L’équipe du « Jour du Seigneur » avait jeté son dévolu pour la messe dominicale télévisée du dimanche 1° juillet sur une des chapelles du circuit organisé depuis 25 ans autour de Pontivy et de la vallée du Blavet consacré à «l’art dans les chapelles ». Plus précisément, la chapelle Notre Dame du Guelhouit, commune de Melrand dans le Morbihan, dont c’est précisément le jour du Pardon en l’honneur de Saint Isidore, le saint patron des laboureurs.
C’était sans compter la « panthéonisation » des époux Antoine (1926-2013) et Simone Veil, née Jacob (1927-2017), conformément aux vœux présidentiels, dont la diffusion en direct aux horaires habituels de la retransmission de la messe télévisée avait, au dernier moment, bouleversé la programmation initialement prévue.
C’est ainsi que l’émission religieuse du dimanche matin sur France 2 « les chemins de la foi » dont je suis, dans la mesure du possible, un fidèle téléspectateur, a commencé ce dimanche, dès 7 heures du matin au lieu des 8 heures 30 habituels, avec 1 heure et demi d’avance : sagesses bouddhistes avec l’éducation des enfants aux faits religieux ; islam, avec pour sujet : « les femmes des lumières » ; judaïca sur Maïmonide et la médecine juive ; le récent congrès de la métropole roumaine à Paris couvert pour orthodoxie et, enfin, précédant l’émission catholique du « jour du Seigneur », présence protestante et le témoignage de Samuel, savoyard de Megève.
On apprend beaucoup de cette émission qui ouvre des perspectives que l’on ignore généralement et, en tout cas, que l’on n’explore pas suffisamment et qui permettent pourtant à chacun de grandir dans sa propre foi par la connaissance ainsi acquise, voire partagée, de celle de l’autre.
La messe télévisée de ce dimanche matin n’était que la retransmission, à partir de 8 heures 50, en différé, de l’office célébré la veille, samedi, au Guelhouit, grâce à quoi la cérémonie en l’honneur des époux Veil a pu être transmise en direct du Panthéon à partir de 10 heures.
Mais, samedi, c’était, pour moi, le pardon de Saint Pierre à Inzinzac, ma paroisse, et il n’était pas question de le manquer d’autant que j’ai la charge de porter la croix au cours de la procession qui précède l’office. A défaut j’aurai certainement croisé sur ma route vers Melrand un pèlerin barbu qui n’aurait pas manqué de m’interroger en latin : « quo vadis ? » – « où vas-tu ? ». Sur ma réponse et ma question, il m’aurait répondu : « Je suis saint Pierre et je vais à Inzinzac » tant il est vrai qu’il ne faut, sous aucun prétexte, serait-ce celui d’une messe télévisée, manquer le pardon de sa paroisse ! (Bernard Rio, « pardons de Bretagne », éditions le Télégramme, 2007, page 89)
Dimanche matin, j’ai abandonné en cours de route mon émission de télé de prédilection pour me précipiter au Guelhouit, de l’autre côté de Bubry, sur les bords de la Sarre, un affluent du Blavet et être à l’heure à la messe du pardon de saint Isidore qui commence à 10 h 45.
Je ne connaissais pas cette jolie petite chapelle de la fin du XVII° siècle où est honoré Saint Isidore, le laboureur madrilène de la fin du XI°, début du XII° siècle, dont les anges conduisaient la charrue pendant qu’il se livrait à la prière … Et qu’il ne faut pas confondre avec l’évêque de Séville au VII° siècle, canonisé en 1598 et déclaré, en 1722, docteur de l’Eglise.
Plus modestement, notre Isidore, saint patron des laboureurs et agriculteurs, est, en Bretagne, plus souvent honoré que son compatriote de Saragosse, le saint diacre et martyr du IV° siècle, Vincent, patron des vignerons, fêté le 22 janvier.
Et pour cause !
Isidore le laboureur
La fête de Saint Isidore le laboureur est fixée au 15 mai, mais à cette époque de l’année, les travaux des champs ne permettent pas aux agriculteurs de fêter comme il le mérite leur saint patron de sorte que son pardon, du moins au Guelhouit, est reporté au 1°dimanche de juillet, le plus proche du jour de la fête mariale de la visitation, selon l’ancien calendrier, juste avant que ne commencent les moissons.
Néanmoins, Isidore le laboureur reste un grand saint : le roi d’Espagne, Philippe III de Habsbourg (1578-1621), le père d’Anne d’Autriche (1601-1666), épouse de Louis XIII (1601-1643) et mère de Louis XIV (1638-1715), lui était particulièrement dévoué. Béatifié en 1619, Isidore sera canonisé en 1622 par le pape Grégoire XV (1554-1623) en même temps que les espagnols Ignace de Loyola (1491-1556), le fondateur des jésuites, François Xavier (1506-1552) missionnaire, ami du précédent, Thérèse d’Avila (1515-1582), la mystique carmélite et que l’italien, fondateur de l’Oratoire, Philippe Néri (1515-1595), en prestigieuse compagnie, donc !
A l’intérieur de la chapelle édifiée une cinquantaine d’années seulement après la canonisation de Saint Isidore dont le culte s’était rapidement répandu en Bretagne, une série de panneaux racontent les multiples et divers miracles qui lui ont été attribués au bénéfice de ceux et celles qui l’ont invoqué, parmi eux, un turc emprisonné, délivré grâce à l’intercession du saint.
