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Mgr Ravel publie sa lettre pastorale : « Le temps de la jeunesse »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 14 min

Le nouvel archevêque de Strasbourg, Mgr Luc Ravel, auparavant évêque du Diocèse aux Armées Françaises, qui n’a pas l’habitude de la langue de buis, vient de publier sa première lettre pastorale à l’adresse de tous ses diocésains, en plaçant les jeunes comme axe prioritaire (après la prière, évidemment).

Le document, traite ainsi de la “pastorale de la jeunesse” dans son style inimitable qui remet certaines pendules à l’heure et interpelle, notamment sur la vision des rapports Eglise-jeunes qu’a le pasteur, à l’aube du Synode sur la jeunesse, la foi et le discernement vocationnel impulsé par le Pape François. Il n’est pas inutile de rappeler ici que lorsqu’il était au Diocèse aux Armées, il axait beaucoup sur la jeunesse (cf JMJ, Séminaire du Diocèse aux Armées…).

Mais si nous en restions à la jeunesse, certains ne se sentiraient peut-être pas concernés. Or la lettre pastorale s’adresse non pas seulement aux jeunes, à la « pastorale des jeunes » mais bien à tout le monde, en théorie et en pratique : adresse aux marcheurs face aux sédentaires, pastorale du pouvoir, jeunisme, le regard de Dieu sur l’histoire d’un homme, pistes concrètes, prière des Mères, etc. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les mots sonnent justes et ne concerne pas uniquement l’Alsace, car sa lettre pourrait bien s ‘adresser à notre Eglise de Bretagne.

La lettre pastorale, intitulée Le temps de la jeunesse, est organisée en trois parties :

  1. Les élans qui portent le marcheur : Mgr Ravel développe 5 convictions largement répandues sur la jeunesse qu’il commente selon son appréciation.
  1. De la rive du rêve à la rive du réel : La spécificité de l’âge de la jeunesse au regard de l’évangile et en particulier de la personnalité de Jean le Baptiste, incarnation de cet âge de la jeunesse.
  1. La pastorale de la jeunesse : Mgr Ravel propose des étapes de pédagogie concrète au service d’un engagement pastoral concret et pratique

 

Extraits :

« En Alsace, on aime la marche et les marcheurs abondent. Et ça tombe bien car cette première lettre pastorale s’adresse aux marcheurs. A ceux qui le sont déjà et à ceux qui aspirent à le devenir. A ceux qui attendent un signal pour s’élancer à neuf. A ceux qui aiment ébranler leurs habitudes, qui savent suer sur les sentes raides et inspirer à plein poumons les senteurs des hautes futaies. Ce n’est point que je veuille exclure quelqu’un. Simplement, mécaniquement, la lettre qui suit ne peut pas être entendue par les sédentaires.

Certainement marcheurs et sédentaires se sont toujours partagés les sociétés avec bonheur mais aussi avec douleur : pasteurs et agriculteurs, nomades et citadins, éclaireurs et gardiens… Le mobile et l’immobile structurent nos peuples et nos églises. Je n’en tiens pas l’un au-dessus de l’autre, tous les deux sont utiles mais point de la même manière. Faits pour se compléter, l’histoire les oppose souvent dans des luttes intestines où il n’y a que des perdants.

Les sédentaires sont des acteurs de la vie qui se répète. (Mgr Ravel)

Les sédentaires sont des acteurs de la vie qui se répète. De leur point de vue, le travail se fait, la vie va son train, le jardin est clos, le foyer demeure toujours chaud. Ils concéderont des améliorations à la marge. Mais la vie s’est posée une fois pour toutes sur une manière de faire dont ils ne voient pas qu’elle soit caduque. En pastorale comme ailleurs, ils ont et prennent leur place. Ils sont utiles voire nécessaires pour tenir la « boutique » quand les autres parcourent les rues. Ils assurent la permanence de ce qui fut et la stabilité de ce qui est. C’est tout à la fois leur force et leur faiblesse. Leur force quand le présent est plein d’avenir. Leur faiblesse quand il est voué à disparaître.
L’intérêt du déplacement leur échappe par nature. Chaque proposition nouvelle se heurte en eux à la comparaison avec ce qui se fait et qui, somme toute, n’est pas si mauvais. «Des jeunes, diront-ils, il y en a encore, le wagon n’a pas décroché, il suffit de renforcer les équipes. » Je serai heureux à l’occasion de m’adresser à eux et de souligner leurs vertus, celles de la fidélité au lieu et au temps. Mais les chiffres sont une donnée violente.

