« On ne rencontre plus le loup
Qu’au tournant des livres et des contes
Est-il mort écrasé de honte
Ou bien de haine sous les coups ? » (Marcel Mompezat, Animalesque. 1950.
« Promenons-nous dans le bois, pendant que le loup n’y est pas ! » : des générations d’enfants ont chanté cette comptine. Le loup, par son retour, semble nous dire « Ne chantez pas trop vite, petits enfants, je suis de retour ! » Et il pourrait ajouter : « Mais vous n’avez rien à craindre ! Je ne suis pas le monstre que l’on a fait de moi ! »
Au 21e siècle, qui l’eut crû, le loup fait régulièrement les unes des actualités. Il paraît qu’il revient en force, et que même l’homme favorise sa reconquête de territoires qui furent jadis les siens, mais d’où il avait été exterminé.
En Bretagne, les derniers loups furent tués dans les landes de Lanvaux au début du 20e siècle, mettant ainsi fin à l’épopée d’un animal emblématique de notre faune. Il n’est pas un pays européen, Russie incluse, ainsi que d’Orient (Mongolie entre autres), Amérique du Nord, Canada, où le loup ne soit partie intégrante de l’Histoire de ces peuples. Les Indiens d’Amérique considéraient le «peuple des loups» comme «un peuple frère» qu’ils admiraient et respectaient. L’Empereur mongol Gengis Kâhn reconnaissait en eux d’extraordinaires chasseurs, mais aussi de remarquables guerriers … dignes de lui. Fin observateur, l’empereur se mit à leur école, et avouera que ce sont les loups qui lui ont appris l’art de la guerre et du harcèlement de l’ennemi. Il ordonnera à ses généraux, à ses soldats de bien s’inspirer de leur intelligence et de leur courage. Cependant, cette admiration ne l’empêchera pas de les combattre farouchement et avec … le respect dû à un ennemi courageux. Un respect qu’il n’accordera pas toujours à ses ennemis vaincus. Nos rois, nos ducs aimaient l’avoir comme symbole dans leurs armoiries, et ils ne leur déplaisaient pas de le prendre pour modèle.
Du Petit Chaperon Rouge à la Bête du Gévaudan, sans oublier Romulus et Remus de la mythologie romaine, élevés par une louve, toute une littérature a, soit glorifié le loup, soit fait de lui une sorte de « terroriste » de nos campagnes. Aujourd’hui, il est vrai que pour ce qui est des terroristes « on a mieux et plus fort », sans que cela n’interpelle plus que cela élus, scientifiques, messieurs « je sais tout et donneurs de leçons » et braves gens : il paraît « qu’on doit faire avec, c’est ainsi et pour longtemps ». Alors la question se pose : pourquoi ne pas « faire aussi avec les loups » ? Les risques ne sont pas plus grands, et surtout moindres. Après tout, on ne va pas nous demander, pour reprendre le titre d’un célèbre et beau western, de « danser avec les loups » …
Notons que c’est insulter ce noble animal que de lui comparer tous ces « jeunes loups aux dents longues », politiciens arrivistes, ambitieux ou véreux. C’est encore davantage les insulter que de les amalgamer aux terroristes souvent affublés du nom de « loups solitaires », car on n’a jamais vu de loups commettre des attentats. Le bulletin Les 4 Vérités, dans son numéro du 20 octobre 2017, a publié la lettre d’un lecteur agacé par les défenseurs du loup, et qui -à le lire- jouait à se faire peur. Ainsi écrit-il : « Je ne comprends pas que l’on puisse protéger le loup, animal nuisible et malfaisant. S’il se contentait de tuer épisodiquement une brebis pour se nourrir, ce pourrait être admissible, mais cet animal cruel et imbécile (sic) égorge par plaisir des troupeaux entiers, laissant les éleveurs dans leur profond désarroi. Il y a des sujets plus importants que de défendre les loups. Faudra-t-il attendre qu’il y ait des victimes humaines pour qu’on prenne enfin conscience du problème ? »
Si dans le problème il y a un imbécile, ce n’est sûrement pas le loup, mais ce lecteur qui étale ainsi son ignorance. Il ne sait donc pas que le loup compte parmi les animaux les plus intelligents de la terre, et qu’il ne tue pas par plaisir, mais essentiellement pour se nourrir et nourrir ses petits. Un journaliste disait il y a quelques années que «le retour du loup, avec son intelligence, son sens de la hiérarchie et de la discipline, le soin qu’il apporte à ses semblables et la formidable éducation qu’il transmet à ses petits, offre un peu de cette grandiose sauvagerie dont notre civilisation dégénérée a plus que besoin. Cela vaut bien quelques moutons payés par les collectivités, sacrifiés en offrande aux magnifiques hôtes des forêts de notre belle Europe ».
