Disons-le franchement, il y avait tout à craindre d’un roman situant son intrigue dans cette période encore très controversée du nationalisme breton des années 1930-1945, et mettant en scène des personnages qui ont réellement existé, tous disparus aujourd’hui, mais restant d’éternels réprouvés. Personnages que l’on identifie parfaitement puisque l’auteur – Marina Dedeyan – leur donne leur véritable identité.
Assurément, une majorité des auteurs, qui à ce jour ont traité de cette époque, ne l’ont fait que de manière partiale et très caricaturale, appuyant leur œuvre sur une doxa faite de calomnies, de contre-vérités historiques, plaçant inévitablement les acteurs nationalistes bretons (les fameux « Breiz-Atao » de cette époque) dans le camp des égarés, des imbéciles et des traîtres collabos. Tout était ainsi dit et ne souffrait aucune controverses. C’est bien connu, les vaincus de l’Histoire, non jamais droit à la parole, à la considération, même pas à l’honneur et la sincérité de leurs engagements. Ils ont toujours tort.
C’est dire que, n’étant pas un adepte du « prêt-à-penser historique», surtout sur cette époque, lorsque ce livre me fut signalé et recommandé par des amis, fatigué de toute la littérature avariée qui a été écrite sur le sujet, je n’étais guère enclin à perdre mon temps dans la lecture d’un livre qui aurait encore rabâché tous les vieux poncifs éculés. Mais, je me suis dit que je pouvais, dans mon emploi du temps chargé, donner sa chance à cet auteur que l’on me recommandait. De plus, l’auteur avait, m’avait-on affirmé, avait eu ses sources par des membres de ma famille. Mais alors n’aurait-elle pas elle aussi trahi la confiance qui lui fut faite, comme bien d’autres l’avaient fait. Non ! Surprise !! J’ai lu ce roman avec intérêt, d’une seule traite, y reconnaissant des événements, des visages qui me furent, tant j’en avais entendu parler dans mon enfance, familiers. Parmi ces visages, celui lumineux de l’abbé Perrot martyr, dont en une page Marina Dedeyan décrit sa mort de martyr pour la Foi et la Bretagne (Feiz ha Breiz) (1)
L’auteur de Tant que se dresseront les pierres a parfaitement su éviter le piège de la caricature des événements et des acteurs nationalistes de cette époque. Elle ne s’est pas comportée en procureur ou juge à charge. C’est justement sa grande objectivité historique, laissant aux lecteurs leur propre jugement, qui font de son roman un inédit très remarquable, et le rend intéressant. Nous sommes à l’opposé d’un autre roman comme Sous le calvaire d’Hervé Jaouen, qui sous des noms d’emprunts, met aussi en scène les acteurs de l’époque, mais ceux-ci ne sont chez lui que de misérables traîtres ; personnes dans ce regard ranci sur les nationalistes bretons n’est sympathique, ce qui rend peut crédible ce roman de gare – pour peu que l’on ait des connaissances des réalités historiques – dont la seule fonction est de toujours discréditer les engagements nationalistes Bretons de cette époque.
Mais Tant que se dresseront les pierres, très beau titre au demeurant, est d’une toute autre facture. A travers l’histoire d’une famille bretonne engagée dans le devenir de la Bretagne, Marina Dedeyan met en scène trois frères qui vont prendre trois chemins différents qui les conduiront au bout de leurs engagements dans une période où les choix n’étaient pas aussi simples que le prétendent certains « historiens » ignorant tout de cette époque. Cela ne sera pas sans confrontation, sans déchirement au sein d’une famille profondément bretonne, une situation que bien des familles nationalistes ont connu. Aucun personnage, quel que soit son engagement, n’est caricaturé, présenté comme un être vil, comme un traître jeté dans le camp des « soldats perdus ». L’auteur respecte l’honneur et la sincérité de chacun. Et c’est justement sur ce point la grande qualité de son roman : elle a compris que les engagements de ses héros étaient purs, qu’ils se situaient au niveau de l’amour de la patrie, et pour beaucoup même, dans un amour sublimé dans une double foi : celle d’une Bretagne chrétienne et authentiquement bretonne. Nous sommes là dans une profonde réalité de cette époque. On peut reprocher bien des choses à certains engagements radicaux de certains nationalistes, on ne peut leur enlever leur honneur, leur fidélité, et d’avoir mis bien souvent leur peau au bout de leur idéal, avec des factures terribles à payer : assassinat, exécutions sommaires, exils, prisons, ruines.
