Ce dimanche 11 octobre 2015, Monseigneur Centène, évêque de Vannes, présidait une messe célébrée pour tous les agriculteurs qui se sont suicidés… mais aussi pour tout ceux qui peinent. Il a prononcé devant plus d’un millier de personnes une homélie forte et profonde que vous pouvez retrouver sur le site du diocèse ou ci-dessous :
Frères et sœurs,
A la lumière des lectures que nous venons d’entendre et en particulier à la lumière de cette question « Bon Maitre, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle en héritage ? », nous sommes réunis ce matin dans cette basilique pour dire notre solidarité avec le monde paysan en souffrance.
Une souffrance qui n’est pas seulement d’ordre économique, même si tout se tient, mais une souffrance qui est plus profonde et qui touche à l’existentiel, au sens même de l’existence, puisqu’elle se traduit, dans un trop grand nombre de cas, par la suppression de la vie.
D’où l’importance de la question posée dans l’évangile de ce jour « Bon Maître que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle en héritage ? ».
Les croix déposées devant la basilique traduisent la réalité de cette situation comme un signe fort qui veut nous faire prendre conscience de ce drame.
Derrière chacune de ces croix, une vie brisée, parfois dans la pleine floraison de la jeunesse.
Derrière chacune de ces croix, la souffrance d’une famille désemparée qui se croit coupable de n’avoir pas su détecter les signes avant-coureurs, de n’avoir pas su être suffisamment à l’écoute, de n’avoir su trouver les bonnes réponses, les bonnes solutions.
Derrière chacune de ces croix, le sentiment de culpabilité d’un entourage, d’une communauté humaine, qui n’a pas su trouver à temps les chemins d’une solidarité authentique et efficace.
Si un suicide, et toute mort quelle qu’en soit la cause, est toujours un drame parce qu’avec elle c’est un univers qui disparait, le suicide d’un paysan revêt un caractère particulier parce qu’il touche à une lourde symbolique.
Celui qui a la charge de la vie des plantes et des bêtes, celui qui par vocation contribue à la vie de ses frères en humanité en leur fournissant la nourriture nécessaire au maintien et à la croissance de la vie, celui-là, en est venu à détester sa propre vie jusqu’à décider d’y mettre lui-même un terme en se donnant la mort.
Nous sentons bien qu’il y a là une dimension contre-nature qui vient ajouter encore à notre désarroi : celui-là même à qui Dieu a confié la charge de la création, fait œuvre de destruction sur lui-même.
L’élément déclencheur de ce drame est souvent économique. Il n’y a pas que la guerre, il n’y a pas que les armes, qui tuent dans le monde, la loi du marché est bien plus destructrice. Elle commence avec gourmandise puis elle prend la saveur des appétits assassins, des ambitions scélérates, des pouvoirs criminels.
Les excès de la course au profit et d’un productivisme extrême s’opposent à une vision de la terre où le respect de la vie doit être le premier commandement.
Le pape François, s’inscrivant dans la pensée sociale de l’Eglise, ne cesse de nous inviter à être les artisans d’un monde dans lequel l’homme, et non la finance, doit être au cœur du système économique.
Si le paysan est plus vulnérable que les autres aux aléas parfois mortifères de la vie économique de nos sociétés, c’est parce que le lien qui l’unit à son outil de production : la terre, est un lien sacré.
Un capital peut se reconstituer, une usine peut se reconstruire, un magasin peut se racheter, mais le lien qui unit le paysan à sa terre est un lien unique et imprescriptible.
Si l’argent n’a pas d’odeur, la terre, elle, est imprégnée de l’odeur de la transpiration, des larmes et du sang des générations qui nous ont précédés. Elle est une parcelle du sol de la patrie, la terre des pères, elle est un héritage !
Elle est profondément liée à l’identité de celui qui la détient parce qu’il l’a reçue, et il est dans l’ordre des choses qu’il puisse la transmettre !
Elle a l’odeur des floraisons, du grain moulu ou des vendanges, elle éveille les sens qui parlent à l’âme.
Elle a l’odeur de la vie et de l’amour, de l’espoir et de la fécondité.
Et, même si depuis les physiocrates on a fait de lui un agriculteur avant d’en faire un exploitant ou un producteur, le paysan sait que sa terre est sacrée parce que l’homme vient de la terre et qu’il doit retourner à la terre.
La terre est le lieu de l’enracinement dans lequel la philosophe Simone Weil voyait « le plus grand besoin de l’âme ».
