Dans notre série intitulée « Les Grandes Dames Bretonnes », nous avons parlé de la Duchesse Ermengarde, de Philoména Cadoret, de Lady Mond, trois personnalités, dont les vies pourtant si différentes, avaient toutes les mêmes idéaux, les mêmes vertus : leur grande culture, leur amour de leurs compatriotes, de la Bretagne, et par-dessus tout, leur foi inébranlable. Janig Corlay, épouse de Herry Caouissin, fut dans cette lignée :
Jeanne–Louise Leclerc à l’état civil, est née en 1916 à Corlay (Côtes d’Armor). Elle appartint à ce qu’on peut appeler la bourgeoisie de province, et c’est donc à Corlay qu’elle va passer toute son enfance. Adolescente, elle entrera aux Guides de France et deviendra cheftaine : cette formation va la préparer aux responsabilités qui plus tard seront les siennes. Sa vocation est d’être infirmière. Elle a 22 ans, quand ses supérieurs reconnaissent en elle les qualités qui la désignent pour être directrice du dispensaire antituberculeux de Quintin.
Dans son modeste laboratoire, elle dépiste les cas de tuberculoses, le terrible BK, qui sont très nombreux, notamment chez les enfants, et les place en préventorium. Peu de temps avant de mourir de la tuberculose, son amie et collègue, Gaït de Kercadio, lui offre un livre qui va être pour elle déterminant : la vie pitoyable et magnifique de Laennec, par le Docteur Duclos. Ce livre qui deviendra son livre de chevet, sera aussi un livre de méditations sur la vie de ce Breton célèbre et … méconnu.
En 1937, au Bleun-Brug de Plougastel, elle fait la connaissance de Herry Caouissin, jeune secrétaire de l’abbé Perrot, fondateur du Bleun-Brug, directeur de la revue Feiz ha Breiz, et recteur de Scrignac, une des personnalités bretonnes les plus en vue de l’époque. Passionnée de culture celtique, ces deux rencontres vont décider de sa vie : la voici plongée au cœur même de ce qu’on appelle le « Mouvement breton » où elle va côtoyer l’élite intellectuelle, culturelle, religieuse, politique bretonne d’alors. En janvier 1939, elle épouse Herry Caouissin. L’abbé Perrot bénit leur mariage dans la chapelle Notre Dame de Koat-Kéo que le recteur a fait rebâtir sur les ruines de l’ancien sanctuaire. C’est le premier mariage célébré depuis la Révolution française, et il n’y en a pas eu d’autres depuis. Elle aura sept enfants, quatre garçons, dont un décédera avant terme (7 mois), et trois filles. De 1940 à 1943, n’oubliant en rien qu’elle fut infirmière, elle soignera avec dévouement l’abbé Perrot pour sa grave phlébite qui le faisait souffrir. Au soir de l’assassinat du recteur, avec sa servante Anna Le Douce, elle lui fera sa toilette mortuaire et le revêtira de ses vêtements sacerdotaux, de couleur rouge, la couleur des martyrs, et c’est ainsi qu’il sera inhumé.
SON ŒUVRE LITTERAIRE
Mariée, mère de famille, elle abandonne, provisoirement espère-t-elle, son métier d’infirmière pour se consacrer à ses enfants. Jeanne-Louise Leclerc devenue Madame Caouissin, comme beaucoup d’épouses de militants bretons, va seconder, souvent dans l’ombre, son mari dans ses activités bretonnes fort nombreuses.
Ses premiers écrits, elle les publie en 1938 dans un journal autonomiste, sous le pseudonyme de Y. H Kloareg (Leclerc) (1). Dans le même temps, son mari, sous le pseudonyme de Riec, fournit des dessins politiques. Mais ces collaborations vont être éphémères, d’une part leurs autres activités bretonnes sont de plus en plus prenantes, d’autre part, proches collaborateurs de l’abbé Perrot pour le Bleun-Brug et sa revue Feiz ha Breiz, ce dernier ne voit pas d’un bon œil cette participation. Lui-même est très surveillé par sa hiérarchie, notamment par le fameux Vicaire général Joncour, grand traqueur d’autonomistes, et il doit régulièrement se justifier de ses activités, de ses écrits, de ses sermons, etc.
