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Parole de la semaine – 6e dimanche du temps ordinaire

Amzer-lenn / Temps de lecture : 12 min

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (5, 17-37)

Malgré les premiers versets de notre passage dans lesquels Jésus se garde contre une fausse interprétation concernant sa venue, beaucoup de chrétiens d’hier et d’aujourd’hui sont tombés dans le piège. Jésus aurait rompu avec l’Ancien Testament au nom de l’amour du prochain et d’un libéralisme avant la lettre. Et bien évidemment l’Eglise l’aurait trahi en instituant un nouveau légalisme qui n’aurait rien à envier en dureté à celui de la loi de Moïse !

Notons qu’au IIe siècle Marcion, exégète romain, avait à peu près énoncé ces idées sans attendre l’empereur Constantin et l’Edit de Milan de 313 (nous fêtons son 1700eanniversaire) qui allait marquer la fin des persécutions contre les chrétiens. Début des infidélités ou commencement d’une nouvelle ère ? Tout dépend de la façon dont vous vous laissez influencer par les médias, ou de la façon dont vous vous en gardez.

Au cours de son ministère terrestre, Jésus a apporté quelques changements dans l’application du Sabbat et dans la distinction du pur et de l’impur, changements qui lui ont valu l’accusation de ne plus suivre les préceptes de l’Ecriture Sainte appelés la loi et les prophètes.

Si on ajoute à cela l’attitude de saint Paul sur la circoncision et ce qu’il a dit et écrit à ce sujet avant que saint Matthieu n’ait écrit son évangile, on comprend que notre narrateur insiste sur la fidélité de Jésus à la loi et aux prophètes. Jésus n’est ni un traitre, ni un démagogue libéral. En contestant certaines formes de légalisme, Jésus n’entend pas trahir le judaïsme, pas plus qu’après lui saint Paul n’a prétendu le faire. Il veut simplement le purifier au travers de son Messianisme afin qu’il soit plus à même d’accomplir ce que Dieu a demandé à Abraham : « former un peuple saint pour attirer toutes les familles de la Terre afin qu’elles soient bénies en lui » (Genèse 12, 3).

Il ne s’agit donc pas de supprimer ou d’amoindrir certains commandements de Dieu comme cela est rappelé au début de notre passage mais au contraire de mieux les respecter en les approfondissant quitte à modifier leur mode d’application. Et cela va aboutir en fait à une exigence plus grande parce que plus spirituelle devant être mieux acceptée au delà des frontières du peuple juif. Jésus mise au fond sur la conception universaliste de la sagesse telle qu’elle est développée dans la littérature sapientiale de son peuple. La première lecture d’aujourd’hui est on ne peut plus claire à ce sujet ; Ben Sirac évoque la vie et la mort proposées comme choix à chaque homme à propos de l’obéissance aux commandements. On ne saurait être plus universaliste puisque la vie et la mort regardent tout homme. Saint Paul de même parle de sagesse aux Corinthiens, dont la communauté est à majorité pagano-chrétienne. Autant d’illustrations scripturaires du rapport de la raison et de la foi, si bien mis en évidence par l’Ecriture Sainte tout comme par les Pères de l’Eglise, si magistralement rappelé par notre pape émérite Benoît XVI.

Celui-ci d’ailleurs dans son « Jésus de Nazareth » interprète dans ce sens les attitudes de Jésus et de Paul devant la loi. En ce qui concerne la position de l’Apôtre des païens sur la circoncision, les interdits alimentaires sur toute la sphère des purifications et les modalités d’observance du Sabbat, notre pape émérite écrit que « pour Paul leur maintien dans la Nouvelle Alliance aurait constitué une régression dans laquelle s’évanouit l’essentiel de ce tournant, à savoir l’universalisation du peuple de Dieu. En vertu de cette universalisation, Israël peut désormais englober tous les peuples de la Terre ; le Dieu d’Israël a été réellement apporté aux nations conformément à la promesse et il se manifeste comme leur Dieu à tous, le Dieu unique. Ce n’est plus la chair qui est déterminante (la descendance physique d’Abraham) mais l’esprit c’est à dire l’appartenance à l’héritage de foi et de vie d’Israël au moyen de la communion avec Jésus-Christ qui a « spiritualisé » la loi pour en faire la voie que tous devaient suivre dans leur vie. Dans le sermon sur la montagne, Jésus s’adresse à son peuple, à Israël, comme étant le premier porteur de la promesse. Mais en lui transmettant la nouvelle Torah, il ouvre celui-ci de sorte qu’Israël et les autres nations peuvent constituer une nouvelle famille, la grande famille de Dieu. »[1]