Est-il besoin de préciser que le loup, lui, n’égorge pas en une vie ces milliers de moutons abattus dans des souffrances atroces pour satisfaire une tradition barbare …
QUAND NOS SAINTS « CONFESSAIENT » LES LOUPS …
En Bretagne, mais là encore nous ne sommes pas une exception, le loup est très présent dans les contes, les légendes, le Cycle Arthurien. Plusieurs saints Bretons ont ainsi recadré des loups qui s’étaient laissés égarer sur la voie de la gourmandise en apercevant une brebis ou un âne : Saint Hervé, saint Ronan, saint Brieuc, qui pour leurs pénitences et leur donner l’absolution, leurs ont fait faire des « heures d’intérêt général » pour s’amender du préjudice causé à l’homme et ses biens (1).
De nombreux noms de villages attestent d’une présence du loup : Ti Bleiz (la maison du loup), Kerbleiz (le village du loup, Toul-Bleiz (le trou du loup), Coat Bleiz (le bois du loup) ; Ti Bleiz, souvent stupidement francisé en Ti-Blaise. Et le nom de famille Bleiz, lui aussi francisé en … Le Blé. D’ailleurs, dans toute la France, des noms de villages attestent du loup, des noms de familles y font référence par la fonction de l’un des ancêtres. Dans le vocabulaire hippomobile, la partie avant qui porte les brancards ou la volée se nomme la « Gueule de loup ». Un adage dit de l’imprudent qu’il se jette dans la « gueule du loup ». Ce vocabulaire, et nous pourrions citer bien d’autres termes, témoigne que le loup a aussi marqué notre langage.
Nous avons en souvenir le célèbre poème d’Alfred de Vigny « La mort du loup », mais c’est tout un florilège de poèmes qui lui a été consacré, tant il fascinait. Pour preuves, ce recueil de 100 poèmes « Entre chiens et loups » qui lui rend des hommages … post-mortem (2)
La littérature bretonne a aussi magnifié le loup : « Le Loup blanc de Paul Féval », « Les Loups de Coat Menez » et la « Croisade des Loups » de Jeanne Coroller-Danio et Herry Caouissin, saga pour les jeunes publiée en 1942/43 dans l’illustré Ololê (3).
Le loup, nous n’insisterons pas là-dessus tant le sujet est connu, a été, et reste, l’objet de tous les fantasmes, de toutes les calomnies qui en ont fait au cours des siècles un animal persécuté jusqu’à son extermination totale. Pour faire dans le vocabulaire actuel, on pourrait parler d’un véritable racisme anti-loup (si l’on peut me permettre), ou encore d’une loupophobie (c’est peut-être une première, j’invente le terme …). Evidemment, quand il y a phobie, cela entraîne la formation de deux camps : ceux atteints de cette phobie, et ceux qui en sont prémunis, chaque partie ayant ses arguments contre ou en faveur du beau canidé.
La louveterie, et le titre de Lieutenant de louveterie était très enviée ; en vénerie, les équipages créancés (4) sur le loup était très nombreux en Bretagne, et beaucoup de châtelains le chassèrent jusqu’aux cinq premières années du 20ème siècle, puis … faute de loups pour cause d’extinction, les chiens spécialisés furent mis sur la voie du sanglier, autre « bête fauve » digne d’eux. L’industriel Etienne Chancerelle, fut un grand veneur qui chassa le loup de Douarnenez aux forêts de Fréau, du Cranou, du Huelgoat, de Conveau entre Spézet et Gourin et de Pontcallec, dans les landes de Lanvaux, et ce jusqu’en 1912. Citons également le baron Maurice Halna du Fretay, le Comte Méhérenc de Saint Pierre, le Comte de Pluvier, tous représentants d’une vénerie très florissante en Bretagne, et à laquelle la guerre de 1914/18 allait porter un coup fatal dont elle ne se remettrait pas. (5).
Les conflits qui opposent loups et bergers reviennent régulièrement dans les actualités le concernant, c’est d’ailleurs souvent la seule raison pour laquelle on l’évoque. Mais cette raison est d’importance puisqu’elle remet tout aussi régulièrement en cause la présence et l’expansion du loup. Et si le loup est tant contesté c’est bien parce que l’homme, les bergers, les sociétés de loisirs alpins, se permet d’empiéter toujours plus sur ses territoires, perturbant non seulement sa vie sociale, mais aussi tout l’écosystème où il trouve sa nourriture. Soulignons que l’on met trop souvent, et les bergers en premier, sur le compte du loup les attaques de chiens errants, ou de vols d’animaux faits par des bipèdes très friands, surtout en certaines circonstances, qui pour brouiller les pistes, font des fausses empreintes avec des pattes naturalisées de chiens.
