[POINT DE VUE] Une campagne du Denier de l’Eglise … à l’Ouest ?

Amzer-lenn / Temps de lecture : 7 min

Le denier de l’église pour la province ecclésiastique de Rennes a débuté. Une campagne portant sur le patrimoine local. Le denier Ouest se fond dans un grand tout géographique épousant avec l’esprit du temps les contours des régions administratives Bretagne et Pays-de-la-Loire, mais évoque les saints locaux, le patrimoine local. L’auteur s’interroge si ce patrimoine riche et précieux dont la transmission est nécessaire concerne aussi la langue bretonne et son usage dans nos paroisses ?

La nouvelle campagne du denier de l’Eglise pour la province ecclésiastique de Rennes a débuté il y a quelques semaines, invitant les fidèles à un faire un don pour les diocèses qui en ont particulièrement besoin en cette période difficile. Il est à souligner l’intérêt de la campagne, qui remet l’importance de l’Eglise dans nos vies et le devoir de contribuer à sa vie courante, mais met aussi en avant le patrimoine local. Toutefois, nous revenons sur cette campagne qui, si elle possède une approche assez intéressante en soi et semble bien mieux que les campagnes passées, n’est pas sans provoquer quelques réflexions.

Province de l’Ouest, vraiment ?

Débutons le propos par le « denier de l’Ouest ». La campagne parle d’une « Eglise bien enracinée ».

« L’histoire de l’Ouest est intimement liée à l’histoire de l’Église catholique. Un patrimoine riche et précieux qu’il est de notre devoir de transmettre ! Connaissez-vous les saints patrons des diocèses de l’Ouest ? »

Ainsi débute une page invitant à mieux connaître nos saints patrons. S’il est louable de mettre en avant les saints locaux (et nous ne pouvons qu’encourager cette initiative) et le devoir de transmission, commençons par remettre l’église au centre du village. La transmission va de pair avec une réelle reconnaissance du terrain. Or utiliser le terme liquide d’Ouest -certes pratique au niveau marketing et gestion – pour qualifier la province ecclésiastique de Rennes (en latin : Provincia Rhedonensis), regroupant depuis 2003 l’Archidiocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo (archevêché métropolitain), le Diocèse d’Angers, le Diocèse de Laval, le Diocèse du Mans, le Diocèse de Luçon (un évêché qui dépendait auparavant de Saintes), le Diocèse de Nantes, le Diocèse de Quimper et Léon, le Diocèse de Saint-Brieuc & Tréguier et le Diocèse de Vannes revient à participer (que ce soit volontairement ou pas) à une politique hors-sol visant à créer un Grand-Ouest épousant avec l’esprit du temps les contours des régions administratives Bretagne et Pays-de-la-Loire, approche tenant peu compte des identités culturelles propres et les faisant peu à peu se fondre dans un grand tout. Pour autant, nous pouvons souligner des publications intéressantes dans cette campagne.

Un patrimoine précieux à transmettre

En effet, certaines spécificités de l’identité culturelle bretonne, vendéennes ou au-delà sont mises en avant.  « Parce que l’Ouest regorge de trésors liés à notre histoire chrétienne, soutenons nos traditions en donnant au denier » est-il dit, en mentionnant la Vallée des Saints (et en utilisant ses visuels), en citant aussi la tapisserie de l’Apocalypse au château d’Angers ou encore les clochers tors. Une campagne mettant en avant nos traditions et notre patrimoine ne peut qu’être vivement soutenue. Mais rebondissons et poussons plus loin la réflexion.

Soutenons nos traditions ? Et quid de notre langue bretonne qui est persona non grata dans la plupart de nos églises et de nos offices ? « Soutenons nos traditions en donnant au denier » reviendrait-il à dire que le patrimoine musical sacré breton, ce trésor lié à notre histoire chrétienne, réintégrera la liturgie si on donne au denier ?

La Bretagne (parce qu’ici nous ne parlerons que de la Bretagne et non de l’Ouest) possède une richesse inestimable qui ne relève pas du musée mais d’une tradition (encore) vivante. Hier encore, nous avons rencontré une personne, un chercheur d’or américain originaire de Bretagne et de passage. Lorsqu’il a entendu les notes du Kantik ar Baradoz, il en avait les larmes aux yeux. Une richesse malheureusement ignorée de bien des gens, ici, en Armorique. Ailleurs dans le monde, ils nous envient, mais l’envers du décor est rude.

On nous demande donc à raison de soutenir l’Eglise, en mettant en avant notre patrimoine, mais disons-le, le patrimoine immatériel, tout comme une partie du patrimoine matériel, est laissé de côté de manière générale. Nos cantiques bretons -ce trésor- sont mis en avant avec brio dans le monde séculier (notamment pour des concerts) mais sont chassés de notre vie chrétienne, comme l’a été le grégorien, traités comme les oripeaux du passé. Sur une vue générale selon les informations que nous avons, très peu de paroisses intègrent la langue bretonne dans la liturgie, malgré les recommandations des évêques. Dans le diocèse de Quimper & Léon, du côté du Cap Sizun, il nous a même été rapporté le refus radical de quelques personnes d’intégrer la langue bretonne même dans les pardons, parce que « les pardons sont un repère de Breiz atao ». Comment disqualifier en une phrase lapidaire, point Godwin à l’appui, toute initiative enracinée. On coupe au sécateur en invoquant des jugements de valeur. On glyphosate pour liquidation culturelle immédiate. Dans le diocèse de Vannes, un paroissien d’une paroisse située en bord de mer nous a signalé que « le COVID a réveillé [dans sa paroisse] un courant de laïcs, chargés de la liturgie, très anti-culture bretonne à l’église ». Le Covid, cette situation tombant à pic comme prétexte à supprimer certains pardons, patrimoine immatériel qui avait d’autant plus de raisons d’être en cette période d’épidémie.

