En 2014, Ar Gedour consacrait un article aux hymnes bretons de la fête des morts et des funérailles. Alors que la Toussaint et le 2 novembre, jour de commémoraison des fidèles défunts, deux jours distincts à ne pas confondre, nous vous invitons à (re)découvrir cet article :
[…] Nos cantiques expriment toute l’âme bretonne face à la mort. Mais justement, est-ce que, à l’instar de nos traditions…défuntes, nos cantiques ne le seraient-ils pas aussi ? De nos jours, les obsèques en Bretagne jadis bretonnante, sont à l’image des obsèques de n’importe quelle région de France. Dans nos églises on n’y exprime plus guère en ces occasions cette «Espérance du Ciel» par nos cantiques, évincés au profit de tout un répertoire en français d’une assez grande pauvreté et…tristesse, d’où il est parfois difficile d’y trouver exprimé ce « Dies Natalis in Caeli » (Jour de Naissance au Ciel) comme l’enseignait l’Eglise. A cet abandon, seul, en diverses paroisses a survécu notre admirable «Ar Baradoz» (Cantique du Paradis), qui d’ailleurs connaît un renouveau. Il est vrai aussi, qu’ici ou là, on lui préfère sa «copie» en français, sur le même air, l’insignifiant « Jésus qui êtes aux Cieux ».
L’Eglise, dans sa liturgie des défunts, n’emploie pas le mot de mort, mais lui préfère celui de repos. Le cimetière est le lieu où le défunt «repose», qu’exprime l’épitaphe «Requiescant in pace» inscrite encore sur bien des tombes. C’est ce même «repos» dans «l’Espérance du Paradis» que chantent nos cantiques. Mais, certains n’hésitent pas à dire toute la «crainte» du défunt appelé à comparaître devant la «Justice Divine», et la perspective préliminaire du «Purgatoire», véritable épreuve pour l’âme du pêcheur.
Ainsi, si le «Kantik Ar Baradoz» exprime la joie du Paradis, la récompense de tout bon chrétien : «O soñjal deiz ha noz. E gloar ar baradoz» ( Je songe, le jour et la nuit, à la gloire du Paradis). Le «Baradoz Dudius» (Paradis Merveilleux) exprime l’aspiration de l’âme à entrer dans «La Patrie des Saints, sa patrie» :
Baradoz dudius ! Bro ar Zent eo va bro. A ! Pegen everus . E vin me bepred eno !
Mais les cantiques n’hésitent pas non plus à rappeler aux vivants qui les chantent que l’âme du défunt se retrouve aussi face à la Justice de son Créateur et qu’elle espère en sa Miséricorde. Une âme qui appelle à l’aide, par leurs prières, les parents, les amis. On retrouve ces suppliques poignantes dans bien des «Gwerzoù», mais surtout dans ce chef-d’œuvre, la «Gwerz ar Purgator» (La Complainte du Purgatoire) : «Breudeur, kerent ha mignoned, En an’Doue, hor selaouet, En an’Doue, hor sikouret» (Frères, parents et amis, au nom de Dieu, écoutez moi, au nom de Dieu secourez-moi !) Le cantique vannetais «Kristenion vat» (Bons chrétiens ) est une adresse aux vivants : l’âme maintenue au Purgatoire se sent comme abandonnée et réclame leur secours «O ! Ni ho ped, hur sekouret !” (Ho ! Nous vous en prions, aidez-nous !). . Le “Tremen ra pep tra” évoque «le temps qui passe», où toute chose est éphémère.
Nous ne pouvons ici faire toute la recension de ce riche patrimoine. Il est d’autant plus riche, que ces cantiques sont pour un chrétien qui sait les lire et les comprendre, toujours d’actualité dans leur vérité théologique simple de la mort. Quant à leur musique, à l’instar de la liturgie grégorienne, elle élève l’âme des vivants vers le Ciel, et la met en véritable communion avec le défunt à qui les vivants s’adressent en cet instant. Nous avons des témoignages de gens qui, croyants ou non, ayant assistés à des obsèques durant lesquelles étaient chantés nos cantiques bretons, ont été bouleversés, et cela a été le commencement d’un «retour vers Dieu», ou d’une profonde interrogation sur leur propre mort.
La liturgie chrétienne des défunts, sans pour autant ignorer la douleur de la perte d’un être cher, ne s’est jamais voulu triste dans ses expressions, mais a toujours voulu que cette douleur soit dépassée par l’Espérance, d’où la grande sérénité de ses hymnes, faisant perdre à la mort son caractère redoutable : «Mort où est ta victoire !»… c’est bien cela que chantent nos cantiques.
[…]
Je me souviens des obsèques de mon frère Tristan en 2008: certains de ces cantiques étaient chantés et, effectivement, parmi la foule de plusieurs centaines de personnes, il y avait des athés qui ont été bouleversés, et pour certains, se sont parait-il convertis.
