Depuis les conciles « christologiques » des 4° et 5° siècles consacrant la double nature divine et humaine de Jésus-Christ (Nicée 325, Constantinople 381, Ephèse 431 et Chalcédoine 451), sa mère, la sainte Vierge a vu son statut de « christotokos », mère du Christ, évoluer en « théotokos », mère de Dieu.
Et c’est bien en cette qualité qu’elle sera par la suite honorée par l’Eglise, au risque d’en faire une sorte de véritable déesse, objet d’un culte d’adoration à l’instar de celui rendu à Dieu lui-même ; c’est ainsi qu’on a pu parler de « mariolâtrie ».
La querelle des images : iconoclastes contre iconodules, puis la réforme protestante ont attirés l’attention des responsables d’Eglise sur les possibles dérives au point que le Concile de Trente (1545 – 1563) a été amené à se prononcer sur la question, et à faire la distinction reprise au canon 1255 de l’ancien code de droit canon de 1917 : « à la Très sainte Trinité, à chacune de ses trois personnes, au Christ Seigneur, même présent sous les espèces sacramentelles, est dû un culte de latrie; à la bienheureuse Vierge Marie le culte d’hyperdulie; à tous les autres qui règnent avec le Christ dans les cieux, le culte de dulie. »
Le culte de latrie, c’est l’adoration ; le culte rendu aux anges et aux saints traduit le rapport de subordination que saint Paul recommande lorsqu’il dit aux esclaves d’être soumis à leurs maîtres et s’exprime par le mot dulie (doulos, esclave). Pour la Sainte Vierge, c’est l’ « hyperdulie » !
Le concile Vatican II ne manquera pas de souligner la vénération particulière due à la Sainte Vierge, qu’elle hésite à qualifier de « co-rédemptrice ».
« En célébrant ce cycle annuel des mystères du Christ, la sainte Eglise vénère avec un particulier amour la bienheureuse Marie, mère de Dieu qui est unie à son Fils dans l’œuvre salutaire par un lien indissoluble ; en Marie, l’Eglise admire et exalte le fruit le plus excellent de la Rédemption, et, comme dans une image très pure, elle contemple avec joie ce qu’elle- même désire et espère être tout entière. » (constitution sur la sainte liturgie « sacrosanctum concilium » 1963, N° 103)
Le canon 1186 du code de droit canonique (CIC) de 1983 stipule :
« Pour favoriser la sanctification du peuple de Dieu, l’Eglise recommande à la vénération particulière et filiale des fidèles la Bienheureuse Marie, toujours Vierge, Mère de Dieu, que le Christ a établie Mère de tous les hommes, et elle favorise le culte véritable et authentique des autres saints, dont l’exemple en vérité édifie tous les fidèles et dont l’intercession les soutient. »
Le catéchisme de l’Eglise catholique résume ainsi le culte à la sainte Vierge, « icône eschatologique de l’Eglise » :
« 971 : « Toutes les générations me diront bienheureuse » ( Lc 1,48): « La piété de l’Eglise envers la Saint Vierge est intrinsèque au culte chrétien ». La sainte Vierge est légitimement honorée par l’Eglise d’un culte spécial. Et de fait, depuis les temps les plus reculés, la bienheureuse Vierge est honorée sous le titre de ‘Mère de Dieu’; les fidèles se réfugient sous sa protection, l’implorant dans tous leurs dangers et leurs besoins … Ce culte … bien que présentant un caractère absolument unique; il n’en est pas moins essentiellement différent du culte d’adoration qui est rendu au Verbe incarné ainsi qu’au Père et à l’Esprit Saint; il est éminemment apte à le servir » (LG 66); il trouve son expression dans les fêtes liturgiques dédiées à la Mère de Dieu (cf. SC 103) et dans la prière mariale, telle le Saint Rosaire, « abrégé de tout l’Evangile ».