En 1940, en collaboration avec son mari, elle écrit une belle pièce de théâtre pour le Bleun-Brug, Pegen Kaer ez eo Mamm Jezuz, qu’elle signe Jann-Loeiza (Jeanne-Louise) Caouissin, elle ne signe pas encore Janig Corlay (2). En 1938, fiancée à Herry Caouissin, il la nomme trésorière de sa toute jeune association « Giz ar Vro » (costume du Pays) qu’il vient de créer. Association qui a pour objectif de promouvoir des vêtements à caractères celtiques pour la vie quotidienne. A partir de 1939, elle collabore à l’illustré Ololê que vient de lancer Herry Caouissin, et entre autres activités, elle s’occupe de l’administration financière de l’illustré et des Editions du Léon de Landerneau qui vont publier toute une série d’ouvrages bilingues pour la jeunesse bretonne, et cela durant toute la guerre. A la Libération, l’imprimerie est pillée et saisie par la résistance communiste (FTP) : c’est le temps des épreuves, des illusions et des projets perdus qui vont s’abattre sur tous ceux qui ont eu une activité culturelle, politique bretonne durant la guerre, et même bien avant.
Mais, avec son mari, des amis, souvent exilés à Paris, loin de se laisser abattre, elle va aussi s’investir ; toujours dans l’ombre, elle sera partie prenante du renouveau culturel breton des années d’après-guerre. En 1946, la rencontre avec un jeune couple très investi dans le scoutisme, les Géraud-Kéraod, va être à l’origine de la naissance des Scouts et Guides Bleimor. Ancienne cheftaine elle-même, et Herry Caouissin qui avait fondé pendant la guerre un mouvement de jeunesse bretonne l’Urz Goanag Breiz, vont être les conseillers des Géraud-Kéraod sur le plan breton. 1952-1953, Herry Caouissin crée avec ses frères la société Brittia-Films, qui lance un cinéma réellement breton. La jeune structure produit plusieurs films, dont les deux plus célèbres seront le Mystère du Folgoët et l’Enfance de Botrel, dont les scénarios seront conjointement écrits par Herry Caouissin et sa femme. Il s’ensuivra bien d’autres projets de films, qui malheureusement, pour divers raisons ne se réaliseront pas.
LE PARADIS BRETON
Mais venons-en à son œuvre littéraire et à l’un de ses livres préférés : Le Paradis Breton. Janig Corlay avait commencé à l’écrire en 1941, ouvrage qui doit être publié par les éditions du Léon-Ololê. Mais comme bien d’autres projets, à cause de la guerre, des pénuries de papiers, l’édition sera ajournée.
En 1951, elle reprend son livre et y intéresse La Bonne Presse qui l’édite. C’est un très beau livre, magnifiquement illustré par l’artiste peintre et dessinateur Micheau-Vernez des Seiz Breur. C’est Janig Corlay elle-même qui choisira le dessinateur : elle hésitera entre Hérouard qui déjà fournit beaucoup de dessins splendides pour Ololê et ses éditions, et Micheau-Vernez, autre collaborateur. Hérouard est séduit, il illustrera d’ailleurs dans le numéro 107 d’Ololê une légende vannetaise dont le titre est … Le Paradis Breton. Mais débordé, il choisira de se fixer sur ses dessins pour un autre livre –Cœur de Héros– qui doit sortir, et sur les planches des Chevaliers de la Table Ronde, de Tristan le Preux, qui ne seront publiés qu’après la guerre par une autre maison d’éditions. Janig Corlay se tourne donc vers Micheau-Vernez, dont le style est bien différent. Il venait d’illustrer le numéro spécial Sainte Anne d’Ololê (N° 33), qui met en scène la patronne des Bretons et Marie, entourées d’une ribambelle d’enfants en costumes bretons. Janig Corlay est conquise, elle n’a pas de mal à convaincre l’artiste de ce qu’elle attend de lui : « Que les jeunes lecteurs, lectrices s’identifient aux saints dont ils vont lire la vie ».
Le graphisme « délicieusement enfantin » des dessins de l’artiste ne peut que les y aider. Les saints sont ainsi représentés à mi-chemin entre l’enfance et l’adolescence, ce qui correspondra exactement au thème du livre. Autre exigence de Janig Corlay, la vie des saints, des saintes doit être un hymne à la poésie, à la Création, la nature doit être partout présente : arbres, fleurs, oiseaux et animaux de toutes sortes. Dans le même esprit, les éditions Ololê éditerons une très belle série d’images religieuses illustrées par Micheau-Vernez, mais aussi Xavier de Langlais, Perron, Marguerite Floc’h-Villard.
