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La croix de l’arche de la statue de Jean Paul II à Ploërmel (vue juridique et théologique)

Amzer-lenn / Temps de lecture : 14 min

jean paul II ploermelGrâce à la Fédération Morbihannaise de la libre pensée la croix qui domine l’arche entourant la statue du Pape Saint Jean-Paul II à Ploërmel, sous-préfecture du Morbihan, connait un succès médiatique inespéré…

En voici l’histoire :

Le conseil municipal de la commune de Ploërmel a, par délibération en date du 28 octobre 2006, accepté la donation de la statue par l’artiste qui l’a sculpté et décidé de son implantation, puis, le 16 avril 2007, a autorisé le maire à signer la convention de cession des droits patrimoniaux. Faute de recours gracieux ou contentieux dans les délais requis, ces deux délibérations sont devenues définitives et la statue érigée comme elle l’est encore aujourd’hui.

Par lettre reçue en mairie le 6 avril 2012, la Fédération Morbihannaise de la libre pensée a demandé au maire de « faire disparaître de tout emplacement public le monument consacré au pape Jean-Paul II, érigé place Jean-Paul II à Ploërmel ».

Le maire n’a pas répondu dans les 4 mois, ce silence équivaut à une décision implicite de rejet susceptible de recours contentieux dans le délai de 2 mois.

Par un Jugement du 30 avril 2015, le Tribunal Administratif de Rennes a, comme le lui permet les  dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, enjoint au maire de la commune de Ploërmel de procéder, dans le délai de six mois à compter de la notification de son jugement, au retrait de son emplacement actuel du monument dédié au pape Jean-Paul II.

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; qu’aux termes de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions » ; qu’il résulte de ces dispositions combinées que l’apposition d’un emblème religieux sur un édifice public ou une place publique, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, méconnaît la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens par la République, et la neutralité du service public à l’égard des cultes quels qu’ils soient ;

  1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la statue du pape Jean-Paul II érigée en 2006 sur une place publique de la commune de Ploërmel est entourée d’une arche surplombée d’une croix, symbole de la religion chrétienne, qui, par sa disposition et ses dimensions, présente un caractère ostentatoire ; que, par suite, alors même que l’édification de la statue de Jean-Paul II sur la place publique ne méconnaîtrait pas, par elle-même, les dispositions précitées de la Constitution et de la loi du 9 décembre 1905, l’apposition de la croix dont il s’agit au sommet de l’arche entourant cette statue méconnaît ces dispositions ;
  2. Considérant que la présence depuis 2006 à Ploërmel, au lieu de son implantation actuelle, comme d’ailleurs en tout lieu public, de ce monument comportant une croix monumentale, tel que décrit ci-dessus, est incompatible avec l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ; que l’existence même de cette incompatibilité faisait obligation à la collectivité publique propriétaire de cet ouvrage de mettre fin, à la première demande, à cette situation illicite ; qu’alors qu’il est constant que l’oeuvre a été conçue comme un tout, composé indissociablement d’un socle, d’une arche surmontée d’une croix, et de la statue elle-même, il doit être considéré que la maire de Ploërmel, par le refus qu’elle a opposé aux demandes qui lui étaient faites, a méconnu les dispositions précitées de la Constitution du 4 octobre 1958 et de la loi du 9 décembre 1905, à la stricte application desquelles la protection juridique qui s’attache au respect de l’oeuvre de l’artiste et au droit moral de l’auteur ne saurait faire obstacle ; que les décisions de refus litigieuses ne peuvent, par suite, qu’être annulées ;

La commune de Ploërmel a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Par un arrêt du 15 décembre 2015, la Cour Administrative d’Appel de Nantes a annulé l’injonction donnée par le tribunal au maire de Ploërmel de déplacer le monument litigieux, en considérant, notamment :