C’est sans doute à la suite des guerres de la Ligue (Gérard Le Courtois, « présence des espagnols dans la Morbihan, 1590-1598 », Bulletin de la société Polymathique 2018, pages 309 à 333) au cours desquelles le duc de Mercœur (1577-1602), gouverneur de Bretagne, pour s’opposer aux troupes royales alliées aux anglais protestants, aura recours au roi catholique d’Espagne, Philippe II (1527-1598), qui lui enverra, en octobre 1590, ses fameux tercios, soit environ 3.000 hommes, sous le commandement de Don Juan del Aguila (1545-1602), celui-là même qui édifiera la citadelle de Port Blavet, futur Port-Louis, que le culte d’Isidore s’est implanté en Bretagne, au détriment de celui de Blaise, l’évêque de Sébaste, martyrisé au IV° siècle, fêté au début du mois de février comme saint patron des laboureurs par nombre de paysans hors de la Bretagne.
Deux messes pour le pardon du Guelhouit
Tandis que la messe télévisée s’est déroulée à l’intérieur de la chapelle fort bien mise en valeur par l’éclairage de circonstance, à l’issue d’une courte procession partie d’une des deux fontaines qui encadrent la scala, la messe du pardon a été célébrée sur le placître, en plein air, à côté de la chapelle, à l’ombre bienveillante des grands hêtres qui l’ornementent. Et la procession à la fontaine a clôt la cérémonie avec la bénédiction des fidèles à grand renfort de rameau de laurier distribuant à profusion la fraicheur de l’eau bénite, bienvenue en fin de matinée d’une journée caniculaire.
Télévisée ou « in vivo », la liturgie de la parole de ce 13° dimanche du temps ordinaire, comportait la lecture du livre de la Sagesse (1, 13-15 et 2, 23-24) rappelant que « Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité », le psaume 29 (30), exaltation du Seigneur qui « m’a fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais dans la fosse », puis la 2° lettre aux corinthiens (8, 7-9-13 à 15) de saint Paul qui assimile les dons de la grâce à la manne : « celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop, celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien ». L’Evangile de Marc (5, 21-43) porte sur la résurrection de la fille de Jaïre par ces mots prononcés en araméen par Jésus que l’évangéliste rapporte tels quels : « talitha Koum » (jeune fille, debout) et la guérison d’une hémorroïsse.
L’homélie du Père Denis Ledogar, assomptionniste, aumônier d’hôpital insistera sur la tendresse du geste de Jésus qui n’hésite pas à braver les interdits pour sauver et guérir : interdit de l’impureté du cadavre de la fille de Jaïre dont Jésus, néanmoins, prend la main pour la ressusciter ; interdit de l’impureté de la femme qui perd du sang mais dont la foi va lui permettre, malgré cela, de toucher, sinon Jésus lui-même, du moins la frange de son manteau.
Tandis que le Père Francis Le Goff, le jeune et vigoureux recteur du secteur paroissial de Melrand, Plumeliau et Bieuzy les Eaux, y verra la lutte sans fin de la vie contre la mort, la victoire finale de l’espérance sur le désespoir. La vie est précieuse et elle a un sens : nous n’avons pas été créé par hasard. Malgré nos impuretés congénitales, les sacrements nous permettent de « toucher » le Christ comme l’a fait la femme atteinte de pertes de sang chroniques : par ces mêmes sacrements c’est le Christ lui-même qui vient, malgré notre indignité, nous prendre la main comme il l’a fait pour relever la fille de Jaïre.
Pendant que se déroulait l’office, les chants de l’excellente chorale soutenue par une instrumentation orchestrale appropriée rivalisaient avec les flonflons de la fête qui se préparait de l’autre côté de la route que les cyclistes dominicaux en tenue multicolore continuaient d’emprunter suivant leur circuit hebdomadaire habituel.
Le silence respectueux des passants allant réserver leur place au fricot, les appels complices des cyclistes à notre prière fraternelle, la discrétion relative de l’ampli installé près des tentes marquaient, avec la messe de pardon que nous suivions attentivement, le caractère tout à la fois sacré et profane du rassemblement autour de la vieille chapelle qui allait se poursuivre à l’issue de la cérémonie, caractérisant ainsi le pardon en Bretagne.
Quelques couples de jeunes gens en costume du pays pourlet, les filles en capot de dentelle et les gars en chupen de laine blanche écrue bordée de noir, sont venus, violon et accordéon en tête, égayer la courte procession à l’issue de la messe jusqu’aux deux fontaines de dévotion qui encadrent la solennelle « scala sancta » dont l’importance du pardon avait justifié la construction à la fin du XIX° siècle.
La messe en vrai a réalisé le double miracle que la télé ne montre pas forcément : d’une part, la transsubstantiation du pain et du vin en corps et sang du Christ auxquels nous avons communié et d’autre part, l’actualisation du sacrifice du Christ sur la croix qui nous transporte deux millénaires en arrière, sous les murs de Jérusalem dans une sorte de déchirure du continuum espace-temps que le prêtre, ordonné pour, réalise par les mots de la consécration qu’il prononce devant nous à chaque eucharistie.
Le Kir servi au kiosque était aussi frais que goûteux tandis que la gavotte sautée faisait perler la sueur aux fronts des danseurs
Mais, ça, la télé ne l’a pas montré non plus !
Il n’empêche que le dimanche 12 août prochain la messe télévisée du « jour du Seigneur » sera diffusée à 10 h 45 – sauf imprévu de dernière minute – depuis l’église Notre Dame de l’Assomption au Faouët !
Si je n’y suis pas, je serai, à coup sûr, parmi les 600.000 téléspectateurs habituels.
Revoir l’émission « Le Jour du Seigneur » (reportage + messe) du 1/07/2018 (pour écouter directement les Kaloneù Derv Bro Pondi chanter « Spered santel deit ni ho ped », rendez-vous à la 55è minute puis « Re vo melet » à 1:00, et enfin le cantique à ND du Guelhouit à 1:15).