C’est au contact de l’abbé Perrot, lui-même grand spécialiste des Saints bretons, et auteur d’une monumentale Vie des Saints (Buhez ar Zent), que Janig Corlay va se prendre de passion pour les saints et les saintes de Bretagne. Elle se souvenait : « Quand l’abbé Perrot nous parlait des saints bretons, nous avions l’impression de vivre avec lui leur vie ». Ses amis ne feront que confirmer avec humour cette « intimité » : « La passion avec laquelle il nous en parlait, nous laissait volontiers penser que les saints hommes devaient régulièrement s’inviter à sa bonne table, d’autant que le vin y était bon et généreux ».
L’idée d’écrire pour les enfants sur ce thème lui viendra d’une jolie prière dialoguée entre un enfant et sa mère au sujet des saints, que l’abbé Perrot alors séminariste -il a 22 ans- compose Bez fur (Sois sage). Prière qui invite les enfants à être … sage pour devenir aussi des saints. L’abbé Perrot la mettra en musique sur l’air du cantique Pedennou diouz ar mintin ou des Dix Commandements. Janig Corlay tiendra beaucoup à ce que cette prière figure dans son livre, d’autant que l’abbé Perrot la chantait souvent à ses trois jeunes enfants (3). Malheureusement, la Bonne Presse la refusera au motif qu’elle était de l’abbé Perrot et qu’il était hors de question de mentionner son nom. Le Père abbé de Kerbénéat-Landévennec, Dom-Félix Colliot en écrira la Préface :
« Heureux petits lecteurs, heureux petits Bretons d’aujourd’hui ! Quel grand merci vous devez à Madame Janig Corlay pour avoir su, de sa plume délicate de maman, de très chrétienne maman, écrire pour vous ces récits plein de fraîcheur et de charme. Quant aux dessins de Monsieur Michaud-Vernez, en avez-vous jamais vu d’aussi grâcieux, d’aussi riches en couleurs ? Est-il donc vrai qu’un véritable artiste possède une âme d’enfant? En terminant chacune de ces pages, pourquoi ne vous mettriez-vous pas un instant à genoux, joignant les mains et disant du plus profond de votre cœur : « Et maintenant, grand saint, priez pour nous ! » (extrait).
Elle dédiera le Paradis Breton à ses enfants.
Le livre, tiré à 2000 exemplaires, sera un succès, et par la suite deviendra, et il l’est toujours, très recherché des collectionneurs. Fin des années 50, la Bonne Presse possède encore un petit stock, elle le fait mettre au pilon, car le style du livre ne correspond plus à l’idée que l’Eglise se fait désormais de la catéchèse aux enfants, les saints comme les Anges commencent à être encombrants pour la nouvelle pastorale de l’Eglise. Ce geste iconoclaste stupide provoquera la fureur de Janig Corlay. Elle souhaitera le rééditer, mais en réadaptant les textes, non pas dans l’esprit progressiste qui commence à envahir l’Eglise, mais tout au contraire en mettant encore plus en valeur toutes les vertus chrétiennes, désormais bafouées, qui peuvent mener les enfants à la sainteté. La nouvelle édition sera enrichie d’un plus grand nombre de vie de saints et de saintes. Et bien sûr, elle y introduira cette fois la belle prière de l’abbé Perrot. Le nouveau Paradis Breton est achevé, et de nouvelles gravures de Micheau-Vernez qui n’avaient pu être publiées lors de la première édition, mais aussi de Félix-Jobbé Duval, viennent l’enrichir. Malheureusement, elle se voit opposer refus sur refus par diverses maisons d’éditions « Un tel sujet est démodé. Cela n’intéresse plus les jeunes d’aujourd’hui » lui sera-t-il opposé. Le projet de réédition avortera. L’un de ses fils, Yann-Vari, qui a une maison d’édition l’annonce dans son catalogue de 1999. Pour d’autres raisons, il ne pourra l’ éditer. Janig Corlay s’en trouve affectée, car le Paradis Breton est l’ouvrage qui lui tient le plus à cœur, il est pour elle tout ce qu’une maman chrétienne et bretonne enseigne dès le plus jeune âge, sur ses genoux, à ses enfants : « Prier son saint Patron, sa sainte Patronne, en même temps que l’Enfant Jésus et la Vierge Marie ». En 2016, le projet d’édition est repris, là encore diverses raisons vont s’opposer à sa réédition. Si Janig Corlay avait accepté de relativiser la teneur profondément chrétienne de son livre, elle aurait davantage trouvée un éditeur, car c’est justement ce caractère chrétien qui posait un problème dans une société qui se trouvait d’autres « héros » que les saints. Elle ne transigera pas, et refusera des propositions d’éditeurs séduits par les dessins, mais réticents, agacés même par les textes. Or les dessins étaient la traduction même de chaque vie racontée, donc inséparable des textes de Janig Corlay. Elle s’opposera à toutes nouvelles versions de son livre, qui reprenant son titre, utiliseraient les gravures de Micheau-Vernez, tout en excluant ses textes. Pour mémoire, les ouvrages de Janig Corlay, comme tous ceux de Herry Caouissin ne sont pas dans le domaine public …
N’OUBLIONS PAS CEUX QUI FURENT DES PRECURSEURS !
