La révolte des Bonnets rouges et les enclos paroissiaux

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

bonnets rouges,révolte,actualité,bretagne,breizh,bonedoù ruz,sebastian ar balp,histoire de bretagne,enclos paroissiaux,clochers décapités,bigouden,istor breizhNombreux sont les sites qui évoquent en ce moment la Révolte des Bonnets Rouges. Un épisode qui, il n’y a encore pas si longtemps, était oublié de beaucoup, excepté peut-être de quelques férus d’Histoire, ou encore des amateurs de bières qui apprécient le breuvage aux baies de sureau concocté par la brasserie Lancelot et qui porte le nom de “Bonnets Rouges” , à l’étiquette montrant Sebastian ar Balp et ses compagnons.

La “Révolte des Bonnets Rouges – Le Retour” a le mérite de faire un cours d’histoire à tous ceux qui, Bretons ou non, n’en avaient jamais entendu parler. Et pour cause : peu nombreux sont ceux qui connaissent l’Histoire de Bretagne, épisodes oubliés des cours d’Histoire de France. Ca pourrait donner des idées, qui sait ? Donc pfuitttt ! Orwell n’a qu’à bien se tenir face à ce devoir de non-mémoire.  L’avantage, disions-nous, c’est que les événements actuels permettent une réappropriation de l’Histoire bretonne commune dans une certaine unité, pour un avenir commun faisant fi des clivages savamment entretenus jusqu’ici, et dont nombre de médias franco-jacobins sont les hérauts. Ceux qui croient simplement qu’il s’agit d’un mouvement agité par des extrêmes ou des corporatismes n’ont sans doute rien compris à la chose bretonne ou le feignent. 

Les articles foisonnent sur ce sujet, et nous vous avons proposé d’en découvrir un précédemment. AR GEDOUR ne pouvant ignorer cette forte actualité mais souhaitant aborder celle-ci sous d’autres angles, après avoir relayé le billet de Mgr Centène, nous vous proposons aujourd’hui de vous pencher sur l’aspect historique et un aspect qui n’est que peu souligné, en rapport avec notre ligne rédactionnelle : les clochers rasés à coups de canon car ayant servi à sonner le tocsin de la Révolte. Il n’est d’ailleurs pas anodin de souligner que le tocsin sonné à Carhaix le 16 octobre dernier (MAJ : et aujourd’hui à la cathédrale de Quimper) fait suite à cet épisode. 

Plutôt que de refaire un énième article, nous vous proposons ici un texte déjà bien fouillé sur le sujet (trouvé ici) et qui met aussi en avant le fameux code paysan, qui passe à l’arrière-plan de cette révolte anti-fiscale soulignée par les médias. 

 

Préambule

Les enclos paroissiaux ont traversé l’histoire, le plus souvent sans dommages mais quelques fois les événements, les guerres, les révoltes ont laissé des traces. La révolte des bonnets rouges fait parti des faits historiques directement liés à la vie des enclos paroissiaux. Dans un premier temps remontons le temps et découvrons cette révolte avec Erwan Chartier

 

L’histoire de la révolte des bonnets rouges

« Cette révolte appelée aussi révolte du papier timbré fut l’une des plus sanglantes de l’histoire de la Bretagne. En 1673, Colbert veut lever de nouveaux impôts en Bretagne: la gabelle et le papier timbré (qui taxe tout document officiel). Or, depuis l’union de la France et de la Bretagne en 1532, tout nouvel impôt doit être accepté par les Etats généraux de Bretagne. Bien sur, ceux-ci s’opposent à cette taxe supplémentaire mais Louis XIV passe outre.

Dans un contexte économique difficile, la contestation s’étend aux campagnes bas-bretonnes. L’explosion a lieu à proximité de Châteaulin le 9 juin. La révolte des Bonnets rouges du Poher et des Bonnets bleus du pays bigouden vient de commencer. Son souvenir et celui de la répression qui suivra, va marquer durablement les esprits en Basse Bretagne.

