A l’approche du 11 novembre, faisons mémoire et prions pour tous les morts de la Grande Guerre, et particulièrement ici en Bretagne pour tous les Bretons qui sont morts pour la France. On nous parle dans les médias des fusillés… pensons aussi à nombre de Bretons (et bien d’autres) qui l’ont été non pour désertion ou mutinerie, mais simplement parce qu’ils ne comprenaient pas les ordres donnés en français, langue parfois encore étrangère pour eux…
En ce jour, nous vous partageons donc ici l’un des textes composés en breton par Yann Ber Calloc’h alors qu’il est sur le front, un des plus beaux textes-témoignages de son oeuvre Ar en deulin (A genoux). La laideur de la guerre est là… mais la beauté du soldat portant sa supplique vers Dieu porte encore une espérance vers un monde meilleur.
Rappelons que Yann Ber Calloc’h, né en 1888 sur l’île de Groix (Morbihan), fils de pécheur « né au milieu de la mer », se destinait à la prêtrise, après avoir étudié au petit séminaire de Sainte Anne d’Auray. Refusé au séminaire, il rentre à l’école d’élèves officiers de Saint Maixent en 1914. Il est promu aspirant et devient ensuite lieutenant, mais tombe au front à Urvilliers, dans l’Aisne, en 1917.
Eflamm Caouissin
Ur chapélig didrous ar vézeu Breiz-Izél ! »
Mézeu Breiz-Izél e zo pell breman. Meit a pen dé Doué é pep léh, mont e rinn d’Her haout ér hoedeg.
Huéh eur de vintin. Un aotér vihan e zo bet aozét é harz Tabernakl, a bep tu d’er groez, bleu el liorh tostan. Aman éh onn deit en nihour de govesat ; eit er ùéh getan reseùet em ès é me saù er sakremant a bénijenn. Ur sakramant arall, hiriù.
Brih en amzér ; kent pell merhat é taolo glao. Meit pétra é er glao d’en hani zo deit de glask Doué ? Petra é er gurun, hag er brézel hag er bed d’en hani e ya de ùélet dirakton splanndér dilavaradoé en Hani lakeit-é-kroez ?
Huéh eur de vitin ; brih en amzér. Kloh erbet nen des soñnet de gemennein en overenn-man, ha neoah éh es tud ardro d’en aotér-goed. Chetu : deu gant Vreizad a me réjimant en des bet nañn a vara Doué, ha dit int de ùit hon. Ul leùiné é d’er galon ou guélet azé ken nivérus. Ha ken gredus ! Ur chapelet zo én ou dorn, er chapelet karet é tiégéheu Breiz. Ne skuihan ket é sellet dohté : na kaer é drem me fobl a pen dé saùet trema Doué ! Er ré e fal dehé gouiet petra zo é sol en inéanù breihik n’ou des ken meit monet d’er lideu katolik, léh ma ma deulinet goazed ha merhed hor parrézieu, gouleu er béden ar ou zal. Neuzé é komprénint, marsé….
El ma tereù er Judica, taùein e ra er hanolieu. Peuh divent er hoedeg um geija get peuh douéel en Overenn, ér beuré kun a ùenholo. A lein en néanù, a lein er gué er peuh e ziskenn ar en dud a vrezél. Hag én un taol ou stum a vrezélerion ou des kollet : nen des mui aman meit Kelted deit de gonz doh ou sent, kristenion deulinet dirag Drem azeulet ou Hrist.
Na péh yeh e gonzint ? « Kaer e vehé, e laren étré Doué ha mé, eurédein er sul-man meurded rouèel er hoédeg koh ha doustér kañnenneu mem bro. Reih e vehé d’er bobl tolpet aman kannal é bréhoneg pédenneu katoiik… » — Amzèr n’em ès ket d’obér hiroh chonjen, rag chetu ur béleg-kadour é vont dré er baré, hag e rein de beb unan « Leor Kantikou Kerné ». Skriùet e oé get Doué em mehé bet, er beuré-hont, er joéieu oll.
