L’histoire de Bretagne est riche de ces personnalités féminines, que nous pouvons appeler des « Grandes Dames » : la Duchesse Ermengarde, épouse d’Alain Fergent ; Jeanne la Flamme, épouse de Jean de Montfort ; Anne de Bretagne ; Thérèse de Moëllien, fiancée du Marquis de la Rouërie, l’une des nombreuses « amazones » de la chouannerie bretonne. Le 20e siècle donnera aussi à la Bretagne de remarquables femmes qui oeuvreront pour la défense des droits de la Bretagne, de sa langue, de sa culture, de ses traditions et de sa foi. Sans pour autant minimiser les mérites des autres personnalités, nous pouvons citer : la Comtesse Véfa Méherenc de Saint Pierre, autre amazone, doublée d’une Diane chasseresse, qui fut une grande bienfaitrice des causes bretonnes ; la Comtesse de Planhol ; la Comtesse de Rohan-Chabot, les Demoiselles de Kermenguy. Et que dire de toutes ces épouses de militants bretons, qui, dans l’ombre de leur mari, furent les piliers sur lesquels ils pouvaient compter, surtout quand adviendra le temps des épreuves. Nous serions également injustes d’oublier toutes ces autres « Reines de foyers » que furent les femmes d’artisans, de paysans, de marins pêcheurs, que chanta si filialement Jean-Pierre Calloc’h dans son célèbre « Me zo ganet e kreiz er mor ».
C’est d’une de ces Grandes Dames, issue du modeste monde paysan, et dont les débuts dans la vie mondaine parisienne, ne laissaient en rien présager son fabuleux destin, dont nous vous entretenons :
1 ère PARTIE : LA PETITE PAYSANNE QUI RÊVE DE PARIS …
Marie-Louise Le Manac’h est née le 5 février 1869 au village de Prat-Gueguan, sur la commune de Belle-Isle-en-Terre (Côtes d’Armor). Elle était l’unique fille d’une famille de 10 enfants, dont quatre moururent en bas-âge. Dès sa naissance, elle reçue le surnom de « Maï» (Marie), son enfance sera celui d’une petite paysanne bretonne, qui, jusqu’à l’âge de sept ans, ne parlera que le breton. C’est à l’école qu’elle va apprendre le français. Esprit très éveillé, douée, elle se distingue très vite de ses camarades. A 15 ans, elle est déjà une belle jeune fille, typée, qui lui vaut d’attirer les regards, et elle le sait. La vie rurale lui pèse, comme beaucoup d’adolescentes de son âge les plaisirs de la ville l’attire, notamment les villes voisines de Guingamp, de Saint Brieuc avec leurs magasins. Pour ses 16 ans, ses voisins qui l’ont pris en amitiés, lui offre de les accompagner à Paris aux obsèques grandioses de Victor Hugo. De ce voyage, elle va en garder un souvenir éblouissant qui va déterminer tout son avenir. Cependant, l’inévitable retour au pays, avec ses routines qui lui font retrouver sa condition paysanne, lui pèse. Elle trouve, sans pour autant le mépriser, cet univers bien terne, bien étroit à son goût, elle ne rêve plus que de retourner dans la Capitale. C’est le début de l’époque où les jeunes provinciales s’imaginent que de « monter à Paris » va les sortir de leur modeste condition de fille de paysan, d’ouvrier. En somme, elles rêvent du Prince charmant, de vivre le conte de Cendrillon. Pour la majorité d’entre elles ce seront les désillusions, la mansarde pourrie, des petits métiers sans intérêt, servantes ici et là, quand ce n’est pas être des proies faciles pour la prostitution. Mais l’ambitieuse Maï ne veut pas de cette vie. , il est donc hors de question qu’elle se contente de vendre des fleurs aux Halles, ou d’être domestique. Le conte de Cendrillon, c’est elle qui va le transformer en réalité, au-delà même de ce qu’elle pouvait alors imaginer.
Aux obsèques de Victor Hugo, pour si bref que fut son séjour à Paris, elle a vu du « beau monde », justement ce monde dont toutes les jeunes filles rêvent en venant à Paris. Maï n’entend pas se satisfaire de rêves. Elle a maintenant 18 ans, elle se sait plus belle que jamais, les regards qui se jettent sur elle ne trompe pas, elle plaît, elle attire. Dans ce quartier des Halles qu’elle fréquente, ou encore celui des Batignolles, de Montmartre elle côtoie le monde des artistes, des peintres. Sa beauté lui vaut de poser, notamment pour Carolus Duran (1), et d’autres pinceaux réputés. Elle va, évidemment fréquenter le Moulin Rouge à la mode, le célèbre bal des Quat’zarts, sous le pseudonyme de Sarah Brown, c’est mieux que Le Manac’h pense-t-elle.
