Saints bretons à découvrir

Je me souviens : Noël à Quistinic

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

quistinic ar gedour noel

Enfant, mes parents m’emmenaient à la messe de Noël à Quistinic, dans le Diocèse de Vannes. Parce que c’était une des rares paroisses où la liturgie tenait à la fois la route et était en breton, latin et français. Mes parents s’y sont mariés alors que l’abbé Marcel Blanchard était jeune installé, ce prêtre qui à la sortie de la messe allait danser l’an-dro, en soutane. C’est lui qui m’a baptisé ainsi que mes frères et soeur, et c’est là que j’ai fait ma communion solennelle et ma confirmation. Pour faire court, à chaque grande fête, nous nous rendions donc dans ce petit bourg, et c’était quelque chose.

A Noël, à la nuit tombée, nous savions que la messe était à 22h (à peu près). Elle n’était pas à minuit mais pas non plus à 17h. Aujourd’hui, on se dit que les enfants seront fatigués, que 20h c’est trop tard, que la messe à 18h permet de réveillonner ensuite…

Oui… mais je me rappelle que cette messe tardive nous a bercé. Alors que la voiture sillonnait les routes sinueuses montant vers Quistinic, nous apercevions les vitraux illuminés et les décorations des rues se reflétaient dans nos regards émerveillés. Les cloches sonnaient et appelaient à participer à la veillée puis à la messe de la nuit de Noël, tandis que fumaient allègrement les feux de cheminée. Nous rentrions dans l’église, plongée dans la pénombre. Seule la crèche immense était éclairée, ainsi qu’une légère lumière au-dessus de la chorale.

L’orgue entamait un Noël de Balbastre ou de Dandrieu, et le choeur de ses notes d’espérance chantait Voici venue l’heure, une polyphonie douce nous faisant entrer dans le saint mystère, avant d’enchaîner « Mesi deit heb dale ».

Certaines années, la harpe de Nolwenn viendra égrener ses notes de cristal.

Puis à l’ambon, un chantre venait proclamer en français et en breton le martyrologe de la nuit de Noël, ce texte qui remet l’incarnation du Christ dans son contexte historique et que malheureusement on entend trop peu. Une toute petit éclairage dévoilait l’ombre proclamant « Jezuz Krist, Doue peurbadus ha Mab an Tad peurbadus, zo bet ganet e Betleem Bro Jude » : à ces mots l’église jusque là dans la pénombre resplendit de mille feux et nous voici arrivés au seuil de la sainte messe. Ce moment, je le garderai gravé dans ma mémoire !  Et en moi-même, je souhaitai qu’un jour -quand je serai grand-  je pourrai être à la place de ce chantre. C’est ce qui arrivera, alors que, jeune homme, je rejoindrai la chorale paroissiale avec ceux que je connaissais depuis l’enfance et que notre aventure des Gedourion aura rapproché. L’abbé Blanchard me proposera de chanter ce martyrologe que trop peu de paroisses incluent dans la liturgie, du moins en Bretagne.

Puis venait la procession à la crèche. Avec solennité, le prêtre emmenait l’Enfant-Jésus vers sa mangeoire, accompagné du cérémoniaire, du thuriféraire et des céroféraires. Quelques instants de silence avant de chanter sur l’air de « Salud deoc’h Iliz ma farrouz« :

O na kaeret un neuéted, hénoah ur Salvér zo ganet ! Ganet zo demb ur c’houedurig ha reit e zo demp ur Mabig

L’introït est chanté par la schola alors que l’encens s’élève sous les voûtes : Dóminus dixit ad me: Fílius meus es tu, ego hódie génui te.

Et c’est alors que, dans cette célébration de la Nativité, dans le mystère sacré qu’enfants nous découvrions, le répertoire grégorien ou de plain-chant, les cantiques bretons ou les classiques en français s’alternaient dans une douce alchimie qui nous portaient. Une liturgie déployée avec faste mais aussi avec une simplicité qui nous enracinait dans les fondamentaux. Que dire d’un magistral Adeste fideles chanté à 4 voix mixtes, ou d’un Pe trouz war an douar plus doux mais portant tout autant au saint mystère les petits que nous étions et qu’en grandissant nous recherchons ?

abbé blanchard
Photo C. Giraudon / Ar Gedour (DR)

