LES CROISIERES DE SAINT MATTHIEU

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

D’entre les douze apôtres de Jésus, Matthieu semble bien être le plus ancien à avoir été honoré en Bretagne. Il est le seul à avoir un  Loc-, dédication par ailleurs réservée aux saints celtes.

La Bretagne, en Europe occidentale, est la seule à donner à Mathieu un nom d’ évolution populaire ancienne, et qui plus est, formellement intégré au sanctoral celtique. Le *Mathew v.breton du 5ème siècle  est devenu,  au  10ème siècle, Mahew en breton de Haute-Bretagne, ce qui a donné Mahé en gallo du nord, tandis que Mathew donnait  Mazé en bas-breton dès le Moyen-Age (si le nom de Mathieu avait été importé au 10ème siècle, il aurait eu une forme savante ou romane).

Les églises St Matthieu de Morlaix et de Kemper témoignent aussi du culte de l’ apôtre en Léon et en Cornouaille.

Suivant l’antique tradition chrétienne, l’apôtre Matthieu, conformément à l’ordre de Jésus aux douze Apôtres : »N’allez pas dans les villes des Goïm, au contraire,  prenez soin des brebis dispersées d’Israël » (Mat 6, 5-13  ), annonça l’Evangile aux colonies juives d’ Ethiopie. Cependant, en Orient,  on cherche en vain son tombeau. Nous savons pourquoi : puisque les marins bretons en escale à Tarium (?), nous dit la Translatio, furent interpellés par l’apôtre en personne, qui leur enjoignit de transférer ses restes terrestres dans leur pays. Ce qui démontre la considération dont jouissaient déjà les Bretons dans les plus hautes sphères. Réciproquement, ici-bas, à l’époque, la considération des reliques était au plus haut. Aussi  les marins bretons accomplirent volontiers cette pieuse mission et passèrent avec Matthieu le canal de Néchao et les colonnes d’ Hercule, le mongol de Brest, pour gagner leur point d’ encontre, sur le plateau des Chênes, la Deria de la rive sud de l’ Elusorna.

 La basilique était, à l’ époque romaine, un édifice public, « monument  impérial », où l’on se réunissait et où l on rendait justice, où se tenaient aussi des marchés. Les Bazouges  témoignent d’anciennes places commerciales. Il  est vraisemblable  que les foires de La Martyre  existaient déjà à l’époque romaine et que Salomon fit construire ou améliorer la basilique, qui, de ce fait, porta son nom. Comme la plupart de ses frères et soeurs, Salomon fils de Gerent est au nombre des saints brittoniques, honorés en Galles, Cornwall et Bretagne. Mais il n’est pas connu comme martyr immolé. D’ailleurs les martyrs sont rares chez les Celtes  insulaires, et  martyrium > Merthyr/Merzer  vaut pour toutes les reliques.

 La Martyre n’est pas la traduction de Ar Merzer (merzer est masculin), c’est une adaptation incongrue  d’un *Lanverther signifiant « enclos sacré de la basilique », devenue Martyrium à partir du moment où elle abrita les restes de l’évangéliste.

Cela ne dura guère plus d’une génération. De l’autre côté de de l’Elorn gouvernaient des tïerned aussi pieux que le clan de Gerent. Convelen, officier romano-breton de la campagne de l’an 400, qui a donné son nom à Plougonvelen, eut un fils du nom de Caradoc, qui eut un fils nommé Tangi (Tangwn en Galles). On est là dans la seconde moitié du 5ème siècle. C’et à ce Tangi  que la tradition  léonaise attribue la construction de l’abbaye de Locmazé-Penn-ar-Bed . Cela n’ a rien d’invraisemblable. Matthieu se trouva ainsi doté  d’une demeure bénie des  rayons du soleil couchant sur un promontoire au granit d’or, d’où il pouvait sanctifier  l’ Océan qui mène aux îles de la félicité.

 Soyons sûrs que c’est  à la voile qu’il sortit de l’ Elusorna et gagna le Goulet. A la voile, car le vent de  mer est un souffle du Tout-Puissant.

Débarqué au Traerh de Convelen il dut y trouver un détachement de cavalerie pour l’accompagner, deux lieues à l’ ouest, jusqu’ à sa nouvelle résidence.

 

L’abbaye de Locmaze n’était pas un  château-fort.  A  l’époque on construisait -avec  art- en bois et en pisé. Le poste militaire, à deux lieues,   n’ était sans doute pas toujours occupé. Toujours est-il qu’au 9ème siècle, le monastère fut  la proie de pirates. L’évêque paulinien, dans sa Translatio Matthaei, appelle Gabinus le chef de flotte ennemi qui trouva et emporta les reliques de l’apôtre. Ce nom  n’est pas connu par ailleurs, et ce n’ est  pas un nom Viking. Mais gab- est le radical d’un verbe celtique, attesté en vieux-breton, qui signifie « prendre », « saisir ».On a donc un adjectif v.breton *gabin  moderne *gevin « pillard ».

On a évidemment  pensé aux Vikings; qui auraient pu se séparer des reliques  moyennant un dédommagement à la hauteur  de leur valeur.  On sait que Hastein, familier des côtes bretonnes,  vaqua  à ses affaires, en Méditerranée, au 10ème siècle, mais  on ne voit pas de liaison entre lui et les errances des restes de l’Apôtre relatées en Italie.

Alors qu’en Bretagne la Translatio est l’oeuvre d’un évêque de Léon, en Italie c’est d’une lettre d’un évêque de Rome, Grégorio Septimo, en 1080, que proviennent les premières nouvelles. Au siècle précédent , le corps du saint aurait séjourné à Velia, ville de la Grande-Grèce, pays d’obédience byzantine. Mal à l’aise dans une cathédrale en ruines, Saint Matthieu invita un moine à le tirer de là, ce qui fut fait, et le moine s’apprêtait à embarquer pour Byzance. Mais l’évêque de Capaccio intervint et s’appropria les reliques.  Cependant c’est à la cathédrale de Salerno qu’ on les retrouve aujourd’hui.

A cette heure, des chercheurs italiens sont dans le doute et se demandent si Salerno  a bien l’ authentique saint Matthieu.  A mon sens, on devrait s’ adresser au saint lui-même, et lui poser la question en hébreu, ou mieux… en breton.

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À propos du rédacteur Alan Joseph Raude

Linguiste, historien et hagiographe, il a notamment publié des ouvrages sur l'origine géographique des Bretons armoricains et sur l'histoire linguistique de la Bretagne.

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Un commentaire

  1. Excellente étude bien étayée et très enrichissante.

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