Fréquenter ces lieux de plaisirs est une chose, mais se faire remarquer par les « grands de ce monde de paillettes et de plaisirs » en est une autre. Elle n’a pas besoin de chercher bien loin le moyen d’y parvenir, ce moyen elle l’a sur elle, c’est évidemment sa beauté racée. Alors, pour attirer l’attention, elle ne va pas hésiter à faire scandale, dans un monde qui y est pourtant bien habitué. Au cours d’un dîner offert par un playboy du temps, un certain Armand de Civray, elle relève un pari idiot lancé par le dandy « 20 louis d’or à la femme qui, entièrement nue, montée sur son dos ferait le tour de la salle ». Cette audace lui vaut d’être inculpée pour outrage public à la pudeur, et d’écoper de deux mois de prison ferme. Heureusement, elle se ravise, d’autant que son audace était de se faire remarquer, pas de se forger la réputation d’une fille facile et dévergondée. Pour s’être fait « remarquer », elle avait réussi son coup, et bien des « beaux Messieurs » ne l’avaient pas oublié, notamment un certain Simon Gugenheim. Comme beaucoup, ce personnage, pour séduire les beautés, s’était inventé une vie, des origines, des revenus. Maï tombe amoureuse de ce séduisant et riche Anglais, chirurgien de grande renommée. Ils vont habiter Londres. Las ! Le bellâtre se révèle être d’obscure lignée, originaire du Bas-Rhin, et dont le métier était, non pas de manier le bistouri, mais de fabriquer des allumettes, et d’être négociant en fruits et légumes, et sans argent ; pas exactement ce dont rêvait Maï. Après un an de mariage, son mari, tuberculeux et atteint d’une cirrhose du foie, décède, lui laissant pour toute fortune … 18 livres. Nous sommes alors en 1902, et elle a 30 ans, la vie est devant elle.
MAÏ PREND LA VOIE DE LA MONDANITE …
Cette malheureuse expérience, elle se jure de ne plus la recommencer, encore heureux que cet aventurier ne lui ai pas fait un enfant. Elle a pu juger de la fatuité de ce monde, de la vanité de ces personnages aux fortunes souvent éphémères, ce n’est pas du tout ce à quoi elle aspire. Le destin, qu’elle provoque quelque peu, lui fait rencontrer le Prince Antoine d’Orléans (1866-1930), mari de l’infante d’Espagne Eulalie (1864-1958). La Princesse décide de divorcer d’un mari volage et amateur de scandales. Maï, sachant la « place libre », décide de tenter sa chance. Ce n’est pas qu’elle éprouve un amour excessif pour cet homme qui se lassa de la trop grande fidélité de la princesse Eulalie, et qui demain se lasserai sûrement d’elle. Mais, l’homme est riche, et cette aventure va matériellement changer son existence, lui ouvrirent les portes qu’elle veut forcer. Ils voyagent beaucoup, rencontrent dans les capitales européennes toute l’aristocratie d’alors, les artistes les plus à la mode, rien que du beau monde. Maï a enfin ce qu’elle avait toujours désiré, la mondanité, l’aisance financière. Le couple part vivre à Londres. Elle racontera plus tard, qu’il s’en fallu de peu qu’ils n’embarquent sur le Titanic, elle ne savait pourquoi ils avaient hésités, et à la nouvelle de la tragédie, elle vit dans leur indécision un « Signe du Ciel ».
Passons sur les années, et leurs « péripéties mondaines sans grands intérêts, sinon que d’être des « étapes » sur la voie que ce trace notre Bretonne. Contrairement à beaucoup de jeunes filles provinciales se voulant être parisienne, et souvent plus parisienne que les parisiennes pour mieux, espèrent-elles, faire oublier leurs modestes origines, et pour cela n’hésitent pas à mépriser, à renier d’où elles viennent, y compris leur famille, Maï, qu’on appelle Mrs Simon’s, tout en appartenant désormais à ce monde d’or, de paillettes, d’argent, est restée fidèle à ses racines paysannes. Elle revient souvent au pays, apportant aux siens une aisance jusqu’alors inconnue. C’est avec plaisir qu’elle retrouve ainsi ses racines bretonnes. Un jour, ce qui devait arriver, arriva, son mari, revenant à ses errances conjugales, est surpris avec une nouvelle conquête, et ce en plein magasin. Maï, l’insulte, luis brise son parapluie sur le dos. Antoine n’eut pas l’élégance princière d’en rester là et porta plainte contre son épouse, qui fut condamné à 100 frs d’amende. L’occasion était trop belle pour ne pas mettre un terme à cette union qui était loin de la satisfaire.