Un peu plus loin Benoît XVI va montrer ce qui distingue finalement la Torah de Moïse de celle de Jésus et nous ne pouvons que recommander la lecture de ces pages qui font suite à l’extrait que nous venons de citer, et ce jusqu’à la page 127 où il rapporte l’opinion éminemment intéressante du rabbin Jacob Neussner[2]. Pour faire bref, ce que démontre brillamment le Saint Père c’est que c’est Jésus lui-même qui fait la nouveauté de la Torah du Messie. D’où cette présentation par antithèse : « vous avez appris qu’il a été dit aux anciens […] eh bien moi je vous dis », ce qui amène les foules à constater à la fin du sermon sur la montagne : « or quand Jésus eut achevé ses instructions, les foules restèrent frappées de son enseignement car il les enseignait en homme qui a autorité et non pas comme leur scribe. » (Matthieu 7, 28-29). Et la note 1 de la TOB : à la différence des scribes, exégètes de la tradition des anciens, Jésus enseigne en tant que représentant l’autorité qui n’appartient qu’à Dieu (voir Marc 1, 22 ; Luc 4, 32) ce qui n’est pas loin de ce que constate aussi notre pape émérite : « il n’enseigne pas comme le font les rabbis, mais en homme qui a autorité. L’expression ne désigne évidemment pas quelque qualité rhétorique de ses discours, mais la prétention avouée de se trouver soi-même au niveau du législateur – au niveau de Dieu. La « frayeur » (malheureusement cette frayeur se trouve édulcorée par les principales traductions françaises de la Bible dans lesquelles la foule est simplement « frappée ») est justement celle qu’on éprouve du fait qu’un homme ose parler avec l’autorité de Dieu. Faisant ainsi ou bien il profane la majesté de Dieu, ce qui serait terrible, ou bien, et cela semble pratiquement inconcevable, il est vraiment à la hauteur de Dieu ».[3]

Le « Je » de Jésus constitue donc la clé de la compréhension de l’accomplissement de la loi. Parce qu’il est la Parole Sagesse incarnée, lui seul peut donner à la loi mosaïque la plénitude de sagesse universelle propre à rassembler tous les peuples de la Terre et ainsi réaliser en lui et en son message le rassemblement de toute l’humanité promise à Abraham.

Les temps que nous vivons nous montreront d’ailleurs à quel point il est sage d’être chrétien et de fonder les règles morales et sociales sur la loi de Dieu. Dame folie qui a toujours existé (voir la littérature sapientiale juive, ex Proverbes 9, 13-18) s’en redonne aujourd’hui à cœur joie et par jeu de contraste, va aider les chrétiens comme tous les autres hommes qui ont gardé quelque raison à faire les choix qui s’imposent.

Ici Jésus ne va pas s’attarder sur des sujets que par son attitude il a explicités, je pense par exemple au Sabbat, et je résume en une phrase. On a le droit de faire du bien un jour du Sabbat, même si cela génère une activité, car « le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Sabbat de sorte que le Fils de l’homme est maître du Sabbat » (Marc 2, 27-28). De même sur le pur et l’impur (voir Matthieu 15, 10-20), ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur (verset 10) […] mais ce qui sort de la bouche provient du cœur et c’est cela qui rend l’homme impur. Du cœur en effet proviennent intentions mauvaises, meurtres, adultères, inconduites, faux témoignages, injures. » (Verset 19).

Aussi va-t-il évoquer trois commandements essentiels pour la vie en société et la sanctification de l’homme en vue de la vie éternelle. L’interdiction du meurtre, de l’adultère et du faux serment, trois commandements issus du Décalogue qu’il va interpréter à la lumière de ce que nous avons dit.

Une première remarque s’impose valable pour les trois interdits. L’ancienne interdiction n’est pas abolie. Son sens est simplement étendu. Jésus ne veut pas s’arrêter aux seuls faits étant en cela logique avec ce qu’il pense en tant que Messie, égal de Dieu, qui sonde les cœurs et les reins. Il sait que le degré de mépris de Dieu et du prochain ne peuvent se déduire seulement d’un acte accompli ou non. A propos du meurtre par exemple, je peux vous dire en tant qu’aumônier de prison que bien souvent un meurtrier est passé à l’acte en très grande partie parce qu’il avait une arme dans les mains. Ce qui a pour conséquence que l’on n’est pas indemne de meurtre seulement parce qu’on ne l’a pas commis. Ce n’est qu’une apparence de vertu. On n’avait pas ce qu’il fallait voilà tout. Aussi en pensant au « Moi je vous dis » et au regard du Christ-Dieu sur nous, ne nous croyons jamais innocents. Ne faisons pas comme Caïn, jaloux d’Abel, gardant un visage abattu malgré l’avertissement de Dieu. Il faut au plus vite « relever son visage » et pardonner si l’on sent la colère ou d’autres sentiments négatifs demeurer en soi vis-à-vis d’autrui. Il y a bien sûr la justice des hommes me direz-vous ? Certes Jésus l’évoque, mais avec une ironie toute orientale qui nous laisse une très grande liberté pour voir si nous avons vraiment avantage à y avoir recours.