Il n’y a pas un jour sans que nous pensions à lui…..
C’est le cas pour toute personne ayant perdu un être cher. Il y en a d’autres, parmi les Gedourion.
Je trouve ce terme de « repos », énoncé toujours à la messe, obsèques et autres par ailleurs assez choquant: en effet, dans la formulation …..nos frères qui se sont endormis dans l’espérance de la résurrection.. », on atténue volontairement le caractère violent de la mort. Certes, certains ont la « chance » de s’endormir. Mais pour d’autres, c’est l’inverse! Mon frère ne s’est pas endormi: il est mort, noyé, ayant conscience de ce qui allait lui arriver, ayant même, dans sa panique, eu le temps de faire une prière ….
Alors, que les prêtres et laics aient conscience que chaque fois qu’ils prononcent ces mots « repos, endormis…. », c’est autant de douleurs qu’ils occasionnent aux proches des personnes défuntes.
CANTIQUES BRETONS. CHANTS TRADITIONNELS. (CD publié par AR GEDOUR).
VISAGES DU VINGTIEME SIECLE. 1990. L’ensemble « SORTILEGES. Louis Mélennec de Beyre, créateur de l’Ensemble « SORTILEGES »
II y a bientôt dix ans, je présentais à nos lecteurs un baryton, Louis de Beyre; j´écrivais à l´époque :
« Une grande voix. II est habité par une sorte de magie et possède au plus haut point l´art d´entrer dans les personnages qu´il incarne. II possède ce « plus », don inestimable qu´aucun travail ne peut procurer nous n´avons pas fini d´entendre parler de cet artiste. »
Mes intuitions se sont révélées exactes. Louis de Beyre a poursuivi une brillante carrière de soliste, chantant tour à tour la mélodie, l´Opéra, qu´il interprète d´une manière émouvante, mais aussi l´opérette qu´il affectionne particulièrement, privilégiant cependant toujours le répertoire sacré.
Ce celte amoureux du pays de ses ancêtres, est l´un des rares à programmer dans ses concerts le répertoire traditionnel breton.
Profondément cultivé, cet artiste refuse à être l´homme d´une seule passion. II a été médecin et juriste, il a enseigné à la Faculté de droit et à la Faculté de médecine.
Il se plaît à dire que rien n´est prémédité dans sa vie et que c´est la providence qui décide pour lui.
Mais, quant à moi, je ne le crois qu´à moitié. Cette simplicité apparente et vraie cache un profond altruisme, une réelle capacité à donner et à aller vers les autres. C´est ce qui l´a conduit, il y a quelques mois à créer un ensemble original et, je dirais même inattendu. II a pris l´audacieuse initiative de réunir des instruments que l´on n´est pas accoutumé à voir concerter ensemble. Cet ensemble comporte en effet, outre une voix humaine, un clavecin, un violon, un violoncelle, un haubois et un basson.
Si l´on demande à Louis de Beyre pourquoi cette association étonnante ? il répond en riant qu´il n´y a, en vérité, aucune explication logique ; tout s´est fait par LA RENCONTRE inopinée de cinq musiciens, qui se sont trouvés d´emblée sur la même longueur d´onde et ont pris conscience qu´ils partageaient la même conception de la Musique.
Autour de Louis de Beyre : Brigitte Rapetti violon, Harumi Kinoshda clavecin, Philippe Pélissier haubois, tous artistes de qualité exceptionnelle et d´une prodigieuse sensibilité, le cinquième instrument : basson ou violoncelle, varie suivant les ceuvres interprétées. Quel répertoire choisir pour cet ensemble original ? Louis de Beyre répond : Vivaldi, Bach, Charpentier entre autres… mais ce qui est essentiel c´est que les ceuvres soient belles, émouvantes et faciles à recevoir sans pour autant être aisées à interpréter. Avant tout elles doivent permettre aux artistes de communier avec le public dans la joie comme dans le recueillement. C´est dans les églises qu´il aime particulièrement se produire. Les moments les plus forts de sa carrière musicale, dit-il, se sont déroulés dans ces lieux privilégiés tels que Saint-Germain-des-Prés, Saint-Roch, Saint-Sulpice, Saint-Louis. J´ajouterai que c´est peut-être là que sa voix émouvante, riche, pleine, chaude trouve toute son ampleur. L´ensemble « SORTILEGES » quant à lui est voué sans nul doute à un avenir brillant. Cette étonnante gageure, va per- mettre aux mélomanes de découvrir l´heureux mariage d´instruments que l´on ne s´attend guère à voir ensemble. Encore une idée géniale de Louis de Beyre. Ce diable d´homme n´a pas fini de nous surprendre!
Yette MUSSAT, critique musical (Visages du 20ème siècle).