Dans l’intervalle, sa mère, puis son père décèdent. De nouveau, elle revient au pays natal et s’accorde quelques repos qui la déconnectent d’une vie trop agitée. De retour à Londres, elle entend mettre à profit ses relations, elle approche de la quarantaine, mais a gardé une surprenante fraîcheur, une belle prestance qui accentue son côté « aristocratique ». Une invitation à une garden-party va vraiment changer sa vie, et faire d’elle la Grande Dame bretonne qui nous intéresse. Jusqu’à présent notre « petite bretonne » ne présentait pas plus d’intérêt que bien d’autres arrivistes courant après tous les plaisirs. Cette soirée se passe dans le Kent, au magnifique domaine de Sir Ludwig Mond, riche industriel d’origine allemande, et grand ami du Comte Lloyd George, homme d’Etat britannique très influent. La soirée est à la hauteur des ambitions de Maï. Au repas, elle se voit proposer de prendre place entre Sir Mond et son frère Robert, le « Roi du Nickel » à la réputation de généreux mécène et passionné d’Egypthologie, et dont l’immense fortune n’est un secret pour personne (2).
Maï attire tout de suite l’intérêt de Sir Robert Mond, non seulement par sa beauté qui semble ne pas connaître les années qui passent, mais aussi par son esprit vif, curieux, ses centres d’intérêts qui rejoignent ceux de son brillant voisin de table. Et Maï n’est pas non plus insensible à cet homme à la belle prestance qui la remarque, et qui est bien différents des falots fortunés qu’elle a jusqu’ici rencontrée. Le 6 décembre 1922, Maï épouse Sir Robert Mond, le mariage est princier. Le couple s’installe à Londres, dans l’une des plus riches demeures de son époux, où entre autres « fantaisies », la salle de bain est une parfaite réplique de la salle de bain de … Ramsès II.
Les mondanités vont ainsi succéder aux mondanités, les rendez-vous avec tous les Grands de ce monde se succèdent de même, ainsi que les voyages. Maï connait presque tous les pays, recevant partout un accueil de souveraine. Notre petite bretonne, devenue une « grande bretonne », n’a pas oubliée sa Bretagne. Elle y amène Sir Mond, achètent à Dinard le château du Bec de la Vallée, devenu « Castel Mond », et en généreux mécène il va combler la station balnéaire de bienfaits appréciables. Entre autre, il finance les bateaux de sauvetages, et un musée de la mer sur lequel flotte le pavillon de la Grande Bretagne, et celui de … la petite Bretagne. Les Mond se rendent acquéreurs de plusieurs châteaux : celui de Keruel au bord du Guic, de Coatillou près de Lannion, de Lanescol en Ploumiliau, de Kergoz à Saint Efflam, dont ensuite, toujours aussi généreux, ils feront don à leurs neveux et nièces.
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2 ème PARTIE : LA NAISSANCE DE LA VRAIE LADY MOND
COAT- AN – NOZ
Nous sommes en 1929, Maï, que l’on appelle déjà depuis longtemps « Lady Mond », à soixante ans, mais si les années sont là, elles ne semblent pas avoir outragées la belle Maï. Son mari, toujours aussi empressé à combler son épouse, vient de lui faire une belle surprise, il a acheté le domaine de 1500 hectares de Coat-an-Noz, avec son château à Belle-Isle-en-Terre (Côtes d’Armor), la commune où Maï a passée toute son enfance. N’allait-elle pas à ce château, propriété des Princes de Faucigny-Lucinge (3), porter les œufs, le beurre que produisaient ses parents !
Pour Maï, la surprise est totale, son cher époux lui a fait là un cadeau … royal. Jusqu’à présent, Maï allait de châteaux en châteaux, mais elle n’en était toujours qu’une châtelaine de passage, elle n’y trouvait pas de quoi s’y sentir chez elle. Coat-An-Noz parait modeste, austère en comparaison avec les fastueuses demeures qu’elle a connues. Qu’importe, Coat-an-Noz, dont la traduction signifie « le bois de la Nuit », un nom empreint de légendes bretonnes, plaît à Sir Mond féru de légendes. Et la voici, elle, l’ancienne petite paysanne, devenue châtelaine de ce château qui lui rappel tant de souvenirs, le rêve qui est réalité la comble. Et c’est alors que va « naître », la Lady Mond qui nous intéresse, toutes les années passées n’ont été que de longues préparations vers la route qui l’a ramenée au Pays, à Coat-an-Noz et va en faire la châtelaine bienfaitrice de Belles-Isle-en-Terre.
