Carnac (via ABP et 7Seizh) — Une exposition assez exceptionnelle sur l’art populaire breton se déroule depuis le 22 juillet et jusqu’au 23 septembre à Carnac (Bretagne sud), cité plus connue par ailleurs pour ses alignements de mégalithes, son musée de la préhistoire, ses plages et sa thalasso.
En quoi est-ce exceptionnel ?
Le lieu tout d’abord. Il s’agit de la Maison du Patrimoine, une ancienne demeure en pierres apparentes offrant 210 m² d’exposition sur trois niveaux. L’équivalent nécessite d’aller sur La Baule (200 m² d’exposition) ou au château des Rohan à Josselin. Cette maison appartient encore à la famille Le Rouzic, descendante de Zacharie Le Rouzic (1864-1939), collectionneur notoire, archéologue et préhistorien à qui le musée de la préhistoire local doit son importance.
Le thème ensuite, qui concerne l’art populaire du vannetais bretonnant des XVIIIème et XIXème siècles. Vous n’en trouverez pas l’équivalent dans les musées bretons, qui possèdent certes des objets de cette époque et du Vannetais, mais ne les mettent pas autant en valeur, quand ces objets ne sont pas dans les réserves, faute de place pour les présenter au public. En outre, Quimper met plus en valeur le patrimoine de Cornouaille, Rennes celui de Haute Bretagne, Nantes et Saint-Brieuc suivant cette même logique. Curieusement, Vannes n’a pas de musée présentant de telles collections, ce qui fait qu’au final les gens ne connaissent même plus ce pan d’histoire de leur région. Quant aux écomusées, les objets présentés sont souvent des outils du monde agricole des XIXème-XXème siècles. Ici, l’exposition ne présente pas d’objets, à un ou deux exemples près, postérieurs à la guerre de 1914.
Ces objets sont issus de la vie quotidienne et proviennent de collections privées. On a peu de chance de les trouver réunis ainsi à nouveau prochainement.
Qu’y voit-on ?
La configuration de la maison a permis d’esquisser au rez-de-chaussée la mise en situation d’un intérieur breton vannetais « classique ». Face à la fenêtre se trouve donc, perpendiculaire au mur, une table de chêne au plateau débordant et aux tiroirs impressionnants par leur volume. Dessus ont été placées des écuelles en bois de hêtre, essence peu tannique et donc agréable pour la nourriture. On remarquera un curieux plat creux à bouton central, en bois, servant à découper le lard. Des cuillères de buis complètent l’ensemble. Toujours sur la table, le linge brodé et plié a bien un rapport avec l’ensemble : il s’agit d’une doublière du XIXème siècle, dans laquelle le pain était enveloppé quand on le laissait sur la table. Au-dessus, très beau râtelier à cuillères (possibilité d’y insérer 32 cuillères !) à roue en if et contrepoids en pommier. A l’opposé ont été placés deux lits mi-clos, c’est-à-dire fermés par des rideaux et non par des vantaux coulissants. Ils viennent de la même famille. Le plus ancien date du XVIIIème (beaux motifs en spirales), le plus récent du début XIXème. Le travail en est assez différent et l’on remarque de suite que les balustres du 1er sont beaucoup plus importants que celles du 2nd. Celui du XIXème a jadis été passé au rouge sang de b½uf, usage qui vient de la région de Guérande. La literie présentée est également début XIXème. Les personnes attentives remarqueront que seule la façade de ces lits présente une corniche : en effet, les pièces de mobilier étaient accolées les unes aux autres et seule la partie visible était décorée. Ce n’est pas vrai que pour les lits. La pièce montre également un fauteuil en bois pour grand-père, destiné à être accolé à la cheminée : seule la partie visible est décorée. Ce type de fauteuil fonctionnait en général par paire : la grand-mère n’était pas oubliée, qu’on se rassure !
Sur le manteau d’une des cheminées a été placé un vaisselier dit précisément « de cheminée ». Celui-ci s’adapte à la cheminée de la maison, bien qu’il ne soit pas celui d’origine : en effet, ce type de vaisselier était fabriqué sur place exprès par le menuisier ou l’ébéniste et servait à présenter la vaisselle d’apparat comme c’est ici le cas. Cette vaisselle consiste en assiettes de Quimper faïence populaire aux motifs animaliers, floraux et géométriques. Ces ensembles se trouvaient surtout chez les paysans aisés. De telles assiettes s’offraient pour une occasion, un mariage, un anniversaire… Et manger dedans restait exceptionnel. C’était, comme l’écrivait Per-Jakez Hélias dans « Le cheval d’orgueil », « pour la montre », pour exposer. La vaisselle de tous les jours, elle, était en bois. Avec ces assiettes est ici présentée une « Vierge d’accouchée », appelée ainsi parce sa couronne est ouverte pour accueillir une chandelle de suif que l’on allumait durant les couches. Au-dessous sont accrochées non des boules de Noël mais des boules de pèlerinage, que l’on achetait aux colporteurs et qui sont assez lourdes. C’est du verre dit « de Bohême » et la taille varie selon le prix qu’on y a mis, les plus grosses atteignant la taille d’un ballon de basket !