Aujourd’hui, l’intérêt pour les saints et les saintes de Bretagne revient avec le Tro Breiz, la Vallée des Saints, le renouveau de certains Pardons liés à la restauration de leurs chapelles, et on ne peut que s’en féliciter. Mais il ne faudrait pas oublier que d’autres furent des pionniers : l’abbé Perrot, grand restaurateur de chapelle, qui d’ailleurs voulu relancer le Tro Breiz, et que la guerre empêcha ; Gérard Verdeau qui reprenant le projet de l’abbé Perrot « Chapeliou Breiz » de 1942, fonda dix ans plus tard Breiz Santel. Ou encore, Keranforest (alias Dominique de Lafforest), qui dans les années soixante, par ses chroniques hebdomadaires dans le Télégramme, jeta un cri d’alarme sur les états pitoyables d’abandons de nos chapelles. Ainsi, s’il n’y avait pas eu ces personnes lucides, à l’époque moquées, qualifiées de nostalgiques rétrogrades, marginalisées, peut-on prétendre qu’aujourd’hui nous aurions ces renouveaux ?
Et combien d’autres qui s’investir dans cette reconnaissance d’une Bretagne « Terre des Saints » qu’il ne fallait pas laisser disparaître. Janig Corlay par son Paradis Breton s’est inscrite très tôt dans cette lignée, il était nécessaire de le dire …
Un autre saint passionne Janig Corlay … l’Archange Saint Michel et le Mont. Il passionne aussi Herry Caouissin qui vient d’achever le scénario d’un Film « Sous le pied de l’Archange », d’après le livre de Roger Vercel, film qui devait être financé par l’industriel Michelin, et sortir pour le Millénaire du Mont Saint Michel (1966). Le projet, malgré le soutien d’André Malraux, alors ministre de la Culture du Général De Gaulle, n’aboutira pas. Décidément, le Mont Saint Michel inspire, et c’est le scénario d’un nouveau projet de film : La Fée des Grèves de Paul Féval, qui lui aussi restera dans les cartons, faute de trouver les financements nécessaires. Janig Corlay vient d’achever le texte d’un petit ouvrage : un chevalier jeune de 1000 ans. Pour cette année du Millénaire du Mont, les Scouts et Guides d’Europe organisent un grand pèlerinage, la « Route Michaëlienne au Mont Saint Michel et à Tombelaine ». La sortie du livre est prévue pour cet événement.
Las ! Aucun éditeur, malgré le Millénaire, ne s’y intéressera : toujours la stupide et inculte objection « C’est démodé, un tel sujet n’intéressera personne ! ». Finalement, c’est un autre de ses fils, Gildas, qui a une entreprise de typo-infographiste qui va le publier en 2012 à … 7 exemplaires, pour la famille, ce qui est dommage car l’ouvrage, pour modeste qu’il soit, aurait mérité une large diffusion.
VIE DU DOCTEUR LAENNEC
Janig Corlay n’avait pas pour autant oublié un autre sujet qui l’avait passionné : la vie du Docteur Laennec. Si des ouvrages, dont celui du Docteur Duclos, avaient été consacrés au docteur Laennec, et d’autres le seront plus tard, tous s’arrêteront sur le médecin, le savant, ce qui est en soit normal, mais aucun ne s’intéressera au médecin chrétien et au Breton. Janig Corlay, et c’est là toute l’originalité de son livre, mettra en valeur la vie exemplaire du chrétien, du Breton, inséparable du médecin:
« Quel homme a mieux justifié par toute sa vie médicale cette comparaison avec le Samaritain de l’Evangile que René-Théophile Laennec, après une carrière trop courte consacrée à la science, à la charité, à la prière. (Mgr Duparc, évêque de Quimper et de Léon) ».
