La crucifixion de l’église de Pont-Scorff

Amzer-lenn / Temps de lecture : 25 min

Ce dimanche 20 Octobre 2019, la fraternité Saint Patern du Tro-Breiz était à Pont Scorff dont la municipalité, soucieuse de son patrimoine immobilier comme de son patrimoine mobilier tout aussi conséquent, a fait restaurer, en 2012, sur l’initiative et aux frais de l’Association de Sauvegarde des Chapelles de la commune, par l’Atelier de Restauration et de Conservation de Œuvres d’ART, siglé :  « ARCOART », animé par Magalie Troy, une de ses administrées, une crucifixion majestueuse – 2m x 3 = 6 m² – et magistrale que l’on peut admirer maintenant dans le transept sud de l’église paroissiale.

A la fin des années 80 du siècle précédent, lorsqu’il a été décidé de restaurer la petite chapelle de Saint Servais au bord de la route de Quimperlé, le tableau qui s’y trouvait a été descendu. Ses dimensions ne lui permettant pas de franchir la porte, la toile a été déclouée, pliée et rangée dans un sac de jute. C’est dans cet état que Madame Troy l’a réceptionnée 30 ans plus tard.

Photo Fe de Nante, tro-breiz, frat St Patern, journée du 20/10/2019

Dieu merci, le tableau n’avait pas été totalement oublié de tout le monde et, conscient de sa qualité, c’est un budget de 50.000 € qui a été proposé par la municipalité propriétaire, couverte par  l’Association de Sauvegarde des chapelles pour sa restauration et Madame Troy a accepté le challenge : c’en était un, un véritable défi qui lui aura coûté, à elle et à une 12aine de ses élèves qui se sont succédés sur le chantier, plus de 2.000 heures de travail… Mais quand on aime, on ne compte pas ! Le salaire ne s’évalue pas uniquement en monnaie : voyez le résultat !

Son remarquable travail a été récompensé en 2013 par le 1° prix du concours « mains et merveilles en Morbihan », voyez :

I – Description

Contrairement aux apparences, le pli qui court tout le long de la toile à quelques dizaines de centimètres du bord, n’est pas la trace d’une pliure traduisant l’existence, un moment donné, d’un châssis de dimensions réduites, mais celle d’une couture grossière effectuée à la manière des gabiers locaux pour renforcer les laizes de lin par une solide bande de toile cachoutée comme on savait si bien le faire à l’époque sur les rives du Scorff comme du Blavet.

  1. A) Le christ en croix est le sujet principal et presqu’unique du tableau : il apparait en pleine lumière, d’autant plus crue que l’arrière-plan est plongé dans les ténèbres seulement animées d’un sinistre disque rouge à droite et barrées d’une lueur mauve qui traverse la largeur du tableau à la hauteur des hanches du crucifié. La ligne d’horizon est au pied de la croix, on y aperçoit dans le lointain blafard un dôme et une tour encadrant un clocher pointu : nous sommes en dehors de la ville, de Jérusalem ainsi stylisée, sur une butte nommée « Golgotha » qui signifie « crâne », selon les précisions convergentes des 4 évangélistes : (Mt 27, 33 ; Mc 15, 22 ; Lc 23, 33 et Jn 19, 17).

La croix, de teinte bois naturel, partage verticalement le tableau en 2 parties égales de haut en bas, laissant apparaitre, sous les pieds du crucifié, une sorte d’évidement comme une tache plus claire. La poutre horizontale, le « patibulum », est situé presque tout en haut de la toile, ses extrémités sont à égale distance des bords du tableau. Au croisement avec le « stipes », le poteau vertical : le « titulus ». En règle générale, il était destiné à mentionner non pas le nom du condamné mais le crime ainsi puni. « Ponce-Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix, il portait cette inscription:  » Jésus le Nazôréen, le roi des Juifs.  »  Cet écriteau, bien des Juifs le lurent, car l’endroit où Jésus avait été crucifié était proche de la ville et le texte était écrit en hébreu, en latin et en grec. Les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate :  » n’écris pas « le roi des Juifs « , mais bien « cet individu a prétendu qu’il était le roi des Juifs « .  » Pilate répondit :  » Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit » (Jn 19, 19-22). En effet, les juifs ne concevaient pas d’avoir un autre souverain que Dieu lui-même. Pilate, gouverneur romain de la Judée, ne s’y est pas trompé : c’est bien parce que, « vraiment, cet homme était fils de Dieu » (Mc 15, 39), comme le proclamera ultérieurement son centurion en constatant le décès de Jésus, que les juifs voulaient sa mort !