972 Après avoir parlé de l’Eglise, de son origine, de sa mission et de sa destinée, nous ne saurions mieux conclure qu’en tournant le regard vers Marie pour contempler en elle ce qu’est l’Eglise dans son Mystère, dans son « pèlerinage de la foi », et ce qu’elle sera dans la patrie au terme de sa marche, où l’attend, « dans la gloire de la Très Sainte et indivisible Trinité », « dans la communion de tous les saints » (LG 69), celle que l’Eglise vénère comme la Mère de son Seigneur et comme sa propre Mère :
Tout comme dans le ciel où elle est déjà glorifiée corps et âme, la Mère de Jésus représente et inaugure l’Eglise en son achèvement dans le siècle futur, de même sur terre, en attendant la venue du jour du Seigneur, elle brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage (LG 68).
973 En prononçant le « fiat » de l’Annonciation et en donnant son consentement au Mystère de l’Incarnation, Marie collabore déjà à toute l’œuvre que doit accomplir son Fils. Elle est mère partout où Il est Sauveur et Tête du Corps mystique.
974 La Très Sainte Vierge Marie, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut enlevée corps et âme à la gloire du ciel, où elle participe déjà à la gloire de la résurrection de son Fils, anticipant la résurrection de tous les membres de son Corps.
975 « Nous croyons que la Très Sainte Mère de Dieu, nouvelle Eve, Mère de l’Eglise, continue au ciel son rôle maternel à l’égard des membres du Christ »
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C’est ainsi que le diocèse de Vannes n’est pas en reste pour le culte d’hyperdulie rendu à la Vierge Marie, mère de Dieu : il n’y existe pas moins de quatre sanctuaires mariaux et autant de basiliques, mineures sans doute, mais avec ombrelle et tintinnabule …
Sainte Anne d’Auray, tout d’abord, érigée par le Pape Pie IX en 1874, Notre Dame du Roncier à Josselin par le Pape Léon XIII en 1891, Notre Dame de Paradis à Hennebont, par le Pape Pie X en 1913 et Notre Dame de Joie à Pontivy par le Pape Jean XXIII en 1959.
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Eh bien, si l’église Saint Louis de Lorient n’est toujours pas classée parmi les basiliques, Mgr Raymond Centène, évêque de Vannes, vient, par décret en date du 7 octobre 2021, fête de Notre Dame du rosaire, « avec l’approbation du siège apostolique », c’est-à-dire du Pape François lui-même, d’y ériger « la chapelle Notre Dame de Victoire en sanctuaire marial diocésain » dont il a « confié l’animation pastorale et spirituelle à la communauté des prêtres de l’ensemble paroissial St Louis-Le Sacré Cœur », en voici les motifs :
- considérant la charge symbolique de la dévotion à Notre Dame de Victoire,
- considérant les faits historiques qui ont marqué l’attachement du Peuple de Dieu à Notre Dame de Victoire,
- considérant la permanence de cet attachement et la fidélité du Peuple Chrétien à venir chercher refuge et consolation auprès de l’image de Notre Dame,
- considérant les défis actuels de la vie de l’Église et du monde,
- considérant les besoins du Peuple de Dieu et la nécessité de lui offrir un espace où sa dévotion puisse se manifester et être éclairée à la lumière de l’Écriture et de la Tradition pour que la mémoire de son histoire puisse se faire anamnèse,
- vu les Canons 1230, 1233 et 1234 du Code de Droit Canonique
En effet, le code de droit canonique de 1983 (CIC), dans son 4° livre sur la fonction de sanctification de l’Eglise, définit et organise au chapitre 3 (les sanctuaires) du titre 1 (les lieux sacrés) de la 3° partie (les lieux et les temps sacrés) la notion de « sanctuaire » :
Can. 1230 – Par sanctuaire on entend une église ou un autre lieu sacré où les fidèles se rendent nombreux en pèlerinage pour un motif particulier de piété avec l’approbation de l’Ordinaire du lieu.
Can. 1231 – Pour qu’un sanctuaire puisse être appelé national, il faut l’approbation de la conférence des Évêques ; pour qu’il puisse être dit international, l’approbation du Saint-Siège est requise.
Can. 1232 – § 1. L’Ordinaire du lieu est compétent pour approuver les statuts des sanctuaires diocésains; la conférence des Évêques pour les statuts des sanctuaires nationaux et le Saint-Siège seul pour ceux des sanctuaires internationaux.
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- 2. Les statuts détermineront surtout les buts du sanctuaire, l’autorité du recteur, la propriété et l’administration des biens.
