Il est dommage que certains textes tombent dans les abysses des archives et ne puissent plus interpeller le lecteur de passage. C’est pourquoi nous tirons régulièrement de certaines anciennes publications des articles qui peuvent servir aux générations diverses, qui au fil de leurs pérégrinations sur le continent numérique découvriront les facettes ignorées d’une Bretagne ne demandant qu’à être réveillée. En ce 8 septembre, fête de la Nativité de la Vierge Marie, nous vous proposons de découvrir un article de Jean Delebecque, 3 novembre 1954, publié dans Bro Guéned N°37 en 1955.
Le Brékélien, cette vaste forêt qui recouvrait la plus grande partie de la Domnonée, s’arrêtait là, dominée par les collines sauvages sur lesquelles une mince couche d’humus permettait à une végétation hirsute de s’alimenter. Landes, genêts et ronces, toute cette flore semblait s’opposer à l’homme pour le gain du pain quotidien.
Pourtant un hameau s’était accroché à ce massif schisteux dont l' »Out » baignait la base, et ses habitants, avec une ténacité qui caractérise les Bretons, s’acharnait chaque jour à conquérir sur une sauvage nature le droit de vivre. Or il arriva que l’un d’eux, piquant son faucillon sur ce qu’il pensait être une souche, libéra une antique statue de la « Benoite Vierge », enfouie en ces lieux, depuis le passage dévastateur des Normands, qui avaient suivi le cours de la rivière.
Homme pieux, puisque les bons saints de l’Ile de Bretagne avaient depuis trois siècles christianisé la vieille Armorique, il l’emporta chez lui. Ce fut une joie dans la modeste demeure, surtout pour son unique fille, aveugle-née, qui privée du contact avec l’extérieur, aurait tout le loisir de la prier constamment.
Mais le lendemain, le trône primitif, sur lequel reposait la précieuse découverte, était nu. Personne pourtant ne s’en était empare : on avait clos la porte après la prière en commun.
Tout triste, le laboureur reprit son travail au buisson du « Roncier ». Mais une grande joie détendit son visage assombri : « Elle était là ». Comprenant alors que le retour de la statue au lieu de la découverte indiquait une nette volonté d’être à tous et pas seulement à lui seul, il eut soin d’alerter le hameau et un modeste oratoire de branchage fut dressé pour élever « le lys au-dessus des épines ». Le premier geste de la Vierge, Mère très tendre autant que délicate, fut de rendre la vue à la fille du paysan. Les yeux où il avait toujours fait nuit virent alors l’image sainte dans un ravissement de bonheur.
Voilà ce que nous a transmis la tradition. D’aucun taxent ces souvenirs de légende ; d’autres considèrent ces faits comme une réalité, pourquoi pas ! surtout quand on connait la toute-puissance de Marie.
Voici l’An Mille : rien d’extraordinaire ne se passe, malgré les appréhensions généralisées de doubler ce cap. La terre, songent d’aucuns, aurait cette limite de durée fixée. Alors renait un renouveau de ferveur, et quittant les contingences matérielles, humbles et puissants élèvent leurs pensées vers le ciel. On voit venir vers la Vierge du Roncier un puissant Seigneur, Guéttenoc, comte de Porhoët. Venant rendre hommage à la Bonne Dame qui a choisi cette terre et y a prodigué tant ses grâces que de nombreux miracles, il ne peut résister au désir de résider près d’elle. Son château de Castel Troec, baigné par un étang aux eaux stagnantes offre un contraste singulier avec le nouveau fief de Marie arrosé par les eau courantes de l’Out. Une falaise dominant la terre bénie lui parait idéal pour y bâtir un bastion. Sa résolution est vite prise : « Elle d’abord, mon nouveau castel ensuite ! » Une chapelle romane surgit à l’emplacement de la découverte et les maîtres-tailleurs de pierre s’attaquent au massif de schiste veiné de quartz. Une vie d’homme ne pourrait suffire à voir achever une telle oeuvre. C’est Josselin (ou Jocelyn), son fils, qui en voit le couronnement et donne son nom à la ville qui éclot à l’abri des puissants remparts. Il n’oublie pas lui non plus la Vierge, et pour qu’elle soit l’objet de constantes louanges, il fait construire les prieurés de Sainte-Croix et de Saint-Martin qu’il donne avec privilèges aux Bénédictins.
