Homélie du Père Michel Viot pour la fête de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie.

Amzer-lenn / Temps de lecture : 13 min

Voici l’homélie concernant la fête de l’Immaculée Conception, proposée par le Père Michel Viot dans son livre « Homélie de l’année B » publié aux éditions Artège, et repris sur Ar Gedour avec l’aimable autorisation de l’auteur et de son éditeur. 

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Luc (1, 26-38)

Première lecture : Lecture du livre de la Genèse (3, 9…20)

Deuxième lecture : Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Ephésiens (1, 3…12)

 

Photo Ouest-France

Avant de continuer à explorer le grand mystère de ce dogme toujours à partir du même texte de celui de l’année A, je voudrais revenir sur un point de mon homélie de l’an dernier[1]. A ceux qui s’étonnent que le magistère ait attendu 1854 pour proclamer ce dogme, j’avais répondu qu’il était cru depuis quand même quelques siècles, j’avais évoqué les pères ayant pratiqué l’exégèse allégorique et cité saint Bernard de Clairvaux, le dernier d’entre eux. Je voudrais donc apporter deux précisions à ce sujet. La première concerne l’ancienneté de la croyance en l’Immaculée Conception. Le texte chrétien le plus ancien qui en témoigne est le protévangile de Jacques, apocryphe certes parce que non reconnu par l’Eglise comme canonique, mais écrit tout de même vers le milieu du IIe siècle, qui témoigne donc de la foi de certains chrétiens à cette époque. Notons que son souci est d’affirmer que Jésus est vrai Dieu et vrai homme, d’où son intérêt pour la personne de Marie. J’indique cela parce que c’est la voie que suivront tous les théologiens sérieux qui ont eu le souci de parler le plus correctement et le plus complètement possible de ce grand mystère de l’Incarnation qui concerne aussi Marie, certains sembleraient l’oublier, même dans nos milieux catholiques ! Tout ce qui concerne la naissance de Jésus est au cœur de la foi chrétienne, même si l’Eglise a commencé par mettre en avant la résurrection. Pâques pendant de nombreux siècles il est vrai a été la fête principale des chrétiens. Mais les évangiles dits de l’enfance (de Jésus) qu’on trouve chez saint Matthieu et saint Luc datent des années 80, ce qui prouve le besoin ressenti de parler de la naissance du Christ pour consolider en quelques sortes la prédication de la résurrection !

Mais revenons au protévangile de Jacques. Il donne plusieurs indices concernant la préservation de Marie des conséquences de la faute originelle et de ses conséquences comme par exemple, et ce n’est qu’un exemple, l’histoire des sages-femmes arrivant après la naissance de Jésus. Marie a accouché très rapidement, sans aide, sans effusion de sang et vraisemblablement sans douleur, c’est ce que veut nous laisser entendre le texte. Donc pas d’impureté rituelle et pas de signes de l’antique malédiction de Genèse 3, 16. Mais le passage le plus important concerne l’annonce de l’ange à Joachim, père de Marie, qui se trouve dans le désert depuis quarante jours pour prier pour Anne, sa femme stérile. La majorité des versions du protévangile font dire à l’ange « ta femme a conçu » et non « ta femme concevra ». Et je cite ici le passage du livre le plus complet que je connaisse sur la question de l’Immaculée Conception, celui de madame Marielle Lamy auquel je me référerai encore : « de même, lorsque les deux époux se retrouvent aux portes de la ville, Anne s’exclame : « voici la veuve n’est plus veuve et la stérile a conçu ». Ces variantes du texte ont parfois alimenté la croyance selon laquelle Marie aurait été conçue par le simple baiser de retrouvaille des époux. L’idée d’une conception virginale de Marie par Anne était bien évidemment hétérodoxe et dès les premiers temps les pères eurent le souci de réguler les expressions de la piété mariale. » Et notre auteur cite Epiphane qui précise que Marie n’est pas née en dehors des règles ordinaires de la nature et que le « ta femme a conçu » n’est qu’une prédiction d’une action particulière de Dieu envers Marie, Joachim et Anne son épouse. Et toujours selon notre auteur, il faut attendre l’année 600 à peu près pour trouver dans une homélie de Théoteknos de Livias : « elle [Marie] naît comme les chérubins, celle qui est d’une argile pure et immaculée ». Marie nouvelle Eve donc avant la chute, notre auteur faisant remarquer que la tradition juive avait fait le même genre de rapprochements avec la mère de Moïse au moment de sa naissance et ce, à la suite des propos des sages-femmes à Pharaon (Exode 1, 19) qui elles aussi arrivaient après que les femmes des hébreux aient accouchées[2].

