En 2005, le Pape Benoît XVI prononçait cette homélie à l’occasion de la solennité de Saint Pierre et Saint Paul, que nous fêtons aujourd’hui.
Chers frères et soeurs,
La fête des saints Apôtres Pierre et Paul est à la fois une commémoration reconnaissante des grands témoins de Jésus Christ et une confession solennelle en faveur de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. C’est tout d’abord une fête de la catholicité. Le signe de la Pentecôte – la nouvelle communauté qui parle dans toutes les langues et qui unit tous les peuples en un unique peuple, en une famille de Dieu – ce signe est devenu réalité. Notre assemblée liturgique, au sein de laquelle sont réunis des Evêques provenant de toutes les parties du monde, des personnes de multiples cultures et nations, est une image de la famille de l’Eglise présente sur toute la terre. Des étrangers sont devenus des amis ; au-delà de toutes les frontières, nous nous reconnaissons comme des frères. Ainsi est menée à bien la mission de saint Paul, qui savait « être un officiant du Christ Jésus auprès des païens, ministre de l’Evangile de Dieu , afin que les païens deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint » (Rm 15, 16). Le but de la mission est une humanité devenue elle-même une glorification vivante de Dieu, le culte véritable que Dieu attend: tel est le sens le plus profond de la catholicité – une catholicité qui nous a déjà été donnée et vers laquelle nous devons toutefois toujours nous acheminer. La Catholicité n’exprime pas qu’une dimension horizontale, le rassemblement de nombreuses personnes dans l’unité; elle exprime également une dimension verticale: ce n’est qu’en tournant le regard vers Dieu, seulement en s’ouvrant à Lui que nous pouvons devenir vraiment une seule chose. Comme Paul, Pierre vint lui aussi à Rome, dans la ville qui était le lieu de convergence de tous les peuples et qui, précisément pour cette raison, pouvait devenir avant toute autre l’expression de l’universalité de l’Evangile. En entreprenant le voyage de Jérusalem à Rome, il savait assurément qu’il était guidé par les voix des prophètes, par la foi et par la prière d’Israël. En effet, la mission vers le monde entier fait également partie de l’annonce de l’Ancienne Alliance: le peuple d’Israël était destiné à être une lumière pour les nations. Le grand Psaume de la Passion, le psaume 21, dont le premier verset est: « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné? ». Jésus a prononcé ce psaume sur la croix, il se terminait par la vision suivante: « Tous les lointains de la terre se souviendront et reviendront vers Yahvé; toutes les familles des nations se prosterneront devant lui » (Ps 21, 28). Quand Pierre et Paul vinrent à Rome le Seigneur, qui avait commencé ce psaume sur la croix, était ressuscité; cette victoire de Dieu devait à présent être annoncée à tous les peuples, accomplissant ainsi la promesse avec laquelle le Psaume se concluait.
Catholicité signifie universalité – multiplicité qui devient unité; unité qui demeure toutefois multiplicité. A partir de la parole de Paul sur l’universalité de l’Eglise, nous avons déjà vu que la capacité des peuples à se dépasser eux-mêmes, pour regarder vers l’unique Dieu, fait partie de cette unité. Le fondateur de la théologie catholique, saint Irénée de Lyon au II siècle, a exprimé d’une très belle façon ce lien entre catholicité et unité, et je le cite. Il dit: « C’est cette doctrine et cette foi que l’Eglise, disséminée dans le monde entier, conserve avec diligence, formant presque une unique famille: la même foi avec une seule âme et un seul coeur, la même prédication, enseignement, tradition comme si elle ne possédait qu’une seule bouche. Les langues sont différentes selon les régions, mais la force de la tradition est unique et la même. Les Eglises d’Allemagne n’ont pas une foi ou une tradition différente, ni même celles d’Espagne, de Gaule, d’Egypte, de Lybie, de l’Orient, du centre de la terre; comme le soleil, créature de Dieu, est un seul et identique dans le monde entier, ainsi la lumière de la vraie prédication resplendit partout et éclaire tous les hommes qui veulent venir à la connaissance de la vérité » (Adv. haer., I 10, 2). L’unité des hommes dans leur multiplicité est devenue possible car Dieu, cet unique Dieu du ciel et de la terre, s’est montré à nous; parce que la vérité essentielle sur notre vie, sur notre « d’où? » et « vers où? », est devenue visible quand Il s’est montré à nous et, en Jésus Christ, nous a fait voir son visage, lui-même. Cette vérité sur l’essence de notre être, sur notre vie et sur notre mort, vérité qui a été rendue visible par Dieu, nous unit et nous fait devenir frères. Catholicité et unité vont de pair. Et l’unité a un contenu: la foi que les Apôtres nous ont transmise de la part du Christ.
