Saints bretons à découvrir

XX° anniversaire de l’association « les chemins du Tro-Breiz »

Amzer-lenn / Temps de lecture : 16 min

Les 3 et 4 mai 2014 à Sainte Anne d’Auray

tro breiz

Ah ! Qu’elle était belle notre campagne bretonne avec ses feuilles aux arbres toutes neuves d’un vert si tendre qu’on en aurait mangé ! Seuls les frênes avaient conservés l’air engourdi de l’hiver encore récent. Même l’herbe des champs n’avait pas encore goûté de la barre de coupe ni du râteau des endaîneuses ; le printemps éclatait de fleurs qu’on n’aurait dit soigneusement cultivées, j’ai même vu, au détour d’une haie, une touffe d’orchidée des marais, hampe violette dans sa rosette de feuilles mouchetées.

Au début du mois d’août, quand nous retournerons sur les chemins poursuivre notre pérégrination annuelle tout ceci aura terni, les blés fauchés et les orchidées retournées à leurs mystérieuses activités chtoniennes.

20 ans déjà ! 20 ans qu’à l’instigation de Philippe Abjean, théologien et professeur de philo à Saint Pol de Léon, une poignée de randonneurs est parti sur les chemins du Trobreiz où chaque année maintenant pérégrine plus d’un millier de marcheurs de toute sorte !

C’est à l’invitation de Monseigneur Raymond Centène, évêque de Vannes, et surement celui du Tro-breiz – non pas le seul diocèse au monde qui marche, mais certainement le seul à ne vivre qu’en marche – que l’actuelle présidente de l’association : Marie-Alix de Penguilly et sa fidèle et efficace équipe a organisé les festivités du 20° anniversaire à Sainte Anne d’Auray, ce premier week-end de mai 2014.

Nous étions près de 200 à y répondre en cette belle matinée de samedi toute ensoleillée après plusieurs jours de temps, disons « océanique », qui avait rafraichi et nettoyé l’atmosphère qui n’en n’avait pas encore vraiment besoin.

Les retrouvailles, comme chaque fois, se sont avérées chaleureuses, les nouvelles rapidement échangées ; en réalité, le temps écoulé depuis notre séparation du mois d’août dernier à Dinan s’est effacé comme par enchantement. Et nous voilà parti, derrière nos ouvreurs, d’un bon pas matinal, le long de la maison de retraite de Ker Anna, face à laquelle avait été dressé le 29 septembre 1996 le podium où sa sainteté – et le titre n’est plus dorénavant que de simple courtoisie – le Pape Jean-Paul II a dit la messe devant un public du genre de celui qui vient de quitter l’esplanade, en plus grand.

La colonne reste somme toute compacte, et, suivant les instructions du pape François et des organisateurs, comme lors de la promenade dominicale, la famille toute entière adapte son pas à celui des plus petits : les plus rapides ont patientés le temps nécessaire aux plus lents pour rattraper le gros de la troupe.

Monseigneur Centène lui-même, fraichement arrivé de Rome où il avait assisté aux cérémonies detro breiz,yves daniel,bretagne canonisation des bienheureux Papes Jean XXIII et Jean-Paul II, armé de son makila en guise de crosse et ayant troqué sa mitre épiscopale pour le béret basque national y figurait en excellente place, avec tant d’autres qu’il serait fastidieux d’énumérer tous au risque d’en oublier quelques-uns. Finalement ce sont les absences qui se faisaient remarquer, absences que les présents ont tôt fait de faire oublier, mais quand même, bien qu’avec d’excellentes excuses dues principalement au défaut d’ubiquité, ils auront toujours torts.

Nos pas nous conduisent en milieu de matinée par les chemins parcourus successivement par les troupes de Charles de Blois en septembre 1364, les chouans de Georges Cadoudal en juillet 1795 et, en août 1944, les hommes du 2e Bataillon FFI du commandant Le Garrec, sur le joli port de Saint Goustan aux pieds d’Auray, là où, en raison de la tempête sévissant sur Nantes où il devait initialement accoster, Benjamin Franklin aborda le 3 décembre 1776 au début de la guerre d’indépendance des États-Unis d’Amérique pour venir solliciter l’aide militaire de la France au roi Louis XVI.

Nous montons la côte par le raidillon de la petite rue Saint René, passons aux pieds de la statue du saint ermite, patron des pêcheurs, vers les petites églises du Saint Sauveur et de Notre Dame de Lourdes qui dominent le vieux port ; cette dernière, ordinairement fermée pour cause de sécurité, principe de précaution oblige, est aujourd’hui exceptionnellement ouverte grâce à la persévérance de Marie-Joseph qui nous invite à remettre notre obole pour redonner à la chapelle sa splendeur d’antan. On ne rentre pas, mais, par la porte ouverte, on aperçoit au fond, la reproduction de la grotte des apparitions.