E dereù en oll-dreu, pe ne oé hoah Gourdad en Dud meit un tam pri é kreiz er pri, tèr iliz-veur e saùas Doué de Zoué : er mor, er hoedeg, er mañné. Nen des neved erbet dehé, hag ahoudé ma-h-es ar en Douar un dén, — ur boén —, ag er nevedeu-sé é ma deit d’er Hrouéour er pédenneu grédusan. Her guélet em es é kreiz er mor ; hen anaùet em es ar vlein meur a vañné : her kompren e ran ér hoedeg hiriù. Youhal e ra en tri léh-man Hanù ou Hrouéour, ha tennein e ran ur béden d’er galon kaletan, el er fulen ag ur mén-kaill. Taolen erbet ne dall un daolen sinet Doué.
Chetu ind é pignat, hor pédenneu, hor hañneneu. Ken ès, ken dous ! Dont e ra en dareu d’em deulegad. Perag ou des choéjet, eùé, eit hé soñnein er beuré-man, er gañnen e garan-mé er muian, « er vraùan a gañnenneu en Douar » ? « Kantik ar Baradoz », en des kemennet er beleg, ha ni ha lezel neuzé hor chonjeu de neijal get en ton sé ken kaer, de bignat betag en iliz-veur peurdabel, biskoah devéet, e chom é hunvréieu er Gelted, hag e lakamb ebarh, get er Uerhiéz hag er Sent, oll er ré karet d’emb ar henteu douar-man, — édan selleu madelèhus Doué hon Tadeu, Jézus. Sellet doh selleu er bobl-man. Ankouéhet hé des er hoedeg, er brezél hag en druhegeh ; n’ou des kén chonj meit én ou Doué, e zo azé, e ya de zeval éné kent pell…
Diskenn e ra. Didrous, goustad en deu gant Vreizad e dosta doh en Osti, e zégemer en Osti, e ya éndro get en Osti. Peb unan e ra eiton, én eur-man, ne chom ket en eil de sellet doh e gilé. Peb unan en des é zobérieu de laret d’en Tad ; peb unan ur boén benag dehon é-unan de skuillein e halon er Hariad. Neoah, a pen dint katolik, ou fédenneu zo unañnet, zo unan. Me ùél goulenneu en dud-man é seùel a-us d’en armé, é pignat ar zu kadoer Doué èl un aspéden-veur eit er Vro. — Me ùél en Eled skanù doh hé henigein dé sent Breiz, de sent Frans. Me ùél en Eutrù Doué é plégein E Benn ar hor hornadih-douar, hag é cheleu…
Devéet é en Overenn. « Ite… » D’hamb d’hor labour, kaderion… Ha fallein e ra d’oh anaùout kened en drem dénel ? Sellet dohton goude ur gomunion…
« O douceur des messes dans une chapelle,
Une petite chapelle silencieuse sur les campagnes de Bretagne ! »
Les campagnes de Bretagne sont loin maintenant. Mais puisque Dieu est en tous lieux, j’irai Le chercher dans la forêt.
«Six heures du matin. Un petit autel a été préparé au pied d’un hêtre. Des branches vertes autour de la planche nue, et, au lieu du Tabernacle, de chaque côté de la croix, les fleurs du jardin le plus proche. Je suis venu ici hier au soir me confesser ; pour la première fois, j’ai reçu debout le sacrement de pénitence. Un autre sacrement, aujourd’hui.
Le temps est brouillé ; avant peu, probablement, il tombera de la pluie. Mais qu’est-ce que la pluie pour celui qui est venu chercher Dieu ? Qu’importe le tonnerre, et la guerre et le monde pour celui qui va voir devant lui la splendeur indicible du Crucifié.
Six heures du matin ; le temps est brouillé. Pas une cloche n’a sonné pour annoncer cette messe, et cependant il y a des gens autour de l’autel de bois. Voici : deux cents Bretons de mon régiment ont eu faim du pain de Dieu, et ils sont venus vers lui. C’est une joie pour le cœur que de les voir là si nombreux. Et si fervents. Ils ont le chapelet à la main, le chapelet aimé des familles de Bretagne.
Je ne me fatigue pas de les regarder : que le visage de mon peuple est beau lorsqu’il est élevé vers Dieu ! Ceux qui veulent savoir ce qu’il y a au fond de l’âme bretonne n’ont qu’à venir aux cérémonies catholiques, là où sont agenouillés les hommes et les femmes de nos paroisses, la lumière de la prière sur leur front. Alors, ils comprendront, peut-être….
