La fête de l’Assomption, si l’on y réfléchit bien, n’est pas seulement une fête religieuse, c’est aussi, du moins pour les français une fête nationale.
Le 10 février 1638, le roi Louis XIII plaçait son royaume sous la protection de la Vierge Marie, offrant à la Mère de Dieu sa couronne et son sceptre, en remerciement pour la grossesse de son épouse, attendue depuis 23 ans. La Vierge avait révélé à frère Fiacre, le 27 octobre 1637, qu’un fils serait accordé à la reine si elle accomplissait trois neuvaines. Celles-ci furent achevées le 5 décembre suivant. Et le 5 septembre 1738 naissait le futur Louis XIV, appelé aussi Dieudonné. Louis XIII avait donc prononcé son vœu dès les premiers signes de grossesse de la reine ; l’ordre d’organiser des processions le 15 août dans tout le royaume date de cette époque, alors que le dogme de l’Assomption n’était pas encore proclamé (il faudra attendre 1950). Cette piété populaire fut extrêmement forte, au point que plusieurs siècles plus tard, malgré la tourmente révolutionnaire, elle subsistait. Ainsi l’empereur Napoléon 1er décida-t’il en 1806 qu’on fêterait la Saint Napoléon le 15 août qui demeura fête nationale jusqu’en 1815. Elle le redevint en 1852 avec le second empire jusqu’en 1870. La troisième république supprima bien évidemment cette fête impériale ôtant au 15 août, du moins officiellement, son caractère de festivité nationale, mais attendit 1880 pour la remplacer par le 14 juillet ! Seulement, pour obtenir un consensus sur cette date, on laissa planer une ambiguïté sur l’année. En effet 1789 répugnait à beaucoup, y compris aux républicains conservateurs, car à cette époque, les hommes politiques avaient encore quelques connaissances historiques, aussi, Henri Martin fit il voter le Sénat pour le 14 juillet 1790, fête de la Fédération, union de tous les français autour de leur roi, marquée par la célébration d’une messe, certes un peu étrange, mais journée au cours de laquelle le sang français ne coula pas. Cela dit, l’ombre de la prise de la Bastille demeurait. Et il semble bien qu’elle se soit de plus en plus épaissie au cours du temps. C’est pourquoi, tenant compte des réalités historiques, et en particulier des événements de 1880 et de 1905, je propose qu’on rappelle bien que notre fête nationale ne célèbre pas l’horrible prise de la Bastille, triomphe combiné de la canaille et des comploteurs stipendiés par le duc d’Orléans, comme Camille Desmoulins et Choderlos de Laclos, mais la pacifique fête de la Fédération et que les catholiques de France se mobilisent avec ce qui leur reste encore de forces pour célébrer d’une manière plus grandiose qu’ils ne le font actuellement la Solennité de l’Assomption.
Car l’abrogation du 15 août comme fête nationale, pour des raisons politiques, ne doit pas faire oublier l’importante décision du Pape Pie XI du 2 mars 1922, année de son élection. Dans sa lettre « Galliam Ecclesiae filiam. » il écrivait : Nous déclarons et confirmons que la Vierge Marie Mère de Dieu, sous le titre de son Assomption dans le ciel, a été régulièrement choisie comme principale patronne de toute la France auprès de Dieu… ». Le Pape confirmait donc à sa manière la décision de deux chefs d’Etat français, d’époques et de caractères oh combien différents, mais tous deux sacrés, Louis XIII et Napoléon 1er, de donner à la Vierge Marie l’honneur suprême, après Dieu, dans le pays de France. Le Magistère de Pierre tirait en fait les conclusions des signes indéniables de l’amour de Marie pour notre pays[1].
