Aujourd’hui, si Auguste Brizeux est bien connu, nous le devons surtout au fait que la plupart des bourgs et des villes ont au moins une rue qui porte son nom, tout comme il y a des rues Xavier Grall, Angela Duval ou Glenmor. Mais, pour autant, que connaissent les Bretons de sa vie ou de son œuvre ? Pas grand-chose !
Il y a quelques années, parlant avec des membres du Cercle Brizeux de Lorient, je fus stupéfait qu’une majorité des membres n’en savaient pas grand-chose.
Alors… Pour en savoir en plus :
1858-2018, il y a 150 ans… Brizeux décédait à l’âge de 55 ans. Il fut inhumé au cimetière de Carnel à Lorient.
Les ancêtres de Brizeux étaient d’origine irlandaise. C’est en 1688 qu’ils vinrent s’établirent en Bretagne. Auguste Brizeux naît à Lorient le 12 septembre 1803. Sa mère, monarchiste, ne souhaitait pas voir son fils fréquenter les écoles de Napoléon. A huit ans, elle le confie aux bons soins de l’abbé Le Nir, ancien prêtre réfractaire pendant toute la Révolution, et qui a fondé une petite école à Arzano, petit village aux « frontières » du Finistère et du Morbihan. Là, il reçoit une éducation chrétienne, le brave recteur lui enseigne le latin, le chant, la musique. Il l’ouvre à la lecture des Evangiles, de Virgile, mais aussi aux beautés des traditions bretonnes. Sur les bancs du catéchisme et de la petite église d’Arzano, Augustik comme on le surnomme, vit une tendre et belle amitié d’enfance avec la petite Maïe (Marie) Pellan du village du Moustoir. Ils vont ainsi sur les chemins de la campagne, et aiment s’arrêter de longues heures au Pont Kerlo : « Assis sur les bords du ruisseau, nous laissions pendre, en riant, nos pieds au fil de l’eau », écrira-t-il plus tard dans son chef-d’œuvre littéraire « Marie ».
A douze ans, il entre au collège Saint-Yves de Vannes. Les souvenirs de la chouannerie bretonne, de Georges Cadoudal, et de la petite chouannerie déclenchée par des élèves ne voulant pas se battre pour Napoléon revenu de l’Ile d’Elbe, sont encore très vifs. A 22 ans, Brizeux part à Paris étudier le Droit à la Sorbonne. Ce Paris, que le brave abbé Le Nir lui a décrit comme un lieu de perdition pour l’âme et le corps lui répugne. Pourtant, il y fréquente l’élite littéraire, musicale, artistique, les écrivains Alfred de Musset, Alfred de Vigny, Victor Hugo, le compositeur Berlioz (qui a mis en musique certains de ses textes), les peintres Delacroix ou Ingres.
Mais, il sent que sa foi commence à vaciller. De tout son être, il cherche à rester l’enfant pur qu’il était à Arzano. Le beau visage de la petite Marie ne cesse d’envahir son cœur et son imagination de poète qu’il est déjà. Il se souvient avec émotion de ces années sur les bancs de l’église, de la petite Marie qui le regardait, lui l’enfant de chœur, le petit choriste, et de penser : « Vain orgueil de vouloir tout connaître ! Mon Dieu, le vrai savoir, je le savais peut-être, lorsque, à douze ans, je chantais dans le choeur nos magnifiques cantiques bretons ». Quand il revient en Bretagne, c’est immédiatement vers Marie qu’il dirige ses pas. Il découvre une belle jeune fille, mais qui hélas pour lui, s’est peu de temps avant marié, il va secrètement en souffrir sans jamais lui révéler les purs sentiments amoureux qu’il n’avait eu de cesse de nourrir dans son cœur. Il écrira : « Celui qui resta seul, celui-là dut souffrir ! »
Il va unir Marie à sa Bretagne dans le même amour qu’il va chanter : Maï sera sa muse, mais elle ne le saura jamais. En septembre 1831, Brizeux à 28 ans, il écrit et publie son chef-d’œuvre Marie : « Celle pour qui j’écris avec amour ce livre ne le lira sans doute jamais ! Ses yeux n’y trouveraient qu’une langue étrangère ». Contre toute attente, nous sommes en pleine époque romantique : Marie, œuvre d’un inconnu, contraste avec tout ce qui s’écrit : « C’est frais et tendre, plein de pureté et d’innocence de l’enfance », enthousiaste les cercles littéraires. La Villemarqué, qui n’a alors que seize ans, y retrouve toute l’âme de sa Bretagne.
Brizeux n’oublie en rien qu’il est Breton, celte, que la langue bretonne est celle de son enfance :
« Je ne dois pas négliger ma langue maternelle. Je couperai plutôt la mienne que de désapprendre le breton ».
