Conférence du Cardinal Sarah à Sainte Anne d’Auray : à propos d’une question sur l’identité bretonne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 11 min

Ce vendredi 6 septembre 2019, la basilique de Sainte Anne d’Auray était archi-comble. Une foule qui était venue pour entendre le Cardinal Sarah lui  parler dans un langage vrai, lui faire entendre des vérités que hélas peu de ses confrères osent aujourd’hui proférer. Le religieusement correct, joint au culturellement et politiquement correct, musèle et tétanise trop souvent les chrétiens, et malheureusement une bonne partie du clergé.

Le cardinal Sarah, après nous avoir conté son enfance de petit africain de Guinée, et son parcours qui le mènera  aux plus hautes fonctions dans l’Eglise, après qu’un missionnaire spiritain breton l’eut pris sous son aile, nous entretint  des sujets cruciaux qui aujourd’hui font chavirer la barque de Pierre, les fidèles, mais aussi la chrétienté en général, à savoir toutes ces cultures de mort qui mènent le monde, et tout particulièrement l’Europe, à organiser son propre suicide.  Cette  Europe fatiguée de vivre, qui apostasie et qui entend, en tout, se passer de Dieu, se vautrant dans l’inversion des lois naturelles et morales les plus élémentaires. Une Europe qui a perdu le sens de la vérité, du beau, du sacré, du divin  et qui se donne de mauvais bergers l’envoyant à sa perte. Une Europe qui se déteste, se renie, qui refuse la vie et tue ses propres enfants, une Europe qui a décrété la fin de sa civilisation.  Autant de sujets  que le préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements a durant une heure magistralement développé. Des sujets qui sont au cœur de ses trois ouvrages devenus de véritables références : « Dieu ou rien, entretien sur la foi », «La Force du Silence», et « Le soir approche et déjà le jour baisse », un titre magnifique, qui résume bien cette nuit qui commence à recouvrir l’Europe et plus largement l’Occident autrefois chrétien.

Nous retiendrons toute l’attention de l’important auditoire dans lequel dominait une jeunesse chrétienne, qui espérons-le, saura relever les ruines laissées par des faillis politiciens, idéologues n’ayant pour programme civilisationnel à offrir  que des idéologies reflets de toute une vieillesse et une grisaille d’un monde sans Dieu, sombres ruines dont nous sommes aussi chacun responsables…

Puis vint le jeu, toujours intéressant, des questions / réponses. Malheureusement, celles-ci, et on le comprend, se limitèrent à quatre. En soit, ces questions et leurs réponses se trouvaient déjà dans les livres du cardinal Sarah, mais aussi dans ce qu’il venait d’exposer. Leur intérêt se trouva donc relativisé. La question la plus intéressante fut celle concernant la place de l’identité bretonne dans l’expression de la foi  et dans la liturgie : “quelle place donner à nos traditions populaires dans la liturgie, ici notre langue bretonne, nos cantiques bretons, nos pardons ? Devons-nous vraiment nous battre pour garder nos traditions locales ?”

Ecoutez la réponse du Cardinal Sarah à cette question :

Le cardinal Sarah confirme ici le devoir qu’à un peuple à conserver, entretenir et à vivre dans sa propre culture, car culture et foi sont intimement liées. Dissocier la culture de la foi, ou inversement, est terriblement destructeur, car alors ce qui se prétend être de la culture n’est plus qu’au service de la négation de Dieu, du beau et du sacré et de l’identité des peuples.

Qu’en est-il aujourd’hui de la culture bretonne, dans lequel le christianisme s’est si bien fondu qu’il a marqué à jamais la géographie bretonne et qu’il est un élément essentiel de son âme ?

Hegel disait que “la fête est la vie mouvante de ce qui est mort en soi”. La Bretagne, on le voit particulièrement l’été, foisonne de fêtes de vieux métiers en passant par les noces bretonnes, les festivals et autres occasions multiples de festivités enracinées. Nos pardons sont aussi là mais certains se meurent, oubliant pour certains la pierre angulaire qu’est le Christ, qui est dans l’ADN breton n’en déplaise à certains. L’abondance de ces fêtes montre ainsi une culture qui semble forte à première vue, mais lorsqu’on voit l’état de la langue bretonne, on voit bien que le problème est ailleurs et bien plus profond. “Si vous vivez vos cultures et traditions comme tout le monde le vit, ce sera seulement du folklore. Donc vous devez garder vos coutumes mais les christianiser”a déclaré le cardinal Sarah.