Ce ne sont que quelques exemples parmi tous ceux que nous recevons, ici avec une volonté farouche de rayer ce patrimoine des églises bretonnes, ailleurs et, dans la majorité des cas, avec une ignorance pleine de bonne volonté. Or un héritage se reçoit : qu’il soit ce patrimoine sacré ou qu’il soit la liturgie de l’Eglise, il n’est pas nôtre, et nécessite donc une humilité profonde quant à sa réception. Comment peut-on parler d’une « Eglise verte » dans le sillage de Laudato Si,  et dans le même temps couper les racines ? Comment peut-on parler Fratelli tutti, et laisser de côté ceux qui sont nos plus proches frères ?

Alors, rien qu’à ce niveau, peut-être que de se mettre à l’école de nos  saints fondateurs comme nous y invite la campagne du denier 2020, que de redécouvrir ce patrimoine, même par une campagne un peu à l’Ouest, peut amener certains – osons-le croire –  à une prise de conscience générale qui amènerait également les Bretons qui se sentent méprisés à redonner au denier, eux qui ont arrêté de donner parce qu’on ne s’adressait plus à eux, comme Yvon qui nous confie : « le denier ‘ouest ‘ ne me fait pas envie. Je préfère le denier breton ». 

Précisons que si les Bretons ne s’engagent pas, y compris dans l’Eglise, rien ne pourra se faire, et les évêques auront beau donner des lignes directrices, cela ne changera rien. Nous ne pouvons nous plaindre si nous-mêmes laissons la place à d’autres sans travailler nous-mêmes pas à changer les choses. C’est pourquoi il est nécessaire d’être sur le terrain pour avancer, comme essaie de l’être l’équipe d’Ar Gedour, avec votre soutien essentiel.

Je donne au Denier

Les points de vue exposés ici et publiés dans la rubrique « Point de vue » n’engagent que l’auteur de ces textes et nullement notre rédaction. Média alternatif et collaboratif, Ar Gedour est avant tout attaché à la liberté d’expression. Ce qui implique tout naturellement que divers avis et opinions puissent y trouver leur place.

 

À propos du rédacteur Tudwal Ar Gov

Bretonnant convaincu, Tudwal Ar Gov propose régulièrement des billets culturels (et pas seulement !), certes courts mais sans langue de buis.

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6 Commentaires

  1. A du penn da benn !
    #Breizh #bzhg

  2. Soutenir nos traditions? OK: nous vous prenons au mot: mettez plus de langue Bretonne à la Messe. Ensuite, nous verrons pour donner plus. Moi, dans mon petit coin du bout du monde, j’ai vu les derniers restes de ma langue disparaître….a part de temps en temps un petit os à ronger…
    Ill y a un certain non sens à mettre en avant les traditions et de l’autre côté à supprimer le mot Bretagne, ou les noms des évêchés. L’Amérique aussi est à l’Ouest. sans parler de Tournesol….
    Sérieusement, à quand un synode comme en 849? Nominoë en son temps y avait mis les choses au clair (et aux clercs…). Il convient en effet de se prononcer, tant pour les pouvoirs laics que pour l’Eglise, sur la volonté de détruire ou de faire vivre l’âme d’un peuple. Il n’y a pas de neutralité: soit on est pour la langue Bretonne et on fait ce qu’il faut, soit on ne fait rien pour la laisser mourir: on est alors contre….Je vois quelques prêtres, aussi venu d’ailleurs, chanter en Breton. avec une grande Foi…Mais quand l’Eglise donnera-t-elle de réelles directives aux laics qui font trop souvent n’importe quoi? Le prêtre n’a pas à se taire. Il doit lui aussi avoir son mot à dire sur le choix des chants….
    Franchement: une messe en FLB avec un beau côté sacré donne plus envie que des chansons chorégraphiées où on dévisse les ampoules….
    En tout cas, mon porte-monnaie est à l’ouest et s’ouvrira peut-être une fois revenu en Bretagne. Evel just.

  3. “les pardons sont un repère de Breiz atao”. Ouaouhh! Bonjour ignorance et préjugés!

    Ce genre de remarque traduit aussi une haine, très profondément enracinée, de la langue bretonne. Souvent on la trouve chez les générations anciennes, toujours traumatisées par ce qu’elles ont vécu à l’école primaire…ou par ce que leurs parents ont vécu….à l’époque du grand nettoyage linguistique. Est-ce une raison pour ne pas évoluer et se réconcilier avec…soi-même?

    Ce travail d’intégration est difficile et douloureux, mais il n’est pas irréalisable. Encore faut-il le vouloir….

    Le breton est une belle langue, à la souplesse chantante, disait récemment une personne étrangère à la région, qui découvrait la rythmique et les accents authentiques en Finistère. Et des Bretons, qui ne parlent pas ou plus, se raidissent encore?

    Que faire sinon prier pour ces personnes? / Petra d’ober nemet pediñ evit an dud-se?

    • complément

      Peut-être que le terme de « haine » est un peut trop généralisateur et pourra choquer. A minima parlons donc de « blocage psychologique ». A chacun de placer le curseur en fonction des situations individuelles.

      Marteze, gerioù zo hag a c’hell bezañ re greñv. Da bep hini d’ober e soñj, ken disheñvel eo istorioù hiniennel an dud bet paket en afer-se.

  4. D’ar Vretoned da zeskiñ o yezh, da gentañ !…
    Gwelet (klevet, kentoc’h…) vo warlerc’h…

  5. à l’ouest !…
    Klasket vez dihenchañ ar Vretoned ?

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