Après Le Peuple Breton qui avait dans l’un de ces articles, relayé la légende tenace que nos saints bretons ne sont majoritairement pas reconnus par Rome, article qui avait fait l’objet d’une précision de notre part pour tordre le cou à cette fake-news qui n’en finit pas (et pour laquelle le mensuel a fait son mea culpa), voici que le magazine Bretons, qui a dédié un bel hors-série aux chapelles bretonnes, tombe aussi dans ce piège visant à affirmer que l’immense majorité des saints bretons ne sont pas reconnus par Rome.
Cet hors-série, même si la rédaction aurait pu se pencher un peu plus sur les initiatives travaillant à leur avenir, permet de découvrir avec de belles photos à l’appui une cinquantaine de chapelles, accompagnées d’interviews de Bernard Rio et du Père Dominique de Lafforest. Vous pouvez le commander ici.
Mais, revenons à cette affirmation que nous nous attachons à réduire à néant.
Quitte à répéter inlassablement les choses, encore et encore, il s’agit d’une erreur monumentale d’affirmer que nos saints ne sont pas reconnus par Rome. Celui qui se penche un peu plus sur le sujet peut aisément se rendre compte que la procédure de canonisation toujours en vigueur de nos jours est celle mise en place par Rome uniquement à partir du XIIème siècle (et qui a subi au fil du temps quelques liftings adaptés aux époques). Alors qu’auparavant, la réputation de sainteté faisait le saint et rejoignait ainsi ce qu’on appelle la vox populi, et ce à travers le monde connu (et pas qu’en Bretagne), le Saint-Siège se réservait désormais le droit exclusif de canoniser. La vox populi ne s’opposait pas à la vox romani. Elle était LA procédure en vigueur à l’époque.
Dès l’avènement du christianisme en Bretagne armoricaine (vers le IIIème et surtout le Vème siècles) et les conversions qui suivirent, les pasteurs locaux sinon le peuple lui-même avaient donc “canonisé” un très grand nombre de personnages réels ayant été exemplaires dans leur vie ou d’autres inventés (derrière un prénom, un concept).
Rome n’a jamais re-canonisé les saints des premiers siècles, que ce soit en Bretagne ou ailleurs. Il n’y en avait pas besoin, le tout s’inscrivant dans ce qu’on pourrait appeler en quelque sorte un développement organique. Mais, histoire de bien cadrer les choses, par un décret de 1215 (IVème concile de Latran), tous les saints vénérés depuis un siècle au moins ont été acceptés et reconnus comme tels. En bref, un package général a régularisé la situation urbi et orbi, Rome ayant ainsi pris acte des saints qui étaient déjà vénérés… et dont le culte existait encore.
Ajoutons que le Concile de Trente (1565) autorisa le maintien des martyrologes (calendriers) diocésains, les évêques ayant jusqu’alors la liberté de reconnaître leurs propres saints dans leurs diocèses. Il s’agit des propres diocésains, avec des saints qui ne sont pas tous reconnus nominativement par Rome comme on le voit aujourd’hui, mais sont reconnus par l’Eglise universelle, sainte et apostolique. Ils sont donc de facto officiellement canonisés, c’est-à-dire reconnus comme saints. Simplement, puisqu’il n’y a pas eu dans leur cas de procès solennel de canonisation, l’autorité et l’infaillibilité entière de l’Église ne sont pas engagées pour ces saints. Saint Yves, quant à lui, a été canonisé selon les nouvelles normes.
Dire que beaucoup de saints bretons ne sont pas reconnus par l’Eglise est une méconnaissance totale des textes et de l’histoire de l’Eglise, ainsi que son fonctionnement. Une idée reçue qui, sur le même principe, reviendrait à dire que, comme Jean-Paul II a considérablement modifié les conditions de canonisation, tous les saints canonisés antérieurement ne sont pas vraiment canonisés. Mais au-delà de cette question, continuer à affirmer que nos saints bretons ne sont que légendes même pas reconnues, c’est aussi donner des billes à ceux qui pensent que l’Histoire de la Bretagne n’est qu’un détail de l’Histoire du monde.
Et puis, comme dirait un ami : « jusqu’au Concile de Trente, c’était les diocèses qui décidaient … pas Rome. Raz la barette des Ultramontains ! »
CQFD !
merci pour ces précisions fort éclairantes ! cela me fait penser à d’autres clichés , aussi inexacts et souvent comiques dans leur ridicule, et qui continuent néanmoins à se répéter copieusement: cf. le coup de la coiffe bigoudène, clocher à jours, qui serait la riposte de la femme bretonne à l’arasement des clochers ,suite à la révolte du papier timbré. sous Louis XIV… Alors que cette coiffe n’a commencé son « ascension » qu’après 1914 !
c’est comme « la brioche » de la reine Marie-Antoinette et le « rien » dans le carnet de chasse de Louis XVI, qui n’a « rien » pris le 14 Juillet 89 !!!
mais on répète…
Si l’on considère que les vieux saints bretons ne sont pas des saints officiels, on pourrait en dire autant des saints d’ailleurs, ni Augustin, ni Blandine, Jean Chrysostome, Geneviève, Pierre et Paul, Jean-Baptiste et même la Vierge Marie, qui n’ont pas fait l’objet d’un procès en canonisation !
La sainteté de l’Eglise se manifeste par la volonté de désigner aux fidèles les exemples à suivre et non de stigmatiser les parcours chaotiques de certains de ses membres…
En d’autres termes si on peut affirmer que certains sont d’ores et déjà en paradis on ne peut en dire autant pour ceux qui sont en enfer !
Est ce dommage ?
S’il en était ainsi on aurait la liste de ceux dont il ne faut pas suivre l’exemple !!