L’adultère est du même ordre à cette différence près par rapport au meurtre, que dans les faits il est beaucoup plus généralisé. Dans l’affaire de la femme surprise en flagrant délit d’adultère, à ceux qui le questionnaient pour savoir s’il fallait ou non la lapider parce qu’ils savaient qu’il se donnait l’autorité d’interpréter la loi, Jésus répond : « que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » ! Et là, même humour évangélique qu’avec les juges humains. « Après avoir entendu ces paroles, il se retirèrent l’un après l’autre à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul (Jean 8, 1-11).

Seul Jésus reste, comme seul Jésus peut affirmer vis-à-vis de la loi « eh bien moi je vous dis ». Et l’humour de continuer. Jésus n’est pas dupe de ce que l’on appelle la fidélité. L’adultère, tout comme le meurtre, est bien aussi souvent affaire de situation. Entre ceux qui en meurent d’envie et ceux qui le commettent, tout n’est pas non plus qu’affaire de vertu ! D’ailleurs l’imagination humaine est fertile pour se justifier sur ce genre de péché. Jésus n’hésite d’ailleurs pas, là encore, à donner dans l’humour oriental en employant l’hyperbole car à prendre ses propos à la lettre nos assemblées d’Eglise ne seraient composées que d’estropiés en tout genre, et nous ne nous croyons pas obligés de donner des détails, tout aussi contraires à la bienséance qu’injurieux pour l’intelligence de nos lecteurs.

Quant aux faux serments qui englobent les mensonges de toutes sortes, même s’ils se font de moins en moins devant le Seigneur…du simple fait de la baisse de la foi, ils se profèrent devant ces produits de remplacement qui vont des plus hauts symboles de l’Etat à la tête de sa mère, voire à la sienne propre, et bien sûr « les yeux dans les yeux ». Par rapport aux deux précédents péchés, c’est incontestablement le plus répandu. Etant devenu le signe et le symbole de l’humanité qui gagne, il est en passe d’être banalisé au point de peut-être obtenir un jour je ne sais quelle carte de bonne presse ! Elle aura autant de valeur qu’un permis d’inhumer. D’ailleurs un Etat sans Dieu ne peut que vouloir régulariser le mensonge, mais pour qu’il soit gouvernable cet Etat il lui faudra établir une distinction entre les bons et les mauvais mensonges. Cela dit au point où nous sommes arrivés ce n’est plus qu’un détail. Ce qui, je le signale au passage, pose quand même le problème de la prestation de serment pour un chrétien devant une institution d’Etat, et ce compte tenu des versets sur lesquels nous méditons. Autant le problème est moindre et ne se pose même pas dans des circonstances particulières et solennelles quand l’Etat est respectable de par ses lois, autant cela pose de graves questions quand les lois de l’Etat sont contraires aux lois de Dieu ou au bien commun. Si Jésus a pu opposer son « moi je vous dis » à ce qui avait été dit à Moïse et aux anciens, à plus forte raison peut-il l’opposer à ces demi-portions de faux prophètes recommençant à déterrer les haches de guerre anti-chrétiennes d’il y a deux siècles !

[1] P.123, Jésus de Nazareth de Joseph Ratzinger – Benoît XVI

[2] Un rabbin parle avec Jésus, Montréal 2000

[3] Opus cité p.124

Extrait du livre « A l’écoute de la Bible, homélies Dimanches et fêtes – Année A », Artège 2013, que vous pouvez directement commander via ce lien

À propos du rédacteur Père Michel Viot

Prêtre catholique du Diocèse de Blois, ancien pasteur et évêque luthérien, ancien franc-maçon, il a été aumônier de prison, vicaire épiscopal du Diocèse de Blois puis aumônier militaire chargé des anciens combattants. Il est aujourd'hui au service du Diocèse de Paris. Rédacteur occasionnel pour le blog breton Ar Gedour, certains des articles de son blog sont aussi parfois repris avec son aimable autorisation.

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