Sir Robert Mond vient d’être anobli par le Roi Georges V, ce qui confère à Lady Mond son statut de « Lady ». La vie à Coat-an-Noz, qui est toujours partagée entre de nombreux voyages en Angleterre, au Canada où Sir Mond a de nombreuses usines, se déroule paisible. Lady Mond a su faire de Coat-an-Noz une demeure qui n’a pas à rougir de comparaisons avec ses autres châteaux, où d’ailleurs elle séjourne de moins en moins. Maï, qui a toujours aimée les belles robes, les beaux manteaux, les bijoux et les parures, est restée fidèle à elle-même. Dans l’entrée du château, un grand tableau du peintre Salisbury, la représente avec le diadème aux 1400 diamants de Joséphine de Beauharnais, somptueux cadeau de son mari. Son portrait, empreint d’une grande noblesse, fait face au portrait de Sir Mond, œuvre aussi de Salisbury.
LA BIENFAITRICE DE BELLE-ISLE-EN-TERRE
Maï n’a pas oubliée ses modestes origines, toute noble et châtelaine qu’elle est devenue, elle se sait, se sent toujours fille de paysans, et pour beaucoup de personnes qui l’on connue enfant, elle est toujours la « petite Maï ». Loin de renier ce passé, elle en revendique la fierté, et peu regarder la longue route, souvent très sinueuse et qui aurait pu la perdre, qui l’a menée où elle en est maintenant. Elle est riche, et elle entend, avec l’accord de son mari, toujours aussi généreux, faire bénéficier sa commune, ses habitants de cette richesse. Sa véritable aristocratie se trouve là, dans cette attention constante, cette affection qu’elle porte aux gens les plus humbles, les plus démunis. Elle le doit, reconnait-elle, à la foi profonde de ses parents, au recteur de Belle-Isle-en-Terre qui l’a baptisée et fait grandir dans la foi. Un saint prêtre, rappellera-t-elle, qui insistait toujours sur la vertu de charité si « l’on voulait plaire au Bon Dieu ». L’exemple de son généreux époux sera aussi un puissant stimulant dans cette voie.
Cette époque est encore celle où toute une « petite » noblesse bretonne très enracinée est la bienfaitrice de quantité d’œuvres, de projets, et dont dépends bien des existences de paysans, d’ouvriers des Forges, d’enfants des écoles catholiques, le clergé. Cette présence aristocratique d’où sort une influente élite bretonne, très souvent monarchiste, maurrassienne même, très régionaliste est réfractaire aux laïcistes, aux Francs-maçons, aux Libres penseurs, au communisme, au socialisme, et même à un progressisme chrétien (le Sillon de Marc Sangnier), toutes idéologies condamnées par les Papes. Cette noblesse, et le Haut clergé sont la cible de ce monde qu’unit une lutte constante contre l’Eglise catholique … et tous ce qui représente l’identité bretonne, sa langue, sa culture, son histoire, ses traditions, sa foi. Cette élites bretonne est accusée de paternalisme, de vouloir maintenir les Bretons, notamment les paysans, dans des traditions d’un autre âge, de défendre une Bretagne du passé, qui tourne le dos à l’avenir, au progrès. Aujourd’hui, on dirait qu’ils sont les adeptes du « repli sur soi, qu’ils manquent d’ouverture aux autres …). Toute cette première moitié du 20e siècle va être une suite constante de combats contre ces forces progressistes, sans parler des bouleversements de la société qu’a occasionnée la 1 ère Guerre mondiale. En outre, dès 1936, l’ombre d’une seconde guerre mondiale plane et il y a le Front populaire qui paralyse la société française, face aux dynamismes de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie de Mussolini. C’est donc dans ce cadre agiter, incertain, que va œuvrer Lady Mond. Le petit bourg de Belles-Isle-en-Terre se voir offrir ainsi, mairie (appelé depuis le Pavillon Mond), poste, gendarmerie, salles des fêtes, terrains de sports, Haras. Des bâtiments dont la belle architecture mêle le gothique et le néo-breton, donne au bourg de Belle-Isle-en-Terre un caractère si particulier.
La santé de Sir Mond s’est altérée depuis quelques années. Nous sommes en octobre 1938, une opération lui est nécessaire au cours de laquelle il décède, il a près de 80 ans. Elle fait édifier une chapelle privée de style britto-médiéval, alors que la crypte où repose son mari est inspirée des tombeaux égyptiens.
