LE FOLGOËT, SANCTUAIRE D’EXCEPTION

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

Art et histoire, légende et spiritualité, discrètes visites ou foules des grands pardons… tout cela est mis en lumière dans cet ouvrage.

La précision des textes – qui scrutent les traces du passé en leur posant les questions d’aujourd’hui – fait écho à la beauté d’images enluminés, sculptures, vitraux ou gravures… et photographies anciennes d’une richesse inestimable.

Heureuse idée, d’avoir enfin publié aux Editions Coop-Breizh(1) une sorte d’anthologie de la basilique Notre-Dame du Folgoët car, hormis des livres moyens et des livrets qui datent, il n’existait aucun ouvrage d’importance sur le sujet.

Depuis bientôt 600 ans, la renommée du Folgoët a largement dépassé les limites du pays de Lesneven. Le culte de la Vierge a d’abord attiré les pèlerins des alentours ; à partir de 1420, les faveurs des ducs de Bretagne lui ont conféré une flèche de granit et une parure gothique exceptionnelles. À l’ombre de la haute flèche de granit, les foires aux chevaux ont drainé les foules jusqu’au milieu du XXème siècle. Le pèlerinage lui-même a connu un nouvel âge d’or à la suite du couronnement de la statue de kersanton en 1988. Au long du XXème siècle, Le Folgoët a attiré des rassemblements très divers, de caractère plus politique ou culturel. Parallèlement, l’essor du tourisme en a fait l’un des hauts lieux les plus fréquentés du Léon.

Remercions donc les auteurs, principalement Monsieur Louis Elégoët et Monsieur Georges Provost de nous avoir gratifiés d’un excellent ouvrage sur ce « sanctuaire d’exception », pour reprendre le sous-titre de la couverture.

Dans cette brève recension, il ne saurait être question d’analyser, tant par ses textes que par son iconographie, la richesse de l’ouvrage. Nous laissons donc aux lecteurs intéressés le soin, chapitre par chapitre, de cheminer dans cette belle histoire qu’est la basilique de la « Madone du Léon », une histoire qui est aussi un résumé de l’histoire de Bretagne, du Moyen-Age breton, et du vandalisme iconoclaste de la Révolution.

Nous limiterons donc notre avis à l’époque moderne. C’est d’ailleurs cette iconographie, du moins pour celle concernant les années 1900 à 2000, soit un siècle, qui nous donne notre sujet. Elle est parlante de la grande mutation qu’a subi le Pardon du Folgoët, une mutation qui d’ailleurs a aussi affecté tous les sanctuaires bretons, une métamorphose qui, pour reprendre le titre d’un ouvrage, faisait dire que « Dieu en Bretagne changeait », en même temps que la société bretonne se francisait.  Le regard porté sur cette iconographie, et d’ailleurs les textes eux-mêmes ne le nient guère, témoigne d’un grand appauvrissement du Pardon au détriment des fastes d’antan qui étaient en osmose avec une foi populaire et bretonne authentique. En 1975, le prêtre Michel Scouarnec, se demandait s’il n’était pas nécessaire de « faire table rase de pratiques vieillottes, ou plutôt de les garder, par respect pour une culture dont les traces ne s’effacent pas d’un coup de balai et qui peuvent être porteuses d’une réévangélisation ? Toute violence faite aux rites et aux symboles, peut être destructrice ». C’est pourtant cette voie qu’une majorité du clergé, mais aussi de laïcs, tout émoustillés par les changements post-conciliaires (réformes liturgiques), vont prendre sans état d’âmes. Une voie qui va se révéler destructrice pour la foi, la pratique religieuse, les vocations… mais aussi pour la langue et les traditions bretonnes à l’église, y compris dans les Pardons, par l’usage quasiment exclusif du français au détriment du breton (cantiques bretons) et du latin (chant grégorien).

Le Pardon du Folgoët est dans ce sens un cas d’école, et témoigne d’un diocèse jadis exemplaire par sa foi, sa bretonnité, voyant aujourd’hui à l’instar d’autres diocèses des églises vides et désertées par cette âme bretonne qui les rendaient si vivantes. Il y a encore l’écrin, mais il est vide, et s’il attire encore les foules de pèlerins, sans préjuger de leurs motivations spirituelles, là encore, on ne perçoit guère cette âme bretonne qui peine à émerger d’une foule devenue cosmopolite indifférente aux reliquats de traditions vénérables qui ne revivent, presque artificiellement, que le temps d’une journée de Pardon.