L’artiste, ici, ne s’est pas contenté du sigle habituel « INRI » : « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs », comme tant d’autres de ses confrères ; il a mentionné intégralement sur un titulus de papier ou de parchemin, en 3 lignes, la seule version en latin « Nazarenus, rex, judaeorum ».

Le crucifié est représenté la tête levée dans un scintillement de lumière dorée évoquant l’auréole traditionnelle, les yeux au ciel : il n’est pas mort, sa tête bien droite ne penche ni  d’un bord, ni de l’autre ; son côté n’a pas été blessé par la lance de Longin : c’est un Christ encore vivant qui est devant nous, crucifié sur la croix, comme un bandit et un esclave.

Sa bouche parait ouverte sur le « grand cri » qu’avant d’expirer il lance à Dieu, son Père : « Elie, Elie, lama sabachtani, ce qui se traduit : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » (Mt. 27, 46 ; Mc. 15,34) et encore « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc. 23, 46). « Tout est accompli » (Jn. 19,30).

Les Évangiles de Marc et Mathieu présentent un Jésus qui meurt dans l’abandon le plus complet. Leur récit est très différent de de ceux de Luc et Jean où Jésus semble contrôler la situation en pardonnant à ceux qui le crucifient ou en dialoguant avec les autres crucifiés. En Marc, Jésus reste muet après sa condamnation par Pilate. Ses disciples, à l’exception notable de Jean, de Marie et des saintes femmes, l’ont tous abandonné. Sur la croix, les seules paroles attribuées à Jésus sont transmises en araméen, sa langue maternelle. On est loin de la crucifixion comme un accomplissement, selon Jean, ou, chez Luc, comme une élévation vers le ciel.

En citant le second verset du Psaume 22 Jésus exprime l’abandon et l’incompréhension qu’il ressent envers Dieu, son Père. Ce psaume commence par un cri de désespoir devant l’angoisse de la mort, mais il se termine par la découverte de la présence surprenante de Dieu au côté de celui qui crie. Il passe donc de l’abandon à la présence de Dieu, message tout d’espérance :

2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? J’ai beau rugir, mon salut reste loin.

3 Le jour, j’appelle, et tu ne réponds pas, mon Dieu ; la nuit, et je ne trouve pas le repos.

4 Pourtant tu es le Saint : tu trônes, toi, la louange d’Israël !

5 Nos pères comptaient sur toi ; ils comptaient sur toi, et tu les libérais.

6 Ils criaient vers toi, et ils étaient délivrés; ils comptaient sur toi, et ils n’étaient pas déçus.

7 Mais moi, je suis un ver et non plus un homme, injurié par les gens, rejeté par le peuple.

8 Tous ceux qui me voient, me raillent; ils ricanent et hochent la tête :

9  » Tourne-toi vers le Seigneur! Qu’il le libère, qu’il le délivre, puisqu’il l’aime! « 

10 Toi tu m’as fait surgir du ventre de ma mère et tu m’as mis en sécurité sur sa poitrine.

11 Dès la sortie du sein, je fus remis à toi; Dès le ventre de ma mère, mon Dieu, c’est toi !

12 Ne reste pas si loin, car le danger est proche et il n’y a pas d’aide.

13 De nombreux taureaux me cernent, des bêtes du Bashân m’encerclent.

14 Ils ouvrent la gueule contre moi, ces lions déchirant et rugissant.

15 Comme l’eau je m’écoule; tous mes membres se disloquent. Mon cœur est pareil à la cire, il fond dans mes entrailles.

16 Ma vigueur est devenue sèche comme un tesson, la langue me colle aux mâchoires. Tu me déposes dans la poussière de la mort.