Lady Mond est une veuve fortunée, mais inconsolable, elle a le respect de tous, car personne n’oublie tous le bien qu’elle a, sans attendre quoique ce soit en retour, fait autour d’elle. Elle retourne souvent en Angleterre, s’occupant d’œuvres les plus diverses, rencontrant partout une grande estime. Elle n’a pas eu d’enfants, aussi sa solitude lui pèse, elle fait venir auprès d’elle deux de ses frères. Ses neveux, ses nièces l’appellent leur « tante jolie». A la veille de la Seconde guerre mondiale elle revient plus régulièrement à Coat-an-Noz. Hélas, les temps ont changés, la vie n’y est plus tout à fait la même. Les mentalités aussi ont changées, elles n’ont plus cette « pureté », cette franchise, cette simplicité qu’avaient il y a encore peu d’années les gens de son monde paysan. Comme cette élite bretonne dont elle a pu apprécier les inquiétudes pour la Bretagne, la clairvoyance sur les dangers qui risque de la faire disparaitre, elle aussi perçoit les influences néfastes du Front populaire, du communisme.
Puis, c’est l’inévitable deuxième guerre mondiale qu’elle a tant redoutée, et que redoutait Sir Mond qui avait beaucoup d’amis, de la famille et des intérêts considérables en Allemagne. La France, la Bretagne sont occupées. Citoyenne britannique, les Allemands l’incarcère à la prison de Guingamp. Sa détention fut brève, probablement dû à l’intervention de personnalités allemandes qui avaient été en relations avec son mari. Coat-an-Noz est réquisitionné par les autorités allemandes, tout comme Castel Mond à Dinard, qui est devenu le quartier général de Von Paulus, qui plus tard partira pour le Front de l’Est et y connaître une terrible défaite ; de Von Ratenau, et surtout celui du Maréchal Rommel. A la Libération, Coat-an-Noz devient le siège des FFI qui l’endommage, et commence un début de pillage. Il en sera ainsi de d’autres châteaux, comme le célèbre château de Trévarez à Châteauneuf-du-Faou, qui servait de quartier général et de centre de repos à la Kriegsmarine, au Grand-Amiral Doënitz., et sera bombardé, pillé par la résistance communiste (FTP) du Poher. Lady Mond sent que désormais le temps sur cette terre lui est compté, elle veut encore aider les gens que la guerre a appauvrie, aider des agriculteurs à moderniser leurs fermes, doter encore sa commune d’équipements.
UNE BELLE ET GRANDE ÂME BRETONNE
Nous avons évoqué jusqu’ici la Lady Mond mondaine, la Lady Mond généreuse ; voyons, et cela est inséparable des deux qualités nommées, la Lady Mond bretonne.
Bretonne, bien évidemment elle l’est par sa naissance, mais elle l’est aussi par sa culture, par tout l’intérêt qu’elle porte aux traditions bretonnes qui ont contribué à être ce qu’elle est devenue ; elle n’a pas oublié que sa langue maternelle est le breton. Si elle a pour amis bien des « Grands » du monde, elle a aussi pour amis bien des gens, quels qu’ils soient, de son peuple. Elle se sent à l’aise avec tous, car les deux traits principaux de son caractère sont la simplicité et la bonté.
Elle ne va pas appartenir à ce qu’on appelle la « mouvance bretonne », qui milite dans ces années d’entre les deux guerres pour la défense de la langue, de la culture, des traditions bretonnes, et aussi pour la foi. Sa vie ne lui en laisserait pas le temps, et elle est bien trop souvent absente de Bretagne. Elle n’en est pas moins attentive à ces questions qui agitent tant de Bretons. Elle est amie avec diverses la plupart des personnalités bretonnes d’alors, comme la Comtesse Véfa de Saint Pierre, le Marquis de l’Estourbeillon qui ne jure que par elle, le moine Dom Godu qui alternera ses séjours entre le Mont Saint Michel, dont il est le moine gardien, représentant ainsi les droits des Bénédictins sur la Merveille, le manoir de Menez-Kam en Gourin de Madame de St Pierre, Coat-an-Noz, et le presbytère de Scrignac. Dom Alexis Presse, le restaurateur de l’abbaye de Boquen lui sera présenté par l’aviateur Charles Lindberg.