LE LOUP PEUT-IL SE DIRE BRETON ?
Cet été, le loup a donc fait parler de lui … en Bretagne. Ce seigneur des forêts, des landes serait paraît-il de retour, et c’est reparti pour les fantasmes. Le loup n’aurait-il donc pas le droit d’être un « migrant » ? Ce statut serait-il réservé aux humains ? Il y aurait les bons et les mauvais migrants, un « pays d’accueil » pour les uns, et pas pour les autres ?! Pourtant, le loup n’est pas une espèce invasive : il ne fait que retourner chez lui, sur ses terres ancestrales. Oui mais… nous dit-on, cette bête sauvage, dont la cruauté ne tient pas des contes et légendes mais de la réalité historique représente un triple danger : pour l’homme, pour les troupeaux de moutons, de vaches, de chevaux et des poules, comme un vulgaire renard, et cela sans parler des proies sauvages : chevreuils, cerfs, sangliers ; et d’être un vecteur éventuel de maladie.
Bref ! Le noble animal a tout faux ; son procès est entendu et sans appel : il n’a pas plus sa place, aujourd’hui comme jadis, dans nos campagnes sylvestres. Il ne saurait « être chez lui, chez nous ». Nous ferons remarquer que l’homme – d’ici ou d’ailleurs – n’est certainement pas vierge de tous dangers pour les autres et pour les biodiversités locales, et ce que l’on reproche au loup pourrait fort bien s’appliquer à l’homme. Homo homini lupus…
L’affaire est si sérieuse que l’on a créé un « Observatoire du loup ». Cet organisme a publié récemment une annonce pour essayer de détecter la présence du loup en Bretagne. Cette recherche s’effectuera sur une zone de «120.000 hectares située entre les communes de Rostrenen (Côtes d’Armor) et Locminé (Morbihan) durant l’été et l’automne 2018 ». Cette enquête déterminera des faits de dispersions d’individus, isolé ou en meute, de comportements et de prédations sur la faune domestique et sauvage, que nous avons déjà cité. Curieusement, ce communiqué ne fait pas état d’éventuelles attaques contre l’homme. Est-ce donc à dire que de ce côté-là il n’y a aucun danger ? La dite annonce de l’Observatoire invite toute personne qui constaterait un ou plusieurs indices laissant supposer la présence d’un ou plusieurs loup à entrer en contact avec lui. Pour l’Observatoire, la présence du loup serait établie depuis l’été 2017.
Le 25 septembre 2018 ? Ouest-France fait la « une» de son affichette par « Le grand retour du loup en Bretagne ! ». Comme tout un chacun, je me suis précipité chez mon marchand de journaux, pas de chance, tous les numéros avaient été vendus. Est-ce à cause de ce retour du loup, une invasion qui n’ose pas dire son nom, et qui aurait mis en émoi le bon peuple ? Je me suis rabattu sur le Télégramme : « Scepticisme à la Préfecture des Côtes d’Armor. Un naturaliste de l’Observatoire du loup a affirmé avoir croisé un canidé le 8 septembre dernier à Caurel, près du lac de Guerlédan (22). Contactée, la Préfecture des Côtes d’Armor est assez sceptique sur cette présence : « Avec les éléments que nous avons, rien ne nous laisse penser qu’il y a un loup dans les parages ».
L’Office National de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) a effectué aux vérifications d’usage, contrôlé si un animal ne se serait pas échappé d’un zoo, d’un parc. Potentiellement, nous n’avons aucune trace. Emmanuel Holder, naturaliste et responsable des réserves Bretagne Vivante des Monts d’Arrée n’y croit pas : « Je ne dis pas qu’il n’y a pas de loups en Bretagne. Je dis, par contre, que les preuves avancées sont très critiquables. L’Observatoire du loup a déjà été mis à l’index par l’ONCFS et l’association Ferus qui s’estiment être seuls compétents pour suivre l’expansion du loup ». Pour cela, l’ONCFS s’appuie sur un réseau de 3500 correspondants formés, et qui se chargent de récolter les preuves : empreintes, excréments, cadavres de proies, relevés d’indices divers. C’est le croisement de tous ces résultats qui peuvent donc prouver la présence d’un ou plusieurs loups dans une région. Il est vrai aussi, que des personnes de bonne foi peuvent confondre un chien-loup avec un loup. Rares sont celles qui pourraient citer les différences morphologiques qu’il y a entre un chien-loup et un loup : oreilles, pupilles, queue, taille, etc. Des différences que l’on retrouve par exemple entre le chat domestique retourné à l’état sauvage et l’authentique chat sauvage. J’ai possédé pendant 15 ans un magnifique chien-loup noir de belle taille. Dans la nature, n’importe qui, y compris un spécialiste, l’aurait pris pour un loup, jusqu’à son aboiement. De profession taxidermiste-naturaliste, ayant déjà écrit beaucoup d’articles sur le loup, je sais donc de quoi je parle. Mais, je n’ai jamais pris mon chien pour un loup.