L’évangile épouse nos coutumes de manière à ce que nos coutumes soient divinisées. Ces coutumes doivent aider à approfondir notre foi, à la vivre pleinement. L’inculturation, ce n’est pas mettre du vernis sur le message chrétien. L’inculturation, c’est laisser Dieu pénétrer ma culture, laisser Dieu pénétrer ma vie. Et quand Dieu pénètre ma vie, il ne me laisse pas intact, il me transforme. C’est comme l’incarnation: Dieu a pris notre humanité, non pas pour nous laisser à l’horizontale mais pour nous élever à lui. Saint Irénée a dit: « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu« . C’est important de conserver ces traditions, mais en les christianisant, pour consolider notre rapport à Jésus (Cardinal Robert Sarah – Sainte Anne d’Auray 6/09/2019)

 

En 2018, le Cardinal Sarah avait déjà évoqué la culture bretonne dans un discours, repris ensuite sur Ar Gedour :

Pour illustrer ce propos d’une manière positive, prenons deux exemples de beaux chants liturgiques autres que le chant grégorien en France, votre pays, et sur le continent africain. En France, je pense aux cantiques en langue bretonne que j’ai entendus à Noël dans des paroisses dans lesquelles le recteur, en dehors de l’église et toujours revêtu de sa soutane, enseigne aussi la danse de ses ancêtres celtes aux plus jeunes. Nulle ambiguïté dans cette véritable ardeur à transmettre un patrimoine immémorial à des enfants trop souvent déshérités et déracinés, et donc devenus étrangers à leur propre culture. Ce prêtre du pays vannetais leur montre bien que le rythme de la danse bretonne, à trois temps, nullement lascif à la différence de la fameuse valse viennoise, correspond au souffle du laboureur hersant la terre, au balancement du bétail gagnant la prairie après la traite, et aussi à la douce oscillation de la jeune épouse portant son nouveau-né en lui chantant une berceuse apprise sur les genoux de sa propre mère ; c’est un rythme à trois temps nullement syncopé, correspondant à la nature humaine dans ses activités à la fois les plus ordinaires et les plus nobles : le travail des labours et des pâturages, le sevrage et l’éducation de l’enfant… car le troisième pas, celui qui clôt ce rythme « ternaire », sorte de « trinité » naturelle inscrite profondément dans l’âme de chaque homme, tel un sceau, correspond au pied s’enfonçant dans la terre, dans la glèbe de notre monde, et donc dans la réalité d’un humus doté d’une âme immortelle, celui de la personne créée à l’image de Dieu Trinité. Et c’est ce même rythme qui ponctue, en la nuit de Noël, les cantiques entonnés par tout un peuple avec une ferveur sans pareille, jusqu’au silence de l’adoration du nouveau-né, Jésus, le Verbe incarné, dans la crèche splendide d’une église de Bretagne, où tous les regards des enfants, petits et grands, convergent… : « Kanamb Noel ; Ganet eo Jesus hur salver » : « Chantons Noël, il est né Jésus, notre Sauveur ». Oui, telle est l’authenticité du rythme qui respecte la nature humaine, et donc l’âme, dans sa relation silencieuse et aimante avec Dieu, son Créateur et Rédempteur.

L’abbé Perrot, en son temps, fut envers et contre tout, un lanceur d’alertes. Par sa devise, son idéal Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne), qui donnaient à la foi la place première. Le cardinal Sarah, sous une autre forme  dira la même  chose, précisant que les Bretons doivent « christianiser leur culture au lieu de la déchristianiser». Or aujourd’hui, que ce soit en Bretagne, dans toute la France, dans toute l’Europe, des gens, élites sans racines, travaillent à cette déchristianisation de toute la culture. La Révolution française et toutes les dictatures puisant dans le terreau révolutionnaire l’ont bien compris : détruire la culture d’un peuple détruit aussi sa foi, car toutes deux s’interpénètrent. La Troisième république, antichrétienne dans sa sève, fille de la Révolution savait parfaitement qu’en s’attaquant à la culture et aux traditions bretonnes, à sa langue, elle détruisait aussi la foi. Aujourd’hui, les mondialistes niveleurs de toutes cultures font la même chose, les peuples européens privés de leurs cultures décrochent de leur foi et deviennent ainsi manipulables pour accepter leur déchristianisation au profit d’idéologies ou de pseudo religions…