« Peu de personnes savent que le célèbre docteur Laennec employait le peu de loisirs que lui laissaient les travaux de son art, à l’étude de la langue et de la littérature bretonnes » (Jean-François Le Gonidec, historien).
Le professeur Jean-Pierre Kerneis, doyen de la Faculté de médecine de Nantes, témoignera : «Ce livre est un acte d’amour, de foi et d’espérance ».
C’est Monseigneur François Ducaud-Bourget, aumônier de l’hôpital Laennec de Paris (aujourd’hui disparu) qui écrira la Préface :
«Vous nous le montrez passionné de poésie et de musique, de la langue celtique jugée la plus apte à traduire ses émotions les plus hautes ; et aussi à exercer un véritable ministère spirituel auprès de ses malades bretons. Il pratiquait la thèse poétique du sourire, de la bonté compréhensive … de l’aumône du cœur. L’amour de son Dieu pour ses malades. Céleste possessivité ! Merci donc, Madame, de m’avoir permis de vivre des moments émouvants et lumineux qui m’aideront dans le courant de ma vie » (extrait).
Le choix de Monseigneur Ducaud-Bourget, homme d’une grande culture, grand ami, se justifiait, mais il sera préjudiciable à la diffusion du livre. En effet, il est partout « Person non grata », en tant que prêtre étiqueté « intégriste » et il est celui qui fera « prendre d’assaut » l’église Saint Nicolas du Chardonnet. Certaines maisons d’éditions, même réputées « traditionnalistes », refuseront de l’éditer et de le diffuser. L’abbaye de Landévennec, les Procures des Evêchés refuseront de le vendre. En 1981, année du bicentenaire de sa naissance (1781), son fils qui avait souhaité éditer le Paradis Breton, édite son livre « Laennec face à l’Ankou »(4).
Le cinéaste Maurice Cloche, pour son film « Docteur Laennec » fera appel aux connaissances de Janig Corlay pour le conseiller, comme Jean Delannoy fera appel à Herry Caouissin pour son film « Dieu a besoin des hommes ». Petite anecdote : ce sont les magnifiques meubles gothiques de l’abbé Perrot, qu’il racheta à la Comtesse de Coatgouredenn du château de Kerjean, à la mort de son mari (1910), qui figureront dans le film de Maurice Cloche.
GONERI LE FILLEUL DE CADOUDAL
Dans le numéro 49 (23 novembre 1941) parait en BD l’histoire de Gonéri le filleul de Cadoudal, illustré par Le Rallic, qui est un très actif collaborateur des Editions de Herry Caouissin. Ce « film historique » comme il est intitulé est signé Hervé Cloarec, car le scénario est écrit à deux mains, par Herry Caouissin et sa femme, d’où le pseudonyme de Cloarec (Leclerc). Cette saga chouanne va être publiée jusqu’au numéro 129 (Mai 1944), et vu les événements de la guerre, s’interrompre avec la parution d’Ololê à la fin de ce même mois. Les lecteurs vont donc rester sur leur faim. En 1946, les Editions Brittia qui viennent de se créer, et ne sont que la suite des Editions du Léon-OloLê-Urz Goanag Breiz, publie le premier tome qui reprend une partie de ce qu’Ololê a publié pendant la guerre. Il est annoncé un deuxième tome sous-titré « Le dernier chouan », mais les éditions Brittia seront éphémères, le livre ne verra pas le jour.
Etre 1970 et 1974, Herry Caouissin relance son Ololê (ce sera l’Appel d’Ololê. 26 numéros). Le numéro 10 est consacré à Georges Cadoudal, et reprend quelques passages de Gonéri, avec les illustrations de Le Rallic. En retraite à Lorient, Janig Corlay et Herry Caouissin ont tous loisirs pour repenser aux livres qui n’ont pu voir le jour en raison de la guerre, ou qui ont eu un succès tel, que des rééditions se justifiaient. Ce sera le cas de Gonéri. De plus, Janig Corlay et Herry Caouissin se sont aperçus que depuis la fin de leurs éditions, il y a un vide dans la littérature bretonne destinée à la jeunesse. Ce vide, entre 1939 et 1944, les Editions du Léon, Ololê l’avait comblé par des ouvrages d’une grande qualité en tous domaines.
