Saints bretons à découvrir

L’homélie des obsèques de Jean-Paul Corbineau (Tri Yann)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 10 min

Jean-Paul Corbineau, la douce voix de Tri Yann, est décédé le 16 décembre dernier à l’âge de 74 ans, laissant de nombreuses personnes stupéfaites par cette disparition soudaine, comme nous vous l’annoncions ici. Les obsèques ont eu lieu ce jour en l’église Sainte-Thérèse de Nantes.

Avec l’aimable autorisation du Père Guillaume Le Floc’h, qui a célébré les funérailles de Jean-Paul, nous publions l’homélie de l’office auquel ont assisté plusieurs centaines de personnes, anonymes ou célèbres, famille et amis, du monde culturel breton et au-delà. Nous pensons que cette homélie parlera à nombre de nos lecteurs.

Première lecture
1Thes 4, 13 Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance.
14 Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
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Psaume 22, 1 Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. *
02 Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles
03 et me fait revivre ; * il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom.
04 Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, * car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
05 Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ; * tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
06 Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; * j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.
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Evangile
Marc 4, 35 Ce jour-là, le soir venu, il dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. »
36 Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient.
37 Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait.
38 Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
39 Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
40 Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? »
41 Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

Homélie

Photo Morgane Béal-Le Borgne (DR)

Hag en deiz-ze, d’an abardaez, Jezuz a lavar dezho : « treuzomp d’an tu all ! » Ce jour-là, le soir venu, il dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. »

Jean-Paul est passé sur l’autre rive, celle que les Celtes désignent par ces mots : Tir NaNog, le paradis des Celtes.

Nous ne le verrons plus arpenter de sa foulée volontaire ce quartier, crinière au vent comme le destrier flamboyant qu’il chantait dans la ballade du cheval Mallet. Il a quitté cette rive où nous sommes et où nous l’avons connu pour voguer vers un rivage tout à la fois proche et lointain, mystérieux et connu.

Jean-Paul a affronté la tempête de la maladie. Sans les yeux de la foi, celle-ci a triomphé de lui pour toujours. Mais au moment de ce dernier passage, vous avez choisi de vous tourner vers l’Eglise, le vaisseau de Pierre, l’apôtre, pour l’accompagner. Et c’est l’Eglise, abîmée, secouée, qui prend l’eau écumante des vagues, qui vous accueille cet après-midi. Elle semble souvent incapable de nous assurer une navigation sûre face aux tempêtes de notre époque et de nos existences personnelles. Et pourtant, elle ne coule pas ! Jésus est endormi à l’arrière mais Il peut être réveillée par la prière insistante de ceux qui sont dans le vaisseau pour qu’Il calme la tempête que provoque l’Ankou et la peur qui l’accompagne, comme dans cette danse macabre de la chapelle de Kernascléden.

La foi d’enfant de Jean-Paul a connu bien des tempêtes et Jésus a pu paraître dormir dans la barque de sa vie. Mais cet après-midi, notre prière peut réveiller le Christ. Il peut nous aider à relire la vie de Jean-Paul avec Ses yeux de Sauveur de tout homme et de tout l’homme.

Nous pouvons nous souvenir que Jean-Paul a navigué en équipage : il y a ceux que le talent artistique et d’animateur de foules a fait connaître : Jean, Jean-Louis et tous les autres musiciens de Tri Yann. Et puis il y avait aussi ces membres d’équipage qui n’étaient pas sous le feu des projecteurs mais qui n’étaient pas moins importants pour Jean-Paul : vous, Rita, vous, sa famille et ses amis artistes, techniciens de l’ombre, compagnons de route… Sans oublier le peuple breton et tous ceux qui ont vibré au son des soniou, des gwerziou que Jean-Paul a chanté durant toutes ces années, tous ceux qui comprennent que l’appartenance à une terre, un pays, n’est pas fait pour se replier sur soi mais pour être partagée. Car la solidarité humaine, et c’est encore plus vrai d’un point de vue chrétien catholique, appelle le don : tout ce qui est à toi est à moi et tout ce qui est à moi est à toi. Et quand je chante la Bretagne, je chante la terre entière. « Bretagne est univers » dirait Alan Stivell…

Dans cette église, nous pouvons admirer les œuvres superbes qu’un grand artiste breton du XXème siècle a réalisées : Jean FREOUR. Il était peintre et sculpteur. Il fut décoré du collier de l’hermine comme Jean-Paul.