  1. d’une part, que les demandes adressées au maire de la commune de Ploërmel par la Fédération morbihannaise de la Libre Pensée, Mme E… et M. I…tendaient implicitement mais nécessairement à l’abrogation de la délibération du conseil municipal du 28 octobre 2006, devenue définitive, décidant d’implanter le monument consacré au pape Jean-Paul II, dont le sculpteur L…J…avait fait don à la commune, sur la place Jean-Paul II, qui appartient au domaine public de la commune et revêt un caractère de lieu public qui n’est pas contesté ; 
  2. Considérant que l’autorité administrative compétente, saisie par une personne intéressée d’une demande en ce sens, n’est tenue de procéder à l’abrogation d’une décision non réglementaire qui n’a pas créé de droits que si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait intervenus postérieurement à son édiction ;  
  3. Considérant que, pour annuler les décisions contestées et prononcer l’injonction de faire procéder au retrait du monument, le tribunal a retenu que, au lieu de son implantation, le monument incriminé, qui comporte une croix, symbole de la religion chrétienne, qui, par sa disposition et ses dimensions présente un caractère ostentatoire, avait été érigé en méconnaissance de la liberté de conscience, assurée à tous les citoyens de la République, et de la neutralité du service public à l’égard des cultes quels qu’ils soient, telles qu’affirmées par les dispositions combinées de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l’article 28 de la loi susvisée du 9 décembre 1905 ;  
  4. Considérant que la violation des dispositions de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l’article 28 de la loi susvisée du 9 décembre 1905 affectait la délibération du conseil municipal du 28 octobre 2006 dès son origine ; que le moyen tiré de cette violation ne peut dès lors, en tout état de cause, en vertu de ce qui a été dit au point 4 du présent arrêt, être invoqué pour contester la légalité des décisions refusant de procéder à l’abrogation de cette délibération ;
  5. et d’autre part, que si la Fédération morbihannaise de la Libre Pensée, Mme E… et M. I…soutiennent avoir saisi le maire de la commune de Ploërmel, sur le fondement du 1° de l’article L. 2122-27 du code général des collectivités territoriales, en sa qualité d’agent de l’Etat, chargé sous l’autorité du représentant de l’Etat dans le département, de la publication et de l’exécution des lois et règlements, la mission ainsi confiée au maire ne lui donnait le pouvoir ni de faire disparaître le monument incriminé ni d’enjoindre aux organes de la commune de le faire disparaître, quand bien même ce monument a été installé en violation des dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ; (sur Légifrance)

Pour la Cour, la requête gracieuse de la Fédération Morbihannaise de la libre pensée auprès du maire ne pouvait pas prospérer dans la mesure où elle tendait à remettre en cause une délibération du Conseil Municipal devenue définitive, faute de recours dans les délais légaux.

La Fédération Morbihannaise de la libre pensée s’est régulièrement pourvue contre cet arrêt.

Par arrêt du 25 octobre 2017, le Conseil d’Etat, a décidé d’annuler l’arrêt du 15 décembre 2015 de la cour administrative d’appel de Nantes en tant qu’il porte sur les conclusions relatives aux décisions de refus de retirer l’arche et la croix installées en surplomb de la statue du pape Jean-Paul II.

Les demandes tendant à l’annulation des décisions attaquées et à ce qu’une injonction soit prononcée à l’encontre de la commune de Ploërmel sont rejetées en tant qu’elles portent sur l’arche surplombant la statue du pape Jean-Paul II.

Sa motivation est la suivante : aux termes de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat : “ Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit. à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions “. Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse, sous réserve des exceptions qu’elles ménagent.

 

  1. Il ressort des pièces du dossier que la statue du pape Jean-Paul II, érigée en 2006 sur une place publique de la commune de Ploërmel, est, ainsi qu’il a été dit, surplombée d’une croix de grande dimension reposant sur une arche, l’ensemble monumental étant d’une hauteur de 7,5 mètres hors socle. Si l’arche surplombant la statue ne saurait, par elle-même, être regardée comme un signe ou emblème religieux au sens de l’article 28 précité de la loi du 9 décembre 1905, il en va différemment, eu égard à ses caractéristiques, de la croix. Par suite, l’édification de cette croix sur un emplacement public autre que ceux prévus par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précité méconnaît ces dispositions, sans que la commune et l’association intervenante en défense soient utilement fondées à se prévaloir ni du caractère d’oeuvre d’art du monument, ni de ce que la croix constituerait l’expression d’une forte tradition catholique locale, ni de la circonstance, au demeurant non établie, que la parcelle communale sur laquelle a été implantée la statue aurait fait l’objet d’un déclassement postérieurement aux décisions attaquées. En outre, sont sans incidence sur la légalité des décisions attaquées la circonstance que l’installation de la statue aurait fait l’objet d’une décision de non-opposition à déclaration de travaux au profit de la commune devenue définitive ainsi que les moyens tirés de l’intérêt économique et touristique du monument pour la commune et de ce que le retrait de tout ou partie de l’œuvre méconnaîtrait les engagements contractuels la liant à l’artiste (sur Légifrance)