C’est cette liturgie authentiquement catholique (sans ajout ni simplification) que beaucoup cherchent et peinent parfois à trouver. Certaines personnes nous assurent qu’il y a des blocages chez les jeunes quand il s’agit de chanter en breton ou en latin. Mais jamais, dans notre groupe de jeunes, enfants puis adolescents, il n’y a eu de ces blocages, bien au contraire. Mais c’est cette liturgie, et le catéchisme qui l’a accompagné qui nous a structuré – comme nous l’a confié un ami prêtre et comme il l’a si bien dit dans un ouvrage qu’il vient de publier – et qu’aujourd’hui il nous faut partager et transmettre… non pas pour nous mais pour nos enfants et les générations à venir. Pour que les générations LE connaissent…

Alors aujourd’hui, en forme d’hommage de Noël à l’abbé Blanchard, ce prêtre qui mine de rien est -avec d’autres – pour quelque chose dans mon engagement actuel et dans la création d’Ar Gedour, je vous confie ces quelques souvenirs. Non dans une expression nostalgique d’un passé derrière lequel on court, mais souvenirs d’hivers qui sont sans doute d’hier mais nous rappellent que demain n’est pas si loin, et que ce qui nous a été légué doit se conjuguer au présent au service de l’avenir.

 

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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10 Commentaires

  1. Merci, Eflamm, de nous faire partager ton émotion de Noël qui est aussi la nôtre, peu ou prou…

    • Merci Efflam.ns avons connu la même chose avec mes 3 enfants. Monsieur le recteur ns à ainsi façonné et donné de bonnes bases.bases . qül en soit ici remercié. Bloavez mad doch

  2. GIRAUDON Christian Joseph

    Mersi bras pour ce touchant témoignage qui rend bien compte de la magie et de la simplicité de la liturgie de l’émérite Aotrou Person Marcel (Blanchard) dans son immortelle paroisse de Kistinid.

  3. Bennoz Doué dit, évid al linnennou -ze !
    Cette beauté simple (pas de misérabilisme en vogue. depuis cinquante ans) nous a tous profondément ancrés dans l’essentiel. A nous de continuer, là où c’est faisable.

  4. merci pour ce beau texte; moi aussi à une époque déjà lointaine j,ai voulu que ce soit cet abbé blanchard qui célebre et consacre mon mariage religieux

  5. Certaines années, après la messe, il y avait à la salle paroissiale un vin chaud/chocolat chaud accompagné des brioches qui avaient été bénies à la fin de la messe. Une année, on a même dansé. 2poque bénie…

  6. L’Eglise était toujours pleine à craquer pour cette messe de minuit. Les fidèles faisaient jusqu’à 1h et demi pour y assister. Alors, pour leur donner des forces pour le retour, il y avait à la sortie de la messe distribution de brioches bénies, données par le boulanger de la paroisse. Et, pour ceux qui le voulaient, boissons chaudes au presbytère, parfois….Dommage que ce soit au passé….Au présent à nouveau dans nos paroisses ? Il faudrait déjà une véritable ouverture des paroissiens et paroissiennes à une belle liturgie, mais aussi à la diversité dans nos messes pour faire vivre des cérémonies Français- Latin- Breton
    Très belle messe, véritable convivialité….les secrets pour attirer un maximum de monde.

  7. Merci Efflam, que de souvenirs toujours aussi vivants ! Les chants grégoriens et polyphoniques, la beauté et la sacralité de la liturgie de ces Messes « FLB » (Français-Latin-Breton) que chérit tant notre bon Recteur ! Ma vie spirituelle y est enracinée. J’étais le chantre qui proclamait l’annonce de Noël en Français et en Breton…

  8. Merci Eflamm.
    Ton article me rappelle nos messes à Kervignac avec l’abbé Le Palud, grand ami de l’abbé Blanchard, qui vient de fêter ses 100 ans ce 23 décembre.

  9. Trugarez Eflamm ! Ur pennad da lenn « Marsel Blanchard, person Kistinid » gant Tepod Gwilhmod war KANNADIG IMBOURC’H niv. 107 Here/Kerzu Koumanant : EAT (Emglev an Tiegezhioù) René Mikael 12 straed René Giraud 44130 BLAEN http://emglev.wordpress.com

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