17 Des chiens me cernent; une bande de malfaiteurs m’entoure : ils m’ont percé les mains et les pieds.

18 Je peux compter tous mes os; des gens me voient, ils me regardent.

19 Ils se partagent mes vêtements et tirent au sort mes habits.

20 Mais toi, Seigneur, ne reste pas si loin! O ma force, à l’aide! Fais vite!

21 Sauve ma vie de l’épée et ma personne des pattes du chien ;

22 arrache-moi à la gueule du lion, et aux cornes des buffles… Tu m’as répondu!

23 Je vais redire ton nom à mes frères et te louer en pleine assemblée :

24 Vous qui craignez le Seigneur, louez-le! Vous tous, race de Jacob, glorifiez-le! Vous tous, race d’Israël, redoutez-le!

25 Il n’a pas rejeté ni réprouvé un malheureux dans la misère; il ne lui a pas caché sa face ; il a écouté quand il criait vers lui.

26 De toi vient ma louange! Dans la grande assemblée, j’accomplis mes vœux devant ceux qui le craignent :

27 Les humbles mangent à satiété; ils louent le Seigneur, ceux qui cherchent le Seigneur:  » A vous, longue et heureuse vie! « 

28 La terre tout entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur; toutes les familles des nations se prosterneront devant sa face:

29 Au Seigneur, la royauté! Il domine les nations.

30 Tous les heureux de la terre ont mangé : les voici prosternés! Devant sa face se courbent tous les moribonds: il ne les a pas laissé vivre.

31 Une descendance servira le Seigneur; on parlera de lui à cette génération;

32 elle viendra proclamer sa justice, et dire au peuple qui va naître ce que Dieu a fait.

Après le « grand cri », Luc, quant à lui, a entendu un verset du psaume 31, prière toute de confiance, d’espérance et d’action de grâce :

2 Yahweh, en toi j’ai placé mon refuge : que jamais je ne sois confondu!  Dans ta justice sauve-moi!

3 Incline vers moi ton oreille,  hâte-toi de me délivrer!  Sois pour moi un rocher protecteur,  une forteresse où je trouve mon salut!

4 Car tu es mon rocher, ma forteresse,  et à cause de ton nom tu me conduiras et me dirigeras.

5 Tu me tireras du filet qu’ils m’ont tendu,  car tu es ma défense.

6 Entre tes mains je remets mon esprit ;  tu me délivreras, Yahweh, Dieu de vérité!

7 Je hais ceux qui révèrent de vaines idoles : pour moi, c’est en Yahweh que je me confie.

8 Je tressaillirai de joie et d’allégresse à cause de ta bonté,  car tu as regardé ma misère,  tu as vu les angoisses de mon âme,

9 et tu ne m’as pas livré aux mains de l’ennemi;  tu donnes à mes pieds un libre espace.

10 Aie pitié de moi, Yahweh,  car je suis dans la détresse;  mon œil est usé par le chagrin,  ainsi que mon âme et mes entrailles.

11 Ma vie se consume dans la douleur,  et mes années dans les gémissements;  ma force est épuisée à cause de mon iniquité,  et mes os dépérissent.

12 Tous mes adversaires m’ont rendu un objet d’opprobre;  un fardeau pour mes voisins,  un objet d’effroi pour mes amis.  Ceux qui me voient dehors s’enfuient loin de moi.

13 Je suis en oubli, comme un mort, loin des cœurs;  je suis comme un vase brisé.

14 Car j’ai appris les mauvais propos de la foule,  l’épouvante qui règne à l’entour,  pendant qu’ils tiennent conseil contre moi : ils ourdissent des complots pour m’ôter la vie.

15 Et moi, je me confie en toi, Yahweh ;  je dis:  » Tu es mon Dieu! « 

16 Mes destinées sont dans ta main;  délivre-moi de la main de mes ennemis et de mes persécuteurs!

17 Fais luire ta face sur ton serviteur,  sauve-moi par ta grâce!

18 Yahweh, que je ne sois pas confondu quand je t’invoque!  Que la confusion soit pour les méchants!  Qu’ils descendent en silence au schéol!

19 Qu’elles deviennent muettes les lèvres menteuses,  qui parlent avec arrogance contre le juste, avec orgueil et mépris.

20 Qu’elle est grande ta bonté,  que tu tiens en réserve pour ceux qui te craignent,  que tu témoignes à ceux qui mettent en toi leur refuge,  à la vue des enfants des hommes!

