Saints bretons à découvrir

23 décembre, fête de saint Yves… de Chartres

Amzer-lenn / Temps de lecture : 6 min

La veille du soir de Noël, on fête Saint Yves [NDLR : du moins en fête locale comme nous allons le voir, car en Bretagne, c’est Saint Gwenvaël].

Il ne s’agit pas du saint patron des juristes et de la Bretagne réunis, fêté le 19 mai, jour de son décès en 1303 au manoir de Kermartin près de Tréguier, mais de saint Yves de Chartres, né plus de deux siècles plutôt, vers 1040, à Auteuil, à quelques kilomètres au sud de Beauvais, dans l’Oise.

Mais qui est cet Yves sous le parrainage duquel les père et mère du petit Hélory auraient voulu le mettre, à l’heure de son baptême en octobre 1253, en le prénommant Yves, comme l’ancien évêque de Chartres ?

Yves de Chartres, puisque c’est sous ce nom qu’il est connu en sa qualité d’évêque de cette ville, y est décédé en 1115.

Issu d’une famille noble du Beauvaisis, Yves était professeur de théologie à l’abbaye de saint Quentin en Beauvais à laquelle il avait contribué à rendre son prestige lorsqu’il a été élu évêque de Chartres aux lieu et place de l’évêque Geoffroy, taxé de simonie : il vendait les indulgences.

L’archevêque de Sens, dont le diocèse de Chartres était un des suffragants, ayant refusé de sacrer le nouvel évêque, Yves se rendit à Rome où le pape lui-même, le chatillonnais Urbain II (1042-1099), lui conférra l’ordination épiscopale.

Mais l’archevêque, irrité, convoqua un concile à Embrun (Hautes Alpes) qui déposera Yves. La procédure fut annulée par le pape qui confirmera Yves sur le siège de Chartres et privera son détracteur du « pallium », insigne de son autorité.

Assuré sur son siège épiscopal, Yves se trouve rapidement en butte avec le roi de France, Philippe 1° (1052-1108), époux légitime de Berthe de Hollande (1058-1093), mère du futur roi de France Philippe VI (1081-1137), dit « le Gros »…

Après avoir répudié, au bout de 20 ans de vie commune, sa légitime épouse, le roi Philippe entend vivre, au vu de tous, avec sa concubine Bertrade de Montfort (1070-1117), qu’il a purement et simplement ravie à son légitime époux, le vieux Foulques IV d’Anjou (1042-1109), dit le Réchin (le revèche), comme David avec Bethsabée, la femme d’Uri le Hittite, dont le comportement sera dénoncé par le prophète Nathan (2° livre de Samuel, chapitres 11 & 12).

Ce double adultère scandalise tout le monde. L’évêque de Chartres est un des rares à le dénoncer publiquement, tel Jean le Baptiste avec Hérode ! (Mt 14, 3-12 ; Mc 6, 17-29, Lc 3, 19-20)

Emprisonné sur ordre du roi, il fera toutefois preuve de modération en s’opposant à une tentative d’évasion fomentée par ses partisans. Ayant recouvré et sa liberté et son siège, tout en évitant de donner aux encycliques papales dénonçant la félonie du roi une publicité de nature à justifier la sédition, Yves refuse fermement de participer au concile convoqué par le roi à Reims pour officialiser sa bigamie notoire, mais il assistera à ceux de Clermont (1095) et de Beaugency (1104). Outré de l’attitude persistante du roi malgré ses remontrances, il donne sa démission de sa charge d’évêque de Chartres démission aussitôt refusée par le pape.

A la fin de l’année 1104, la sentence d’excommunication et l’interdit qui en résultait pour le royaume de France seront levés par le pape Pascal II (1050-1118), successeur d’Urbain II.

Si le roi est veuf depuis l’année 1093, Bertrade, elle, est, en effet, toujours retenue dans les liens du mariage avec le comte d’Anjou. Profondément émue par le sermon de Robert d’Arbrissel (1047-1117) entendu au cours du dernier concile auquel étaient présents les coupables, elle prend le voile et se retire à l’abbaye de Fontevrault, près de Saumur, de toute récente fondation.

Retenons d’Yves de Chartres qu’il fut un partisan de la réforme grégorienne initiée par le pape Grégoire VII (1015-1085) et mise en pratique par son successeur, Urbain II : il s’agit, notamment, de reconnaitre aux clercs leur autorité spirituelle et religieuse, d’interdire aux laïcs de s’y immiscer, et réciproquement.

Dans cet ordre d’idée, Yves de Chartres interviendra dans la querelle des investitures épiscopales opposant le pape d’une part, titulaire du pouvoir spirituel, et l’autorité temporelle détenue par l’empereur ou le roi – « empereur en son royaume » dira le juriste Jean de Blanot en 1256 – de l’autre, en introduisant la distinction fondamentale entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel grâce à quoi la querelle des investitures se réglera en France et en Angleterre dès 1114.

Il faudra, en revanche, attendre le concordat de Worms conclu le 24 septembre 1122 entre Henri V, empereur du Saint Empire Romain Germanique et le pape Calixte II, pour qu’il y soit mis fin. Cependant, la question restera toujours au centre des concordats successivement conclus, en France, par le pouvoir politique avec la papauté depuis la pragmatique sanction de Bourges promulguée en 1438 par Charles VII jusqu’aux concordats de Bologne conclu en 1516 entre François 1° et Léon X auquel la constitution civile du clergé de 1790 mettra fin et celui, conclu en 1801 à Paris, entre le 1° consul, Napoléon Bonaparte, et le Pape Pie VII, que la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 privera d’effets, sauf en Alsace Moselle.

Digne successeur de Fulbert (970-1028), feudiste renommé, sur le siège épiscopal de Chartres, Yves a été un jurisconsulte émérite qui pourrait, à l’instar de son homonyme breton, revendiquer à juste titre le patronage des juristes en général et avocats en particulier.

Pour autant, il ne semble pas qu’Yves de Chartres ait subi un procès en canonisation en bonne et due forme, comme Yves Hélory à peine une trentaine d’année après sa mort, de sorte qu’il n’existe aucune indications qui laisse à penser que la sainteté de l’évêque de Chartres ait atteint les rives du Jaudy et du Guindy, au moment où le futur official de Tréguier y a vu le jour.

Il n’empêche que comme pour Fulbert, dont la statue orne le parvis de la cathédrale de Chartres, le 10 avril, les diocèses de France célèbrent le 23 décembre la fête d’Yves.

En attendant qu’il en soit de même pour Yvon, Yvon Nicolazic, le voyant du Bocéno, à Sainte Anne d’Auray dont l’histoire est racontée au fil des vignettes de la toute récente bande dessinée due au talent de René Le Honzec.

Contrairement à Yvon Nicolazic, Yves de Chartres n’a aucun espoir de voir, un jour, sa statue érigée à la Vallée des Saints !!….

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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