IN MEMORIAM : Clément, marquis de Pontcallec, exécuté il y a 300 ans

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

Il y a bientôt 300 ans, le 26 mars 1720,  Clément Chrysogone de Guer-Malestroit, marquis de Pontcallec était, avec ses trois compagnons, Talhouët-le-Moyne, Montlouis, Du Couëdic, décapités place du Bouffay à Nantes. Les Bretons sauront-ils commémorer cette page de l’histoire dont nous célébrons le tricentenaire dans un mois ?

Les frères bretons martyrs, par X. Haas, in Breizh, visions d’histoire (Ronan Caerleon & Herry Caouissin)

De nombreux ouvrages, et encore d’avantage d’articles ont été écrits sur le Marquis de Pontcallec et sa conspiration contre le Régent, Philippe d’Orléans ; un épisode de l’Histoire de Bretagne qui, suivant tel ou tel historien, est assez controversé. Certains, ont vu dans cette conspiration une tentative pour s’affranchir du joug pesant de l’absolutisme monarchique, qui sous le règne de Louis XIV,  a ruiné la Bretagne, et ainsi rétablir  la souveraineté entière de l’ancien Duché dans ses droits historiques. D’autres, verront dans cette conspiration une simple révolte de nobles craignant pour leurs privilèges, ne se souciant que fort peu des droits de la Bretagne. Toutefois, les historiens s’accordent sur le côté amateurisme et la stupéfiante imprudence des conspirateurs, vouant dès le départ leur projet à l’échec. Mais, comme dans toutes conspirations, il y aura les inévitables opportunistes, les indécis, les infiltrés, les lâches effrayés au moment de passer à l’action de leur audace, et tentant par la trahison de se racheter et d’éviter, en cas d’échec, le châtiment.

Et c’est sans doute dans ces trahisons qu’il faut chercher l’échec de la conspiration, échec qui n’enlève rien à la noblesse de la cause. Plus tard, il en sera de même des échecs des conspiration des frères bretons du Marquis de La Rouërie et de Cadoudal.

En 1974, le cinéaste Bertrand Tavernier produisit un film sur le Marquis de Pontcallec, avec l’ambition de nous conter sa conspiration, et ayant pour titre – on se demande d’ailleurs pourquoi – « Que la fête commence ». Le rôle du Marquis est tenu par l’acteur Jean-Pierre Marielle, décédé récemment. Il nous campe un Pontcallec, nobliau ruiné, fort en gueule, paillard, brouillon, mais généreux. Ce portrait, assurément, ne donne guère l’image d’un homme taillé pour prendre la tête d’une conspiration visant à rendre à la Bretagne son indépendance. Les critiques de l’époque, guère au fait  des réalités de l’Histoire de Bretagne et de ses héros, ont vus dans ce film un chef-d’œuvre, alors qu’il  n’est qu’une pochade tragi-comique dans laquelle Pontcallec ne suscite guère la sympathie. Au final, on est très loin du héros que chante l’historiographie bretonne et sa célèbre gwerz. D’ailleurs, c’est une constante, les cinéastes qui prétendent faire revivre à l’écran des personnages et des épisodes de l’Histoire de Bretagne, ce qui est d’ailleurs assez rare, se « plantent » toujours, faute de s’informer et de comprendre cette Histoire. On le verra par exemple avec le film «Chouans» qui n’est qu’une grossière caricature de la chouannerie bretonne. Seul, Jean Delannoy, tournant « Dieu a besoin des hommes », et ayant pour vedette l’incomparable Pierre Fresnay, ou encore Maurice Cloche et son « Docteur Laënnec », auront l’humilité de se faire conseiller par un fin connaisseur de l’histoire de Bretagne, des traditions religieuses bretonnes, en l’occurrence Herry Caouissin, évitant ainsi les clichés et les  caricatures qui trainent sur tout ce qui est breton.

 

PAR  LA  VOX  POPULI : HEROS, MARTYRS … ET SAINTS

Qu’importe donc les aimables querelles d’historiens. La majorité dont le sérieux des travaux garantit la crédibilité, nous conte un Marquis de Pontcallec héros qui a eu son Judas, et qui avec ses trois infortunés compagnons ont payé de leur vie leur folle tentative insurrectionnelle. D’ailleurs, le pouvoir royal ne s’y est pas trompé : loin de voir dans le marquis de Pontcallec un petit noble sans envergure, soucieux de ne défendre que des privilèges de castes, il a vu au contraire dans l’homme  une menace sérieuse pour l’Etat, qu’il convenait de neutraliser. Pour ce faire, il enverra contre lui l’un de ses meilleurs et implacables serviteurs, le Maréchal de Montesquiou qui, ayant mis la main sur Pontcallec et sa « bande », les feront condamner à la peine capitale pour l’exemple.