Aussi, en cette Solennité de l’Assomption 2018, constatant avec amertume, mais non sans espérance que le déclin de la France se poursuit d’une manière inexorable, surtout sur le plan spirituel, je voudrais inviter mes lecteurs à célébrer cette fête dans la spiritualité de l’apparition de la Salette qui eut lieu dans l’Isère en 1846, le 19 septembre. Pour faire aussi bref que possible je vais m’en tenir uniquement à ce qui a été officiellement reconnu par l’Eglise en me bornant à citer un court passage d’un ouvrage autorisé : « La Vierge est une belle dame, assise, la tête dans ses mains, les coudes appuyés sur ses genoux. Habillée comme une paysanne du Dauphiné, elle pleure et, en tombant, ses larmes deviennent comme des perles éclatantes de beauté. Elle se plaint, en français et en patois, que le peuple oublie de prier, la loi de Dieu et de l’Eglise, n’aille pas à la messe le dimanche et travaille ce jour là, ne respecte pas l’abstinence les vendredis . Elle déclare « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils ; il est si lourd et si pesant que je ne puis plus le retenir…. »[2]Cela se passait en 1846, je le rappelle. Léon Bloy précise même que le 19 septembre de cette année tombait juste la veille de la célébration de Notre Dame des sept douleurs. Et il rappelle alors fort opportunément la seule mention que le journal Le Moniteur fit de ce jour : une promenade royale, accompagnée de toute la cour avant le dîner et les illuminations du soir. Se remémorant cette information trente trois ans plus tard, Léon Bloy écrivit : « Ce divertissement historique mis en regard de l’autre Promenade Royale, qui s’accomplissait au même instant sur la montagne de la Salette est, je crois de nature à saisir fortement la pensée… À deux cents lieues de distance, la Mère de Dieu pleure amèrement sur son peuple. Si Leurs Majestés et Leurs Altesses pouvaient un instant consentir à prendre l’attitude qui leur convient, c’est à dire à se vautrer sur le sol et qu’ils approchassent de la terre, leurs oreilles inattentives, peut-être que cette créature humble et fidèle, leur transmettrait quelque étrange bruit lointain de menace et de sanglots qui les ferait pâlir… »[3]. Et voilà qu’à cause de la mauvaise récolte de 1846, le prix du blé atteindra des records en 1847, et on ne pourra utiliser la pomme de terre comme produit de remplacement, celle-ci produisant des maladies (c’est explicitement dans les prédictions de la Salette), d’où la disette. L’importation massive de blé russe ne suffira pas à l’empêcher, mais provoquera un dérèglement des échanges commerciaux débouchant sur une crise boursière entraînant des faillites. De plus, le roi vieillissait mal (75 ans) et manifestait un autoritarisme d’autant plus décalé que survinrent des scandales qui le touchèrent de près. Deux particulièrement graves en 1847: le duc de Choiseul Praslin, Pair de France, massacre sa femme et se suicide avec très probablement l’aide du préfet de police de Paris pour éviter la guillotine, et le général de Cubières, ancien ministre de la guerre verse des pots de vin au ministre des travaux publics Teste pour obtenir, pour sa société, des autorisations auxquelles il n’avait pas droit. En février 1848, ce sera la révolution et Louis Philippe devra partir comme un voleur ! Il est vrai que depuis 1830, le pouvoir politique ne faisait plus grand cas de la religion. Le processus de séparation d’avec l’Eglise était déjà enclenché. Les dirigeants de ce temps le payèrent très cher et le peuple français avec eux. Et l’on continua sur cette pente. Après 1848, des dates sonnent comme le glas d’une France de plus en plus impie. Et je crains fort que ce « déroulement. » du temps continue. Le bras de Jésus est décidément très lourd…!