Je suis heureux d’avoir pu remettre hier à l’Eglise – en la fête de saint Irénée et à la veille de la solennité des saints Pierre et Paul – un nouveau guide pour la transmission de la foi, qui nous aide à mieux connaître et ensuite à mieux vivre également la foi qui nous unit: le Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique. Ce qui dans le grand Catéchisme, à travers les témoignages des saints de tous les siècles et avec les réflexions mûries par la théologie, est présenté de manière détaillée, est ici dans ce livre récapitulé dans ses contenus essentiels, qu’il faut ensuite traduire dans le langage quotidien et concrétiser toujours à nouveau. Le livre est structuré à la façon d’un entretien, avec des questions et des réponses; quatorze images associées à divers domaines de la foi invitent à la contemplation et à la méditation. Elles résument pour ainsi dire de façon visible ce que la parole développe en détail. Au début, il y a l’icône du Christ du XVI siècle, qui se trouve sur le mont Athos et qui représente le Christ dans sa dignité de Seigneur de la terre, mais en même temps comme le héraut de l’Evangile, qu’il tient à la main. « Je suis celui qui est » – ce mystérieux nom de Dieu proposé dans l’Ancienne Alliance – est rapporté là comme son nom propre: tout ce qui existe provient de Lui; il est la source originelle de tout être. Et comme il est unique, il est aussi toujours présent, il est toujours proche de nous et, dans le même temps, il nous précède toujours: comme « indicateur » sur la voie de notre vie, étant d’ailleurs Lui-même la voie. On ne peut pas lire ce livre comme on lit un roman. Il faut le méditer avec calme dans chacune de ses parties et permettre que son contenu, à travers les images, pénètre dans l’âme. J’espère qu’il sera accueilli de cette façon et pourra devenir un bon guide dans la transmission de la foi.
Nous avons dit que catholicité de l’Eglise et unité de l’Eglise vont de pair. Le fait que ces deux dimensions nous deviennent visibles à travers les figures des saints Apôtres, nous indique déjà la caractéristique suivante de l’Eglise: elle est apostolique. Qu’est-ce que cela signifie? Le Seigneur a institué douze Apôtres, de même que les fils de Jacob étaient douze, en les désignant ainsi comme les chefs de file du peuple de Dieu qui, désormais devenu universel, comprend dès lors tous les peuples. Saint Marc nous dit que Jésus appela les Apôtres pour « être ses compagnons et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 14). Cela semble presque une contradiction. Nous, nous dirions: ou ils sont avec lui, ou alors ils sont envoyés et se mettent en marche. Le saint Pape Grégoire le Grand prononça une phrase sur les anges qui nous aide à résoudre cette contradiction. Il dit que les anges sont toujours envoyés et, dans le même temps, sont toujours devant Dieu, et il poursuit ainsi : « Ils sont envoyés partout, ils vont partout, ils marchent toujours dans le sein de Dieu » (Homélie34, 13). L’Apocalypse a qualifié les Evêques d’« anges » de leur Eglise, et nous pouvons donc en tirer l’application suivante: les Apôtres et leurs successeurs devraient toujours être avec le Seigneur et précisément ainsi – où qu’ils aillent – être toujours en communion avec Lui et vivre de cette communion.
L’Eglise est apostolique, car elle confesse la foi des Apôtres et cherche à la vivre. Il y a une unicité qui caractérise les Douze appelés par le Seigneur, mais il existe dans le même temps une continuité dans la mission apostolique. Saint Pierre, dans sa première Lettre, s’est qualifié de « co-presbytre »comme les presbytres auxquels il écrit (5, 1). Il a ainsi exprimé le principe de la succession apostolique: le même ministère qu’il avait reçu du Seigneur continue à présent dans l’Eglise, grâce à l’ordination sacerdotale. La Parole de Dieu n’est pas seulement écrite mais, grâce aux témoins que le Seigneur, à travers le sacrement, a insérés dans le ministère apostolique, elle reste parole vivante. C’est pourquoi je m’adresse à présent à vous, chers confrères Evêques. Je vous salue avec affection, ainsi que vos familles et les pèlerins de vos diocèses respectifs. Vous allez recevoir le pallium des mains du Successeur de Pierre. Nous l’avons fait bénir, comme par Pierre lui-même, en le plaçant à côté de sa tombe. A présent, celui-ci est l’expression de notre responsabilité commune devant le « chef des pasteur » Jésus Christ, dont parle Pierre (1 P 5, 4). Le pallium est l’expression de notre mission apostolique. Il est l’expression de notre communion, qui possède sa garantie visible dans le ministère pétrinien. A l’unité, ainsi qu’à l’apostolicité, est lié le service pétrinien, qui réunit de façon visible l’Eglise de tous les lieux et de toutes les époques, empêchant ainsi chacun de nous de glisser vers de fausses autonomies, qui se transforment trop facilement en particularismes de l’Eglise et peuvent ainsi compromettre son indépendance. Avec cela nous ne voulons pas oublier que le sens de toutes les fonctions et de tous les ministères est, au fond, que« nous devons parvenir, tous ensemble, à ne faire plus qu’un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et constituer cet Homme parfait, dans la force de l’âge, qui réalise la plénitude du Christ », pour que le corps du Christ croisse « se construisant lui-même dans la charité » (Ep4, 13.16).
