BRETONS-SUR-SEINE : Quinze siècles de présence bretonne à Paris

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

 « Bretons sur Seine », tel est le titre d’un très intéressant livre paru récemment aux éditions Ouest-France (31€). Les auteurs, Françoise Le Goaziou et Frédéric Morvan, nous donnent un véritable mémorial dédié à quinze siècles de présence bretonne à Paris, à tous ces Bretons, ces Bretonnes qui firent de l’Ile de France un sixième département breton. Une part belle est donc donnée aux siècles antérieurs au 20e , et bien des personnages historiques avec leurs œuvres sont ainsi passés en revue. Ne pouvant dans le cadre de cette brève recension tout citer, nous laissons au lecteur le soin, page après page, de se transporter dans ces diverses époques. Il découvrira avec plaisir que les Bretons surent, éloignés de leur patrie, apporter à la France -que ce soit dans les domaines politiques, militaires, intellectuels, littéraires, religieux, artistiques, de la science et des technologies nouvelles –  toutes leurs compétences. On se prend aussi à rêver que si ces Bretons étaient restés au pays, et avaient mis leur génie à son seul service, le destin de la Bretagne aurait très certainement été tout autre…

Mais cette émigration bretonne vers la capitale française est aussi la preuve qu’elle n’était pas le seul fait de Bretons miséreux, de « Bécasseaux et Bécassines », tout juste bons à faire des barmans, des bonniches, des faiseuses de « petits trous » aux billets du métro… ou à être des proies faciles pour proxénètes. Citons, parmi des centaines d’exemples, la réussite extraordinaire de l’humble petite paysanne de Belle-Isle-en- Terre, Marie-Louise Le Manac’h,  devenue par son mariage avec Lord Mond, richissime roi du nickel, Lady Mond. Elle  n’oubliera  jamais son pays natal, et mettra sa réussite au service de ses compatriotes. Belle-Isle-en-Terre garde encore les témoignages de ses œuvres bienfaitrices.

La montée vers la capitale, si elle priva la Bretagne, en des temps plus ou moins long, de ses fils et de ses filles, cet exil forcé eu sa contrepartie qui n’est pas négligeable. Eloignée  de sa ville, de son bourg, de son village, de sa ferme, de son port de pêche, cette jeunesse vive va redécouvrir ou découvrir, surtout en cette première moitié du 20e siècle et les décennies suivantes, au contact de ses compatriotes, en des lieux emblématiques de la diaspora bretonne, toutes les richesses de leur qualité de Breton : langues, littérature, histoire, et jusqu’à une conscience politique bretonne. Plus tard, beaucoup avouerons que sans cet exil, ils n’auraient jamais pris  conscience de leur identité celtique.  En somme, Paris les aura fait devenir Breton.

Comme leurs prédécesseurs des siècles passés, beaucoup vont donc, en marge de leur métier, s’investir dans les diverses causes bretonnes, et de retour au pays, le plus souvent à l’âge de la retraite, ils poursuivront leurs investissements bretons, car pour  les causes bretonnes, il ne pouvait être question de retraite.

Evidemment, nous ne pouvons  citer toutes les personnalités qui par leurs métiers, leurs activités bretonnes marquèrent la présence bretonne à Paris, en Ile de France. Le lecteur, au fil des pages,  rencontrera bien des noms qui furent tous des pionniers du renouveau breton de ce 20e siècle, dont héritent les générations d’aujourd’hui, trop souvent avec une certaine ingratitude ou ignorance.  Le lecteur découvrira encore tous ces lieux qui étaient comme autant de petites ambassades bretonnes en terre de France, dont les trois plus emblématiques furent La Mission bretonne de l’abbé Elie Gautier, Ker Vreiz et la crypte de l’église Notre-Dame-des-Champs, voire le quartier Montparnasse, porte -dans les deux sens- de la Bretagne.

 Pas davantage, nous ne pouvons citer les trop nombreuses omissions de noms  de personnalités qui, à quelques exceptions près, ont appartenu à la mouvance nationaliste bretonne des années 1930/1944, et auraient méritées de figurer dans ce livre.  Volonté, du fait de leur passé, de les gommer de l’Histoire, ainsi que leurs œuvres, ou simple oubli ? Dommage, car le devoir de Mémoire ne saurait être sélectif, et nier leurs œuvres n’a rien de constructif. Ajoutons que si dans les années d’après-guerre, il y eu un renouveau de la culture bretonne, ce renouveau le doit pour une très grande part à ceux-là qui furent (et le sont encore souvent aujourd’hui) stigmatisés…