Avec le basculement du « milieu breton » dans les idéologies progressistes de Mai 68, et le basculement progressiste iconoclaste de l’Eglise, en Bretagne comme partout, ce vide ne fait que s’accentuer : il n’y a plus aucune littérature bretonne pour la jeunesse dont le but est d’élever son âme, sa foi, son esprit, son sens du devoir et de l’amour de la Patrie. Or Gonéri le filleul de Cadoudal correspond à ce que recherchent à cette époque des parents, pas forcément bretons, pour leurs enfants, mais soucieux d’idéal chrétien, et à la recherche d’ouvrages qui parlent de ces vertus.
Gonéri étant resté inachevé, Janig Corlay et Herry Caouissin vont donc reprendre l’histoire où elle s’était arrêtée en mai 1944. En 1986, ils ont la joie de sortir un magnifique livre de 205 pages avec 630 dessins, dont beaucoup d’inédits de Le Rallic. Il est sous-titré « Roman-film de la Chouannerie bretonne », conçu et écrit par Herry Caouissin et Janig Corlay. A noter que le pseudonyme de Le Cloarec disparaît. Gonéri est édité à compte d’auteur, tiré à 1500 exemplaires aux éditions … Janig Corlay. Le livre sera un succès immédiat, et sera vite épuisé. Il correspondait bien à une clientèle, bretonne ou non, désireuse de donner à ses enfants une lecture saine et chrétienne.
La demande étant forte, Janig Corlay souhaite le voir immédiatement rééditer, mais diverses difficultés ajournent le projet. Aujourd’hui ce livre, très recherché, est côté, suivant son état, entre 100 et 200 euros. Actuellement, une réédition qui respectera l’intégralité de l’œuvre est à l’étude.
DE DIVERS AUTRES OUVRAGES DE JANIG CORLAY
Janig Corlay est aussi prolixe que son mari : les projets de livres ne manquent pas, tant elle porte intérêt à tous ces hommes, à toutes ces femmes dont les vies sont celles de héros.
Justement, en 1942, elle pousse son mari à publier dans Ololê, puis en livre des histoires authentiques de héros, souvent des enfants, qui acceptèrent de sacrifier leur vie pour une noble cause, notamment sous la Révolution. Ce livre, principalement illustré par Hérouard, sera un succès. Dans les années 1980, elle souhaitera le voir rééditer. Il ne le sera pas, mais le site internet chrétien et breton Ar Gedour publie actuellement quelques-unes de ces belles histoires.
Nous devons à Janig Corlay une histoire en BD, dessiné par A. Gaudelette sur la Duchesse Ermengarde (N° 5 de l’appel d’Ololê.1970), qu’elle signera du pseudonyme Jann Poher. Une vie qui la passionnait également, n’excluant pas un jour d’y consacrer un livre.
Elle se passionne aussi pour les Bretons grands aventuriers, explorateurs comme Jacques Cartier qui fera l’objet d’une bande dessinée de Le Rallic (1984). Dans le numéro 23 de l’Appel d’Ololê elle écrit une vie de Duguay-Trouin, BD illustrée par Le Rallic. Un autre sujet lui tient à cœur : La vie du Père Jean-Marie Abgrall, missionnaire au Tonkin, et frère de la poétesse Maria-Anna Abgrall, fidèle collaboratrice de la revue Feiz ha Breiz de l’abbé Perrot, et qui composa la jolie berceuse bretonne « Toutouig ». Le manuscrit est bien avancé, comme le sera un autre très documenté sur Anne de Bretagne. Malheureusement, à partir du milieu des années 80, sa santé déjà très fragile se dégrade, et ses manuscrits sont laissés de côté.
Mais avec son mari elle avait travaillé à un autre livre, un roman : Le Glaive de Lumière. C’est une véritable saga dont la vedette est le Mont Saint Michel. Le thème est la recherche du « Glaive de Lumière » de l’Archange Saint Michel, sertis de pierres précieuses, dites Stella Michaelis, et qui fut dérobé à la Révolution. Le roman a cette particularité d’y introduire des personnages ayant réellement existé, et d’avoir une dimension européenne et chrétienne. Une saga bretonne qui avait tous les ingrédients pour être portée à la télévision ou au cinéma. Cette aventure sera d’abord publié en feuilleton dans l’Appel d’Ololê. Il sortira en livre aux Editions Janig Corlay en 1993. Malheureusement, elle ne le verra pas paraître, car elle décède un an plus tôt, le 30 juillet 1992.