Dans cette perspective, je salue de tout coeur et avec gratitude la délégation de l’Eglise orthodoxe de Constantinople, qui est envoyée par le Patriarche oecuménique Bartholomaios I, auquel j’adresse une pensée cordiale. Conduite par le Métropolite Ioannis, elle est venue à notre fête et participe à notre célébration. Même si nous ne trouvons pas encore un accord sur la question de l’interprétation et de la portée du ministère pétrinien, nous sommes cependant ensemble dans la succession apostolique, nous sommes profondément unis les uns aux autres pour le ministère épiscopal et pour le sacrement du sacerdoce et nous confessons ensemble la foi des Apôtres, telle qu’elle nous est donnée dans l’Ecriture et telle qu’elle est interprétée par les grands Conciles. En cette heure du monde, pleine de scepticisme et de doutes, mais également riche du désir de Dieu, nous reconnaissons à nouveau notre mission commune de témoigner ensemble du Christ Seigneur et, sur la base de cette unité qui nous est déjà donnée, d’aider le monde afin qu’il croie. Et nous supplions le Seigneur de tout notre coeur pour qu’il nous guide à la pleine unité, de façon à ce que la splendeur de la vérité, qui elle seule peut créer l’unité, devienne à nouveau visible dans le monde.
L’Evangile de ce jour nous parle de la confession de saint Pierre, à partir de laquelle l’Eglise a commencé: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Ayant parlé aujourd’hui de l’Eglise une, catholique et apostolique, mais pas encore de l’Eglise sainte, nous voulons rappeler maintenant une autre confession de Pierre prononcée au nom des Douze à l’heure du grand abandon: « Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le saint de Dieu » (Jn 6, 69). Qu’est-ce que cela signifie? Jésus, dans la grande prière sacerdotale, dit de se sanctifier pour les disciples, faisant allusion au sacrifice de sa mort (Jn 17, 19). Jésus exprime ainsi implicitement sa fonction de vrai Prêtre suprême qui réalise le mystère du « Jour de la Réconciliation », non plus seulement à travers les rites substitutifs, mais avec l’aspect concret de son corps et de son sang. L’expression « le saint de Dieu » indiquait Aaron dans l’Ancien Testament comme le Prêtre Suprême qui avait la tâche d’accomplir la sanctification d’Israël (Ps 105, 16; vgl. Si 45, 6). La confession de Pierre en faveur du Christ, qu’il déclare le Saint de Dieu, se situe dans le contexte du discours eucharistique, dans lequel Jésus annonce le grand Jour de la Réconciliation à travers l’offrande de lui-même en sacrifice: « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6, 51). Ainsi, dans le cadre de cette confession, se trouve le mystère sacerdotal de Jésus, son sacrifice pour nous tous. L’Eglise n’est pas sainte par elle-même; elle est en effet constituée de pécheurs – nous le savons et nous le voyons tous. Mais elle est plutôt toujours à nouveau sanctifiée par le Saint de Dieu, par l’amour purificateur du Christ. Dieu n’a pas seulement parlé: il nous a aimés d’une façon très réaliste, aimé jusqu’à la mort de son propre Fils. C’est précisément là qu’apparaît toute la grandeur de la révélation qui a comme inscrit les blessures dans le coeur de Dieu lui-même. Alors chacun de nous peut personnellement dire avec saint Paul: « Je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Nous prions le Seigneur afin que la vérité de cette parole s’imprime profondément, avec sa joie et avec sa responsabilité, dans notre coeur; nous prions pour qu’en rayonnant à partir de la Célébration eucharistique, elle devienne toujours davantage la force qui modèle notre vie.