D’ailleurs, les auteurs reconnaissent ce qu’ils nomment avec raison « Ce temps des grands chambardements (conciliaire) », dont va sortir très appauvri  le Pardon du Folgoët, rejoignant ainsi ce que dit Michel Scouarnec. Nombreux seront les évêques : Monseigneur Duparc, Mgr Graverant, Mgr Freppel, Mgr Trehiou, mais aussi bien des prêtres, dont l’abbé Perrot, qui auront à cœur de souligner l’unité qu’il y a entre Foi et culture, et que s’attaquer, mépriser, détruire la culture d’un peuple (dont la langue), c’est aussi détruire à terme sa foi.  Tous, à l’instar de Monseigneur Freppel au Folgoët en 1888, exalteront le sentiment de fierté du peuple du Léon, des Bretons. Mais cette fierté, au fil des décennies, va s’étioler, victime tout autant des attaques des anticléricaux, de la laïcisation forcée de la société bretonne (tiens ! tiens ! Tout rapprochement avec une certaine actualité serait pur hasard !…), et le Pardon du Folgoët n’y échappera pas.

 

IGNORANCE  OU  OUBLI ?

Il est évident que dans un ouvrage, tout ne peut être dit. Il y a des choix dictés par maints impératifs, mais aussi par la pensée des auteurs. Et il y a aussi, les « impératifs » du culturellement et religieusement correct, excluant de facto les personnes qui par leur vie, leurs œuvres, leurs écrits bousculent les doxas autorisées.

En 1907, au Folgoët, l’abbé Perrot prononcera, non pas une homélie, mais un véritable discours qui dénonçait cette perte de conscience nationale du peuple breton (2). Il se demandait si « Ce peuple breton existait toujours », tant déjà à cette époque, courbé sous le mépris jacobin il en était venu à se mépriser, à mépriser sa langue, ses traditions. Texte d’une grande lucidité pour ce début du 21e siècle où l’on peut se demander où est passé le peuple breton, le Breton devenu un « Homo festivus » incorrigible et obèse. De même, évoquant les Bleun-Brug, notamment du Folgoët-Lesneven, qui furent de véritables succès, des Puy du Fou bretons, pas une mention que c’était bien là  encore l’œuvre de l’abbé Perrot.

Photo du film « Le mystère du Folgoët » – Archives AR GEDOUR

Enfin, un avis concernant le film « Le Mystère du Folgoët » de l’Association Brittia-Films des frères Caouissin.  Nous nous étonnons de la petite place donnée à cette œuvre cinématographique magistrale : une petite reproduction, façon carte de visite, de la célèbre et très belle affiche (et très rare) du film, et la reproduction d’une lettre, sans intérêt, au chanoine Guguen, accompagnée d’un petit commentaire, élogieux certes, sur le film, soit six lignes. N’est-il pas venu à l’esprit des auteurs de solliciter sur le sujet les lumières de la famille Caouissin et leurs archives ?

Peut-être cela a-t-il été fait, mais «Le Mystère du Folgoët » avait toutes les raisons de se voir consacrer dans cet ouvrage, soit un chapitre, soit un hors-texte, accompagné d’une iconographie de qualité.  Ce film, tourné en 1952/53, est bien davantage qu’un film : il a rang de témoignage sur une Bretagne, sur un monde rural, sur une société bretonne, sur une église encore bretonne qui vivaient leurs dernières années. Un film tourné intégralement avec le peuple, un peuple de paysans, d’artisans qui y croyait, là encore, nous pouvons faire le rapprochement avec le Puy du Fou. Et puis, il va y avoir le tournant destructeur des années 1955 et toutes les suivantes. Les destructions, dans la dérive d’une modernité galopante, seront irréversibles : agriculture, remembrement, concile,…

Film-témoignage, car parmi les acteurs, les actrices paysans, artisans, il y avait des gens âgés de 80 à 90 ans. Hors il suffit de songer que ces personnes nées vers 1840/50 avaient entendu leurs parents leur parler de la Révolution française par leurs propres parents, donc leurs grands-parents, qui dans leur jeunesse l’avaient vécue. Ainsi, lors du tournage des scènes de la Terreur, des sans-culottes vandales se ruaient sur la basilique du Folgoët, provoquant les pleurs de ces vieilles personnes car, disaient-elles, elles se souvenaient des récits de leurs parents, d’autant que les stigmates de la Révolution  étaient et sont toujours là, pour rappeler la folie des hommes, leur haine inassouvie de Dieu, de sa Mère, de la Foi. Bref ! Il y avait assurément beaucoup à dire sur ce film, et il est dommage que les auteurs n’aient pas eu cette intuition. Ajoutons encore que les premières recettes du film allèrent en don à l’abbaye de Landévennec, soit environ 5000 francs de l’époque. Cela devait être dit !..

Ces réserves faites, ce livre a toute sa place dans une belle bibliothèque bretonne et sans aucun doute, apporte de réelles connaissances sur ce patrimoine religieux d’importance. Nous ne pouvons donc qu’encourager à vous le procurer.

1) Le Folgoët, un sanctuaire d’exception », éditions Coop-Breizh (2019) . 39, 90€

2) « En Deiz all e Folgoët », Numéro de Feiz ha Breiz du 5 septembre 1907, pages 150/153.

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

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