 

Le 9 juin 1675 au matin, le marquis de la Coste, lieutenant du roi pour la Basse Bretagne, se rend à Châteaulin, où il doit s’assurer du maintien de l’ordre et de l’exécution des nouveaux édits sur le tabac et le papier timbré qui servait à rédiger les actes

Quelques jours plus tôt, un huissier avait été molesté dans cette même ville, alors qu’il lisait les textes des édits. Un incident révélateur de la tension qui était alors perceptible dans les campagnes bas-bretonnes, même si elles sont relativement calmes par rapport aux villes de Bretagne, secouées par de violentes émeutes depuis avril. Des troubles ont éclaté à Saint-Malo et Lamballe. A Guingamp et à Nantes, on a exécuté des meneurs. A Rennes, le gouverneur de Bretagne, le duc de Chaulnes, est pratiquement assiégé dans son hôtel.

 

Le tocsin sonne

Dans ce contexte, la venue du marquis de la Coste est perçue comme une provocation. Dans trente paroisses autour de Châteaulin, le tocsin retentit et des bandes de paysans en armes s’assemblent.
L’une d’elles rencontre le cortège du marquis. Les esprits s’échauffent et De la Coste blesse d’un coup d’épée un des paysans qui tenait des propos insolents. Les agents de l’administration sont aussitôt pris à parti. Blessé d’une balle à l’épaule, le marquis de la Coste ne doit son salut qu’en promettant l’annulation des édits. Au même moment, une autre troupe rassemblée à Briec reçoit une fausse information selon laquelle le marquis se trouve au château de la Boissière à Edern. Des dizaines de paysans des paroisses de Landudal, Trégourez et Plogonnec se rendent au château qu’ils pillent et brûlent en partie.

 

“Nulle sûreté par la campagne”

Le tocsin de la révolte vient de sonner dans l’évêché de Cornouaille et son retentissement est immédiat. Le duc de Chaulnes quitte Rennes pour la citadelle de Port-Louis où il s’enferme en attendant des troupes en provenance du sud de la France. De Gonville, commissaire des guerres, écrit à Louvois, ministre des armées : “Il n’y a, Monseigneur, nulle sûreté par la campagne, il n’y a que les plus proches de Brest où le calme est”. Les insurgés du Poher choisissent un bonnet rouge comme signe de ralliement, ceux du pays bigouden, un bonnet bleu.

Le premier dimanche de juillet 1675, à Spézet, une foule importante se rassemble devant la maison du notaire Porcher. “Ils se mirent à fouiller toute ladite maison et à esfondrer les coffres, armoires et autres meubles”, témoigna Ysabeau Bouriquen, la servante de maître Porcher. Quant au papier timbré, servant aux actes notariaux, “après les avoir fait trier, ils en déchirèrent une grande partye et en emportèrent à brassées, hors ladite maison”.
Le 11 juillet, près de 6.000 paysans de Saint-Hernin, Kergloff et des paroisses environnantes prennent d’assaut le château de Kergoat à Saint-Hernin, dont le propriétaire, Toussaint de Trevigny, était connu pour sa dureté contre les paysans et avait déjà eu affaire, ponctuellement, à des actes de révolte. Les insurgés tuent l’intendant, le sieur de Kervilly, et plusieurs serviteurs. Les tires et parchemins sont détruits, les canons enlevés et le château brûlé. En ce mois de juillet 1675, les notaires, les “fermiers du devoir ” et les nobles sont partout attaqués et le papier timbré brûlé. La révolte passée, la marquise de Montgaillard de Poullaouen, estimera “à plus de 200 maisons de noblesse”, le nombre de manoirs et châteaux pillés.

 

Le code paîsan

Le code paîsan ou code “pesovat” (ar pezh ‘zo vat, ce qui est bon, en breton) est une des originalités de cette révolte. Véritable programme politique, les insurgés y exposent leurs revendications. Ils demandent l’abolition de droits et taxes féodales et une justice équitable.
Le code paîsan étonne l’Europe, l’ambassadeur de Venise en France en fait mention, comme certaines gazettes hollandaises et anglaises. C’est un texte bien construit, écrit sans doute par un ou plusieurs juristes.