Lady Mond a engagé à Coat-an-Noz un jeune majordome qui administre en son absence le domaine : il s’agit de Gildas Jaffrenou, originaire de Carhaix, et fils de Taldir Jaffrenou, le compositeur du Bro Gozh ma Zadou. Comme son père, Gildas est un très actif militant des causes bretonnes. Il est aussi un des nombreux « fils spirituels » de l’abbé Perrot, et fréquente assidûment son presbytère de Scrignac. Gildas Jaffrenou sera un des pionniers du renouveau des festoù-noz et de la cornemuse. Sa fonction à Coat-an-Noz va lui donner l’occasion de présenter l’abbé Perrot à Lord et Lady Mond. Ils sont sensibles à l’œuvre du Bleun-Brug du recteur, à sa volonté de sauver et promouvoir la langue bretonne dans les écoles catholiques, de sauver les chapelles, de ressusciter l’abbaye de Landévennec, et de reconstruire la chapelle de Koat-Kéo. En 1934, Lady Monde est reçue « bardesse d’honneur », et fait rééditer en un magnifique livre la tragédie populaire « Buhez ar pewar Mab Hemon » (La vie des Quatre Fils Hemon). Cette même année, le 1er août, à l’occasion du Grand Festival Celtique et Gorsedd des Bardes de Roscoff, elle organise une fastueuse réception à Coat-an-Noz en l’honneur de la délégation écossaise, à laquelle est invitée l’élite culturelle et religieuse bretonne. Gildas Jaffrenou qui en était le grand organisateur, et Herry Caouissin avec l’abbé Perrot, évoqueront souvent le souvenir de cette garden-party Britto-bretonne. Un événement qu’ils ne reverront jamais plus. En 1937, à Perros-Guirrec, les Mond vont présider le Concert celtique du Gorsedd. Lady Mond, à cause de ses absences hors de Bretagne, son emploi du temps chargé, malgré son désir, ne peut s’investir davantage dans les causes bretonnes. Mais elle va aider l’abbé Perrot pour Koat-Kéo, et lui promet d’étudier avec son mari leur contribution à l’achat des terres de Landévennec que le Comte de Chalus veut lotir. La guerre va empêcher de poursuivre plus avant le projet dont s’occupe activement Dom Godu, l’abbé Perrot et Herry Caouissin. Projet qui ne sera repris qu’en … 1950.
Certes, Lady Mond ne sera pas une militante bretonne comme le fut la Comtesse de Saint Pierre. Son implication bretonne au sens « militant » reste donc marginale, mais n’en demeure pas moins par tout l’intérêt qu’elle porte à sa Bretagne, aux Bretons. Il est certain que si sa vie l’avait davantage maintenue en Bretagne, elle aurait été une grande figure militante bretonne, on l’imagine mal être passif devant les enjeux culturels, politiques, économiques de ce temps. Dom Alexis Presse, avec son enthousiasme légendaire, ira jusqu’à dire que « Si un jour la Bretagne redevenait indépendante, Lady Mond ferait une excellente Duchesse … », ce qui amusera beaucoup l’intéressée. Lorsque Dom Godu et Dom Alexis Presse évoqueront, bien plus tard, le souvenir de Lady Mond, ils en parleront toujours avec la même admiration comme d’une « Grande Dame bretonne », une vraie aristocrate de l’âme et du cœur, dont les Bretons pouvaient être fier.
DANS LES PAS DE LA DUCHESSE ERMENGARDE
Dom Godu, Dom Alexis Presse et l’abbé Perrot, à cause de sa grande bonté et générosité, la compareront à la Duchesse Ermengarde. Leur admiration sera d’autant plus sincère, que Lady Mond, fille d’une famille d’agriculteurs parvenue aux honneurs et à la richesse, ne reniera rien de ses modestes origines. Pour eux, confrontés tous les jours à des jeunes filles honteuses de leurs origines rurales, c’était un témoignage breton très fort. Lady Mond était donc tout le contraire des jeunes filles qui ne songeaient qu’à devenir parisiennes. Il faut dire, qu’à cette époque, la francisation forcée de la société bretonne qui impliquait aussi la honte d’être … Bretons, d’êtres fils et filles de paysans, les « Ploucs » favorisait cette criminelle mentalité. Lady Mond sera même, par sa vie hors du commun, l’anti-Bécassine. Herry Caouissin, qui lui aussi évoquait avec admiration Lady Mond, lui dédicacera un exemplaire de sa pièce « Bécassine vu par les Bretons », lui faisant remarquer combien sa réussite était réconfortante, car elle sauvait l’honneur des jeunes filles bretonnes ; elle leur démontrait que l’on pouvait réussir, s’élever dans la vie sans rougir de ses origines paysannes, bretonnes.
C’est le docteur Charles Cotonnec, fondateur de la FALSAB, qui remettait à l’honneur la lutte bretonne, exprimera en 1935, dans un poème, son admiration pour la châtelaine de Coat-an-Noz :
« A Lady Mond, la fée bienfaisante de Koat-an-Noz » (traduit du breton)
Comblée d’honneurs en Grande-Bretagne – Vous êtes aimée en Basse-Bretagne – Votre nom restera dans l’avenir – Belle Dame, ô Lady Mond.
Vous conservez dans la fortune une pensée pour les pauvres – Votre main est tendue – Votre cœur est ouvert, plein de pitié pour les malheureux – Quand aux yeux perlent des larmes, vous savez faire naître le sourire sur les lèvres.
Laissez passer les jours, oubliez les années – Près de Sir Mond, si jeune encore – Par l’esprit, et au savoir si grand – Restez parmi nous, bien portante, vaillante – Dans votre château de Coat-an-Noz – Heureuse au milieu des heureux – Dame de bonté – Espérance des malheureux – Etoile de pitié.
