La messe dominicale est elle un « rassemblement collectif » ?

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et à ce titre, visée par l’arrêté d’interdiction pris par le Préfet du Morbihan le 1° mars dernier, qui était précisément un dimanche, fête de saint Aubin, évêque d’Angers au VI° siècle, particulièrement honoré à Pont-Scorff, un des lieux présumés de sa naissance, où se déroulait, en la chapelle de Lesbin qui fut, jusqu’à la fin du XIX° siècle, l’église paroissiale, le 1° pardon de l’année …

L’arrêté qui prescrit dans son article 1°) l’interdiction, sous peine des sanctions « prévues par les lois et les règlements » précise l’article 2), « jusqu’au samedi 14 mars 2020 » « dans le département du Morbihan » «  les rassemblements collectifs de quelque nature que ce soit » a été pris au visa de :

  • « la constitution du 4 octobre 1958 »ce qui est rassurant, tout étonné que l’on soit qu’aucun texte d’origine européenne ou supranationale ne soit préalablement invoqué, particulièrement la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, telle qu’on le verra ci-dessous.
  • « la déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789 et notamment les articles 10 et 11

lesquels stipulent : Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Aucune allusion à l’existence d’une liberté de réunion ni à un éventuel péril sanitaire qui viendrait en limiter l’exercice.

  •  « le code civil et notamment l’article 1° »

qui dispose, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 20 février 2004 : les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l’entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures.

En cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l’ordonne par une disposition spéciale.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux actes individuels.

  • « le code pénal »

lequel comprend, pour sa seule partie législative, plus de 727 articles ! …

  • « le code général des collectivités territoriales et notamment les articles L 2212-2 et 2215-1 »

L’article L 2212-2 dans sa rédaction issue de la loi du 20 décembre 2014concerne la police municipale :

La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :

1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des édifices et monuments funéraires menaçant ruine, l’interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des édifices qui puisse nuire par sa chute ou celle de rien jeter qui puisse endommager les passants ou causer des exhalaisons nuisibles ainsi que le soin de réprimer les dépôts, déversements, déjections, projections de toute matière ou objet de nature à nuire, en quelque manière que ce soit, à la sûreté ou à la commodité du passage ou à la propreté des voies susmentionnées ;

2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ;

3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ;

4° L’inspection sur la fidélité du débit des denrées qui se vendent au poids ou à la mesure et sur la salubrité des comestibles exposés en vue de la vente ;

5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure ;

6° Le soin de prendre provisoirement les mesures nécessaires contre les personnes atteintes de troubles mentaux dont l’état pourrait compromettre la morale publique, la sécurité des personnes ou la conservation des propriétés ;

7° Le soin d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces.

l’article 2215-1 concerne l’exercice des pouvoirs de Police par le préfet en cas de défaillance du maire

La police municipale est assurée par le maire, toutefois :

1° Le représentant de l’Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques.

Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l’Etat dans le département à l’égard d’une seule commune qu’après une mise en demeure au maire restée sans résultat

2° Si le maintien de l’ordre est menacé dans deux ou plusieurs communes limitrophes, le représentant de l’Etat dans le département peut se substituer, par arrêté motivé, aux maires de ces communes pour l’exercice des pouvoirs mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 2212-2 et à l’article L. 2213-23 ;

3° Le représentant de l’Etat dans le département est seul compétent pour prendre les mesures relatives à l’ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, dont le champ d’application excède le territoire d’une commune ;

la suite concerne les pouvoirs de réquisition du préfet en cas d’urgence

– le décret 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements ainsi que celui du Président de la République du 10 juillet 2019 ayant nommé le Préfet du Morbihan aux fonctions qui sont les siennes ne comportent de dispositions particulières lui conférant en matière de santé et de salubrité publique des pouvoirs autres que ceux énumérés par les dispositions du code général des collectivités locales ci-dessus exposées.

Mais la question de fond reste posée : qu’est ce qu’un « rassemblement collectif » ?

à partir de combien de personnes y a-t-il « rassemblement » ?

Dans la mesure où seuls les rassemblements « collectifs » sont visés, ceux qui ne présentent pas cette qualité restent donc autorisés, notamment les rassemblements « individuels » ou « isolés », ou encore « particuliers », bref, tous ceux qui ne sont pas « collectifs » ! ….

S’il est bien limité dans le temps (du 1° au 14 mars) et dans l’espace (le département), s’agissant de rassemblements « de quelque nature que ce soit », la généralité d’une telle expression – et son étendue – est de nature à entacher d’irrégularité l’arrêté pris.

En effet, il permet d’interdire la tenue des marchés tout en laissant libre l’accès aux magasins, la circulation des voyageurs dans les moyens de transport dits pourtant « collectifs » (trains, avions, bus…)

Il permet d’interdire la pratique religieuse et l’exercice du culte tout en permettant des réunions sportives ou familiales.

Bref l’appréciation de la nature des « rassemblements collectifs de quelque nature que ce soit » est laissé au soin de chacun selon son propre arbitre, comme l’application du principe dit « de précaution ».

Il s’agit, en effet, d’une atteinte à l’une des libertés fondamentales : celle de se réunir, consacrée par la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par les 58 Etats membres de l’ONU, dont la France, spécialement en son article 20, 1° alinéa : toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.

Ce visa manque cruellement à l’arrêté préfectoral du 1° mars 2020 auquel il est de nature à lui ôter tout fondement véritablement juridique.

Malgré la pluie, le pardon de saint Aubin, dimanche dernier 1° mars à Lesbin, a été particulièrement suivi : Pont-Scorff reste un foyer d’affection, pas d’infection !

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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Un commentaire

  1. Outre l’interdiction de la messe celle des réunions publiques est particulièrement problématique en cette période de campagne électorale. Dans nos communes morbihannaises, comme les candidats ne débattent pas sur LCI ou BFM, les réunions publiques sont un élément important, et rassemblent une part non négligeable des électeurs. On va donc avoir des élections quasiment sans campagne électorale les 2 dernières semaines, à part les tracts. La logique démocratique voudrait que si la campagne électorale est réduite à pas grand-chose, les élections soient repoussées de quelques semaines.
    Ces interdictions se justifient dans les communes les plus touchées, autour d’Auray, mais dans tout le département, c’est exagéré, surtout quand cela met en cause des droits fondamentaux comme la liberté de culte et de réunion, la messe n’est pas un match de foot ou une soirée karaoké.

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