Et j’en viens à ma deuxième et dernière mise au point concernant saint Bernard de Clairvaux. Je n’en ai pas fait bien sûr un partisan de l’Immaculée Conception. Il était contre, comme le prouve sa lettre au chanoine de Lyon (1139) qui la fêtait le 8 décembre. Parmi tous les reproches que fait saint Bernard au recours à l’Immaculée Conception de la Vierge pour expliquer l’exemption du corps du Christ du péché originel, une se dégage et elle est toujours à la mode chez beaucoup de théologiens protestants. Le livre auquel je me réfère la résume d’une phrase : « si l’on remonte la chaîne des causalités, pourquoi s’arrêter là et ne pas fêter les parents, puis les grands-parents, et à l’infini tous les aïeux de Marie ! »[3]

Ainsi n’ai-je cité saint Bernard que pour deux raisons. La première c’est qu’en interprétant non pas le protévangile de Jacques mais le protévangile de la Genèse et en voyant dans la descendance d’Eve la Vierge Marie qui écrasera la tête du serpent (Genèse 3, 15), il a fait de Marie une nouvelle Eve et malgré lui lance un pont entre la conception sans péché et la Vierge Marie. Car Eve fut créée sans péché.

Ensuite parce que saint Bernard partant de la sanctification de Jérémie et de Jean-Baptiste dès le sein de leurs mères, a professé que Marie avait eu en mieux le même genre de sanctification « in utero », « dans le sein de sa mère ». « Je pense, quant à moi, qu’une bénédiction de sanctification plus abondante descendit en elle, qui non seulement sanctifia sa naissance mais garda ensuite sa vie indemne de tout péché, ce qui croit-on n’a certes été donné à nul autre parmi ceux qui sont nés d’une femme. »[4]

Et tout en montrant que saint Bernard reste tributaire de la doctrine augustinienne du péché originel et surtout de l’essentiel de sa formulation, la concupiscence qui accompagne la conception, madame Marielle Lamy ajoute que : « Bernard franchit un pas de plus dans le cas de Marie, la grâce de sanctification fut telle qu’elle l’a ensuite préservée de tout péché actuel. On peut donc dire de Marie qu’elle n’a pas toujours été sans péchés, mais qu’elle n’a jamais péché. »[5]

Cela dit, revenons au verset capital de notre évangile pour le sujet qui nous préoccupe, et nous allons voir que ce qui précède allait bien au delà de la mise au point !

Je veux parler du verset 35 du chapitre 1 de saint Luc que je restitue ici dans la traduction de la TOB et qui est la réponse de l’archange Gabriel à Marie sur le « comment cela se fera-t-il puisque je n’ai pas de relations conjugales ? » « L’Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu ».

La note de cette même TOB fait remarquer la différence avec l’annonciation de la naissance de Jean-Baptiste. Au verset 15 de ce même chapitre 1, l’ange avait dit « qu’il sera rempli d’Esprit-Saint dès le sein de sa mère » et au verset 17 « qu’il marchera par devant sous le regard de Dieu avec l’Esprit et la puissance d’Elie. » Ce qu’écrit saint Luc a une double portée. Tout d’abord ne pas identifier Jean-Baptiste à Elie car pour lui c’est plutôt Jésus qui est un second Elie. Ensuite de placer la sainteté du précurseur bien au-dessous de celle de Jésus, autrement dit de montrer une grande différence entre l’action de Dieu sur Elisabeth, mère de Jean et sur Marie, mère de Jésus. Pour Elisabeth c’est une sanctification dans le sein de sa mère d’un enfant conçu par relation conjugale. Pour Marie c’est tout différent. C’est Dieu lui-même qui vient en Marie comme dans la tente de la rencontre et c’est une création sans relation conjugale qui va se produire, celle de Jésus bien entendu, conception sans péché parce que provenant de Dieu seul. Il sera saint et appelé Fils de Dieu et là tout le monde est d’accord, adversaires et partisans de l’Immaculée Conception de Marie. Mais il faut aller plus loin et saint Bernard lui-même l’avait bien senti. Marie ne peut accueillir la puissance sanctificatrice et créatrice de l’ombre du Très-Haut d’une manière si intime qu’elle va en concevoir un homme, que si elle-même est pure et sainte, indemne de tout péché. Sinon elle ne pourrait supporter un tel contact avec le sacré et elle mourrait. Le fait qu’elle n’ait été sanctifiée que dans le ventre de sa mère suffirait-il ? Dans ce cas elle n’aurait que la sainteté d’un Jean-Baptiste. Ce n’était pas suffisant pour Bernard nous l’avons vu, et de fait l’autorité de l’abbé de Clairvaux n’arrêta pas, tant s’en faut, les réflexions sur cette question.