Tiens, mais c’est Philippe Abjean lui-même, que voilà ; c’est un peu sa fête à lui aussi, et je vais le congratuler comme tel.

Un peu plus loin j’aperçois le Père Dominique de Lafforest, en personne, tout droit arrivé des Etats Unis, l’aumonier du Tro-breiz depuis sa fondation, sans qui le Tro breiz ne serait pas tout à fait ce qu’il est ; décidément, tout le monde est bien là.

Allez, on lui emboite le pas en rentrant à sa suite dans la fraicheur de l’église du Saint Sauveur où il sait nous y faire chanter et prier après avoir attiré notre attention sur quelque détail de l’édifice et de son mobilier.

Toute bonne chose ayant une fin, il faut aussi savoir ne pas s’attarder et poursuivre le chemin vers la jolie petite église de sainte Avoye dont le clocheton pointu apparait bientôt au-dessus des arbres ; nous tournons autour jusqu‘à un grand parking, vide de véhicule, où il est prévu de se restaurer avec les provisions dont nos sacs à dos sont chargés. Nous y sommes accueillis par Loïc Riou, l’œil vissé sur le viseur de sa caméra, comme de coutume ; il nous a promis pour cette année une suite au CD édité l’an dernier par Point Barre : « il était une foi…les chemins du trobreiz »

Ah ben, ça alors, on ne va pas aller voir cette belle chapelle ni s’assoir près de la rivière du Bono qu’elle borde ! Cette déception fait bientôt place à l’espérance d’une curiosité à satisfaire, ultérieurement.

Pour nous consoler, je nous débouche une bouteille de sauvignon de Reuilly que je partage avec mes copains léonards sur un fromage de chèvre du Pont de l’Angle ; les berrichons sont là pour apporter à la Bretagne ce qu’ils n’ont pas, ce ne sont ni les uns ni les autres qui me démentiront, n’est-ce pas Anchouai ? N’est-ce pas Fanch ?

La dernière bouchée avalée nous nous dirigeons, à l’invitation des responsables, vers la chapelle où nous pénétrons à la suite d’une des membres du comité de sauvegarde qui s’avérera être une guide chevronnée et compétente.

L’intérieure est ornée d’un « jubé » (de l’impératif du verbe latin « jubere» : ordonner ; le chantre, juché sur la passerelle, commençait les lectures et les psaumes par l’invocation « jube, Domine,
benedicere » ; « ordonne, Seigneur, de bénir »). Il sépare la nef en deux parties, dont l’une, celle côté chœur, est réservée à la famille régnante locale, celle du sire de Kerisper dont la forteresse existe toujours de l’autre côté de la rivière tandis que l’autre regroupe dans la nef le menu peuple, le tout-venant, nous.

Sur la face qui nous regarde figurent les images des douze apôtres : Pierre avec la clé du Royaume des Cieux et le livre de ses épitres, André avec la croix sur laquelle il a été martyrisé et qui porte dorénavant son nom, il tient un livre apocryphe (qui n’a pas été retenu dans le canon du Nouveau Testament), Jacques le Majeur avec son bâton de pèlerin, mais sans la coquille ! Paul, citoyen romain, avec le glaive qui le décapita, le jeune Jean, imberbe, avec la coupe de poison mortel qu’il bénit le rendant ainsi inoffensif, tous les trois sans le livre, évangile ou épitre, qui leur est attribué. Suivent ensuite Thomas l’architecte avec son équerre et le livre de son évangile apocryphe, Mathieu avec sa lance de fonctionnaire des impôts et son évangile canonique, Barthélemy avec le couteau qui servit à l’écorcher vif et un livre apocryphe, Jude avec la massue qui l’assomma, Simon le Zélote avec la scie qui le découpa, Mathias avec la hallebarde du gardien de la prison dont il fut délivré par le Christ lui-même, et enfin Philippe, mort de mort naturelle, un peu honteux au milieu de tous ces martyrs, il nous tourne le dos pour s’en aller, son seul livre apocryphe dans les mains, clin d’œil de l’imagier au-delà des siècles.

De l’autre côté, vers le chœur, face à l’autel, avec sa bêche et son livre, voici saint Fiacre, patron des jardiniers, et, avec sa grille, le saint diacre Laurent martyrisé pour avoir préservé du pillage sacrilège la bible qui lui avait été confiée et qu’il tient en main.

