Marie Philomène Cadoret, dite Filomena (1892-1923), originaire de Bonen, près de Rostrenen, fut une figure emblématique de son époque, de sa région.
Fille d’une famille de paysans, très tôt elle révéla d’incontestables dons pour la musique, l’écriture, la poésie, en breton évidemment, sa langue maternelle. Elle précédera en cela de quelques années une autre femme poète et écrivain, Angela Duval (1905-1981). Une caractéristique entre ces deux femmes : outre un immense amour de la Bretagne, une foi profonde, et les yeux de l’innocence de l’enfance pour la beauté de la création qu’elles n’ont de cesse de chanter dans leurs poèmes.
La foi, c’est d’ailleurs ce qui marque la majorité de ces Grandes Dames bretonnes de l’Histoire de Bretagne. Des femmes souvent issues de milieux modestes, comme le fut Lady Mond dont nous avons déjà parlé, comme le seront ces autres Grandes Dames issues de la petite noblesse terrienne bretonne qui seront autant de bienfaitrice des causes bretonnes, et combien d’autres, épouses effacées dans l’ombre de leur mari, les soutenant dans leur militantisme breton.
Filomena Cadoret portait en toutes circonstances le costume breton, la coiffe, à une époque où bien des femmes, des jeunes filles séduites par les modes venues de Paris se faisaient plus parisiennes que les parisiennes, et affectionnaient tout particulièrement le « chapeau cloche » (Itronezed vont en tok). Des modes qui désespéreront le Marquis de l’Estourbeillon qui lui-même portait en toutes occasions le costume, qui désespéreront également l’abbé Perrot. En 1909, elle épouse le filleul d’Anatole Le Braz, Joseph Le Velly, qui blessé au front en 1915 décédera en 1919, laissant une jeune veuve, couturière de métier, qui, quatre ans plus tard le rejoindra dans la tombe.
Hymnes au Créateur, à la nature, à la vie, à toutes les beautés
Mais cette courte vie sera richement employée pour la sauvegarde du patrimoine littéraire, musical breton. En 1909, Filomena a seize ans, elle remporte le 1er prix de poésie organisé par l’Union Régionaliste Bretonne (URB) du Marquis de l’Estourbeillon. Un poème sans prétention mais au grand charme, Kenteliou ar Grouadelez (Leçons de la Création) dans lequel elle exprime toute son admiration, toute sa reconnaissance pour l’œuvre du Créateur. Ses pseudonymes littéraires sont d’ailleurs très explicites de son âme religieuse : Bugel ar Werc’hez (Enfant de la Vierge) et Koulmig Arvor (Colombe d’Armor).
En 1912, elle sort son premier recueil de poésies Mouez Meneou Kerne (Voix des Monts de Cornouaille). Les poèmes de Mouez Meneou Kerne sont parfois accompagnés d’airs à chanter, et dont les titres ne font que confirmer les choix de son cœur, de son âme : « Beautés de la Bretagne », «Leçons de la Création », « Notre-Dame des Portes», « l’Angélus du matin », « La colombe abandonnée », « La chanson des tailleurs », « Jeannot aux cent métiers », « Sous le chêne, « Le retour du printemps », « Ma petite maison », « La Meunière », « L’hirondelle de la malade », « Le Cœur brisé », « La femme du paysan ». Toujours en 1912, un conte intitulé Yann ar Burzudou (Jean des Merveilles) et une pièce de théâtre An Heritourez (l’Héritière). En 1913, un roman Bleuniou a Garantez (Fleurs d’amour). La revue Kroaz ar Vretoned (La Croix des Bretons) les publiera, puis dix ans après sa mort, Gwalarn les rééditera (1933-1934), tout comme le Feiz ha Breiz de l’abbé Perrot., et même des versions vannetaises dans le Dihunamb de Loeïz Herrieu (Didan an Derùen, Iannig er mil Michér, 1940).
Reconnaissante à François Vallée d’avoir été le premier à la publier dans Kroaz ar Vretoned, elle lui dédiera plusieurs de ses poèmes. La qualité spirituelle de certains de ses chants profanes les feront même reconnaître comme … cantiques par le vicaire général de l’Evêché de Saint Brieuc. Son Eured evit ar Plac’h Enor, chanson pour la Fille d’honneur, une merveille, sera très souvent chantée dans les noces par elle-même. Mais beaucoup s’accordaient à dire que sa chanson chef-d’œuvre était Ar Vatez vihan (la Petite servante) qui deviendra très vite populaire… dont l’air sera même repris sous le cantique Deit oh ar en aoter.
LES FÊTES DE KOULMIG ARVOR
L’abbé Yvon Motreff (1922-2012) qui fut recteur de plusieurs paroisses des Côtes d’Armor, dont Mellionnec et Bonen avait deux passions : Filomena Cadoret et l’abbaye de Bon-Repos dont il aurait voulu, à l’instar de Landévénnec et Boquen refaire un « Kalon Breiz », autrement dit une abbaye rendue aux moines et foncièrement bretonne. Cet espoir sera comme pour les deux abbayes citées, plus que déçus. Pour lui rendre hommage, il organisera les Fêtes de Koulmig Arvor qui connaîtront un succès bien mérité tant elles allaient, comme les Bleun-Brug de l’abbé Perrot, aux sources authentiques de l’âme bretonne. Cet attachement charnel à la terre bretonne, à sa langue, à sa culture et à sa foi, le chanoine Mévellec dans son homélie lors de la grand-messe à l’occasion du cinquantenaire de la mort de la jeune poétesse (15 juillet 1973) saura parfaitement le mettre en lumière :
« Une modeste couturière, travaillant paisiblement et humblement dans sa petite maison de Kersioul au bas du bourg de Bonen, allant de ferme en ferme tailler des habits pour les « Grandes occasions » ; une simple paysanne plus instruite de la religion que des sciences humaines, pouvait-elle donc faire une poétesse, une barde ? Oui, si elle a une nature méditative, un cœur sensible aux beautés de la Création. Oui, si l’on considère qu’elle était ouverte aux souffles de la poésie émanant des êtres et des choses qui l’entouraient, bref, une âme accordée à l’âme charnelle de son terroir ».
Aujourd’hui, sur un petit tertre de verdure, une stèle avec le médaillon de Filomena rappelle aux passants l’enfant du pays à qui la culture, la musique bretonne doivent tant. Quand l’abbé Motreff parlait de Filomena Cadoret, intarissable, il insistait, tout comme d’ailleurs le feront tous ceux qui admirait son œuvre, que c’est bien la grande foi simple, pure, enracinée dans la terre bretonne qui sera la muse de l’humble couturière, comme cette foi chrétienne et bretonne le sera pour Angela Duval, comme elle le sera aussi pour Jean-Pierre Calloc’h ou encore pour Xavier Grall. Si donc ces poétesses nous ont légué des œuvres d’une grande beauté littéraire et musicale, aux frontières du cantique et de l’hymne religieux, c’est bien parce qu’elles puisaient aux sources de la Foi, « Feiz ha Breiz », confirmant ainsi que la beauté n’est pas neutre. A méditer par nos chanteuses et chanteurs actuels qui ignorent ou se détournent de ces sources …
bravo de faire connaître cette chantre de la Bretagne aux générations des « vieilles charrues »
Cette remarquable bretonne était elle de la Famille de Jo Cadoret qui tenait dans les années soixante/ soixante dix un magasin de vêtement à Rostrenen ??