21 Tu les mets à couvert, dans l’asile de ta face,  contre les machinations des hommes;  tu les caches dans ta tente,  à l’abri des langues qui les attaquent.

22 Béni soit Yahweh !  Car il a signalé sa grâce envers moi,  en me mettant dans une ville forte.

23 Je disais dans mon trouble : « Je suis rejeté loin de ton regard!  »  Mais tu as entendu la voix de mes supplications,  quand j’ai crié vers toi.

24 Aimez Yahweh, vous tous qui êtes pieux envers lui.  Yahweh garde les fidèles,  et il punit sévèrement les orgueilleux.

25 Ayez courage, et que votre cœur s’affermisse,  vous tous qui espérez en Yahweh !

Pas de cri préalable chez Jean ; avant, comme un point final de sa vie terrestre, le « tetéleutai » de la Septante grecque que la Vulgate traduira par le latin « consummatum est », il met dans la bouche du Christ un verset du psaume 69, « pour que l’Ecriture fut parfaitement accomplie », précise-t-il (19, 28) :

2 Sauve-moi, ô Dieu,  car les eaux montent jusqu’à mon âme.

3 Je suis enfoncé dans une fange profonde,  et il n’y a pas où poser le pied.  Je suis tombé dans un gouffre d’eau,  et les flots me submergent.

4 Je m’épuise à crier; mon gosier est en feu;  mes yeux se consument dans l’attente de mon Dieu.

5 Ils sont plus nombreux que les cheveux de ma tête,  ceux qui me haïssent sans cause;  ils sont puissants ceux qui veulent me perdre, qui sont sans raison mes ennemis.  Ce que je n’ai pas dérobé, il faut que je le rende.

6 O Dieu, tu connais ma folie,  et mes fautes ne te sont pas cachées.

7 Que ceux qui espèrent en toi n’aient pas à rougir à cause de moi, Yahweh, Seigneur des armées!  Que ceux qui te cherchent ne soient pas confondus à mon sujet,  Dieu d’Israël !

8 Car c’est pour toi que je porte l’opprobre,  que la honte couvre mon visage.

9 Je suis devenu un étranger pour mes frères,  un inconnu pour les fils de ma mère.

10 Car le zèle de ta maison me dévore,  et les outrages de ceux qui t’insultent retombent sur moi.

11 Je verse des larmes et je jeûne: on m’en fait un sujet d’opprobre.

12 Je prends un sac pour vêtement,  et je suis l’objet de leurs sarcasmes.

13 Ceux qui sont assis à la porte parlent de moi,  et les buveurs de liqueurs fortes font sur moi des chansons.

14 Et moi, je t’adresse ma prière, Yahweh ;  dans le temps favorable, ô Dieu, selon ta grande bonté,  exauce-moi selon la vérité de ton salut.

15 Retire-moi de la boue et que je n’y reste plus enfoncé;  que je sois délivré de mes ennemis et des eaux profondes !

16 Que les flots ne me submergent plus,  que 1’abîme ne m’engloutisse pas,  que la fosse ne se ferme pas sur moi!

17 Exauce-moi, Yahweh, car ta bonté est compatissante;  dans ta grande miséricorde tourne-toi vers moi,

18 Et ne cache pas ta face à ton serviteur;  je suis dans l’angoisse, hâte-toi de m’exaucer.

19 Approche-toi de mon âme, délivre-la;  sauve-moi à cause de mes ennemis.

20 Tu connais mon opprobre, ma honte, mon ignominie;  tous mes persécuteurs sont devant toi.

21 L’opprobre a brisé mon cœur et je suis malade;  j’attends de la pitié, mais en vain ;  des consolateurs, et je n’en trouve aucun.