Combien d’enfants à la profession de foi ? Combien poursuivent pour la confirmation ? Et après ?

En dix ans, mille confirmés en moins par an dans le diocèse. Et encore si, après la confirmation, nous les gardions tous, sur dix ans, nous aurions plus de 20 000 jeunes à accompagner, en tenant compte des échanges avec l’extérieur (jeunes aux études ailleurs etc.). Où sont-ils ?

Les sédentaires ne savent pas la joie de la marche parce qu’ils ne sentent pas l’appel de l’horizon au fond de leur cœur. En vérité, avant le goût de la marche, est semé en nous l’appel de l’horizon. Cet appel trace un sillon de soif dans le mental des marcheurs. Aux marcheurs, l’œuvre accomplie paraît minuscule. Ce qui reste à faire, gigantesque. L’aventure les torture. Les ardeurs du soleil et les glaces de l’hiver n’entament pas leur enthousiasme. Au contraire, le goût de l’effort et du risque augmente leur joie. Le changement est leur demeure. La nouveauté, le sel de leur vie…. »

« (…) Jadis, les bancs des servants de messe, ceux de nos catéchismes, ceux de nos mouvements pliaient sous le poids des jeunes. C’étaient nous peut-être quand nous étions de ces jeunes, prometteurs, acquis à la cause, bénéficiaires d’une chrétienté, portés par la foi de la famille. Avec une certaine nostalgie, nous évoquons ces temps bénis où la concurrence spirituelle n’existait pas. On naissait catholique (ou protestant ou juif), on le restait, on ne se mélangeait guère, on regardait de loin les autres, dont, par des livres d’exploration, nous connaissions l’existence : athées, bouddhistes, musulmans etc. Notre intérêt pour eux était de curiosité. Mais, d’un coup, des vagues nous ont submergés. Des façons de voir tout à fait différentes nous ont atteints : la vision matérialiste nous a frappés comme à l’improviste. Etonnamment, nous n’avons pas paru préparés à l’affronter. Et si nous avons résisté à titre personnel (il m’arrive de me définir comme un survivant spirituel du naufrage idéologique des années 70), la génération d’en-dessous ne s’en est pas remise. (…)

 

Nous cherchons à atténuer le mystère de la foi, à rendre la morale moins abrupte, à courir derrière la mode qui, malheureusement, va vite, très vite, trop vite pour nous. (Mgr Ravel)

Déconcertés, nous en sommes parfois à tenter de sauver la face ou, plutôt, de sauver le Sauveur, comme saint Pierre à Gethsémani quand il sort son petit glaive devant les gardes venus arrêter Jésus (rions, mais de qui ?). Nous en sommes parfois à chercher à rendre jolie, mignonne, agréable, acceptable notre religion. Nous cherchons à atténuer le mystère de la foi, à rendre la morale moins abrupte, à courir derrière la mode qui, malheureusement, va vite, très vite, trop vite pour nous.
Bien entendu, l’Église réfléchit sans cesse aux adaptations nécessaires au lieu et à l’époque où elle s’enracine. Mais adapter, c’est du quotidien. Cela ne nécessite pas un synode. La présence des jeunes dans l’Église et dans nos communautés ne dépend pas de “trucs” créatifs plus ou moins magiques. Il ne nous revient pas d’appâter le chaland en bricolant une modernité ajustée à l’Eglise ou une Eglise mesurée par la modernité. Beaucoup l’ont essayé avant nous pour un bénéfice nul ou éphémère.
N’inversons pas le processus : ce n’est pas parce que nous rajeunissons l’Eglise que les jeunes y entrent. C’est parce qu’ils y entrent que l’Eglise rajeunit. En s’y intégrant, les jeunes se chargent de renouveler en profondeur nos assemblées.