Yann Bouëssel du Bourg dans son éloge écrit : « La foi profonde de Janig Corlay, son humilité et le courage dont elle a toujours fait preuve, lui a facilité le grand passage vers le Ciel. Elle repose au cimetière de Lorient, sous la croix celtique sur laquelle s’inscrit la belle devise de l’abbé Perrot, du Marquis de la Rouërie, de Cadoudal « Doue ha Breiz » (Dieu et la Bretagne ») à laquelle, comme ses illustres modèles, elle resta fidèle toute sa vie ». Pour Janig Corlay, la Bretagne ne pouvait être que chrétienne, la seule garantie de sa bretonnité authentique, de son avenir, toute son œuvre sera dans cette vision.
Le Père Joseph Chardronnet, figure emblématique du Mouvement breton et ancien aumônier des Scouts et Guides Bleimor, qui quatre ans plutôt célébra à Koat Keo les 50 ans de leur mariage, écrira :
« La longue maladie dont elle souffrait ne l’empêchait pas de travailler. Partie prenante dans les initiatives et les travaux de son mari, elle a eu un rôle très actif dans le travail pour sauvegarder le caractère chrétien de la spécificité bretonne, et à ce titre a mérité de l’Emsav, cette notion informelle à laquelle peuvent prétendre ceux dont l’activité principale se voue à l’âme de la Bretagne ».
Quand Herry Caouissin présenta sa fiancée à l’abbé Perrot, qui était souvent très inquiet de certains choix amoureux de ses fils spirituels, il dit à son jeune secrétaire :
« Je suis heureux pour toi. Tu as, grâce à Dieu, trouvé la perle rare, et c’est pour moi une grande joie. Je sais qu’avec elle, Dieu et la Bretagne seront servis ».
Il ne s’était pas trompé.
L’INGRATITUDE DE L’EMSAV
Janig Corlay décédait en plein Festival Interceltique de Lorient, il eut été donc approprié qu’un hommage public fut rendu à l’écrivain, à la militante bretonne, à l’épouse d’Herry Caouissin, qui fut d’ailleurs actif dans le jeune Festival de Lorient.
Il n’en fut rien. Elle fut superbement ignorée par cet Emsav auquel le Père Chardronnet en apprenant son décès avait fait allusion : il ne se doutait pas que cet Emsav allait briller par son ingratitude. Une ingratitude d’autant plus regrettable que se tenait au même moment, dans le cadre du Festival, la Journée de l’Association des Ecrivains bretons dont elle était membre, et à laquelle elle devait participer.
En outre, Janig Corlay et Herry Caouissin, venus en retraite à Lorient en 1974, s’investirent complètement dans la vie culturelle bretonne de la région, dans le Festival Interceltique, dont ils seront des figures marquantes. La même semaine décédait Renée Conan, conseillère municipale de Lorient, et membre active de l’UDB, mais dont l’action bretonne fut assez marginale, eut droit quant à elle à tous les éloges et à la minute de silence traditionnelle des festivaliers et de la municipalité. Cette occultation partisane du décès de Madame Caouissin fut dénoncée par le correspondant du Télégramme. Dans un communiqué intitulé « Les regrets de la famille Caouissin » il souligna cette différence de traitement qui choqua la famille de la défunte, et bien de ses amis (17.8.1992).
Sa tombe, où la rejoint son mari en février 2003, est voisine de celle de deux autres grands écrivains bretons : Brizeux et Madeleine Desroseaux. A Saint Jacques de la Lande (Ille et Vilaine) une rue porte le nom de Janig Corlay. En 2012, j’avais écrit aux maires de Corlay et de Quintin pour leur proposer qu’une rue porte son nom d’écrivain, la demande était largement motivée. La proposition fut examinée avec courtoisie, mais n’ayant à cette époque pas de projets de rues à nommer (mais depuis ?…) la suggestion en resta là (lettres du 31 Juillet 2012).