Puis, les trois vertus théologales : la Foi qui brandit la croix et l’hostie, la Charité avec son cœur, littéralement, « sur la main », et l’Espérance, comme une femme enceinte dans l’attente de l’heureux évènement qui surviendra aussi surement que son accouchement quand l’heure sera venue.

Et les quatre vertus cardinales, la Tempérance qui mesure le liquide du vase à la coupe, la Justice avec la balance de l’équité et le glaive de la sanction, la Prudence et son miroir, la Force, comme une tour imprenable.

Enfin, Monsieur Saint Yves, mon saint patron, entre le pauvre qui le supplie et qu’il regarde avec bienveillance et le riche qui lui tend une bourse bien rebondie et auquel il tourne ostensiblement le dos.

Il nous faut maintenant repartir et, si les sacs sont maintenant plus légers, les ventres se sont alourdis d’autant.

Le retour par Pluneret nous conduit au cimetière, sur la tombe de la Comtesse de Ségur, née Sophie Rostoptchine à Saint Pétersbourg en 1799 et décédée en 1874 à Paris mais inhumée auprès de son avant-dernière fille Henriette, épouse du député puis sénateur du Morbihan : Armand-Felix Fresneau (1823-1900) demeurant au château de Kermadio où l’auteur des malheurs de Sophie séjournait volontiers l’été. Elle repose aux côtés d’un autre de ses enfants : Monseigneur Louis-Gaston de Ségur (1820-1881), mort aveugle.

En traversant la voie de chemin de fer qui relie Quimper à Paris nous ne manquons pas d’admirer la jolie gare de Pluneret surmontée, tout comme la basilique toute proche, d’une magnifique et monumentale statue de Sainte Anne enseignant la jeune Marie.

Au retour sur l’esplanade, vers 17 h, le compteur affichait tout de même un peu plus de 23 Km

A 18 heures nous nous sommes retrouvés tous salle Keriolet écouter notre vénérée présidente, la cousine Marie-Flore, son alter égo pour les chemins bretons de Compostelle et assister à la présentation, en primeur, par ses auteurs Bernard Rio et Yvon Autret du guide du Tro-Breiz édité par Coop Breiz sur lequel, les uns et les autres se sont précipités, moi le premier, pour l’acquérir aussitôt contre une modeste contribution, tant en vue des étapes à venir que pour se remémorer celles passées.

Le dîner était servi à l’heure dite, soit 19 h 30 à la salle polyvalente de la commune, la paëlla excellente et l’ambiance, comme de coutume, gaie et conviviale.

A 21 h, avait lieu dans la basilique, un spectacle scénique autour des 7 saints fondateurs ; le jour baissait, nous étions assis dans la tiédeur de cette fin de journée et, la fatigue se faisant sentir, j’avoue que je me suis félicité, à partir du 4° – il s’agissait de Saint Malo – qu’il n’y ait pas plus de sept fondateurs…

A la fin du spectacle, pourtant largement agrémenté par les voix d’hommes des Kaloneu derv bro Pondi, Monseigneur Centène est monté à l’ambon, non pas pour nous annoncer la victoire d’En Avant Guingamp, ce n’était encore que la mi-temps au Stade de France, mais pour la prière du soir et sa bénédiction paternelle avant la dislocation aux accents émouvant d’un « Bro goz me Tadeu » chanté à pleine gorge.

Le coucher était prévu salle Jean-Paul II ; je suis monté derechef à l’étage où j’ai retrouvé Robic, notre doyen (89 ans ! ça laisse du temps devant soi !!), qui s’est étonné de ma présence ; Iffig, nous y a rejoint après son service. Ainsi, j’ai bénéficié du dortoir et de la douche réservés aux Jacquets. Je n’avais pourtant pas froid et le lit valait certainement le béton du sol du rez de chaussée, néanmoins, le sommeil m’avait fui, sans doute trop sollicité au cours de la soirée à la basilique. Au petit matin, j’ai dû m’assoupir quelque peu, selon l’aveu d’Iffig qui, s’il n’a pas eu de mal à s’endormir, m’a trouvé bruyant au réveil…

La journée s’annonce encore belle et ensoleillée, mieux qu’hier, sans doute, quand la chaleur du soleil du mois de mai le disputait aux petits coups de nordet qui nous avaient obligés à adapter sans cesse notre tenue vestimentaire aux aléas du parcours alternant soleil et ombre, vent et abri.