Comme le ]udica commence, les canons se taisent. La paix immense de la Forêt se mêle à la paix divine de la Messe, dans cette tiède matinée de Septembre. Du haut des cieux, du haut des arbres, la paix descend sur les gens de guerre. Et tout d’un coup, ils ont perdu leur apparence de guerriers : ils n’y a plus ici que des Celtes venus pour parler à leurs saints, des chrétiens agenouilles devant le Visage adoré du Christ.
Quelle langue parleront-ils ? « Ce serait beau, disais-je, entre Dieu et moi, de marier en ce dimanche la majesté royale de la vieille forêt et la douceur des chants de mon pays. Ce serait faire justice au peuple assemblé ici que de chanter en breton des prières catholiques… » ]e n’ai pas le temps d’y penser plus longtemps, car voici un prêtre soldat, qui passe à travers la foule, distribuant à chacun un livre des Cantiques de Cornouaille. Il était écrit par Dieu que j’aurais eu, ce matin-là, toutes les joies.
Au commencement de toutes choses, quand le premier père du monde n’était encore qu’argile au milieu de l’argile, Dieu éleva à Dieu trois cathédrales : la mer, la forêt, la montagne. Il n’y a pas de sanctuaires qui leur soient comparables, et depuis qu’il y a sur la Terre, un homme – une douleur- c’est de ces sanctuaires-là que sont venues à Dieu les prières les plus ferventes. Je l’ai bien vu en pleine mer ; je l’ai reconnu au sommet de plus d’une montagne ; je le comprends dans la forêt aujourd’hui. Ces trois lieux crient le nom du Créateur, et ils arrachent une prière du cœur le plus endurci, comme l’étincelle du silex. Nul tableau ne vaut un tableau signé par Dieu.
Les voici qui montent, nos prières, nos chants. Si aisément, si doucement ! Les larmes m’en viennent aux yeux. Pourquoi ont-ils choisi aussi, pour le chanter ce matin, le chant que j’aime par dessus tous les autres, le plus beau des chants de la Terre : Le « Cantique du Paradis », a annoncé le prêtre, et nous laissons alors nos pensées s’envoler avec cet air si beau, pour monter jusqu’à l’ éternelle cathédrale, jamais achevée, qui demeure dans les rêves des Celtes, et où nous mettons avec la Vierge et les Saints, tous ceux que nous avons aimés sur les chemins de ce monde, sous le regard plein de bonté du Dieu de nos Pères, Jésus.
Regardez les regards de ces gens. Ils ont oublié la forêt, la guerre et la misère ; ils n’ont plus d’autre pensée que Dieu qui est là, qui va descendre en eux bientôt…
Il descend. Sans bruit, lentement, les deux cents Bretons s’ approchent de l’Hostie, reçoivent l’Hostie, s’en retournent avec l’Hostie. Chacun ne s’occupe que de soi à ce moment, et on ne reste pas à regarder son voisin. Chacun à ses besoins à dire au Père, chacun quelque peine particulière à verser dans le cœur de l’Aimé. Cependant puisqu’ils sont catholiques, leurs prières sont unies, sont une. Je vois les demandes de ces hommes s’élever au-dessus de l’armée, monter vers le Trône de Dieu comme une supplique pour le pays. – Je vois les anges légers la remettre aux Saints de Bretagne, aux Saints de France, je vois le Seigneur pencher Sa Tête sur notre coin de terre et écouter….
La Messe est terminée. « lte….. » Allons à notre travail, soldats…. Voulez-vous connaître la beauté du visage humain ? Regardez-le après une communion.
Première diffusion de cet article le 11/11/2013
Pensons aussi à tous ces hommes de chaque camp qui, un soir de Noel, ont voulu faire la paix. Pour avoir voulu la paix, dans les deux camps, les hommes ont été fusillés ou déportés sur d’autres front, accusés de trahison et de connivence avec l’ennemi.
« De pauvres gars sont allé tuer d’autre pauvres gars qu’ils ne connaissaient pas, pour la gloire et l’argent de personnes qui eux, se connaissaient ».
Ces soldats fusillés étaient sans le savoir visionnaires, car ils savaient que seul la paix est constructive. Mais, pour cela, il faut respect et écoute de part et d’autre. Ces soldats l’ont montré, à l’époque, et leurs chefs auraient dû les prendre en exemple. Nous n’aurions pas alors en Europe atteint ces sommets dans la boucherie humaine.