A cette époque, un bastion aussi redoutable ne pouvait surgir sans inquiéter d’aucuns. Henri II, au XIIème siècle, s’élève contre Eudon II de Porhoët qui maintenant réside au château. Deux sièges aboutissent à une totale destruction de la ville. Le sanctuaire a-t-il échappé à cet acte barbare ? Non sans doute puisque le carré central de l’église présente encore de nos jour des restes qui se traduisent par des fenêtres romanes quelque peu aveuglées par la restauration mais demeurent là comme témoins de la construction première.
Pendant la guerre de Succession de Bretagne, Jean de Beaumanoir, gouverneur de Josselin, vint, un jour de mars 1351, avec ses compagnons, se recommander à Notre-Dame, avant le combat de Mi-Voie. Les trente chevaliers Bretons déposèrent leurs épées sur l’autel de la Vierge avant d’aller combattre les trente Anglais. Après la chaude journée, leur première pensée fut de venir rendre grâce, et le peuple les accompagna jusqu’à l’église pour chanter un hymne de reconnaissance à la patronne de la cité.
Olivier de Clisson succéda à Beaumanoir. Grand capitaine, autant que nul en son siècle, il n’était pas moins grand chrétien et féal serviteur de Marie. Il voulut doter Notre Dame d’une nouvelle église sur l’emplacement du sanctuaire de Guéttennoc ? En 1403, commença la construction. Eglise et château furent bâtis avec magnificence, et aujourd’hui encore ils se dressent devant nous dans toute leur splendeur.
Les guerres de religion, tentative malheureuse, avaient fait venir chez nous des Calvinistes. On pensait que le bon peuple de Josselin eut volontiers accepté la nouvelle doctrine qui faisait fi de la Vierge. A Dieu ne plaise ! Marie veillait sur sa cité, sur les habitants qui résistèrent à l’hérésie et sur les hérétiques eux-mêmes qui se convertirent. Ceux-ci, des drapiers venus du Midi, formèrent plus tard une puissante corporation ; les jours de solennité de Notre-Dame, ils marchaient en tête de procession et, dit la tradition, ils lui avaient offert un fameux bourdon, « la Grosse Marie ». Il l’avaient hissé eux-mêmes à l’aide d’une grosse corde de laine, alors que les chanvres les plus solides « avaient écourté », au cours de cette périlleuse opération. Une fois de plus se vérifiait l’antienne de l’office de la Vierge : « Cunctas hoereses sola interemisti… A toi seule tu as étouffé toutes les hérésies ».
Toute cette piété mariale ne fut pas sans toucher le coeur de Notre Dame. De nombreux miracles vinrent s’inscrire à son livre d’or. ON y constate des aveugles guéris, des impotents recouvrant l’usage de leurs membres perdus, aussi bien que des agonisants revenant à la vie. Mais en 1727, voici qu’une étrange maladie s’empare de deux enfants du Pays de Camors : « ils tombent à terre, la bouche ouverte, et crient en forme d’aboi à la façon des chiens , et ces spasmes les torturent plusieurs fois le jour durant », ainsi s’expriment les archives. Un de leurs voisins venu en pèlerinage à Notre Dame du Roncier eut l’idée de leur faire boire un peu d’eau qu’il avait rapporté de la fontaine. Ils en ressentirent un grand soulagement et leur père se décida alors à les conduire à cette source régénératrice. Les enfants s’en retournèrent guéris, comme s’ils n’avaient jamais ressenti aucun mal.
Ce fait troublant que rien ne semblait expliquer a donné lieu à une savoureuse légende. « Un jour de fête gardée, les cloches sonnent à toute volée pour faire souvenir à chacun que l’office va commencer. Des femmes, peu respectueuses de la solennité, manient le battoir à tour de bras et leurs langues ne son pas non plus sans manquer à la charité. Une mendiante vint à passer et leur reproche ces propos désobligeants. Leur seule réponse est d’exciter le chien de l’une d’entre elles contre la pauvresse. Mais celle-ci s’arrête, ses haillons tombent et la Vierge resplendissante apparaît à ces méchantes femmes qui s’entendent adresser cette triste malédiction : « Désormais vos descendantes aboieront comme ce chien que vous avez lancé contre moi ». Cependant, une paysanne se hâtait vers l’église et en entendant la redoutable sentence elle s’agenouilla devant la Dame, la suppliant de pardonner. La réponse ne se fit pas attendre : « Que celles qui sont atteintes de ce mal viennent alors prier en mon sanctuaire, et je les soulagerai. »
Ce n’est là sans doute que pure légende issue de l’imagination populaire. Depuis, on a cependant constaté la persistance de cette étrange maladie, toujours apaisée, ou même totalement guérie lorsque la patiente baise les reliques de l’ancienne statue ou le manteau de Notre Dame. Mais l’approche de l’église déchaîne en la malade une telle frayeur que des cris inhumains, de véritables aboiements, s’échappent de sa bouche. Les reliques ou la statue provoquent une véritable aversion de la Madone. Il faut toujours plus qu’insister pour lui appliquer le remède salutaire.