Le paysan sait cela, il le sait par intuition, il le sait par science infuse, il le sait par grâce divine. « Bénis sois-tu, Père, parce que ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux touts petits. »
Parmi toutes ses parcelles, il en est une qui est plus sacrée que les autres, c’est celle dans laquelle reposent ses morts et qui les sanctifie toutes.
Parce que le lien qui unit le paysan à sa terre est un lien sacré, parce qu’il nous dit quelque chose de la noblesse de l’homme, le paysan veut vivre de son travail. C’est l’honneur de l’homme de vivre de son travail et pas de subventions, de primes et de délais de paiements qui lui font perdre sa fierté.
Le drame de l’agriculture, même s’il est économique, a des racines spirituelles profondes.
C’est donc aussi par des moyens spirituels qu’il nous faut y répondre.
Il faut redécouvrir la beauté de la création et la bonté du créateur comme le pape nous y invite dans sa dernière encyclique.
Le réchauffement du monde ne peut pas être compensé par le refroidissement des âmes !
Il nous faut redécouvrir la solidarité face à l’individualisme, la dimension spirituelle, prière et sacrements face au matérialisme, le sens face à l’action.
Que sainte Anne, patronne de la terre de Bretagne et Yvon Nicolazic, paysan Breton, nous aident à répondre à cette question que posait l’Evangile de ce jour : « Bon Maitre, que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle en héritage ? » Amen !
Mgr Raymond Centène
Belle homélie de Mgr Centène qui recentre les données du problème. Pourtant…
En tant que paysan catholique du diocèse de Vannes, je connais assez la situation d’impasse de l’agriculture dans le Morbihan comme dans le reste de la Bretagne ainsi qu’une bonne partie de la France.
L’Eglise oublie un peu facilement qu’elle a sa part de responsabilité dans ce désastre. Comme d’habitude elle n’affiche aucune auto-critique des erreurs qu’elle a pu commettre.
Par le biais de l’Action Catholique et de la JAC (jeunesse agricole chrétienne), elle a contribué à partir des années 50 et 60 à l’industrialisation sans limite et sans discernement de l’agriculture sans pour autant garder dans son sein les agriculteurs qui sont aujourd’hui majoritairement matérialistes, voire agnostiques ou indifférents.
Pour preuve, il n’y a qu’à voir le taux de participation aux Rogations, quand elles existent encore.
Il est toutefois indéniable que jusqu’à une certaine époque cette action fut bénéfique, il y avait des choses à faire évoluer, mais pas jusqu’à ce point de non-retour… Quand on remet en cause le modèle agricole dominant actuel, on se fait traiter ipso facto de passéiste , réactionnaire écolo folkloriste. Les paysans qui font la promotion d’un autre modèle agricole ne soupirent pas après un passé idéalisé. Ils sont d’ailleurs dans la lignée de la première révolution agricole des années 50.
Comme l’explique André Pochon, Paysan de Corlay, pionnier de la prairie temporaire, la première révolution agricole des années 50- 60, menée en bonne partie grâce à l’Eglise était bénéfique, la seconde des années 70-80 fut néfaste à la paysannerie
Par la suite, la machine emballée, et les tentatives de modernité alternative se sont muées en modernisation forcée des campagnes qui allait de pair avec la modernisation de la liturgie et la destruction des traditions populaires notamment de la langue bretonne. Curieusement, la modernisation sans limite de l’agriculture correspond aux grands chamboulements liturgiques et à l’abandon officiel de la langue bretonne par l’Eglise. C’est non seulement la destruction de l’agriculture qui s’est mise en place mais aussi la destruction de toute une riche civilisation rurale. En quoi une modernité soigneusement discernée est-elle incompatible avec nos traditions ? D’un autre côté, le mouvement breton s’est détaché aussi à cette époque du monde rural et s’est mis à le mépriser en le considérant comme « plouc ». Les racine ontologiques du mal de l’agriculture bretonne sont aussi à rechercher dans cette table rase des traditions populaires et cette course à la modernité à tout prix.
Les chambres d’Agriculture de Bretagne sont aujourd’hui massivement monopolisées par la FNSEA et ses réseaux mafieux qui perpétuent la destruction de l’Agriculture et de l’environnement. Il n’y a qu’à voir le président de ce syndicat (Xavier Beulin magnat multi-millionnaire de l’agro-business qui n’est plus exploitant agricole depuis belle lurette) pour se faire une idée de l’ambiance qui règne ici.
