Un biniou, des binious, un bagad…

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

Lu dans l’Express (30/08/2013), cet article d’une belle plume, certes écrit par quelqu’un qui ne semble pas connaître grand chose au breton, mais qui a le mérite de s’être plongé dans ce sujet, et donne ainsi une vue extérieure du championnat national des bagadoù. 

Ne jamais oublier que la bombarde est une arme redoutable utilisée jadis pour faire fuir les ennemis. Il est vrai qu’en milieu hostile la stridence de l’instrument breton peut couler un tympan, déchausser des dents et tacher du galon militaire. Cette histoire est tenace, qui parcourt les comptoirs de Bretagne, et il n’est pas impossible que le temps et les facéties locales aient fait se confondre ce compagnon du biniou avec l’homonyme pièce d’artillerie médiévale. Mais, comme disait l’autre, quand la légende est plus belle que la réalité… 

Voilà ce que c’est que d’arpenter les terres morbihanaises en ce mois d’août ensoleillé, à l’occasion du Festival interceltique de Lorient: on est prêt à croire n’importe quoi. Il faut dire que l’événement ici conté nécessite une mise en condition particulière. Assister à la finale du championnat national des bagadoù– formations bretonnes de cornemuses, bombardes et batteries- laisse augurer une journée… comment dire? Voilà.  

De la gamme diatonique au litre, du jabadao au kilomètre…

Même breton, le néophyte est en droit de craindre pour sa santé physique et son appétence pour la musique. Cinq heures non-stop. 15 bagadoù composés chacun d’une cinquantaine de musiciens. Qui interprètent des airs folkloriques réorchestrés et malaxés par leurs soins. De la gamme diatonique au litre. De la gavotte à fond la caisse. Du jabadao au kilomètre. Ça fait du bruit. Le tout sous les oreilles avisées de 12 jurés et de leur président, alignés en rang d’artichauts sous un cagnard de 23 degrés. Et devant un public supporter. 4 000 spectateurs réunis dans les gradins du stade du Moustoir, là où, habituellement, les Merlus lorientais jouent au football. Et que croyez-vous qu’il arriva? 

Cette finale fut surprenante et enthousiasmante. Une quasi-révélation. Avec, en plus, un suspense dans un mouchoir pour la première place entre trois bagadoù: KemperKevrenn Alré et Cap Caval. Si même Hitchcock s’en mêle… 

13 heures. Cour du lycée Dupuy-de-Lôme, à quelques mètres du Moustoir. Alors que le bagad Sant-Nazer, le premier à se présenter, se motive pour interpréter “Le pouet-pouet du bon Jésus”, mais aussi un cocktail “Polka-Plinn-Plinn”, ce qui n’est pas rien, les autres formations s’échauffent aux pieds des bâtiments. Les cornemuses d’un côté, les bombardes de l’autre, les percussions plus loin. Les musiciens se musclent les babines et s’aiguisent les poumons. Avant que le bagad soit à l’unisson, il faut que chaque corps d’instruments en fasse autant. Y a donc du boulot. Mais, à peine réveillées, les oreilles crient rapidement grâce. Ce qui annonce une journée acrimonieuse. 


“La musique bretonne n’est pas ringarde”

Direction l’entrée des artistes, où attendent les concurrents à quelques minutes de leur entrée en scène. Le bagad Cap Caval piétine, prêt à en découdre. Il est en tête après la première manche, qui a eu lieu à Brest au printemps. L’un des musiciens porte une paire de lunettes de soleil en plastique vert sortie d’une pochette-surprise. Un autre ressemble à l’acteur Jason Statham. Il s’appelle Laurent. Son frère, peut-être. “Tout va maintenant se jouer sur le terrain”, lance Ronan. Le Breton est métaphoriquement footballophile. Kimiad ar soudard yaouank constitue la partie centrale de leur prestation, une chanson composée par Prosper Proux, l’un des bardes bretons les plus connus du XIXe siècle. Ceci pour l’aspect historique de l’article. A la fin des douze minutes de jeu réglementaires, Tangi Sicard, le penn soner, le patron, la tête de pont, le chef, quoi- suivez un peu s’il vous plaît-, semble satisfait. “Ça s’est bien passé. Gagner serait la cerise sur le gâteau, mais participer à la compétition permet surtout de faire progresser le groupe. Et de montrer que la musique bretonne, que certains raillent facilement, n’est pas ringarde.” Tangi Sicard consacre une soirée par semaine au bagad. Toute l’année. Et tous les jours lorsque s’annonce la compétition. Un sacerdoce. Une passion. Il est métreur en bâtiment à Pont-l’Abbé

"Le clin d'oeil musical à l'Amérique du Sud a plu", commente Steven Bodenes, le penn soner du bagad Kemper, 18 fois sacré champion depuis 1949.“Le clin d’oeil musical à l’Amérique du Sud a plu”, commente Steven Bodenes, le penn soner du bagad Kemper, 18 fois sacré champion depuis 1949.Jean-Marie Heidinger pour L’Express et E. L.