Saint yves lutèce
Photo archives @Ar Gedour

Nous savons combien le Breton est par nature festif, que ce soit par les Pardons et toutes autres fêtes profanes. Il en fut une qui compta parmi les réussites  incontournables des Bretons de Paris, la Saint Yves des Arènes de Lutèce, à chaque mois de mai. Une fête qui sut, au-delà des différences politiques et de croyances, rassembler tous les Bretons, et ce dans un esprit chrétien qui s’affichait sans complexe. Justement, ce qui marqua cette diaspora bretonne jusqu’à l’aube des années soixante, c’est l’empreinte chrétienne de toutes les activités des Bretons de Paris et d’Ile de France. Hélas, avec l’esprit de Mai 68, cet état d’esprit va sonner, non  la fin de la présence bretonne à Paris, mais le glas de cette convivialité qui unissait le croyant et le non-croyant, et dépassait les clivages politiques, souvent douloureux,  issus des décennies précédentes. C’est bien ce que constatera, le successeur de l’abbé Gautier, l’abbé François Quémener lorsqu’il prendra sa retraite et retournera dans son Morbihan natal : foi et Bretagne désormais ne travaillaient plus ensemble.  Si le Breton allant vivre à Paris continuait comme ses aînés à forger son identité bretonne, trop souvent il achevait d’y perdre son âme chrétienne. Et cette St Yves, qui était alors le point d’orgue de cette unité bretonne, disparaitra en 1971. Cette fête n’avait plus sa place dans une identité bretonne retrouvée, mais qui tournait délibérément le dos aux idéaux qui jusqu’ici avaient animés leurs aînés.

Alors, sans conteste, cet ouvrage Bretons-sur-Seine est un livre à se procurer, comme des pages d’histoire à se réapproprier, et à creuser encore et encore, pour prendre conscience de ce qui fut.

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Présentation de l’éditeur
Ils étaient prêtres, ouvriers, médecins, bonnes à tout faire, écrivains, artistes, juristes, nourrices, terrassiers, filles de salle, professeurs, employés du train ou du métro… Tous ont contribué à faire de Paris la première ville de… Bretagne ! Et si certains ont subi la dure vie des migrants de l’intérieur, d’autres ont connu de formidables réussites tout en gardant d’indéfectibles liens avec “le pays”. Paris mais aussi toute l’Ile-de-France, de Saint-Denis à Argenteuil, de Clamart à Versailles, de Cachan à Rueil sans oublier Montfort-l’Amaury, ville chère au coeur d’Anne de Bretagne, ont vu arriver les Bretons de la diaspora et se sont peu à peu remplies d’amicales et de cercles encore bien vivants. Avec le temps, ils ont peu à peu redécouvert leur culture, leur langue, leur histoire, la musique et la danse et reconquis leur “bretonnité”. Pour eux, après le temps du paradis perdu, voici celui des racines retrouvées qu’ils ne demandent qu’à partager. A travers la diversité de ces “Bretons sur Seine”, mais aussi sur Marne ou sur Oise se révèlent toute la vitalité, la richesse de la culture bretonne à Paris. Sa modernité aussi ! Une iconographie riche et originale fait vivre des lieux, des hommes et des femmes venus de Bretagne qui, depuis des siècles, participent à la vie et à l’histoire de Paris, de l’île-de-France, de la France et, bien sûr, de la Bretagne.

Biographie de l’auteur
Françoise Le Goaziou : Professeure agrégée enseignante en classes préparatoires aux grandes écoles, Françoise Le Goaziou est présidente de la Mission Bretonne Ti ar Vretoned et membre du Centre d’Histoire de Bretagne/Kreizenn Istar Breizh. Conférencière en histoire de Bretagne, elle a publié deux ouvrages sur l’oeuvre de Jeanne Malivel Quand Jeanne Malivel gravait l’histoire de la Bretagne. Héros de Bretagne et Quand Jeu gravait l’histoire de la Bretagne. Révoltes et batailles aux Editions ASIA.

Frédéric Morvan : Né à Brest en 1965, il est professeur agrégé d’histoire, docteur en histoire médiévale, spécialiste de l’histoire de la Bretagne. Il est président du Centre d’Histoire de Bretagne/Kreizenn Istor Breizh. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la chevalerie bretonne au Moyen Age, sur les souverains de Bretagne, mais aussi des livres plus généraux sur les Bretons et la Bretagne : Les Bretons, 1870-1970, l’âme fière et l’esprit valeureux, en 2015 aux Editions Michel Laiton, Bretagne, l’histoire confisquée aux Editions du Cherche-Midi

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

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