On peut donc comprendre pourquoi en 1908, Léon Bloy qui avait une grande piété mariale, écrivit dans « Celle qui pleure. » : « La révélation de la Salette, envisagée comme une rupture du silence de dix huit siècles, offre, en même temps, la consolation et la terreur. Et je ne pense même pas ici au message, c’est-à-dire aux menaces et aux promesses. J’ai simplement en vue le fait inouï de la Sainte vierge parlant avec autorité dans l’Eglise…. Quand Jésus commence sa prédication Marie s’abîme dans le silence, et, si elle en sort aujourd’hui, est-ce donc à dire que Jésus ne va plus parler ? Voilà, ce me semble, un des côtés les plus obscurs de la Salette et l’un des moins explorés, probablement à cause de l’immense effroi qu’on y rencontre…. J’écris ceci le jour de l’Assomption. D’autres voient Marie dans la gloire, je la vois dans l’ignominie. J’ai beau faire, je ne me représente pas la Mère du Christ douloureux dans la douce lumière de Lourdes. Cela ne m’est pas donné. Je ne me sens pas d’attrait vers une Immaculée Conception couronnée de roses, blanches et bleues, dans les musiques suaves et dans les parfums. Je suis trop souillé, trop loin de l’innocence, trop voisin des boucs, trop besogneux de pardon.
Ce qu’il me faut, c’est l’Immaculée Conception couronnée d’épines, ma Dame de la Salette, Immaculée Conception stigmatisée, infiniment sanglante et pâle, et désolée, et terrible, parmi ses larmes et ses chaînes, dans ses sombres vêtements de « Dominatrice des nations, faite comme une veuve, accroupie dans la solitude. » ; la Vierge aux épées telle que l’a vue tout le Moyen Âge : Méduse d’innocence et de douleur qui changeait en pierres de cathédrales ceux qui la regardaient pleurer. »[4]
Je veux tout d’abord rassurer mes lecteurs. Léon Bloy aimait Lourdes. Il éprouve même le besoin de l’écrire en note de ce passage : Note 51 « je consentirais à subir des tourments affreux plutôt que de décrier un sanctuaire où Marie s’est manifestée par des prodiges. Je sais d’ailleurs que le miracle de Lourdes a été une suite du miracle de la Salette, comme l’arc en ciel est une suite de l’orage… »[5]. Simplement pour l’année 1908, il met en avant la Salette pour actualiser le mystère de Marie dans son Assomption, conséquence de Son Immaculée Conception. Parce que les politiques français de ce temps ont préféré la chasse aux curés à une politique sociale, l’agitation populaire monte. C’est l’époque où Clémenceau s’exerce comme premier flic de France à faire tirer sur des grévistes, pour ensuite donner toute la mesure de son talent dans la guerre à outrance, très chèrement payée en vies humaines et aux conséquences politiques plus que problématiques ! Léon Bloy, mourant en 1917, ne verra pas cette fin. Mais ayant pressenti cette catastrophe du fait du mépris du message de la Salette, il sera un spectateur lucide pour l’essentiel des conséquences funestes de cette première guerre mondiale.
Ainsi, aujourd’hui nous manquons de plus en plus cruellement de prêtres. Dans quelques années certains diocèses ne pourront plus fonctionner, et si la crise continue, nous irons tout droit vers l’Eglise des catacombes, abandonnant nos sanctuaires dont beaucoup sont d’ailleurs déjà fermés. En 1916, il y avait encore beaucoup de prêtres en France, mais le sacerdoce était déjà attaqué. Dans ses « Méditations d’un solitaire. », écrites cette année là, Bloy consacre son chapitre IX aux prêtres soldats. En voici quelques lignes : « Vingt ou trente mille prêtres, peut-être plus, ont été arrachés à l’autel et jetés parmi les combattants, sous prétexte d’égalité… les voilà dans la tranchée… contraints de mentir à leur vocation qui leur interdit l’effusion de sang… la France leur (les responsables de cette situation) devra l’avilissement définitif de son sacerdoce et, presque partout, la privation irréparable du Sacrifice propitiatoire… J’imagine un pauvre prêtre dans ce cloaque… se rappelant avec une tristesse infinie, les joies surnaturelles du commencement de sa vie sacerdotale, l’innocence