Les paysans qui sortent de cette doxa totalitaire en essayant de recréer une agriculture qui sorte de cette spirale de destruction sont marginalisés et caricaturés – voire emprisonnés ou jugés comme des casseurs quand ils mènent une action pour bien commun (démontage de la ferme des mille vaches, fauchages OGM…) –
Dans le même temps, les actions violentes du syndicat majoritaire sont suivies de rallonges de subventions par les pouvoirs publics. Cherchez l’erreur…
Les paysans qui cherchent à restaurer une agriculture humaine et responsable sont souvent éloignés de L’Eglise. Il faut dire que celle-ci a perdu (du moins sur le plan local) toute crédibilité et c’est dans des milieux souvent éloignés d’elle que la véritable contestation s’opère (ex : syndicat de la Confédération Paysanne plutôt classé à gauche) Que fait l’Eglise pour rejoindre ces personnes qui luttent pour un véritable changement largement compatible avec la doctrine chrétienne ?
Au lieu de se remettre en cause sur sa propre responsabilité et de soutenir des alternatives qui pourraient faire sortir par elle-même la paysannerie de la crise, (promotion de systèmes agricoles économes, auto-gestion, agriculture biologique, circuits courts, produits de qualité à forte valeur ajoutée, priorité aux petites exploitations familiales, régulation des cours par les paysans eux-mêmes…) les instances ecclésiales officielles préfèrent rester sur leur ligne de conduite historique en validant le discours du syndicat majoritaire. A savoir, réduction du nombre d’exploitation au nom de la compétitivité, caractère de plus en plus scientifique et financier de l’agriculture…
A titre d’ exemple de la collusion (passive) entre instances ecclésiales et milieux financiers agricoles, pour le spectacle (de belle qualité au passage) à sainte Anne d’Auray sur la vie du voyant de sainte Anne intitulé « Nicolazic, Paysan Breton » le C.A., banque spéculatrice et mercantile qui se fait de l’argent sur le dos des paysans (et des autres), banque qui a honteusement spéculé sur la dette grecque avec l’argent de ses sociétaires et qui y a perdu des milliards, était sponsor officiel alors qu’il est peu ou prou responsable dudit suicide d’agriculteurs bretons !
Que l’on cesse ici la tartufferie ! On ne verse pas des larmes sur le sort des paysans désespérés et endettés à mort au même endroit où on a fait la promotion deux mois plus tôt d’un spectacle financé en partie par le CA sur le nom d’Iwan Nikolazig, exemple de sainteté et de vertu de la paysannerie bretonne.
Il fut un temps où l’Eglise Catholique excommuniait ipso facto les spéculateurs, les usuriers et les accapareurs, cela a bien changé, maintenant, on leur cire les pompes pour qu’ils se refassent une respectabilité.
Les instances agricoles de Bretagne étaient à l’origine des émanations de L’Eglise Catholique. Même si elles ont été sécularisées depuis, elles gardent le même fonctionnement de ce qu’il peut y avoir de pire dans l’Eglise : la bonne volonté et la générosité prises en otage par l’idéologie datée et l’autoritarisme.
merci, Monseigneur ,pour ces semences d’espérance que le moyen de diffusion permet de lancer à des esprits qui désespèrent.
Votre propos soulève effectivement des questions, que vous connaissez certainement mieux que nous. Si sur le fond vous avez raison, ne pensez-vous pas qu’il s’agisse toutefois d’une bonne chose d’enfin prendre en compte ces soucis, même si des choses maladroites (comme le sponsoring dont vous parlez) ont pu choquer certains ?
Parmi les attentions portées au monde agricole, nous pensons aussi à l’ordination diaconale récente de Nicolas le Poulichet qui va notamment accompagner pastoralement les jeunes agriculteurs qui s’installent, occupant ainsi un terrain quelque peu délaissé. Le diocèse de Vannes montre là une certaine préoccupation de rejoindre ces personnes, chose qu’il conviendra certainement de développer à l’avenir, et nous sommes convaincus que vos propos peuvent aussi interpeller et aider.
Merci pour ce soutien. Ca ne règle pas nos soucis mais bon… au moins on pense à nous.
et un grand merci au « paysan du diocèse’ pour son cri pathétique,qui va certainement aider nos esprits à découvrir d’autres voies que celles qui ont causé les dégâts biologiques,paysagers,culturels et spirituels de l’ideologie du « Progrès » !