J’ai revu avec émotion le sous-sol du mémorial et les cinq autels des cinq évêchés bretons actuels, correspondant aux cinq départements, y compris la Loire Atlantique où figure l’effigie de mon homonyme, aumônier des zouaves pontificaux.

La grand-messe dominicale de 11 h était présidée par notre évêque. En nous commentant le récit des deux pèlerins d’Emmaüs – particulièrement adapté à son auditoire trobreizien – Monseigneur Centène nous fait observer que l’évangéliste, Luc (24, 13-35), ne nomme que l’un d’entre eux : Cléophas et tait le nom de l’autre. L’autre, c’est Jean-Yves, Patrick, Daniel, Alexis, c’est toi, c’est moi !! Et c’est vrai que notre cœur était brulant en nous tandis qu’il nous parlait. Il continue de marcher avec nous, invisible peut-être, mais certainement pas absent.

Réconforté par de telles paroles, nous n’avions qu’une envie : nous remettre bien vite en route tant nous démangeaient les fourmis dans les jambes

Derrière nous, la belle voix de Denise, qui fait maintenant chanter les chapelles, nous entraine pour le cantique final à Intron Santez Anna : sans elle, nous ne l’aurions jamais aussi bien chanté !

Allez, sac au dos et en route pour la chapelle de Gornevec, à quelques kilomètres seulement de la basilique, sur l’ancienne route de Plumergat ; bientôt arrivés à destination, nous prenons notre repas sur le placis de la chapelle toute restaurée par les soins conjugués d’un efficace comité épaulé par l’association « Breiz Santel »

Le député Philippe Le Ray vient courtoisement nous rendre visite, en voisin, puis Gérald Cariou, historien, auteur, avec Léo Goas, architecte, du livre paru l’an dernier chez Liv’édition : « Gornévec, l’épopée d’un village du Pays d’Auray », nous fait, en personne, les honneurs de cette belle chapelle qui a retrouvé son lustre d’antan et la promotion de son livre que nous nous procurons en souvenir de cette belle journée.

SAINTE-ANNE-D-AURAY-STE-ANNE_1856669-L.jpgIl nous invite à admirer particulièrement la charpente et le maître vitrail du chœur que les restaurateurs ont voulu, pour notre édification, historié : il présente, de droite à gauche, sous l’auréole de sainteté, les douleurs de la sainte vierge dont le glaive a transpercé le cœur, notamment la ruine de sa chapelle, tout en bas, puis, sous la couronne d’épine, les images de la passion du Christ. Sous la couronne de laurier, les épisodes heureux de la vie de la Sainte Vierge, enfin, sous une couronne royale, la gloire de son Fils, en premier lieu la chapelle restaurée « ad majorem Dei gloriam ».

Dans le transept gauche, l’arbre de Jessé présente, curieusement, dans la lancette gauche la généalogie de Marie et dans celle de droite, celle de Jésus, son fils. Les évangélistes Mathieu et Luc présentent celle, descendante à partir d’Abraham chez le premier et ascendante jusqu’à Adam chez le second, de Joseph, l’époux de Marie, pourtant étranger à la conception de Jésus. Si Luc ne nomme que l’ascendance masculine de Joseph, Mathieu mentionne les noms de trois femmes parmi les ancêtres de Jésus, outre celui de Marie, sa mère, il s’agit de la belle Bethsabée, la femme que David ravit à Urie le Hittite, mère du roi Salomon (2Sam 11 et 12), de la traitresse Rahab, prostituée de Jericho (Jos 2) et de la rusée Tamar qui se fit enceinter par Juda, son beau-père (Gn 38).

Bon, on relira tout cela un peu plus tard, pour l’heure, le biniou koz et la bombarde nous appellent dehors pour un laridé auquel on peut difficilement se soustraire.

L’après-midi s’étire ainsi doucement, les léonards sont sur le départ, on se quitte en se donnant rendez-vous à Dinan le dimanche 2 août à la première heure tout en se souhaitant de rapides retrouvailles.

Je rentre seul jusqu’à ma voiture, et, pour me consoler, je m’offre une bonne bière pression, mais sans Picon. Du coup j’en prends un second à votre santé, celle du Tro-Breiz et des trobreiziens.

Quand même, pour un bel anniversaire, ce fut un bel anniversaire !

Kénavo deoc’h ! D’ar wech all !

Auteur des chroniques publiées depuis 2008 sur le site officiel de l’association des Chemins du Tro-Breiz, rubrique : « document à télécharger/ compte rendus »

Crédit photo : Ar Gedour & Yves Daniel – Tous droits réservés. 

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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