Janig Corlay appartient à cette grande famille de personnalités bretonnes qui travaillant pour la Bretagne, mais une Bretagne authentiquement chrétienne et … bretonne, restèrent dans l’ombre, par humilité. Mais cette part d’ombre est aussi causée par leurs œuvres jugées par les ignorants, les pédants et les cuistres de toutes idéologies, trop chrétiennes, trop bretonnes. Dans une France, une Bretagne, une Europe qui commençaient à se renier et à rejeter toute cette âme qui firent leur grandeur, où la Vérité, le beau, le sacré, le sens de l’honneur et l’amour de la Patrie n’étaient plus de saison, il n’y avait plus de place pour des œuvres qui sublimaient toutes ces vertus. Elle en avait conscience, elle en souffrira, mais elle ne pouvait écrire autre chose que ce à quoi elle croyait du plus profond de son âme et de son cœur…
Nous pouvons aujourd’hui mesurer l’étendue de ce vide littéraire, qu’il soit religieux ou non. L’édition bretonne est orpheline de beaux livres pour la jeunesse, beaux par les dessins, beaux par des textes qui élèvent.
Quitte à paraître partial, les éditions du Léon-Ololê-Urz Goanag Breiz de Landerneau, ne furent jamais remplacées, jamais égalées, c’est sans doute pour ces raisons que tous les ouvrages qu’elles éditèrent sont aujourd’hui très recherchés, et garde une bonne cote sur le marché du livre ancien. N’écrit pas pour la jeunesse qui veut, et c’est bien connu, il est plus difficile d’écrire pour elle que pour les adultes … sauf à lui proposer de l’éphémère, du faux-semblant, des fausses valeurs, des faux héros, bref ! A lui proposer du néant, et c’est bien ce que notre société lui propose. Or Janig Corlay excellait à écrire pour la jeunesse.
On nous dira, que de toute façon, à l’heure d’internet, les jeunes (et les adultes) ne lisent plus : excuse facile de la médiocrité. Les livres de Janig Corlay seront un démenti à ce nouveau dogme, on avait envie de les lire …
Vous pouvez commander les ouvrages « le Glaive de Lumière » et « Laënnec face à l’ankou » au tarif de 20€ port compris pour le premier et 10€ port compris pour le second. Veuillez nous contacter via ce lien pour plus d’informations et pour toute commande.
Sources :
1) Breiz Atao, n° de mai 1938.
2) Feiz ha Breiz, numéro de mai-juin 1940.
3) Bez Fur, Feiz ha Breiz, numéro de janvier 1909. Livre « Vie de l’abbé Perrot. J’ai tant pleuré sur la Bretagne » Chapitre, l’abbé Perot et la jeunesse. Edition Via Romana(2017).
4) Article de Yann Bouëssel du Bourg, dans la revue Gwenn ha Du, septembre 1992.
Merci pour cet article dont l’évocation de Janig Corlay écrivain catholique me fait penser à ma grand-mère maternelle, elle aussi écrivain catholique et fondatrice de la revue Patapon. Certes ma grand-mère n’écrivait pas en lien avec la Bretagne puisqu’elle n’était pas bretonne, mais elle avait le soucis de proposer aux enfants catholiques des lectures saines et enrichissantes pour la foi et la culture tout comme Janig Corlay finalement!
Pour l’heure il manque aujourd’hui à la Bretagne de telles plumes! Il manque aux jeunes générations bretonnes ces lectures saines qui conduisaient de la plus belle manière à entretenir et conserver l’amour du pays et de la Foi catholique : Feiz ha Breizh tout simplement!
A quand le retour de la revue Feiz ha Breizh, à quand le retour de la revue Ololê? A quand de pareils ouvrages dans les librairies et maison de la Presse bretonne…
Malheureusement la presse papier est en situation délicate. Ar Gedour est dans la filiation de ces revues, mais dans la version moderne qu’est le blog. Mais même là, pour évoluer, la question financière est là. Nous avons pensé mettre en place un magazine papier. Cependant, au prorata du nombre de lecteurs, le nombre de dons est faible pour notre site. Un magazine papier est donc une aventure un peu trop risquée à ce jour.
Si chaque lecteur mettait ne serait-ce que 5€ par mois, cela changerait évidemment la donne. Est-on prêt à donner 5€ par mois pour permettre à des médias de participer à l’édification des gens ?
Oui je comprends tout à fait Eflamm ! Difficile de remettre en route un journal dans le contexte que vous citez. D’autant qu’il serait à mon avis difficile d’obtenir des subventions et aides publiques, car tout ce qui est catholique n’est pas bien vu de la République…