Mon expérience de jeune contribue à cette première conviction : ce n’est pas en se contorsionnant que nous serons attirants. A 20 ans, je n’ai pas adhéré à neuf et de toute la force de mon âme à la religion catholique parce que j’ai été séduit par des musiques nouvelles ou par des exigences amoindries. L’atmosphère fraternelle de mon aumônerie étudiante n’était pas due à des accommodements. Mes souvenirs sont très précis : ma foi personnelle date d’une rencontre de Dieu, sur une montagne de Haute Savoie, lourde de neige, légère d’un silence où s’élevait la prière de moniales. Je n’avais rien choisi sinon les grands espaces. Je n’attendais rien sinon l’ivresse de la Nature. Un livre trouvé au hasard et ouvert au petit bonheur la chance m’avait servi de guide. Combien de fois l’ai- je relu ce “Silence cartusien” dont je ne comprenais même pas le titre ? Combien de marches dans ces chemins creux habillés de soleil ? Au fil de ces heures suspendues au Ciel, quelque chose m’attirait puissamment à l’intérieur. Sans le savoir, je découvrais l’oraison. Et je la prolongeais auprès des petites sœurs de Bethléem, dans leur chapelle embaumée d’étranges parfums.

Dans cette Église violemment bousculée par un après-Concile compliqué – nous sommes en 1977 – je ne retrouvais qu’une “chose” : le Christ redimensionnant mon monde intérieur par l’adoration. C’est peut-être pourquoi je peine encore à comprendre ces oppositions tenaces entre traditionalistes-progressistes, adorateurs-acteurs… Toutes ces diversités réelles de l’Eglise, je les ai rencontrées à l’instant même de ma reconversion. Elles me semblent toujours être l’incarnation de l’extrême richesse des charismes. Mais, pour l’affirmer, il faut croire en l’Esprit-Saint plus qu’aux idéologies. L’Un et les autres s’emparent de nos esprits mais avec des effets bien différents : l’idéologie uniformise en divisant tandis que l’Esprit diversifie en unifiant. (…) »

Dans 25 ans, les jeunes d’aujourd’hui ne seront plus les jeunes. Il est à espérer qu’ils se tournent alors vers les jeunes du moment (pas encore nés à cette heure) pour les intégrer sans tarder.
Oui mais, car prenons garde que la formule “ils sont l’avenir de l’Eglise” ne nous dédouane de nos difficultés actuelles à rejoindre les jeunes et à nous laisser rejoindre par eux. La formule peut même pousser à l’idée suivante : s’ils ne sont que l’avenir de l’Eglise et du monde, il n’est pas la peine de les intégrer aujourd’hui. De façon automatique, ils prendront la relève de leurs aînés. Et c’était vrai naguère quand les jeunes, imprégnés de l’Evangile dès leur jeune âge, piaffaient aux portes des responsabilités encore (re)tenues par les adultes. Mais ce temps-là est révolu, même en Alsace. La preuve en est que, lorsque les personnes en responsabilité s’éclipsent après avoir beaucoup donné, qui veut la place vacante ? Il n’y a pas grand monde pour prendre la succession.
Si les jeunes n’entrent pas immédiatement dans nos communautés, qui nous assure qu’ils le feront mariés, engagés professionnellement, dans la pleine stature de leurs responsabilités humaines et le manque de temps qui va avec ? (…) »

[…]

Oui sans aucun doute,  [les jeunes] sont le présent de l’Église. Seule cette conviction forte nous engage immédiatement (sans délai et sans intermédiaire) à les raccrocher ou à les accrocher au train de l’Évangile.

Il n’y a pas à laisser la place aux jeunes dans nos communautés comme si nous étions déjà tellement habitués à n’y voir que des têtes
blanches que nous aurions oublié que les enfants et les jeunes y ont une place de droit.
Nous ne leur concédons pas un privilège. Ce droit d’être avec nous, parmi nous, avant nous, leur vient de Dieu. N’ayons pas peur : nous n’avons pas à abandonner notre place d’adultes confirmés. Il s’agit qu’ils occupent la leur. Nous devrions laisser des sièges vides dans nos assemblées ou nos réunions comme pour dire : « Dommage, il manque quelqu’un ! » Avec une sagacité un peu acide, certains reconnaîtront que les places vides occupent déjà nos bancs, au moins ceux des premiers rangs.