Je ne peux ici, dans une homélie, traiter de tous les débats théologiques qui suivirent, ni même expliquer les grandes affirmations des deux théologiens les plus importants sur cette question, je veux parler de Guillaume de Ware qui professa à Oxford et à Paris et mourut vers 1300, et de Jean Duns Scot né en 1266 qui étudia à Paris, professa à Oxford vers 1300, repartit vers Paris puis finit sans doute ses jours à Oxford en 1305. Le livre auquel je me réfère pour l’Immaculée Conception donne des détails nécessaires et explique la théologie de ces deux personnages[6]. Ceux qui liront ces lignes verront entre autre que Jean Duns Scot mérita bien le nom de docteur subtil.

Ce que je voudrais retenir d’eux, et j’ai parfaitement conscience de jouer un peu ici les éléphants dans un magasin de porcelaine en osant résumer leur doctrine, est en liaison avec notre verset du verset 35 du chapitre 1 de saint Luc. C’est ce qu’on appelle chez Jean Duns Scot l’argument du « parfait médiateur »[7]. Je réduis de plus nos deux auteurs au seul Scot d’une façon certes un peu arbitraire, mais on ne sait pas finalement qui fut le maître de l’autre.

Au fond il s’agit de pousser jusqu’au bout la réflexion théologique sur la perfection de Jésus Christ, comme nous y invite saint Luc. Celui qui est créé par l’Esprit-Saint dans le ventre de la Vierge, venant dans une nuée, ne peut être que parfait. L’ange d’ailleurs l’appelle « saint » et la note de la TOB sur ce verset nous rappelle que ce qualificatif est une des plus anciennes expressions de la divinité de Jésus. Et de nous donner plusieurs exemples dans le livre des Actes des Apôtres dont le célèbre discours de Pierre le jour de la Pentecôte (Actes 3, 14). Et le titre de Fils de Dieu va dans le même sens en y ajoutant la gloire royale (qui remonte à 2 Samuel 7, 14) et qui, à l’époque des évangiles, désigne le roi Messie sauveur du peuple juif et de l’humanité. Rien ne peut mieux convenir au « parfait médiateur » de Duns Scot. Celui-ci ne pouvait exercer sa parfaite médiation pour tous les hommes que s’il avait exercé vis-à-vis de sa mère une médiation plus parfaite encore. Et quoi de plus parfait que de lui éviter complètement, c’est à dire dès sa conception même, les conséquences du plus grand des maux qui puisse affliger l’humanité, à savoir le péché originel, dont l’effacement d’ailleurs nécessitera la mort la plus cruelle de ce temps : celle de la croix.

A médiateur parfait, mère parfaite, parce que créature la plus proche de lui dont il a tiré son corps humain et qu’il a le plus aimé tout comme elle aussi. C’est au nom d’un échange aussi absolu de parfait d’amour, et non en remontant une chaîne des causes, que se fonde chez Jean Duns Scot l’Immaculée Conception de Marie. Marie est alors le chef-d’œuvre des créatures sauvées et ce n’est que justice. Chef-d’œuvre d’obéissance à la parole divine, elle devient son chef-d’œuvre dans son action salvatrice.

Ne considérons donc jamais ce dogme de l’Immaculée Conception comme une pièce rapportée ou encore le fruit d’un raisonnement plus ou moins utile voire spécieux. Il est au contraire essentiel pour nous faire comprendre la perfection de la rédemption elle-même, ainsi que le dynamisme de la sainteté qui peut toujours grandir chez un être humain qui vit de la grâce de Dieu.

[1] « A l’écoute de la Bible », Michel Viot, Ed Artège, p. 399.

[2] « L’Immaculée Conception, étapes et enjeux d’une controverse au Moyen-Age (XIIe-XVe siècle) », Marielle Lamy, L’institut d’étude Augustinienne 2000, p. 29.

[3] Opus cité p. 43 (dans les années 1120-1130 on fêtait outre-manche le 8 décembre et saint Anne).

[4] Extrait de la lettre de saint Bernard au chanoine de Lyon, opus cité p. 43.

[5] Opus cité p. 45.

[6] Opus cité p. 336 à 378.

[7] Opus cité p. 367.

À propos du rédacteur Père Michel Viot

Prêtre catholique du Diocèse de Blois, ancien pasteur et évêque luthérien, ancien franc-maçon, il a été aumônier de prison, vicaire épiscopal du Diocèse de Blois puis aumônier militaire chargé des anciens combattants. Il est aujourd'hui au service du Diocèse de Paris. Rédacteur occasionnel pour le blog breton Ar Gedour, certains des articles de son blog sont aussi parfois repris avec son aimable autorisation.

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