Les ronds-points sont devenus des carrefours de rencontre de personnes avides de fraternité sans chichis.
Le samedi, c’est jour d’affrontement avec les forces de l’ordre où, alors, tout est permis : on casse, on vole, on pille…. Impunément, croit-on.
Entre temps, la liberté de circulation est rétablie, à peu près ; au moins autant que celle de penser, pour autant qu’on puisse en juger dans un paysage médiatico-social particulièrement prégnant.
Quelques axes de réflexions :
I – « Des pauvres vous en aurez toujours » (Mt 26, 11 ; Mc 14, 7 ; Jn 12, 8)
C’est en ces termes que Jésus met fin à la controverse suscitée au sein du groupe des apôtres par le geste de gaspillage de Marie de Béthanie, la sœur de Marthe et de Lazare, répandant du parfum de grand prix, du nard pur, sur la tête et les pieds du Christ.
« … Tandis que moi, vous ne m’aurez pas toujours ! C’est une bonne action qu’elle a accomplie pour moi. »
Pourtant, c’est vrai, on aurait pu tirer de la vente de ce parfum un bon prix, plus de 300 deniers, précise Marc, et en distribuer le produit aux pauvres, c’est ce qu’en bon économiste, préconise le trésorier de l’asso qui n’est, ni plus ni moins, que Judas l’Iscariote dont l’émoi parait à Jean dicté « non par souci des pauvres, mais parce qu’il était voleur et que, tenant (les cordons de) la bourse (commune), il dérobait ce qu’on y mettait » (verset 6).
C’est celui-là même qui, pour 30 deniers – le 10° du prix du parfum répandu par Marie – livrera Jésus aux Grands-Prêtres : « la trahison de Judas » suit immédiatement « l’onction de Béthanie » chez les évangélistes Mathieu et Marc : c’est le début du récit de la Passion et de la résurrection du Christ, du 26° au 28° et dernier chapitre de Mathieu, du 14° au 16° et dernier chapitre de Marc.
Judas n’aura pas profité longtemps du prix de son forfait : pris de remord, il a restitué les 30 pièces d’argent avant d’aller se pendre (Mt 27, 3-10). Luc, faisant parler Pierre, est plus gore : « cet homme est tombé la tête la première et a éclaté par le milieu, et toutes ses entrailles se sont répandues » (Acte des Apôtres 1, 15 et ss).
En revanche, le geste de la femme chez Simon le lépreux, à Béthanie, sur la route de Jérusalem, est glorifié par Jésus qui lui rend un vibrant hommage en ces termes : « partout où sera proclamé cet Evangile, dans le monde entier, on redira aussi, à sa mémoire, ce qu’elle vient de faire. » (Mt 26, 13 ; Mc 14, 9)
Malencontreusement, ni Mathieu, ni Marc ne donnent son nom, ce qui n’est pas très commode pour en transmettre la mémoire comme l’y invite le Christ dans les termes mêmes de la consécration : « vous ferez ceci en mémoire de moi » ; seul Jean nous précise que c’est au cours d’un repas servi par Marthe, où Lazare était présent parmi les convives, que Marie procéda sur Jésus à l’onction incriminée par les apôtres et judas, tout particulièrement.
Bien que son nom ne soit pas prononcé au canon de la messe, l’iconographie en a bien perpétré le souvenir : Marie de Béthanie est représentée avec le « flacon d’albâtre contenant un nard pur de grand prix » (Mc 14, 3) ; il ne faut pas la confondre avec son homonyme de Magdala, un village au nord de Tibériade, Marie-Madeleine, en cheveux et les épaules nues, vraisemblablement la pécheresse pardonnée et aimante de Luc (7, 36-50) qu’il ne nomme pas ; c’est à elle que Jésus ressuscité apparaitra. Avant de le reconnaitre, « rabbouni ! », elle l’aura pris pour le jardinier ; « noli me tangere » : ne me touche pas (Mt 28, 9-10 ; Mc 16, 9-11 ; Jn 20, 11-18).
Marie-Madeleine est fêtée le 22 juillet, tandis que Marthe et sa sœur Marie de Béthanie le sont, avec leur frère Lazare, le 29 du même mois.
Les pauvres dont parle Jésus se caractérisent par l’humble attitude accroupie de ceux qui sont réduit à la mendicité : « ptôchos », en grec : à croupetons.
L’ancien testament nous avait déjà prévenus : « il ne cessera pas d’y avoir des pauvres au milieu du pays » (Deutéronome, 15, 11), il s’agit alors d’ « endéès », de nécessiteux ; le livre des Proverbes (30, 14 et 31, 9) parle des « pénès », de ceux qui peinent pour se nourrir.