Can. 1233 – Certains privilèges pourront être accordés aux sanctuaires chaque fois que les circonstances des lieux, l’afflux des pèlerins et surtout le bien des fidèles semblent le recommander.
Can. 1234 – § 1. Dans les sanctuaires seront plus abondamment offerts aux fidèles les moyens de salut en annonçant avec zèle la parole de Dieu, en favorisant convenablement la vie liturgique surtout pour la célébration de l’Eucharistie et de la pénitence, ainsi qu’en entretenant les pratiques éprouvées de piété populaire.
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Voici, selon l’exposé préliminaire dudit Décret, ce qui a motivé et décidé « l’ordinaire du lieu » (l’évêque de Vannes) à agir ainsi :
« Le 7 octobre 1746, jour anniversaire de la Victoire de Lépante et fête de Notre Dame du Rosaire, une puissante flotte anglaise assiégeait la ville de Lorient et s’apprêtait à la prendre d’assaut. Tandis que les hommes de Lorient se disposaient à capituler et avaient déjà hissé le drapeau blanc, les femmes, dans l’angoisse qui les étreignait, se tournèrent avec confiance vers la Vierge Marie et vinrent la prier avec ferveur dans l’église de la paroisse Saint Louis. Contre toute évidence, l’ennemi se retira sans livrer bataille et la ville fut sauvée.
Le 15 novembre de la même année, les autorités civiles, militaires et religieuses, reconnaissant dans cet événement inexpliqué l’action de Dieu par l’intercession de la Très Sainte Vierge Marie, décidèrent que chaque année une messe d’action de grâce serait célébrée à l’autel de la Vierge, dans l’église Saint Louis, suivie d’une procession avec la statue de Notre Dame de Victoire à travers les rues de la ville.
La dévotion à Notre Dame de Victoire se développa tellement dans les décennies qui suivirent que, le 5 septembre 1867, le Pape Pie IX la déclara patronne principale de la ville.
Pendant la deuxième guerre mondiale, alors que l’église Saint Louis fut entièrement détruite au cours des bombardements, la statue de Notre Dame de Victoire a été retrouvée, intacte aux milieux des décombres. Le nom de Notre Dame de Victoire fut donné à la nouvelle église construite en remplacement de l’ancienne église Saint Louis et les fidèles viennent nombreux lui confier leurs peines, leurs angoisses, leurs espoirs et leurs joies.
Ce rappel historique n’est pas une simple évocation du passé. L’Histoire Sainte, qui est tout à la fois le prototype de l’histoire humaine et l’image de l’histoire personnelle de chacun d’entre nous, nous montre comment Dieu lui-même agit au travers des événements de ce monde, en dirige le cours et se révèle comme Sauveur dans les situations les plus désespérées. La contemplation de Ses Hauts-Faits dans le passé suscite notre action de grâce, éclaire notre présent et construit notre espérance pour l’avenir. C’est là toute la dynamique de la prière chrétienne si bien manifestée par les psaumes. Puissions-nous entrer dans cette attitude de foi aussi souvent que notre destin réclame une victoire.
Aujourd’hui, plus que jamais, la conjoncture est génératrice d’inquiétudes : inquiétude pour l’unité de l’Eglise et pour sa conformité à la sainteté de son Fondateur ; inquiétude pour l’état de notre planète et son avenir ; inquiétude pour les évolutions de notre société marquée par la perte de la plupart des repères qui l’avaient fondée et qui en assuraient la stabilité ; inquiétude pour notre santé face à la pandémie et aux différents variants du virus ; inquiétude face aux réalités économiques et au devenir de notre jeunesse. Tous ces sujets de préoccupation sont créateurs d’angoisse et provoquent chez beaucoup une véritable crise existentielle. Dans ce contexte nous avons besoin d’une victoire et nous sommes bien conscients que nos seules forces ne sont pas suffisantes pour remporter l’ensemble des combats que nous avons à mener. C’est donc le moment de recourir à Celui qui « renverse les puissants de leur trône et élève les humbles[1] » et de dire avec le psalmiste « Seigneur, le roi se réjouit de ta force ; quelle allégresse lui donne ta victoire[2] ».