Place royale aux enfants (même bruyants) dans nos assemblées. Place bienveillante aux jeunes mamans obligées de sortir trois fois au cours de la messe. Place privilégiée aux personnes handicapées avec leurs fauteuils encombrants, leurs gestes brusques et leurs sons incontrôlés. Place aux jeunes dans le chœur, la chorale, les conseils, les missions.

Une fois de plus, la vision de la pastorale des pouvoirs touche ses (graves) limites. Avec elle, on garde l’impression que ce qu’on donne aux jeunes, on le retire aux aînés et inversement. Quand on sera fatigué par le comique de cette posture – et j’espère que ce temps viendra vite – alors on cessera d’opposer les laïcs et les prêtres, les jeunes et les anciens, les hommes et les femmes. Ce n’est pas la comparaison qui fonde l’unité, mais la charité.

[…]

Parce qu’on estime avoir passé l’âge, parce qu’on juge être à un poste de responsabilité trop élevé, parce qu’on n’a plus la force de la confrontation, parce qu’on pense ne plus les comprendre, parce qu’on est blasé pour avoir déjà essayé tous les moyens, on renonce souvent à pratiquer ces jeunes dont on dit le plus grand bien mais qu’on réserve aux autres. Aussi, en évitant de saturer le diocèse par des objectifs éthérés et des normes futuristes, il me semble nécessaire de donner dès le départ quelques indications formelles, générales ou précises.

[…]

Des jeunes morts ou presque morts dans leur âme, des jeunes perdus pour la foi, pour leur famille ou pour eux-mêmes, des jeunes loin de leur propre vie abondent autour de nous. Qu’en faisons-nous après avoir tout essayé pour les raccrocher ?
L’Evangile nous indique une voie précise, celle de la prière. Jésus n’apparaît pas tant touché par la mort du jeune que par la souffrance de la mère. Comment ne pas évoquer ici sainte Monique, la mère de saint Augustin, dont l’Église a reconnu que la conversion était tout à la fois le fruit de la grâce et le fruit des pleurs de Monique ? Entre ses dix-neuf ans, où il entre dans une secte, et ses trente-trois ans, où il se fait baptiser, c’est toute l’époque de sa jeunesse qu’Augustin vit loin de Dieu. Comme tant d’autres jeunes.
S’ils ne prient plus, si quelque chose s’est éteint de ce qui avait été allumé dans leur enfance, s’ils ne voient plus comment trouver le chemin du Christ, s’ils ne voient même plus l’intérêt de le trouver, alors ayons confiance dans la prière de la mère, des mères de la terre, de la Mère Église.
Prier demeure une des tâches prioritaires de l’Église. Prier pour nos jeunes, fragiles, morts ou en perdition. Prier pour les vocations sacerdotales et religieuses.

L’Alsace s’est engagée, il y a plus d’un siècle, à adorer de façon continuelle. L’adoration perpétuelle, en paroisse ou au Mont Sainte-Odile, n’a pas de meilleure intention que de prier pour les jeunes et les vocations.
Encore faut-il demander avec force, comme si notre vie en dépendait. Parce que, justement, elle en dépend.
Prions pour que nos jeunes entendent l’appel à devenir forts : « Veillez, tenez bon dans la foi, soyez des hommes, soyez forts, Faites tout dans l’amour. » (1 Cor 16, 13)

Pour lire la totalité de la lettre pastorale de Mgr Ravel, cliquer ici. Ne manquez pas non plus cette interview intéressante :

 

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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Un commentaire

  1. adhérer à neuf ou adhérer à « donf » ??
    silence des chartreux ou cartusien selon dom Augustin Guillerand ?
    comme il a raison le P. Ravel !
    merci de nous avoir fait partager cette lettre pastorale d’Alsace qui, à bien des égards, rejoint notre Bretagne, malgré les idiotismes concordataires

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