Ceci n’est pas une légende. L’an dernier encore, le 8 septembre 1953, bien des pèlerins en ont été les témoins. Qu’en conclure ? Certains pensent que ces pauvres créatures subiraient une influence maléfique. Quoi qu’il en soit de ce mal étrange, il semble que le recours à la Vierge du Roncier en est le meilleur remède.
Une ombre a paru passer sur la gloire de notre madone. La sombre fin du XVIIIème siècle valut à Josselin le triste honneur de devenir le chef-lieu de district et les fanatiques, profanant le sanctuaire, eurent l’audace de remplacer leur vénérée patronne par une quelconque créature et de brûler la statue miraculeuse. Ils avaient sans doute pensé, insensés qu’ils étaient, détruire, ce faisant, le culte de Notre Dame dans le coeur des Josselinais. Profonde erreur ! Un morceau de la statue épargné par le feu, fut sauvé, et, la tourmente apaisée, tous voulaient revoir la Bonne Dame du Roncier. Et pour réparer en quelque sorte tant d’outrages, la nouvelle statue fut solennellement couronnée en 1868 et sa chapelle élevée au rang de basilique par Sa Sainteté Léon XIII, en 1891.
Elle trône aujourd’hui dans cette splendide basilique pleine d’ex-votos de toutes sortes. Au dessous des vitraux qui rappellent sa merveilleuse découverte, c’est une véritable tapisserie de remerciements. En face, sur l’antique pilier du XIIIème siècle, ceinturé de laiton, sont accrochés des « annilles », bras, jambes de cire, de stableaux aussi, comme on en voit chez la Bonne Mère Sainte Anne, à Keranna, témoignages de faveurs et de guérisons obtenues. Il ne faudrait pas oublier de mentionner les multiples décorations accrochées tout près de la statue, légions d’honneur, médailles militaires et croix de guerre. Ne sont-elles pas concrétisées par tous ces témoignages, les invocations des litanies « Virgo clemens, Virgo potens, Virgo flos civitatis Josselinensis » ?
Mais un grand honneur à faire à Notre Dame du Roncier est d’assister à son grand pardon du 8 septembre. Dès avant l’aurore, le carillon le plus harmonieux de toute la Bretagne lance ses joyeux appels, couvrant, durant son envolée, la clameur des cantiques et le murmure des prières qui clôturent la nuit d’adoration, car aujourd’hui, au jour de sa nativité, on célèbre solennellement Notre Dame du Roncier. Les rues étroites de la cité médiévale, sur lesquelles se penchent les pignons d’un autre siècle, s’emplissent d’une foule dense qui s’achemine vers la basilique d’où le cortège triomphal s’ébranle, lent, majestueux, précédant la vénérée statue. Et trois quarts d’heure durant, tous clament les louanges de la Vierge. D’aucuns s’adressent à elle en langue bretonne (NDLR : malheureusement plus aujourd’hui en 2015 !), vêtus du costume de leur pays, apportant ainsi l’hommage de toute la Bretagne à la Vierge du Roncier. Toute la journée, ce magnifique mouvement de piété se continuera. Le soir, lorsque le son grêle de la petite cloche invite pour la dernière fois à prier la servante du Seigneur, la vieille cité reprend son calme habituel, heureuse et fière d’avoir accueilli les 30 000 pèlerins qui tous les ans se donnent rendez-vous ici à pareille date. En dehors de ce grand jour de pèlerinage, la basilique connait un mouvement continuel de visiteurs et de pèlerins. Le bel ensemble architectural, couronné maintenant d’une flèche digne de Notre Dame, attirera toujours à Josselin celui qui est épris de beauté et d’amour de Marie.