Mais toutes nos luttes de la terre, pour importantes qu’elles soient, ne sont que l’image d’une réalité beaucoup plus importante pour nous, le combat spirituel. « Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ?[3] ». C’est à l’intérieur de notre cœur que passe la frontière que nous devons tenir et saint Paul nous en prévient dans la lettre aux Ephésiens : « Nous ne luttons pas contre des êtres de chair et de sang, mais contre les Dominations de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal[4] ». Le Sauveur nous a appris à demander au Père des Cieux qu’il « nous délivre du mal » et saint Paul nous invite à rendre grâce à Dieu qui nous donne la victoire en Son Fils Jésus de qui nous attendons la victoire finale, celle où le dernier ennemi, la mort, sera à jamais vaincue : « La mort a été engloutie dans la victoire. Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort où est-il ton aiguillon ?[5] ».
En Marie, nous voyons et chantons cette victoire. En elle se réalise en toute perfection le dessein de Dieu sur son Peuple et sur chacune de nos vies. En elle, la première des rachetés, s’accomplit parfaitement ce qui adviendra pour nous à la fin des temps, en elle se réalisent dès à présent toutes nos promesses de futur. Elle est la » parfaite image de l’Église à venir, aurore de l’Église triomphante, elle guide et soutient l’espérance du Peuple de Dieu encore en chemin[6] « . Le Concile Vatican II nous dit que « la Vierge Immaculée, préservée par Dieu de toute souillure de la faute originelle, […] est exaltée par le Seigneur comme Reine de l’Univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs (cf. Ap 19, 26), victorieux du péché et de la mort[7] ». C’est donc à juste titre que nos pères se sont tournés vers elle pour être délivrés de leurs adversaires de ce monde dans l’attente de recevoir auprès d’elle la Victoire finale. »
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Voici, en guise de conclusion un extrait des « Dévotes Epitres » dues à Catherine d’Amboise (1481 -1549), lointaine cousine de la Bienheureuse Françoise d’Amboise (1427-1485), duchesse de Bretagne en 1450, pour avoir été l’épouse du duc Pierre II (1418-1457)
Anges, Trônes et Dominations, Principautés, Archanges, Chérubins, Inclinez-vous aux basses régions
Avec Vertus, Potestes, Séraphins. Transvolitez des hauts cieux cristallins Pour décorer la triomphante entrée, La très digne naissance adorée, Le saint concept par mystères très hauts De la Vierge où toute grâce abonde, Décrétée par dits impériaux La plus belle qui jamais fut au monde…
Faites sermons et prédications, Carmes dévots, cordeliers, augustins; Du saint concept portez relations, Chaldéens, Hébreux et Latins. Romains, chantez sur les monts Palatins Que Joachim sainte Anne a rencontrée Et que par eux nous est administrée Cette Vierge sans amours conjugaux, Que Dieu créa de puissance féconde, Sans point sentir vices originaux, La plus belle qui jamais fut au monde.
Muses, venez en jubilations Et transmigrez vos ruisseaux cristallins. Viens, Aurora, par lucidations En précursant les beaux jours matutins; Viens, Orphéus, sonner harpe et clarins; Viens, Amphion, de la belle contrée; Viens, Musique, plaisamment accoutrée; Viens, reine Esther, préparée de joyaux; Venez, Judith, Rachel et Florimonde, Accompagnez par honneurs spéciaux La plus belle qui jamais fut au monde.
O doux zéphyrs, par sibyllations Semez partout roses et romarins. Nymphes, laissez vos inondations, Lieux stygieux et charybdes marins. Sonnez des cors, violes, tambourins, Que ma maîtresse, la Vierge honorée. Soit de chacun en tous lieux décorée. Viens, Apollo, jouer des chalumeaux; Sonne, Panna, si haut que tout redonde; Collaudez tous en termes généraux La plus belle qui jamais fut au monde.
Magnifique érudition dans laquelle la formation juridique de l’auteur se met toute entière au service de la dévotion mariale. Je te salue, Yves, que le Seigneur soit avec toi, que Marie, Mère de Dieu prie pour toi. Et en « dulie », que Saint Yves ton patron et Sainte Anne notre Patronne à tous te bénissent. A galon genoh!
Merci braz, ami René, nedeleg laouen à toi et toute ta famille, a galon !