Il était membre des seiz vreur, une école d’artistes bretons qui voulut unir leur art et leur foi chrétienne. Jean m’a expliqué un jour ce qui constituait pour lui l’âme bretonne. C’était un paradoxe qu’illustrait la pierre de granit. Celle-ci est rude et râpeux à l’état naturel mais elle peut devenir très douce quand elle est polie. Jean-Paul illustrait bien cela. Homme engagé, capable de coups de sang quand on touchait à des valeurs qui comptaient pour lui, perfectionniste et parfois intransigeant par amour de son métier d’artiste, il se montrait aussi profondément humble et généreux, particulièrement avec ceux qui avaient connu la douloureuse expérience de la prison. Sa voix reconnaissable entre mille, douce, chaleureuse et pure émouvait profondément, surtout quand il maniait harmonieusement la montée dans les hauteurs et la puissance. Il aimait allier la « joyeuse tristesse » qui remplit souvent notre âme celtique nostalgique d’un paradis perdu…

Ce paradoxe unissant deux aspects de sa personnalité était inscrit dans son double prénom dont les saints patrons représentent deux caractères et deux modèles de sainteté bien différents : saint Jean et saint Paul. Jean, l’apôtre mystique qui se penche sur le cœur du Christ pour en recevoir les trésors de douceur et d’humilité. Paul, le missionnaire aventurier, qui se tourne résolument vers les païens de son temps pour leur partager son trésor, l’Evangile du Salut, sans rien renier de ses racines juives.

Dans ce paradoxe, Jean-Paul a pu sans doute se retrouver en cherchant à articuler son amour de la Bretagne, -de toute la Bretagne, brittophone et gallèse, celle qui attend sa réunification, de Ouessant à Clisson, de sa langue et de sa culture longtemps méprisées et combattues-, et son désir de fraternité universelle qui lui donnait goût aux enrichissements venus d’ailleurs.

La philosophe Simone WEIL a très bien décrit cette dynamique, je la cite :

« L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments de l’avenir. Participation naturelle c’est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l’entourage. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. Il a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie. Les échanges d’influence entre milieux très différents ne sont pas moins indispensables que l’enracinement dans l’entourage naturel. Mais un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense. Il ne doit se nourrir des apports extérieurs qu’après les avoir digérés, et les individus qui le composent ne doivent les recevoir qu’à travers lui. Quand un peintre de réelle valeur va dans un musée, son originalité en est confirmée. Il doit en être de même pour les diverses populations du globe terrestre et les différents milieux sociaux. »

L’enracinement inscrit donc la personne humaine à la fois dans l’histoire et l’avenir d’une collectivité (axe horizontal et vertical mais aussi diagonal par le biais de l’école ou du travail) et dans sa propre histoire et son propre avenir (axe horizontal, diagonal et vertical).

L’enracinement nous permet de déployer depuis l’intérieur de nous-même notre originalité, c’est-à-dire ce qui fait de chacun une personne unique et créatrice, au sein d’un groupe où nous avons notre place. Cela était vrai pour Jean-Paul dans sa famille, dans le groupe de Tri Yann.

La conscience de notre originalité contribue puissamment à la consistance de notre être et à son déploiement.

C’est ainsi que naissent les œuvres d’art comme l’explique Rilke au jeune homme qui lui demande comment on devient poète : une œuvre d’art surgit comme une nécessité (« je ne peux pas faire autrement ») à partir du moment où l’on est suffisamment nourri par son environnement et relié à sa source intérieure.

Cette vie intérieure est le préalable à la vie spirituelle qui pourra à son tour se déployer dans une vie religieuse quand nous posons l’acte de foi immanent et transcendant que nous sommes faits pour vivre pour les autres et pour le Tout Autre.

Cher Jean-Paul, tu chantais avec tes comparses, en mai 1985, lors d’un fameux concert tenu salle Paul Fort, la ballade du cheval Mallet… dont je retiens ces phrases qui résonnent particulièrement en ce jour de ta mise au Ciel, celui que nous chanterons avec foi et espérance tout à l’heure : Ar Baradoz.

« Réveille-toi de la nuit du passé, relève-toi des siècles englués

Cheval d’argent, destrier flamboyant, renais au siècle nouveau qui t’attend,

Cheval d’argent, destrier triomphant, renais au siècle qui vient maintenant ! »

Jean Paul que le Seigneur t’accueille, toi le destrier flamboyant, et que s’ouvre devant toi la vie éternelle que le Christ Ressuscité nous promet ! Car, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis, Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.

Que tu puisses chanter un chant nouveau pour le Seigneur ! Un chant qui s’appellerait : La ville que j’ai tant aimée : ce ne sera plus Orvault mais la Jérusalem céleste.

Kerc’hfaou
Di Gwener 23 a viz Kerzu 2022

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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