La conspiration étant démasquée, les conspirateurs arrêtés, les sentences prononcées pour les principaux coupables, l’évènement va immédiatement susciter la sympathie populaire, et par la vox populi devenir une tragédie dont la cause était noble et généreuse, et les conspirateurs  être sacrés héros et  martyrs, voire pour les plus zélés, en saints.  Ainsi va naître la « Gwerz maro Pontkalleg » (la Complainte de la mort de Pontcallec), rendue célèbre par le Barzaz Breiz de La Villemarqué.  La gwerz chante la jeunesse, l’abnégation, l’esprit de sacrifice, le courage et le panache devant la mort des quatre gentilshommes.  Mais elle maudit aussi le traître « Toi qui l’as trahi, sois maudit ! ». L’air lui-même -admirablement interprété par les Breizerien- évoque cette marche funèbre vers le supplice,  soulignant la tragédie qui se joue, amplifiant l’aura des condamnés. Que la gwerz, au fil du temps et des chanteurs ait enjolivé, idéalisé les personnages et la conspiration, on ne peut le nier. Il en est ainsi de toutes les épopées, dans lesquelles à la vérité historique vient souvent se greffer une part de légende.

UNE  FORÊT,  ET  QUELQUES  PAUVRES  PIERRES

Une complainte, des livres, des articles à foison, de très rares rues, une plaque dans le quartier du Bouffay (Nantes) : c’est à peu près tout ce qui rappelle le marquis de Pontcallec.  Certes, d’autres grands personnages bretons en ont encore moins, et nous pourrions donc nous satisfaire de cela. Pourtant le « devoir de Mémoire » serait plus complet si deux réalisations voyaient le jour :

Le château actuel, a été construit en 1883 par le Duc de Cossé-Brissac, et vendu en 1955 à la Communauté des religieuses Dominicaines du Saint-Esprit où elles créèrent un orphelinat et une école de jeunes filles. Le parc, avec sa chapelle est magnifique, tout en ce lieu invite à la prière, à la sérénité. Cependant, nulle trace qu’en ce lieu historique, vécut en son château le marquis de Pontcallec. Pourtant, non loin de la chapelle, sur une petite butte en bordure de la route qui mène à Kernascléden, existent encore quelques ruines de l’ancien château rasé sur ordre royal : deux pans de murs avec une fenêtre et une porte menant à un escalier qui conduirait à un vaste réseau de souterrains. Il est dommage donc qu’aucune fouille n’aient été entreprises, et que ces vestiges ne soient pas  préservés, qu’aucune stèle, en breton et en français ne soient là pour témoigner de ce lieu historique.

A l’entrée de la forêt de Pontcallec, au lieu-dit Le Pont Neuf, près de la Maison forestière, sur la commune de Plouay, il y a un carrefour avec son inévitable rond-point. De ce carrefour, partent trois routes : celle menant au château, longeant le Scorff,  celle vers Kernascléden et celle vers Le Faouët, toutes trois traversant la forêt. Ce carrefour, ne serait-il pas un lieu idéal pour élever une statue au marquis de Pontcallec et à ses trois compagnons ? Cela aurait bien plus d’allure que les inénarrables « œuvres d’artistes » dont on orne les ronds-points ; deux suggestions pour un juste devoir de Mémoire alors que nous allons célébrer les 300 ans de l’exécution des Frères martyrs bretons…

Ur werzenn nevez zo savet
Traitour, ah! mallozh dit ‘ta !
(bis)
War markiz Pontkalleg eo graet
Traitour, ah ! Mallozh dit, mallozh dit
Traitour, ah! mallozh dit ‘ta

War markiz yaouank Pontkalleg, Traitour…
Ker koant, ken drant, ker kalonek !
Traitour, ah! Mallozh dit…

Mignon a oa d’ar Vretoned
Abalamour anezho oa deuet

Abalamour anezho oa deuet
Hag etrezo oa bet maget

Mignon a oa d’ar Vretoned
D’ar vourc’hizien ne lâran ket

D’ar vourc’hizien ne lâran ket
A zo a-du ar C’hallaoued

A zo atav ‘klask gwaskañ re
N’o deus na madoù na leve

Nemet poan o divrec’h, noz-deiz,
Evit magañ o mammou dehe

Lakaet en devoa en e benn
Disammañ deomp-ni hor c’hordenn

Gwarizi-tag d’ar vourc’hizien
O klask an tu e’it hen dibenn

– Aotrou Markiz, aet da guzhet,
An tu a zo gante kavet !