 Le 2 juillet 1675 à la chapelle Notre-Dame de Tréminou, en Plomeur, quartier général des insurgés, les représentants des paroisses soulevées se réunirent et rédigèrent le “code paysan”. Ce “règlement” fait par les nobles habitants de quatorze paroisses depuis Douarnenez jusqu’à Concarneau provient des paysans les plus instruits et les plus modérés qui ont rédigés les cahiers de doléance de 1789.

Or, le meneur le plus célèbre des Bonnets rouges, Sébastien Le Balp, a eu une formation de juriste. Né en 1639, à Poullaouen, il fut remarqué très tôt par le marquis du Tymeur qui l’envoya faire du droit à Nantes. Revenu dans le Poher, Le Balp s’installe comme notaire royal à Kergloff. Accusé de malversations, il est jeté en prison de 1673 à 1675. Il est relâché faute de preuve, à la veille de l’insurrection.

 

Sébastien Le Balp à la tête de la révolte

La révolte en centre Bretagne va trouver un chef dans ce notaire à la réputation ruinée. Les événements passés, un des bourgeois de Carhaix témoigne qu’il s’était “acquis une telle réputation parmi les paysans révoltés […] qu’il s’était fait passer pour le chef, que lesdits révoltés suivaient entièrement ses ordres pour sonner les tocsins, pour s’attrouper et s’assembler où il voulait, que pendant la sédition, il a été le premier en tête, à tous les incendies, pillages et désordres”. Le comte de Boiséan, gouverneur de Morlaix, ne s’y trompe pas en écrivant, le 26 juillet, au marquis de Montgaillard : “Je crois que s’y pouviez gagner leur chef ou lui faire couper la gorge, tout ce parti se réduirait en fumée”. Le marquis de Montgaillard qui entretient des rapports ambigus avec les insurgés, était en effet arrivé par ruse à les dissuader de marcher sur cette ville. La prise du port de Morlaix aurait permis aux Bonnets rouges de recevoir le renfort d’une escadre hollandaise qui croisait alors dans la Manche.
En représailles, le manoir du Tymeur en Poullaouen, appartenant à Montgaillard, est pillé et en partie brûlé. Mais Le Balp ne rompt pas ses relations avec le marquis. En effet, les insurgés savent que des troupes royales sont en route pour la Bretagne. Or, pour espérer leur résister militairement, il leur faut un professionnel de la guerre. Sébastien Le Balp tente de persuader Montgaillard, ancien officier de l’armée royale, de prendre la tête des troupes insurgées.

 

Le Balp tué à Poullaouen

Sébastien Le Balp entend réunir 30.000 hommes en armes le 3 septembre au manoir du Tymeur. Il compte ensuite marcher sur Carhaix et Quimper, puis affronter les troupes du duc de Chaulnes. Arrivé au Tymeur la veille au soir, avec 2.000 hommes, Sébastien Le Balp s’isole pour s’entretenir avec le marquis de Montgaillard et le frère de celui-ci. Mais ce dernier, vers minuit, s’empare d’une épée et transperce la gorge du chef des insurgés. Les deux nobles parviennent ensuite à s’enfuir en semant la confusion chez les Bonnets rouges complètement démoralisés par la mort de leur meneur. Dans le même temps, les troupes fraîches qu’attendait le duc de Chaulnes arrivent en Bretagne. Le 1er septembre, elles sont à Quimper, du 4 au 18 dans le Poher, le 20 à Morlaix, le 12 octobre, elles pénètrent dans Rennes. En l’absence de rébellion organisée, l’expédition se transforme en promenade de santé pour les troupes royales. Pour les habitants des paroisses révoltées, en revanche, c’est le début d’une longue épreuve.