Il devient l’un des principaux artisans du Réveil celtique, et fréquente assidûment le Cercle Breton fondé par Kerdrel, Souvestre, La Villemarqué, Le Gonidec. Brizeux est aussi compositeur, musicien, et il compose son célèbre «Ni zo bepred Bretoned». Le chant sera imprimé sur feuilles volantes et, très vite, il sera chanté dans tous les Pardons. Il va composer bien d’autres chants, toujours diffusés sur feuilles volantes, moyens le plus populaire pour les faire connaître. Des chants qu’il va réunir sous le titre « Telenn Arvor » (la Harpe d’Armorique).
En 1832, avant d’écrire son deuxième long poème « La Fleur d’Or », il fait une sorte de Tro-Breiz qui le mène à Guidel, Bannalec, Scaër, Rosporden, Quimper, Quimperlé, Pont-Aven, Concarneau, Rédéné, Lorient, et bien sûr à son cher Arzano, où avec émotion il retrouve les lieux de son enfance, et repense à sa chère petite Marie. Curieux de tout, il va de foires en Pardons, aime assister aux battages, se passionne, sans la pratiquer, pour la lutte bretonne. Il ne dédaigne pas quitter ses habits de citadin pour revêtir le costume breton.
1845… après le succès de « Fleur d’Or », il écrit sa troisième grande œuvre : « Les Bretons ». Il rêve de composer un grand poème épique ayant pour thème La Table Ronde ou la Chute de la Bretagne, mais il ne pourra mener son projet à bien. Connu pour son élégance, il commence à choquer les milieux parisiens. On dit de lui qu’il se néglige, « qu’il ne sent plus la lavande, mais que ses vers sentent toujours le ciel », car il est toujours apprécié. En réalité il est pauvre et généreux ; il a beaucoup donné, il s’habille désormais modestement. Néanmoins, il publie en 1855, Furnez Breiz (la Sagesse de Bretagne), un florilège de proverbes et de dictons qu’il a recueilli au gré de ses tournées.
Les œuvres de Brizeux comme Marie, Telenn Arvor, Furnez Breiz, ne sont pas que de simples œuvres littéraires, poétiques, de curieux monuments du passé évoquant une Bretagne qui n’est plus, mais de véritables et éloquents messages qui indiquent aux Bretons la seule voie qu’il doivent emprunter pour rester vraiment Bretons et chrétiens : la voie … chrétienne. Et c’est sans doute cet aspect de son œuvre qui est aujourd’hui occultée pour ne voir qu’un poète qui a enrichi la littérature bretonne, et c’est tout …
Sa santé se détériore, car il est usé par un travail excessif et les privations. Il désire retourner en Bretagne pour contempler une dernière fois les paysages qu’il a tant aimé : les églises, les chapelles et les calvaires, les fontaines et les fermes, les manoirs, les arbres séculaires et le beau ciel breton. Il souhaite revoir Arzano, sa jolie église avec son clocher-tourelle, le presbytère où l’abbé Le Nir l’a éduqué dans la foi. Il sait qu’ensuite il ne les reverra plus. Mais il y a un visage qu’il souhaite dans la discrétion de son cœur revoir : celui de Marie, qui est une jolie femme avec des enfants. Marie, l’amour innocent et pur de son enfance et de son adolescence.
Son médecin lui recommande le soleil du sud. Il se rend à Montpellier chez son ami René Tallandier où il reprend des forces, le goût à la vie, mais ce n’est qu’un sursis. Le 3 mai 1858, le barde d’Arzano, le chantre de la Bretagne chrétienne et bretonne s’éteint. Il a demandé à ses amis La Villemarqué, Guyesse, Luzel , Briault et ses anciens camarades d’Arzano de lui promettre de rapatrier son corps en terre bretonne, et de planter un chêne près de la croix de sa tombe, un de ces chênes qu’il avait si bien chanté. Le vieil arbre est toujours là. Sur sa tombe, nous pouvons lire ces vers composés par le poète lui-même : « Brizeug, Barz bleo melen, aman zo beziet – Hennez a wir galon ‘gare ar vretoned » (Brizeux, barde aux cheveux blonds ici inhumé – Celui-là d’un cœur sincère aimait les Bretons).
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Un obélisque installé à Pont-Kerlo en Arzano, et sur lequel est apposé un médaillon, rappelle que Brizeux venait ici avec Marie.
Sources :
D’après les souvenirs de Brizeux, Andrée Degoul, A Goblet, Monseigneur Duparc, Yann-Vari Perrot. Egalement d’après la B.D « Brizeux, le chantre de la Bretagne croyante » de Herry Caouissin et Janig Corlay, dessins de Rémy Bourlès, revue l’Appel d’Ololê, N° 3 (1970)
Merci pour ce bel article (et pour la référence à War an ton bras!) Très intéressant le lien Brizeux-Berlioz