Ecoutez et vous entendrez
Un chant nouvellement composé

Diskan

Traître, ah ! Sois maudit,
Sois maudit !
Traître, ah ! Sois maudit !

Il a été composé sur le marquis de Pontcallec,
Le meilleur des hommes qui fut au monde

Le meilleur des hommes qui fut au monde,
et pourtant il a eu la tête tranchée !

Ce n’est pas pour avoir commis un crime
Que Pontcallec a perdu la vie ;

C’est pour avoir défendu son pays
Avec les seigneurs des alentours ;

La totalité de la gwerz est disponible ici.

J’apprécie cet article, je soutiens Ar Gedour

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

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6 Commentaires

  1. Oui, le film de Tavernier est un grand film ! mais son intrigue principale est loin d’être l’aventure des révoltés bretons… Il s’intéresse en premier lieu à l’atmosphère autour du Régent. Y voir un mépris des Bretons est inepte, surtout venant de Tavernier, cinéaste humaniste et provincial (Lyon).
    Quant au vrai marquis, si la chanson reste sublime, elle est peu en rapport avec la perception du personnage, lequel était tout simplement odieux et sans cœur, et détesté des gens de son fief.

    • C’est vrai, vous avez raison… il était vraiment si odieux que le pouvoir français a bien fait de liquider le mec. On devrait même considérer cette exécution comme un bienfait pour l’humanité.

      Quant au « mépris », vous avez là encore raison : il ne s’agit pas de mépris mais d’une vision teintée de condescendance alliée à une espèce d’exotisme, qui semble aujourd’hui tellement naturelle que l’on a vient à se dire que tout est normal…

      Au moins la France exalte ses héros (avérés ou non), elle. Et que font les Bretons ?

      « Peuple d’esclaves et fier de l’être… »

    • Le film de Tavernier est une grossièreté historique, qui s’inscrit dans la ligne gaucharde politiquement correcte des années 70. C’est une manie des films français à prétention historique que de n’être que prétexte à « message politique. ».Mais il faut être cultivé . Quant à Pontkalleg, il a été « sanctifié » par le peuple breton: « mignon e oé d’er Vretoned, d’er vourhizien ne laran ket ».

  2. Une autre très belle interprétation de la Gwerz maro Pontkalleg est disponible sur Youtube
    https://www.youtube.com/watch?v=NG4SDaX6LSM&list=PLT_rnAbx0kj1ldFssxEErkmI7CD-NsVzm
    chantée par Andrea Ar Gouilh accompagnée à la harpe.

  3. Cette décapitation rapide de ces 4 conjurés (arrestations 28 décembre 1719 à la soumission de Talhouët le 10 janvier 1720… le procès menée par une » chambre ardente »), .. et en effigie de 16 conjurés qui avaient pris le large peut aussi montrer géographiquement que la répression s’exerce sur 4 nobles habitant loin des villes bretonnes: Pontcallec de Berné, Talhouêt-Le moyne de Ploerdut, Montlouis de Priziac, du Couédic, du chateau de Kerbeizec en Gourin… Et une amnistie générale quelque temps après… Suivant que vous serez puissants ou misérables…
    Marie-Thérèse de Montlouis,épouse de Montlouis, fille du sénéchal de Langonnet, Hugonier, mère de deux jeunes enfants, s’est vraimentconduite en chef, pendant la conjuration et ensuite en faisant disparaître les armes compromettantes. Emprisonnée pendant un an au Chateau de Caen, les Etats de Bretagne lui firrent parvenir un secours de 600 L. (Cf Albert David-Notre Dame de Langonnet pp 172-175)

    • Jean Briac LE BRIS

      Merci à Monsieur L’abbé de CADOUELLAN. Il sait de quoi il parle. Il a été à l’origine des GEES de 1959-1960 avec Edouard Ollivro et Louis Martin. Qu’ils soient tous remerciés.

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