 

Une répression sans pitié

Les meneurs qui sont capturés sont pendus aux clochers ou aux arbres bordant les châteaux pillés par les rebelles. Au milieu de la répression, le duc de Chaulnes a cette phrase terrible : “Les arbres commencent à avoir le poids qu’on leur donne”. Plusieurs clochers du pays bigouden qui avaient sonné le tocsin de la révolte sont rasés. Ceux de Lanvern, Languivoa en Plonéour-Lanvern et Lambour à Pont-l’Abbé n’ont jamais été reconstruits.  A Rennes, un faubourg est entièrement rasé et les Etats de Bretagne, réfugiés à Vannes, sont obligés de verser une contribution de trois millions de livres au trésor de guerre, une somme colossale. La reprise en main est aussi idéologique avec les missionnaires du père Maunoir, envoyés ré-évangéliser les campagnes rebelles. Quant au corps de Sébastien Le Balp, il est exhumé. On fait un procès à son cadavre qui est ensuite traîné sur une claie, rompu et exposé sur une roue. Après avoir soufflé le temps de l’été 1675, la révolte des Bonnets rouges s’éteint tragiquement dans une longue répression ».

Erwan Chartier

 

Les enclos après la révolte des bonnets rouges

A la suite de la révolte des Bonnets Rouges en 1675 qui vit 14 paroisses de Basse Cornouaille se liguer et proclamer unebonnets6.jpg charte, le “Code Paysan”, le pouvoir, entre autres représailles, décida la décapitation de la flèche de 6 clochers : les églises paroissiales de Tréguennec, Combrit (reconstruit en 1774) et Lanvern, les églises tréviales de Lambour et Saint Honoré et l’église chapelaine de Languivoa.

Pour la petite histoire, malgré un “petit” décalage de date, la légende raconte que les bigoudènes auraient élevé leurs coiffes en signe de révolte contre les flèches des clochers abattus par le roi Louis XIV  !

 

Plus d’informations sur http://p.ribot.free.fr ou sur La révolte du Papier Timbré

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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2 Commentaires

  1. On lit dans cet article: “La reprise en main est aussi idéologique avec les missionnaires du père Maunoir, envoyés ré-évangéliser les campagnes rebelles”. Je n’ai pas le temps de développer, mais je dirais seulement que faire du père Maunoir et de ses missions, et en même temps de la Foi catholique, le vecteur des dragonnades de Louis XIV, est non seulement méconnaitre l’histoire, mais aussi ignorer le fruit spirituel de ces missions, qui ne furent aucunement instiguées pour lutter contre des Bretons “rebelles”. Si le père Maunoir a pu appeler au calme, ce ne fut qu’une aspect ponctuel de ses courses missionnaires et aucunement l’une des armes de la contre-réaction féroce (pas moins impie que les “rebelles”) de l’Etat français. Et quand des gens s’entretuent, le chrétien ne peut que condamner le fait: cela ne veut pas dire qu’il cautionne le pouvoir en place.

  2. Bonjour Malo,
    Nous vous remercions pour votre commentaire. Notez que nous avons cité Erwan Chartier “in extenso” et que nous ne souhaitions pas le censurer, son article étant de qualité dans l’ensemble. Vous avez évidemment raison sur ce point, mais vous soulignez une seule phrase sur l’ensemble de l’article. L’idée n’était pas tant de polémiquer sur ce passage que d’éclairer le lecteur sur les faits historiques. Nous osons espérer que sur le reste vous êtes en phase avec celui-ci.
    Quant au travail du Père Maunoir, si le fruit spirituel est évidemment à connaître (et pourquoi pas destiné à nous inspirer), nous invitons nos lecteurs à se pencher sur nos articles passés et à venir, ainsi que sur les deux ouvrages réalisés par Fanch Morvannou, somme considérable sur l’oeuvre du Père Maunoir. Pour en revenir à ce que vous soulignez, remarquons que Fanch Morvannou dit, en page 344 du Tome 2, que “le Père Maunoir fut donc à la fois agent de soumission de paroisses mutinées qui, dès lors, furent graciées, et témoin de la miséricorde divine tout près de ceux dont le sort final fut de perdre la vie suspendus à un arbre par une corde…”
    Un chapitre complet est dédié à cette période, où tout n’est pas noir ou blanc…

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