Tous les personnages du roman sont réels. Ils portent leur véritable identité, ce qui fait de son roman, un roman historique. Une première dans le roman breton prenant appui sur cette tranche d’Histoire.
Le thème :
Lorsqu’en juillet 1940 la France est vaincue par l’Allemagne, il est fortement question que le Reich accorde à la Bretagne son indépendance. Le rêve de nationalistes exaltés ? Non ! Car cette indépendance fut pendant presque deux mois sur le point de passer de la plus pure utopie à la réalité ; dans les cartons de la Chancellerie de Berlin tout était bouclé. Ce n’était plus qu’une question de « formalités » politiques. Une occasion historique était à saisir : certains la saisirent avec toutes les conséquences qui s’en suivront, d’autres rejetteront cette trahison envers la France, et d’autres -la majorité- seront les inévitables attentistes opportunistes, et se découvriront à la 11ème heure une vocation de résistants et de justiciers à la petite semaine. Sait-on que des billets de banque étaient sur le point d’être imprimés à Landerneau, qu’un projet de Concordat avec le Vatican avait été élaboré pour la reconnaissance en la Bretagne d’un état chrétien ? Sait-on encore que l’ Allemagne avait commencé à libérer tous les prisonniers Bretons. Oui ! Le rêve caressé par les Bonnets Rouges de Sébastien Le Balp, par Pontcalleck, par La Rouërie, par Cadoudal, allait surement devenir réalité. Mais les événements qui vont suivre l’Armistice vont en décider tout autrement : Berlin, avec sa politique de collaboration décidée à Montoire, va brouiller les cartes et renvoyer l’espoir d’une Bretagne libre retrouvée dans le domaine d’un rêve vite évanoui. Pourtant, comme dans un film, le décor, les acteurs, tout était en place.Or au dernier moment le scénario, le casting furent changés, et ceux qui y crurent vont, à divers titres le payer très cher. Cependant, ils resteront tous fidèles à leur idéal trahi.
Le titre du roman de Marina Dédéyan est également intéressant, car comment ne pas songer que ces pierres qui se dressent, ne renvoient pas justement à ces nationalistes Bretons, qui tels des menhirs se sont dressés comme leurs ancêtres précités, profitant de circonstances historiques exceptionnelles, pour tenter de réaliser un rêve lourd de conséquences futures : rendre à la Bretagne son indépendance.
Félicitons donc l’auteur qui en écrivant son roman a respecté les événements et les divers protagonistes. Nous invitons ceux que cette page d’histoire bretonne riche et douloureuse intéresse à le lire. Cette lecture leur ouvrira une petite part de la vérité historique des « vaincus » qui n’est jamais la même que celle des vainqueurs. Je parlais plus haut de scénario, d’acteurs, de décors, comme dans un film, que fut cette page d’histoire de Bretagne : Tant que se dresseront les pierres a toutes les qualités, les ingrédients, pour devenir un film de… qualité… à condition d’en respecter l’esprit…
TANT QUE SE DRESSERONT LES PIERRES, de MARINA DEDEYAN, éditions PLON (2018). 557 pages. 21, 90 €.
1)A qui vient d’être consacré une monumentale biographie : J’ai tant pleuré sur la Bretagne, par Youenn Caouissin, édition Via Romana (2017) 34 € plus 8 € de port à commander sur le site Ar Gedour. Cliquez ici pour commander.
Ul levr da lenn neuze !
Un tiegezh rannet, dibaboù disheñvel graet gant breudeur, trubuilhoù an istor…
An dodenn-se a gaver ivez e romant René Bazin, « Les Oberlé » hag e romant Roperzh Ar Mason « evit ket ha netra ».
Daou romant arall da lenn !
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