22 Pour nourriture ils me donnent l’herbe amère ; dans ma soif, ils m’abreuvent de vinaigre.

23 Que leur table soit pour eux un piège,  un filet an sein de leur sécurité!

24 Que leurs yeux s’obscurcissent pour ne plus voir;  fais chanceler leurs reins pour toujours.

25 Déverse sur eux ta colère,  et que le feu de ton courroux les atteigne!

26 Que leur demeure soit dévastée  qu’il n’y ait plus d’habitants dans leurs tentes!

27 Car ils persécutent celui que tu frappes  ils racontent les souffrances de celui que tu blesses.

28 Ajoute l’iniquité à leur iniquité,  et qu’ils n’aient point part à ta justice.

29 Qu’ils soient effacés du livre de vie  et qu’ils ne soient point inscrits avec les justes.

30 Moi, je suis malheureux et souffrant;  que ton secours ô Dieu me relève!

31 Je célébrerai le nom de Dieu par des cantiques,  je l’exalterai par des actions de grâces ;

32 Et Yahweh les aura pour plus agréables qu’un taureau,  qu’un jeune taureau avec cornes et sabots.

33 Les malheureux, en le voyant, se réjouiront,  et vous qui cherchez Dieu, votre cœur revivra.

34 Car Yahweh écoute les pauvres,  et il ne méprise point ses captifs.

35 Que les cieux et la terre le célèbrent,  les mers et tout ce qui s’y meut!

36 Car Dieu sauvera Sion et bâtira les villes de Juda,  on s’y établira et l’on en prendra possession

37 La race de ses serviteurs l’aura en héritage,  et ceux qui aiment son nom y auront leur demeure.

En bons juifs qu’ils sont, Jésus et les évangélistes connaissent par cœur et prient les Psaumes, un des livres de l’Ancien Testament, ce sont les propre mots de Dieu pour s’adresser à Dieu.

Les bras du crucifié ne sont pas à l’horizontal, mais « en V ». C’est ainsi que, sous l’influence du jansénisme, à la fin de la contre-réforme catholique, issue du concile de Trente (1545-1563) convoqué pour répondre au développement du protestantisme, s’est développé, surtout en France, au milieu du XVII° siècle, une théologie d’origine augustinienne qui privilégie la grâce divine aux œuvres humaines dans l’économie du Salut. Les bras du Christ ainsi représentés illustrent l’hérésie condamnée en 1713 par la bulle « Unigenitus » du pape Clément XI,  selon laquelle le Salut n’est offert qu’à une partie choisie du peuple des chrétiens.

Jésus est retenu au bois de la croix par 4 clous : 2 dans la paume de chaque mains – et non pas  au poignet – 2 aux pieds qui sont parallèles – et non l’un sur l’autre, avec un seul clou – comme il sera d’usage plus tard de le représenter selon les indications anatomiques données par les emplacements des taches de sang  sur le suaire de Turin.

Le mouvement du bassin typique du style baroque issu de la contre-réforme montre la souffrance provoquée par le supplice et permet de dater l’œuvre de la première moitié du XVII° siècle.

Cette représentation  de la crucifixion de l’église paroissiale de Pont-Scorff rappelle celle que Pierre-Paul Rubens (1577-1640) exécuta à Anvers pour l’église des Récollets vers 1610 ; les bras du Christ ne forment plus avec le corps un angle droit proche de l’horizontale mais un angle qui les rapproche de la ligne verticale ; c’est alors une innovation qui sera reprise par la suite, notamment à Pont-Scorff, sous l’influence du jansénisme, mais pas seulement.

On observe, en effet, qu’avec Rubens, les clous ne sont plus enfoncés au milieu des paumes des mains mais à la naissance des poignets : il est vraisemblable que pendant son séjour en Italie, entre 1600 et 1608, l’artiste se soit rendu à Turin où il aura attentivement observé le Linceul du Christ qui y était conservé depuis 1578. Ainsi il ne lui aura pas échappé qu’une importante tache de sang apparait à l’emplacement de l’un des poignets du Christ signifiant qu’il avait été transpercé par un clou et que les coulures de sang le long des avant-bras signifient que le Christ a été crucifié les bras en position haute, proche de la verticale.

Notre artiste scorvipontain devait connaitre Rubens ou son école, mais pas, semble-t-il, l’Italie !…

  1. B) Figurent également au pied de la croix 3 personnages :

1°- A droite, sous un disque rouge, vêtu d’une tunique verte et drapé dans un manteau rouge, un homme représenté de profil,  jeune et imberbe regarde le Christ : c’est saint Jean, « le disciple que Jésus aimait » (Jn 21,7 et 20), le seul parmi tous les apôtres qui ait eu le courage d’assister, jusqu’à la fin, au supplice.