C’est précisément au titre de taxidermiste-naturaliste, que j’ai été de 1968 à 1970, dans l’équipe fondatrice du Parc d’Armorique des Monts d’Arrée (domaine de Menez Meur sur la commune de Sizun-Hanvec). Le colonel Beaugé, alors directeur, me confia la réalisation d’une étude concernant la réintroduction dans de vaste enclos de plusieurs milliers d’hectares de loups et de bisons d’Europe. Précisons pour en assurer le sérieux, que cette Etude fut commandée par le Ministère de l’Environnement, dont le ministre d’alors était Olivier Guichard, et que celle-ci fut éditée par le Comité d’Etude et de Liaison des Intérêts Bretons (CELIB). Le projet n’eut pour diverses raisons pas de suite. Est-ce parce que l’UDB se livra à une attaque en règle contre le Parc d’Armorique, et à coups d’affiches parla de « réserves d’indiens » en projet au cœur de la Bretagne ? (6).
Pour toute la France, la population de loups s’élèverait à environ 350 têtes, ce qui est peu. Cela n’a pas empêché le gouvernement actuel, avec Monsieur Hulot pour ministre de l’environnement, de porter à 40 le nombre de loups à abattre en 2018, et ce, malgré qu’il soit une espèce protégée. Evidemment, il est moins risqué de combattre le « terroriste » loup que les vrais terroristes bipèdes …
LE LOUP, SYMBOLE D’UNE BEAUTE SAUVAGE, ENRACINEE DANS SA TERRE D’EUROPE
Alors, retour du loup ou pas ? Pour ou contre ?
Ce n’est pas le loup en tant que tel qui est le problème mais l’homme, du fait qu’il a complètement colonisé et détruit de toutes les manières son ancien espace vital. Le loup en Bretagne ne disposerait plus guère de grands espaces où il pourrait vivre, se nourrir ou élever ses petits en toute quiétude. Aujourd’hui, nous le voyons avec les renards notamment, mais aussi les sangliers et bien d’autres animaux sauvages, leurs espaces vitaux leur sont disputés : on déboise, on bétonne à tout-va, tout en nous parlant d’écologie. Il est vrai que leur écologie se résume surtout à fantasmer sur le changement climatique, justifiant ainsi de couvrir et d’enlaidir nos paysages avec les très contestables éoliennes et panneaux solaires.
Quand on en vient à interdire aux coqs et aux cigales de chanter, aux goélands et aux mouettes de crier, on se rend alors compte que le loup lançant lors de la pleine lune son cri sauvage, exprimant tout son enracinement dans cette terre d’Europe, la terre de ses ancêtres devenue trop étroite, pour lui comme pour nous. Pourtant, reconnaissons que des loups hurlant à la lune, se répondant d’une berge à l’autre du lac de Guerlédan ou en forêt de Quénécan, cette beauté sauvage « aurait de la gueule ».
Que me pardonnent tous les fâcheux, les insensibles à la beauté, à la poésie que ces Kan ha Diskan nocturnes de Lupus empêcheraient de dormir et glaceraient d’effroi …
Notes :
1)Le Paradis Breton de Janig Corlay. La Bonne Presse (1952).
2)« Entre chiens et loups » de Jean-Joseph Julaud. Edition Omnibus (2013)
3)Les Loups de Coât Menez et la Croisade des Loups, réédités par les Editions Elor, reprise par les Editions de Chiré.
4)Créancer : terme de vénerie, employé pour développer et confirmer toutes les meilleures qualités des chiens, c’est les créancer sur la voie de tel ou tel animal.
5)Etienne Chancerelle était l’héritier des célèbres conserveries « Charles Chancerelle » de Douarnenez et des biscuiteries à Audierne. Etienne Chancerelle « Carnets de chasse en Cornouaille, de 1898 à 1912 ». Editions Keltia-Graphic (1987). « Mes chasses de loups », mémoires du Baron Halna du Fretay. Imprimerie René Prud’homme. St Brieuc (1891). « Une Amazone bretonne, Comtesse Vefa de Saint-Pierre, de Claire Alraux. Coop Breizh-Keltia-Graphic (2000)
6)Parcs Naturels Régionaux. Youenn Caouissin, étude « Sur le principe d’un musée régional de la faune en Bretagne – Sur la restauration de la faune régionale en Bretagne et l’implantation de nouvelles espèces animales ». Document XIIa . Edité par le CELIB (1968)
Trugéré deoc’h a greiz kalon, Youenn, votre article est passionnat et pose les vraies questions !
Diwall Uisant, « passionnã »…