 

L’esprit décidé et les oreilles également, retour dans la cour du lycée pour suivre les derniers réglages du grandissime favori, le bagad Kemper, 18 fois sacré depuis la création du championnat, en 1949, et double tenant du titre. Le Barça du biniou, le Bayern de la bombarde et le Real du tambour à lui tout seul. Il est troisième avant la phase finale. Autant dire que la pression est là. Et pas que de la bière. Steven Bodenes, le penn soner, refuse d’ailleurs sèchement de répondre à quelques questions. C’est pourtant gentiment demandé, mais l’heure n’est pas à la galéjade. Il y a un stoupig bigouden à répéter. Les musiciens se mettent en formation. Les talabarders bombardent et les cornemuseux soufflent, tandis que les joueurs de tambour baguettent… Pardon mais ne sont-ce pas des congas au milieu de cette batterie de batteries? Si, ce sont. Pas très breton, si l’on peut se permettre. Cubain, plutôt. Comme s’il y avait une crêpe au homard planquée dans le menu. Renseignement pris auprès de Bodadeg Ar Sonerion (BAS), la puissance organisatrice: si le règlement est très strict sur l’utilisation des bombardes et des cornemuses, qui ne doit pas dévier d’un poil de vache, une latitude plus grande est laissée aux percussions. C’est d’ailleurs là, souvent, que le bagad trouve son originalité. Le préposé aux congas se met alors à jouer, et la Vierge est apparue. 

C’est une image. Cette musique, dont certains se demandent encore si elle est d’art ou de cochon, prend tout à coup des airs dansants, rythmés, modernes. Un vent frais et iodé s’abat sur Lorient. Il est temps de rejoindre les gradins du stade, d’affronter les bagadoù en face. Moment longtemps différé, redouté même quelques heures plus tôt. Sur place, le bar est plein et le public, concentré. Quelques ados jouent avec leur smartphone, mais, en connaisseurs, relèvent la tête de temps en temps et applaudissent. Il y a beaucoup de bébés, qui tètent déjà du mixolydien 13e bémol, mode mélodique choisi par le bagad Elven. “Ce championnat est la vitrine de notre fédération, mais la formation est l’essentiel de notre travail, pointe André Queffelec, président de BAS. La Bretagne compte 10 000 musiciens et 90 bagadoù. Les jeunes sont présents, tombés dedans quand ils étaient petits. Comme la plupart d’entre nous.” Obélix, sors de ce corps. 


Beyoncé et Madonna ne feraient pas mieux 

A 16h50, le bagad Quic en Groigne, venu de Saint-Malo, est entré en scène. Tout de noir vêtu, le chef dirige la prestation, “une suite inspirée de l’If”, avec une incroyable vigueur. Il saute, tape du pied, entraîne ses troupes et anime les gradins. C’est joyeux. Beyoncé et Madonna ne feraient pas mieux. A faire écouter à tous les réfractaires. Un enthousiasme quelque peu refroidi par Bob Haslé, président du jury: “Techniquement, les caisses claires étaient loin d’être parfaites.” Ah bon. “Mais, globalement, le niveau était très élevé cette année. La musique bretonne se libère de plus en plus, fait preuve de créativité et reste ouverte au mélange. Mon bagad rennais, par exemple, a joué avec un rappeur congolais.” Ah bon? 


Si le Breton est têtu, il sait aussi être modeste en des occasions comme celle-là, où il est difficile de se pousser du col et du chapeau parmi 50 musiciens. Le groupe avant tout. La fierté de jouer et de maintenir vivante cette musique se fait donc à demi-mot. “C’est une tradition qui bouge, note Jean-Christophe Maillard, juré, musicologue, universitaire et spécialiste du baroque. Il y a là un militantisme pacifique qui permet d’affirmer une forte identité dans le plaisir.” 


Un plaisir revendiqué lors de la proclamation des résultats. Vainqueur… le bagad Kemper! Steven Bodenes est plus bavard qu’en début de journée: “Notre meilleure prestation. Le clin d’oeil à l’Amérique du Sud a plu. Je suis content. “Le titre de champion de France (Note d’Ar Gedour : le championnat national des bagadoù ne donne pas le titre de champion de France, mais de Bretagne ) permet au bagad de remplir son agenda. Une trentaine de dates par an, plus les concerts exceptionnels et l’enregistrement d’albums. “Il faut venir écouter et voir”, lâche-t-il avec raison. Pour que chacun, tel un Jules César devenu bretonnant, puisse ainsi crier victoire: “Minzo dett, Min meuss gwell, Min meuss gonnet*.” (“Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.”)  

*NDLR : l’orthographe est celle de l’article, que nous avons reproduit in extenso. 


En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/musique/championnat-national-des-bagadou-de-lorient-un-biniou-des-binious-un-bagad_1276814.html#53WEu6PBHSsoDCYm.99 

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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