Ce n’est donc pas sans raison qu’elle fut comparée à la Duchesse Ermengarde. La comparaison était assez fondée : Ermengarde, épouse d’Alain Fergent, sut admirablement diriger le Duché de Bretagne pendant que son époux était à la Croisade. Ermengarde aimait les fastes de la vie de châteaux, les belles réceptions, le grand monde, les vêtements brodés d’or et les parures de luxe. Elle était justement célèbre, comme Lady Mond, pour sa beauté qu’elle savait mettre en valeur, par ses manières d’être et de se vêtir. Ajoutons à cela sa grande culture et sa foi. Comme Lady Mond, Ermengarde sera en relation avec les personnalités les plus en vue de son époque, comme Bernard de Clairvaux, futur saint ; avec Robert d’Arbrissel le fondateur de l’abbaye de Fontevrault. Profondément chrétienne, Ermengarde, qui plus tard se fera religieuse, ne voyait aucune incompatibilité entre le luxe de sa vie qu’elle affichait, et toute l’attention qu’elle portait dans une intense charité aux malheureux. Ermengarde et Lady Mond prouveront que l’on peut être belles, riches, aimer la beauté des choses, et êtres, sans orgueil, dans l’exercice de la plus grande vertu chrétienne, la charité. Elles prouveront que l’on peut avec cette richesse, don de Dieu, faire le bien. Elles prouveront que pour servir son prochain, Dieu, nul besoin de se mépriser, de se renier. On peut même dire que la beauté, le luxe qu’elles affichaient contribuaient à cette aura qui attirait à elle les plus pauvres. On serait d’ailleurs tenté de dire : que pour faire le bien, pratiquer la vertu de charité, vivre en chrétien est-il vraiment nécessaire de jouer les pauvres, de chercher à les singer, de faire, comme certains politiciens en mal de reconnaissance, « peuple » dans ce qu’il a de vulgaire. S’il y a eu de grands mystiques qui éprouvaient le besoin de mépriser les biens de ce monde, de mépriser leur corps, jugé sans importance, parce que périssable, pour être acceptés des pauvres, se donner bonne conscience, est une image caricaturale de la vertu de charité, d’ascèse. Ermengarde et Lady Mond n’étaient pas dans cette démarche, elles démontreront par leur vie exemplaire que ce choix du mépris envers soi-même n’est en rien une nécessité pour parvenir à une forme de sainteté.
Ermengarde sera d’ailleurs souvent «sermonnée» par ses Pères spirituels, lui rappelant combien tout est ici-bas mortel et passe. C’est l’évêque de Rennes, Marbode, grand érudit et poète, homme d’influence, qui dans un long et remarquable poème lui rappel ces vérités, que, « beauté, richesse, draps d’or et diamants seront un jour les proies des vers, des mites et des voleurs ».
« Ce visage royal qu’on vante avec transport, qu’on vante avec raison, la vieillesse ou la mort le flétriront – Que vaudront votre titre et le royal bandeau – A tous ces biens Madame, il manque la durée »
Et après avoir rappelé à l’éminente duchesse l’éphéméritée des biens de ce monde, Marbode, comme pour atténuer ses paternelles « remontrances », loue sa grande bonté :
« Mais votre âme dévote à Jésus consacré – Des pauvres vous faisant le pain, le vêtement – Voilà, pour l’œil de Dieu, votre bel ornement – Voilà votre trésor, voilà votre richesse – que ne détruiront point la mort, ni la vieillesse. »
Le poème de l’évêque Marbode n’est pas sans rappeler celui de notre admirable cantique breton pour les morts, le « Tremen ra pep tra » (Toute chose passe) : « Ecoute cher frère – Le temps court vite – Toute chose passe ! Force, biens, santé, jeunesse et beauté- Tout passe, sauf Vous Dieu, sauf l’Eternité » (extrait du texte breton)
Son ami, Bernard de Clairvaux lui écrira :
« Ce que j’ai entendu dire de vous, Princesse de race royale, ne m’est point désagréable et ne le doit être à personne puisqu’il plaît à Dieu même. J’apprends que dans le gouvernement temporel vous suivez exactement les lois de la justice, vous faites fleurir la paix dans vos Etats, vous faites du bien à tous, vous nourrissez les pauvres, vous étanchez la soif de ceux qui en sont tourmentés, vous revêtez ceux qui sont nus, vous essuyez les larmes de tous ceux qui ont recours à vous, et l’on ne voit personne sortir mécontent de votre présence ».
