L’éditeur Jean Picollec est passé de l’autre côté du miroir. A 84 ans, il s’est confié à Philippe Randa pour un livre aussi atypique que son parcours éditorial. En dix mots, il donne le ton de son personnage : « Toujours vivant, toujours indépendant, toujours sur le fil du rasoir ». Ce Breton non conformiste n’a pas changé de cap depuis son entrée dans le monde de l’édition en 1966 chez Laffont, son association en 1971 avec Alain Moreau, la direction des éditions de La Table Ronde en 1987, et la création des éditions qui porte son nom en 1979.
Jean Picollec a conservé de son père, le dernier passeur indépendant assurant la traversée entre la ville close et le port de Concarneau, une liberté de caractère et de ton qui ne sied guère dans les salons. Il n’a pas embarqué dans la marine marchande » mais dans un milieu où il convient de louvoyer pour faire carrière. Après des études où il croise Lionel Jospin et Bernard Ravenel, le fondateur du PSU, ainsi que Jean-Marie Le Pen, mais aussi le philosophe Georges Lapassade, le jeune Breton entre aux éditions Larousse où il fait ses premières armes. Six ans plus tard, il s’associe avec Alain Moreau et innove avec une série de livres chocs, notamment une Histoire de l’IRA et «Breiz Atao, histoire et actualité du nationalisme breton» d’Olier Mordrel, mais également « B comme barbouze » de Patrice Chairoff, « D comme drogue » d’Alain Jaubert, « H comme Hersant » de Dominique Pons… Jean Picollec se fait remarquer par la rigueur de son travail mais aussi sa pugnacité et sa perspicacité. Il ne pouvait faire autrement que de reprendre son indépendance et voler de ses propres ailes en fondant sa propre maison d’édition en 1979. Il flaire les bons auteurs et les bons sujets, publie notamment André Castelot, Thierry Lentz, Pierre Péan, Irène Frain, Jean Botherel, Roger Faligot, Bernard Lugan, Arnaud Le Guern… Il n’y a pas de sujets tabous aux éditions Picollec : l’assassinat de Jean de Broglie en 1976, le dossier Henri Curiel, le procès de Klaus Barbie, la présidence Bouteflika en Algérie, le coup d’état du général Pinochet, le génocide cambodgien, la guerre du golfe, le martyre du Kosovo… L’éditeur ose et dérange l’ordre moral. Il tire à vue et fait mouche. Jean Picollec connaît le succès à plusieurs reprises. Son plus grand best-seller paraît le 12 septembre 2001 « Au nom d’Oussama Ben Laden » écrit par Roland Jacquart. Les attentats du 11 septembre vont mettre le livre sous les feux de la rampe, et pour cause, il s’agit du seul et unique ouvrage consacré au nouvel ennemi public n°1. Le livre sera traduit en 29 langues et diffusé dans le monde entier.
La géopolitique passionne Jean Picollec qui s’intéresse à toute l’actualité, quel que soit le continent, et à l’histoire quelle que soit l’époque. Homme curieux et passionné, il n’a pas peur de s’attaquer à plus fort que lui, car la défense des minorités est un leitmotiv. L’éditeur donne la parole à des esprits libres qui balaient tout l’horizon politique. Le catalogue des éditions Picollec est impressionnant par sa diversité, sa qualité et sa quantité (plus de 350 titres).
Cette curiosité insatiable fait aussi la part belle à la Bretagne et aux pays celtiques car l’éditeur breton de cœur et de sang tient à publier des ouvrages d’histoire et de fiction ayant trait à son pays natal. C’est ainsi qu’Yvonig Gicquel y a signé une remarquable biographie d’Olivier de Clisson tandis que la collection « bibliothèque celtique » fut la première (avant bien d’autres éditeurs) à redonner ses lettres de noblesse à de grands écrivains irlandais tels Liam O’Flaherty et Douglas Hyde. Lors de l’intronisation de Jean Picollec à la confrérie des compagnons de Gutemberg, Philippe Jourdan a dit de cet éditeur atypique : « Vous aimez vous définir comme l’ambulance de l’édition française car vous ramassez tous les blessés que les éditeurs français ne veulent pas publier car ils pourraient faire des vagues qui ne font pas peur au corsaire breton que vous êtes, pourvu que leurs écrits permettent de découvrir , faire réfléchir, informer, et à l’unique condition que l’auteur ne dise pas, bien sûr, de mal de la Bretagne ». L’hommage correspond à l’éditeur qui est aussi et surtout un homme fidèle à sa Bretagne et sincère en amitié. Il serait temps que le collier de l’Hermine lui soit décerné. Le livre qui lui est dédié par Philippe Randa est aussi un livre d’histoire.