Saint Jean l’Evangéliste est le patron de l’ordre des Hospitaliers de Jérusalem dont un établissement se trouve précisément depuis le XII° siècle à l’extrémité ouest du pont qui traverse le Scorff entre Hennebont et Quimperlé.

2°- A gauche, à moitié dissimulée dans l’ombre, une femme entre deux âges, les mains tendues, paumes en l’air, dans un geste d’offrande, vers le bas de la croix, regarde le spectateur. Est-ce la Vierge, présente à l’exécution de son fils accompagnée des saintes femmes ?

Ainsi seraient représentés les deux personnages auxquels Jésus, avant de rendre, sur la croix, le dernier soupir, s’est adressé dans les termes que seul l’Evangile de Jean nous rapporte : « femme, voici ton fils », puis il dit au disciple : « voici ta mère ». (Jn 19, 27). Ces dernières paroles du Christ à des humains avant de mourir sont fondatrices de l’Eglise dont Jésus avait déjà institué pour chef Simon, fils de Jonas, désormais appelé « Pierre » (Mt 16, 18).

Il y a un antagonisme manifeste entre la représentation de Marie et celle de Jean que la crucifixion de Pont-Scorff a voulu rendre : les deux personnages ont l’air de vouloir s’opposer l’un à l’autre. D’un côté, l’assurance de l’homme, image de l’Eglise naissante, et de l’autre, la faiblesse de la femme meurtrie, à moitié effondrée, vouée à la disparition, allégorie de l’ancienne alliance à laquelle va se substituer la nouvelle. Pour Marie aussi, « tout est accompli ». Elle a conçu, enfanté, élevé ce Fils qu’elle a accompagné jusqu’à la mort, une mort horrible ! « Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui » (Jn 19, 27b). C’est Marie qui va habiter chez Jean et non l’inverse !

En parfaite correspondance avec  le livre de la révélation, l’Apocalypse de saint Jean, le dernier livre du Nouveau Testament et donc de la Bible, le disque rouge au-dessus de la tête de saint Jean représente, non pas le soleil, mais la lune ! « Quand il ouvrit le sixième sceau, il se fit un violent tremblement de terre. Le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune entière comme du sang » (Apo 6, 12). Faisant pendant à la lune rouge-sang, le soleil, noir « comme une étoffe de crin », ne se distingue pas du fond sombre au -dessus de la Vierge. Il n’est guère étonnant que la restauratrice, compte tenu de l’état de la toile, n’en ait retrouvé aucune trace. Evoquant la « Jérusalem céleste », l’Apocalypse précise dans son avant dernier chapitre : « la cité n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine, et son flambeau, c’est l’agneau » (Apo 21, 23)

Dans l’attente de l’avènement de la Jérusalem messianique, nous sommes devant l’image d’un ancien monde qui disparait laissant place à un nouveau plein de promesse : c’est bien d’un véritable acmé dont il s’agit et que l’artiste s’est appliqué à représenter ici.

3°- Entre ces deux personnages, une main quelque peu malhabile, mais soucieuse de satisfaire, sans doute, un commanditaire particulièrement exigeant, est venu tracer la figure d’un moine accroupi dans l’espace laissé libre au pied de la croix. Son bras gauche, disproportionné, vient enlacer la jambe gauche du Christ tandis que sa main droite ouverte montre comme un stigmate de la crucifixion.

Pourtant, assure la restauratrice, ce troisième personnage est bien contemporain des deux autres : il ne s’agit pas à proprement parler d’un « rajout ».

C’est saint François d’Assise (1181-1226) stigmatisé et fondateur, en 1210, de l’ordre des frères mineurs (OFM), autrement dit « franciscains », ordre mendiant et prêcheur.

S’il n’y a pas, à proximité de Pont-Scorff, de couvent franciscain, en revanche on relève dès le XVI° siècle en Bretagne, notamment sur sa côte sud, l’existence des Récollets (« recueillis »), branche alors récemment réformée des franciscains, encore appelés « Cordeliers ».

Ils sont notamment installés sur l’ilot de Sainte Catherine, à Locmiquélic, sur l’estuaire du Blavet et du Scorff, à proximité de Port-Louis où ils assureront jusqu’à la Révolution les fonctions d’aumôniers de l’hôpital et de la marine avant d’assurer des fonctions identiques auprès de la Compagnie des Indes à Lorient ainsi que des missions vers les contrées lointaines desservies par ses navires.

