où se maintiendra la graphie KLTG), et la première organisation POLITIQUE Emglev Pobl Vreizh. Les jeunes étaient abandonnés par les chefs, tout était à refaire, et ne se limitèrent pas aux cercles qui d’ailleurs ne se préoccupaient pas seulement de danses et de costumes : celui de Rennes était une petite société militante. Et dans l’immédiat après-guerre, le « pardon » de Saint-Aubin du Cormier est célébré.
    Et les promoteurs des cercles et bagadoù n’étaient pas des « culturels » mais des militants au sens plein du terme, sociétal, tant « politique » que « culturel ». On peut noter aussi que le remplacement de la graphie KLTG par ce qui deviendra la graphie dite « universitaire » fut plus une opération de ripolinage « republican washing » qu’un réel choix linguistique.

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