et la pureté de ses sentiments et de ses désirs, quand il offrait, pour la première fois, le calice, en présence de la Majesté divine pour le salut du monde entier ; quand ses mains consacrées, il les lavait « inter innocentes. », en suppliant Dieu de ne pas le confondre avec des homicides ; lorsqu’enfin, le sacrifice consommé, Il demandait humblement au Seigneur que, « par la vertu de ce mystère sacré, il ne restât pas en lui la moindre tâche de ses crimes humains, »[6]. Et comprenons nous bien, ni Bloy, ni moi-même ne condamnons les aumôniers militaires et faisons l’apologie de la non violence absolue et de l’exigence pour tous les chrétiens de l’objection de conscience. Bloy dans ce même écrit, et je l’approuve, loue les prêtres brancardiers ou infirmiers, dans la mesure où on leur laisse accomplir leur ministère auprès des blessés et des mourants. De plus le métier de soldat n’a rien de contraire aux exigences du Baptême. Mais il n’en va pas de même pour l’ordination presbytérale qui configure celui qui la reçoit au Christ Tête pour toute sa vie et à tout moment. Parce qu’il offre le sacrifice eucharistique, d’une manière non sanglante, le prêtre ne peut être placée dans la situation d’avoir à verser le sang humain. La question de la légitime défense, pour ce qui le concerne est une autre affaire, qu’on ne peut traiter comme pour ceux qui n’ont pas reçu les ordres sacrés. Retenons simplement de la remarque de Léon Bloy que la méconnaissance du caractère particulier du sacerdoce ministériel chrétien constitue un signe d’impiété dévastateur, en tout premier lieu pour l’Eglise, les prêtres et leur vocation. Parce que la Vierge Marie est Mère des prêtres, elle avait eu aussi des paroles d’avertissement extrêmement sévères à la Salette. Elles ont beaucoup gêné et ont provoqué les polémiques concernant cette importante apparition.
C’est parce que le naufrage sacerdotal continue aujourd’hui que je célèbre l’Assomption dans le souvenir de la Salette. Car au mépris du sacerdoce catholique émanant des ennemis de l’Eglise, s’est ajouté depuis plusieurs dizaines d’années des définitions fausses de ce même sacerdoce, venant, circonstance aggravante, de milieux catholiques. Elles font plus pour la déchristianisation que toutes les agressions anti chrétiennes de notre modernité. Deux exemples extrêmes, le premier déjà expérimenté et le second à l’état de projet dans certaines têtes (mais il en existe d’autres plus subtils) : ôter tout signe vestimentaire distinctif aux prêtres, ou leur permettre de se marier. Cela équivaut, dans les deux cas, à les renvoyer dans les tranchées, celles du monde, avec une tenue de camouflage qui les y incorpore complètement, alors qu’ils n’en font pas partie. Porter atteinte à la pratique de la foi catholique en s’attaquant au sacerdoce, revient en fait à démolir la France et l’Europe. Et à voir ce que l’on voit aujourd’hui, il est légitime de se demander si, à vues humaines tout n’est pas perdu.
Il est donc plus que temps de se tourner vers d’autres puissances que celles de ce monde , et d’implorer l’Esprit Saint ,en s’appuyant sur l’intercession permanente de Marie, pour la conversion du clergé qui trop souvent dans ses prises de parole officielles semble, pour reprendre les paroles de Léon Bloy « ne plus savoir que le fonds de l’homme c’est la Foi et l’Obéissance, et que, par conséquent, il lui faut des apôtres et non des conférenciers, des Témoins et non des démonstrateurs. Ce n’est plus le temps de prouver que Dieu existe. L’heure sonne de donner sa vie pour Jésus-Christ. »[7]
[1]Voir « France. » p 466 PR Ambrogi et D Le Tourneau Dictionnaire Encyclopédique de Marie. Editions DDB 2015.
[2]Voir « La Salette. » p 664 op cité
[3]Léon Bloy « Le symbolisme de l’apparition. » p 141 et 143 Librairie Lemercier 1925, publication posthume
[4]Léon Bloy « Celle qui pleure. » p 91 et 92, Édition Norik 2017
[5]Léon Bloy op cité p210 note 51
[6]Léon Bloy « Méditations d’un solitaire en 1916. » Editeur Le Mercure de France 1917