Pour l’anecdote, le vaisselier présenté ici est en très bon état et semble avoir toujours été ainsi. Cela étant, avant restauration, il présentait une croûte de suie très importante sur les côtés, en raison de la proximité de l’âtre et de l’usage des chandelles de résine qui enfumaient les intérieurs mais qui étaient utilisées en raison de leur faible coût.
A découvrir encore à ce niveau de belles images pieuses en l’honneur de saints locaux, devenus assez rares en raison de leur fragilité et de leur usage. Achetés à des colporteurs, elles étaient souvent collées directement sur les murs ou sur les meubles et changées tous les ans en raison de leur bas prix. Tirées pour certaines jusqu’à 300000 exemplaires, elles sont paradoxalement devenues aujourd’hui des raretés, du moins en bon état. A remarquer également les photos sur les murs, retirées d’après des originaux sur plaques de verre, et des poteries locales montées au colombin : charnier pour conserver les viandes salées (le sel a d’ailleurs abîmé la poterie) et grandes cuves à lessive avec trou d’évacuation au fond.
Quelques costumes locaux sont présentés sous vitrine, en excellent état de conservation. De même d’intéressantes cuillères de mariage originaire de la région mais aussi de Cornouaille pour pouvoir faire des comparaisons. Les premières sont de véritables dentelles de bois, souvent pliantes, présentant parfois des motifs royalistes : V H V au centre d’un c½ur par exemple (= Vive Henri V, c’est-à-dire le Comte de Chambord, qui faillit monter sur le trône en 1873), fleurs de lys… Celles de Cornouaille présentent volontiers des incrustations d’étain et de cuivre et des motifs religieux.
La richesse des étages est à l’image du rez-de-chaussée. Voici quelques exemples. On y
découvre des broches de pèlerinage pour homme, dont certaines, incluant des brins de laine de couleur, ont été fabriquées à Sainte-Anne d’Auray. Certaines combinent perles en verre de Bohême, croissants islamiques (mais oui : à la mode depuis la conquête de l’Algérie par la France en 1830), croix latines… A remarquer également une rarissime chandelle de résine, se présentant comme un rouleau de grosse ficelle. Vous ne voyez pas comment ça fonctionne ? Qu’à cela ne tienne ! Vous avez aussi des sortes de chenets en fer forgé qui sont en fait d’élégants chandeliers pour ce type de chandelle, certains pouvant même s’accrocher au mur. Le nom exact est « résiniers », et ceux présentés ici datent du XVIIIème siècle.
A découvrir, toujours, une foule d’accessoires pour le beurre. Forcément, en Bretagne ! Rappelons qu’il fallait 20 litres de lait pour obtenir une motte convenable. Des pinces spéciales pour faire des motifs, des plaques, des tampons décoratifs, des rouleaux, des lissoirs, des cuillères… le tout en bois, et en général en buis.
Et puis, il y a le coin fumeur ! Hommes et femmes pouvaient fumer la pipe en Bretagne. Les accessoires présentés ici sont remarquables : étuis à « brûle-gueule » en buis, voire en bois exotique, corne et étain. Certains présentent une sorte de reliquaire pour y inclure… un morceau du ruban de la mariée. Trous à feu (toulou tan) pour y placer l’étoupe au sec ; tabatières avec incrustations de cires de couleur ; briquets de fer pour battre une pierre et obtenir une étincelle. L’un fait aussi office de lime : toujours le côté pratique que l’on trouve dans l’art populaire.
Outre les pièces de mobilier vannetais, on ne manquera pas de s’attarder sur l’impressionnante vitrine renfermant de très belles assiettes de faïence locale.
Contact :
Maison du Patrimoine
6 rue Goh-Lore
56340 Carnac
06 50 61 06 18
Ouvert tous les jours de 10h à 18h
Tarifs : 4,00 euros (plein tarif) et 2,50 euros (réduit)
Comptez en moyenne ¾ d’heure à 1 heure de visite.