Aujourd’hui, comme hier, le pauvre reste l’invisible, celui qu’on ne voit pas, dont on ne soupçonne pas même l’existence : le vêtement qu’il porte n’a pas de couleur, il est transparent : il prend la couleur grise des parpaings de la stabulation de ses vaches comme celle des murs du HLM qui cache sa solitude, c’est selon.
Il est la figure de Jésus présent parmi nous, c’est pour cela qu’il mérite toute notre attention, non pas en raison de son compte en banque ou de ses récriminations plus ou moins justifiées.
Mais la solidarité a remplacé l’agapè, la charité, vertu théologale, qui nous parle de Dieu comme la Foi et l’Espérance
II – « Il n’y a pas que chez les riches qu’il y a la misère » (dicton berrichon)
Sous-entendez que 1°) l’on peut être pauvre sans pour autant souffrir de misère et que 2°) en corollaire du 1°) : la richesse ne met pas à l’abri de la misère, tant s’en faut.
C’est une autre façon de dire que « l’argent ne fait pas le bonheur », même si l’on considère généralement qu’il peut largement y contribuer.
En d’autres termes, il faut savoir, d’une part, distinguer ou plus exactement discerner pauvreté et misère et, d’autre part, relativiser l’une et l’autre notion : il y a plus riche que moi, mais il y a aussi plus pauvre : je suis forcément tantôt le riche de quelqu’un, tantôt le pauvre d’un autre.
Ma relative situation de fortune peut faire des jaloux et des envieux, mais elle reste indépendante de la condition plus ou moins misérable que je tire de l’état dans lequel je vis avec plus ou moins de bonheur.
L’herbe du pré d’à côté n’est pas plus verte que celle de celui où je pais : il doit me suffire amplement sans qu’il me soit besoin de chercher ailleurs ce que j’ai à disposition et à profusion…
Riche/pauvre, heureux/malheureux, je me borne à revendiquer le charme d’un état relatif.
III – «Le monde moderne s’est fixé comme étrange objectif d’éradiquer la pauvreté » (cardinal Sarah, « La Force du Silence », Fayard, 2016, n° 323)
Le cardinal se dit « surpris de la manière dont la pauvreté est comprise par le monde actuel, et même par de nombreux membres de l’Eglise catholique. Dans la Bible, la pauvreté est toujours un état qui rapproche Dieu de l’homme. Les pauvres de Yahvé peuplent la Bible. »
Il donne un exemple : « le monachisme est un élan vers Dieu seul : le moine mène sa vie dans la pauvreté, la chasteté, l’obéissance absolue et vit de sa Parole dans le silence »
Ceci au rebours total du monde extérieur : surtout, poursuit le cardinal, il existe une forme de confusion inquiétante entre la misère et la pauvreté. Cette manière d’envisager la vie ne ressemble pas au langage de la Révélation. La pauvreté correspond à une idée que Dieu se fait de l’homme. Dieu est pauvre et il aime les hommes pauvres. Dieu est pauvre car Dieu est Amour, et l’Amour est pauvre. Celui qui aime ne peut être heureux que dans une totale dépendance à la personne aimée. Dieu est la pauvreté absolue ; en Lui, il n’y a pas trace de possession.
La possession est une addiction plus dangereuse que la plus dangereuse des drogues : toujours plus et tout de suite.
IV – Le pouvoir résulte dorénavant de la capacité de nuisance
Le pouvoir a capitulé face aux exactions des zadistes : l’aéroport de Notre Dame des Landes ne se fera pas malgré les décisions des élus, confortées par référendum et consacrées par nombre de décisions de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée.
On saura s’en souvenir : le casseur finira par obtenir ce que le manifestant se borne à briguer ; ils le savent l’un comme l’autre dorénavant.
C’est un autre mode de fonctionnement de la société ; il n’est pas certain que ce soit un progrès…
En écho cher Yves, ces propos de Mgr Ginoux (évêque de Montauban), lequel regrette qu’aucun élu ni aucun représentant de l’État ne soit encore allé sur le rond-point qu’il fréquente. Au-delà de la solidarité concrète et du lien social, l’évêque voit un autre enjeu pour l’Église : « J’ai découvert des personnes sur le rond-point qui ne sont pas déchristianisées, mais qui ont souvent un sentiment religieux. Beaucoup font des pèlerinages. Ils me présentent parfois leurs médailles de la Vierge. C’est une religion populaire. Certes, il y a des anticléricaux qui se demandent ce que fait le curé parmi eux, mais nos rapports se sont vite détendus. Ces gens ne viennent plus à l’Église un peu pour la même raison qu’ils ne sont plus syndiqués, ni encartés dans un parti : ils pensent que ce n’est pas pour eux. En ce qui me concerne, le choix est vite fait : si les gens ne viennent plus à l’Église, c’est à moi d’aller à eux. » Amicalement. Bernard