              

Voici deux représentations du Christ en croix avec Saint François d’Assise, à gauche par Antoine Van Dick (1599-1641), élève de Rubens, lui-même copié plus tard par Eugène Delacroix (1798-1863) dont le tableau se trouve dans l’église Saint Jean de Malte à Aix en Provence.

On mesure le talent du fils putatif de Talleyrand à la maladresse de la représentation de saint François d’Assise sur notre crucifixion scorvipontaine que la restauratrice a scrupuleusement respecté. Elle a, néanmoins, pour effet de faire ressortir l’habileté du ou des auteurs tant du corps du crucifié que des mains et des drapés des vêtements de Marie et de Jean.

Nous sommes en plein siècle de l’école mystique bretonne, celle initiée par le vénérable Michel Le Nobletz (1577-1652), suivi de ses disciples : le hennebontais Vincent Huby (1608-1693) et son contemporain le bienheureux Julien Maunoir (1606-1683), tous deux de la compagnie de Jésus, qui verra fleurir des personnalités telles que celles d’Armelle Nicolas (1606-1671), la « bonne Armelle », Marie Amice Picard (1599-1653) et Catherine Danielou (1618-1677), toutes deux stigmatisées, comme le « poverello »

« Ce qui est beau et divin le demeure toujours et le siècle de Lourdes ne paraît pas si réfractaire au miracle. Les catholiques éclairés d’aujourd’hui admettent sans peine, et peut-être plus facilement que leurs pères, la réalité des manifestations extraordinaires — stigmates et autres — que l’on rencontre dans l’histoire d’Amice Picard, mais ils sont fort heureusement et seront de plus en plus persuadés que de tels phénomènes ne constituent ni l’essentiel, ni le plus surnaturel de la vie mystique : ils savent que ces phénomènes qui, d’ailleurs, peuvent avoir, pour la plupart, des causes toutes naturelles, ne font, même chez les saints, qu’exprimer, que traduire plus ou moins gauchement, une merveille uniquement céleste, à savoir l’action de Dieu au profond des âmes », écrivait, en 1923, le Père Henri Bremond, de l’Académie Française, dans sa fameuse « Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours » (tome V « la conquête mystique », chapitre III « la Bretagne mystique » N° 138, note 3).

=> http://www.abbaye-saint-benoit.ch/bibliotheque-monastique/bibliotheque/hisentrelig/volume05/tome05003.htm

Voilà ce qui s’applique à l’auteur de la crucifixion de l’église de Pont-Scorff. Et nos prières, particulièrement celles des psaumes, rejoignent  la sienne, celles de nos pères et de tous ceux qui ont contribués d’une façon ou d’une autre à lui redonner son éclat  et la place qui doit être la sienne.

Quand vous passerez à Pont-Scorff, n’oubliez pas d’aller admirer la crucifixion dans l’église paroissiale, tout à côté de la mairie, « maison des princes », qu’ils soient de Rohan-Gueméné ou de Polignac : vous verrez que la prière vient naturellement !

Si tel avait été le cas de la talentueuse romancière belge, Amélie Nothomb, sûr que son dernier roman : « Soif », paru cet été chez Albin Michel, 162 pages,  17,90 €, aurait été d’une toute autre trempe et n’aurait pas manqué d’emporter haut la main le prix Goncourt  de cette année…

II – D’autres crucifixions

 

Simon Vouet (1590-1649) peint cette Crucifixion, vers 1636 – 1637, tableau central d’un triptyque, avec la Cène et l’incrédulité de Saint Thomas, destiné à la chapelle privée du chancelier Pierre Séguier (1588-1672). Huile sur toile, 216 x 146 cm,  Lyon, musée des Beaux-Arts.

A gauche, de Philippe de Champaigne (1602-1674), peintre de Port-Royal, fief du jansénisme en France, une crucifixion achevée l’année de sa mort, en 1674, pour le couvent des chartreux de Paris, musée du Louvre.

A droite de Jacques Louis David (1748-1825) également inspiré, en 1782, d’Antoine Van Dick

J’ai apprécié cet article : je soutiens Ar Gedour.

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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