 

LES  MOTS  QUI  REVEILLENT  UN  PEUPLE

Pourtant, cette osmose entre foi et culture, identité a toujours été au cœur de l’âme bretonne, en témoignent tout son patrimoine religieux si riche, ses cantiques si beaux de vérités théologiques et leurs airs fait pour transcender les âmes, les élever vers Dieu et sa Mère ; en témoignent encore ses paysages, ses traditions, ses costumes.  En Bretagne, ce n’est donc point de christianisation de la culture bretonne qu’il convient de parler, car cette christianisation a depuis très longtemps été faite (là encore l’Histoire de la Bretagne et l’abondance de missionnaires bretons en témoignent) mais de RECHRISTIANISATION, et cela sous-entend le rejet total de toutes ces idéologies présentes comme des valeurs sûres et gages d’avenir, alors qu’elles sont les intersignes de la mort.

Depuis 1968, la culture bretonne, sous l’influence de ceux qui l’ont  confisquée au profit des idéologies que dénonce le cardinal Sarah, tout comme Benoît XVI ou Jean-Paul II, s’est déchristianisée. Dieu n’est plus qu’une option de la culture bretonne devenue presque essentiellement festive.

Ce qu’on appelle avec emphase le « milieu culturel breton » a rejeté toute dimension religieuse, la culture s’est sécularisée ou paganisée, et frise le déficit d’une élite authentique en tous domaines. Nous sommes donc désormais en matière de culture bretonne à l’exact opposé de l’idéal Feiz ha Breiz.  Les Bretons catholiques, l’Eglise en Bretagne doivent se réapproprier, tant dans sa dimension profane que religieuse, la culture bretonne pour à nouveau l’irriguer de la sève de la Foi.

L’abbé Perrot, dans les années 1930-40 faisait remarquer aux Bretons que « si la France est tombée si bas, pour peut-être ne jamais plus se relever, c’est parce que en elle, depuis la Révolution, toutes les vertus chrétiennes se sont éteintes les unes après les autres ! » Il suffit aujourd’hui de remplacer le nom de France par celui d’Europe… ou de Bretagne, pour comprendre que son analyse est d’actualité.

C’est bien ce dont nous entretient  le cardinal Sarah dans « Le soir approche et déjà le jour baisse ». A ses cris d’alarmes viennent s’ajoutent à tous ceux lancés par tant d’hommes d’Eglise. Puisse les chrétiens, les catholiques, les Bretons – dont la patrie a été la terre de tant de saint(e)s, terre empreinte de la Vierge Marie, du Christ, de Sainte Anne – entendent cette voix venue d’Afrique nous redire ce que tant de nos missionnaires ont été proclamer de par le monde. Des missionnaires qui permirent ainsi à un petit africain de devenir le cardinal Sarah, qui à son tour vient nous redire ce que nous ne savons plus ou nous n’osons plus dire. Il nous invite à avoir le courage de nous dire chrétien et, dans un monde qui rejette Dieu, à le proclamer sans complexes.

Jean-Pierre Calloc’h  demandait à Dieu de lui apprendre les mots qui réveillent un peuple pour qu’il aille, messager d’espérance, les répéter à sa Bretagne endormie. C’est bien ce que tente de faire le Cardinal Sarah : nous apprendre, nous réapprendre ces mots pour que nous allions, nous aussi messagers d’espérance, les répéter à une Europe endormie, anesthésiée, en agonie de foi et de civilisation…

La conférence s’acheva avec un vibrant et encourageant Salve Regina qu’élevèrent vers la voûte de la basilique trois mille voix, qui espérons-le seront, à l’image du Cardinal Sarah, des voix témoignant que notre Europe et sa civilisation sont chrétiennes, doivent le rester… ou le redevenir…

J’apprécie cet article : je soutiens Ar Gedour

À propos du rédacteur Yvon Abgrall

Publiant régulièrement des articles dans la presse bretonne, il propose pour Ar Gedour des articles documentés sur le thème "Feiz & Breizh" (foi et Bretagne), d'un intérêt culturel mais aussi ancrés dans les préoccupations actuelles.

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3 Commentaires

  1. Très bel article d’Yvon Abgrall, qui sait toujours remettre les choses à leurs justes places. Et quelle intervention à écouter ici du Cardinal Sarah: un homme d’une grande sagesse, d’une grande humilité, que j’aurais bien vu Pape.

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