Quel plus bel hommage rendu à une Duchesse qui se faisait servante des plus démunis, imitant en cela le Christ. Il n’est point exagéré de considérer que Lady Mond, tout comme la Comtesse de Saint Pierre, par leur position sociale, leur générosité, s’inscrivaient dans la lignée d’Ermengarde, du moins c’est ainsi que le docteur Cotonnec le comprendra en lui dédiant son poème. Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher les trois textes : celui de l’évêque Marbode, de Saint Bernard de Clairvaux et celui du docteur Cotonnec.
Quel enseignement tirer de la vie de Lady Mond ?
Une vie sans doute, à ces débuts, pas exemplaire en tous points, mais exemplaire par bien d’autres. Ses qualités sublimées par la plus essentielle – la charité – font d’elle une grande figure bretonne. La fidélité à ce que, par la naissance, on est, la fidélité à ses racines. Sa vie fut tout à la fois conte de fées et roman, mais elle sût la sortir de ces deux cadres étroits pour en faire une réalité. Sans cette vertu de charité, sa vie n’aurait eu que la banalité des éphémères vies mondaines, et sa dimension bretonne inexistante. C’est donc bien la charité qui sera l’ornement sublime, la vraie richesse de sa vie, comme elle le sera pour la duchesse Ermengarde.
Après une vie si riche, dans tous les sens du mot, elle décède en novembre 1949, entourée de l’estime de tous. Elle repose, comme elle l’avait souhaitée dans son mausolée de Belle-Isle-en-Terre.
Face à la vie de ces « Grandes Dames » bretonnes, on ne peut que regretter que les Bretons et les Bretonnes ne les aient pas pour modèles, ignorent tout d’elles. Mais leur a-t-on jamais enseigné que leur Histoire de Bretagne avait de telles âmes, et qu’il n’était point nécessaire d’aller toujours chercher des références ailleurs ? …
Aujourd’hui, c’est en vain que nous chercherions une telle personnalité bretonne, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Une raison à cela : les Bretons qui s’étourdissent dans le festif, et ont une fâcheuse tendeuse nombriliste, n’enfantent plus d’élites. Pourtant, dans son passé, ces élites étaient la grande richesse de la Bretagne. Un trait essentiel, qui en est le liant, caractérise cette élite de jadis, qu’elle soit politique, culturelle, religieuse : une grande foi chrétienne ; et nous avons dans ce trait commun bien des explications sur le déficit actuel, qui est aussi un déficit de la foi, de l’enracinement authentique. Un déficit qui, d’ailleurs, n’est pas propre à la Bretagne …
Notes et sources :
- Charles Durand, dit Carolus Duran, peintre français né à Lille (1837-1917). On lui doit de nombreux portraits de personnalités mondaines, d’une brillante exécution.
- Lord Robert Mond sera aussi reconnu comme un éminent archéologue-Egyptologue, ami des découvreurs de la tombe de Tout- Ankh Amon. En 1937, il devient membre à part entière de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, en remplacement du siège du Roi Fouad d’Egypte qui vient de décéder. Lord Mond est aussi Président des Amis de la Maison de la Chimie.
- Coat-an-Noz, de style Louis XIII, date du début du 19e siècle, et fut la propriété de la Comtesse de Sesmaison, née De Kergola. Le château passe par alliance à la famille Faucigny-Lucin, qui le vend en 1929 à Lord Mond.
- Docteur Charles Cotonnec (1876-1935), éminent médecin qui exerce à Quimperlé, et devient directeur de son hôpital. Druide sous le nom de « Paréour », il produira quelques œuvres littéraires, comme son recueil de poèmes « Sonjennoù eur C’hernewad » (Réflexion d’un Cornouaillais), qui contient l’Ode à Lady Mond (éditions Armorica ; Carhaix. 1935) Mais le docteur Cotonnec sera surtout connu pour avoir relancé les jeux bretons, à travers la Fédération des Amis de la lutte et des sports athlétiques bretons (FALSAB).
Archives Herry Caouissin ; Revue An Oaled (Le Foyer Breton), années 1934, 1937, 1939 ; Témoignages de Gildas Jaffrenou, Herry Caouissin (Lorient, 1984). Le Mémorial des Bretons- 1870/1940) « Maï la Bretonne » par Pierre Delestre.
Je n’ai pas épluché le texte sur ma compatriote lady Mon, mais je peux vous assurer que son mari n’était pas Lord.
Effectivement, cette erreur s’était glissée deux fois dans le texte. C’est corrigé.
Cher Monsieur,
Vous devriez re-consulter vos tablettes. Robert Mond fut annobli par Georges V. Et malgré votre assurance, vous avez entièrement tort.
Vous devriez vous appliquer cette maxime fort constructive ‘Asinus, asimum fricat’ (Cordonnier, pas plus haut que la chaussure), et ne pas vous croire investit de la science infuse!.
D. de SAINT-MAIXENT