L’Art sacré breton, reflet de l’âme bretonne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

« Exalté par les uns comme exquisément naïf, rabaissé par les autres comme trop rude, ce qu’il inspire le moins, c’est l’indifférence. Ce qui l’impose à l’attention, c’est son abondance, son absolue ingénuité, son adaptation singulière à la figure du pays qu’il décore, le témoignage qu’il porte de l’âme infiniment nuancée du peuple breton. Car voilà bien son caractère essentiel : c’est un art populaire ».

Dans son ouvrage phare, Henri Waquet définissait en quelques lignes d’introduction cet art breton si particulier : il n’est ni le plus fastueux, ni le plus exubérant, ni le plus connu. Simple, sobre, humble et parfois rude, autant de qualificatifs qui peuvent définir cet Art sacré breton au fil des siècles. Du moins, jusqu’au renouveau initié au début du XX°Siècle autour du mouvement Ar Seiz Breur, qui regroupa jusqu’à 50 artistes comme Xavier de Langlais, Jeanne Malivel, René-Yves Creston et tant d’autres.

Peu de traces romanes

Alors que le Royaume de France se couvre « d’un blanc manteau d’église » au début du XI° Siècle et se développe l’art roman pour les nouvelles constructions, la Bretagne semble plus lente à suivre la nouvelle dynamique, à quelques exceptions près comme dans certaines abbayes comme celle de Saint Gildas de Rhuys, l’église Saint-Tudy de Loctudy, l’abbatiale Sainte Croix de Quimperlé ou encore l’église Saint Pierre de Fouesnant. De fait, comme le soulignait Prosper Mérimée, il ne subsiste que peu de traces d’art roman en Bretagne : « L’église de Loctudy est un des rares monuments de style roman qui subsiste encore en Bretagne. ». Roger Grand, dans son ouvrage l’Art roman en Bretagne, analysait les différentes causes de la disparition des monuments de cette époque romane, à commencer par les invasions normandes, les incendies et catastrophes, mais surtout une grande ferveur populaire et un fort esprit de clocher. Ainsi, l’absence constatée aujourd’hui n’est-elle pas intrinsèquement la preuve d’une inexistence historique, mais peut également souligner l’évolution et l’intérêt constant des bretons pour la beauté de leurs chapelles, églises et autres monuments.

L’âge d’or de la Bretagne

Il faut attendre la fin du XIII° et début du XIV°Siècle pour voir réellement se développer l’art gothique en Bretagne, avec ce qu’Henri Waquet nommait « le développement du voûtement des églises »[1], notamment par le voûtement en bois que l’on retrouve si souvent en Bretagne. Les voûtes en pierre n’ont effectivement pas eu le même succès que d’autres provinces, « peut-être parce que les matériaux les plus utilisés, comme le granit ou le kersanton, ne se prêtaient pas aisément à l’appareillage des arcs et des voûtains »[2]. Ces voûtes, très souvent lambrissées, sont souvent peintes et ornées par des artistes locaux dans un style très traditionnel, tout comme les sablières par exemple : « Les réalisateurs ne se distinguent pas vraiment de leur public. Il n’y a pas en Bretagne un seul de ces “démiurges prométhéens” chers à l’histoire de l’art, d’artiste au génie créateur tel qu’il puisse imposer ses conceptions à un public subjugué. […] Il me semble donc que la Bretagne a connu, entre 1530 et 1670 environ, une période de création artistique tout à fait exceptionnelle par son lien avec la population, par son enracinement dans la culture et la sensibilité du plus grand nombre où figure encore une large part du clergé et de la noblesse de campagne. »[3]

Cet âge d’or artistique s’est également exprimé dans le développement des lambris peints à partir de la fin du XV°Siècle, que l’on peut retrouver dans de nombreux édifices bretons. Les plus connus sont probablement les lambris de la Chapelle Notre-Dame du Tertre de Châtelaudren, où le visiteur pourra s’extasier devant les 138 panneaux peints entre 1430 et 1470, 96 panneaux dans la nef centrale et 36 dans la chapelle Sainte Marguerite. Mais d’autres exemples peuvent être donnés, comme le Chœur du Couvent des Ursulines de Morlaix, la chapelle de Crénénan ou encore la chapelle Notre Dame de Carmès à Neulliac (56), où furent retrouvés il y a quelques années les panneaux de lambris du XV°, sous le lambris du XVIII°Siècle.

Les peintures murales se développent également, à commencer par les Danses macabres et le Dit des trois morts et des trois vifs, que l’on peut retrouver dans l’Eglise Notre Dame de Kernascléden (56) ou à la chapelle de Kermaria an Iskuit de Plouha (22), mais l’une des fresques les plus remarquables est celle de l’église Saint Gal de Langast, où les restaurations des années 1980 ont permis de découvrir une fresque magnifique représentant des anges et des saints dont Saint Michel, selon un style unique et inédit.

De même, les vitraux et verrières s’étoffent et se décorent partout en Bretagne. Dans le pays de Rennes, certains vitraux témoignent d’une belle technique artistique, comme ceux de la chapelle des Iffs ou les vitraux de la Résurrection (1540) et de la Transfiguration (1540) à Louvigné de Bais. En Finistère, on peut également citer les vitraux de l’Assomption de la Vierge en la chapelle Notre-Dame du Crann en Spézet ou le vitrail du Jugement dernier de l’Eglise Saint Thurien de Plogonnec (1500) : le trait reste simple mais précis, à l’image de l’art sacré breton du XVI°Siècle.

Ensuite, du XVII° au XIX° Siècle, c’est l’effervescence artistique, avec de splendides retables comme celui de Sainte Anne à Commana (1691), souvent considéré comme l’un des plus beaux de Bretagne, ou celui du Rosaire à Locronan (1660) ; de nombreuses sculptures sur bois, avec notamment le Saint Sépulcre (1702) et la chaire à prêcher de Saint Thégonnec ou encore les buffets d’orgue, comme ceux de Robert Dallam (Quimper en 1643, Saint Pol de Léon et Lanvéllec) ou Florentin Grimont (Carnac). L’art sacré breton côtoie l’art sacré en Bretagne : les influences sont nombreuses, les écoles s’entrecroisent et s’enrichissent, et il serait vain de vouloir dénombrer toutes les œuvres réalisées pendant ces trois siècles.

La fin du XIX° et surtout le début du XX°Siècle marque un certain essoufflement artistique, même si de belles œuvres continuent à voir le jour, de manière plus sporadique. Les guerres mondiales, l’anticléricalisme et la pauvreté ont directement impacté l’art sacré breton, qui voit dans l’avènement du mouvement des Seiz Breur, mené par Jeanne Malivel, un espoir pour le XX°Siècle. Malheureusement de courte durée (voir article dédié dans ce numéro), cette belle initiative des artistes catholiques bretons aura prouvé que l’âme catholique bretonne, s’exprimant par son art, n’a parfois besoin que d’une impulsion pour retrouver toute sa superbe.

[1] L’Art Breton, Tome 1, p50

[2] Décor peint et iconographie des voûtes lambrissées de la fin du Moyen Âge en Bretagne, Barral I Altet, Javier, 1987

[3] CROIX, L’Âge d’or de la Bretagne, 1532-1675, 1993

Article précédemment publié dans Kroaz ar Vretoned (2022) – Tous droits réservés KaV – Ar Gedour

À propos du rédacteur Augustin Debacker

Augustin Debacker a été directeur de publication du mensuel Kroaz ar Vretoned de 2021 à 2023, version actualisée d’un hebdomadaire qui fut publié en breton entre 1898 et 1920.

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