Les hauts magistrats de la cour suprême administrative ont donc bien fait une distinction entre la statue de Jean Paul II, œuvre du sculpteur qui en a fait don à la commune de Ploërmel, d’avec l’arche surmontée d’une croix qui est venu compléter l’installation de la statue lors de son implantation sur le site public incriminé.

Si l’érection de la statue proprement dite ne heurte en aucune façon le principe de laïcité, pas plus que l’arche qui la domine, en revanche, il n’en est pas de même de la croix « monumentale » qui la couronne. Cette croix, « signe ou emblème religieux », compte tenu de ses « caractéristiques » est de nature à heurter le principe légal de séparation de l’Eglise et de l’Etat édictée par la loi de 1905.

I – la croix, signe ou emblème religieux ?

Pour les chrétiens, c’est indéniable ; donc, il en est de même pour ceux qui ne le sont pas. Il n’en a pas été toujours ainsi : le signe de ralliement des premiers chrétiens dans les catacombes à Rome n’était pas la croix, instrument de torture infamante réservée aux esclaves, mais le poisson, ICQUS en grec, où ils voyaient l’acrostiche de « Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur ». La croix celte, décorée d’entrelacs caractéristiques, nous vient, par l’intermédiaire des moines irlandais, des syriaques moyen orientaux ; c’est une croix glorieuse qui proclame, non pas le supplice mortel, mais la résurrection.

La religion chrétienne n’a pas le monopole de la croix comme signe ou emblème : elle la partage avec, notamment, les pharmaciens et les addicts à l’alcool, seule la couleur change (verte pour les officines, bleue pour les alcooliques).

Mais il est notable que la « croix rouge » devient, en pays musulman, le « croissant » rouge.

Le croissant serait alors à la religion musulmane ce que la croix est à la religion chrétienne : un signe ou un emblème religieux : il recouvre les coupoles et les minarets des mosquées, comme la croix nos clochers et nos églises.

C’est aussi, avec les « viennoiseries », un savoureux rappel, à l’heure du petit déjeuner, du siège, en 1683, par les ottomans de la capitale autrichienne, Vienne, qui sera libéré par les troupes du roi de Pologne Jean III Sobieski.

Il y a aussi les figures géométriques : l’étoile à 8 branches : deux carrés superposés, rappelle le 8° jour, celui de la résurrection du Christ, tandis que celle à 6 branches : deux triangles équilatéraux superposés évoque le 6° jour de la création, celui d’Adam et Eve.

Cette étoile à 6 branches est aussi celle dite « de David », qui, avant de figurer sur le drapeau national d’Israël, devait être de couleur jaune et obligatoirement portée à partir de 1942 en application de la 8° ordonnance allemande sur le vêtement des ressortissants juifs de la France occupée.

Quant à l’étoile à 5 branches, aussi appelée « pentagramme », il s’agit d’un des symboles ésotériques utilisés en magie plus ou moins noire. Elle figure également sur le drapeau national chérifien du royaume du Maroc..

Mais il existe nombre d’autres signes ou emblèmes chrétiens qui ne sont pas pour autant des signes ou emblèmes religieux susceptibles de tomber sous le coup de la loi sur la laïcité.

Outre le poisson, il y a aussi des oiseaux comme le pélican, qui, tel le Christ, se sacrifie pour nourrir ses enfants, le phénix qui ressuscite de ses cendres et, bien sûr, la colombe  figure de l’Esprit Saint.

II – son caractère ostentatoire ou non

Ce sont, en l’espèce, les « caractéristiques » de la croix incriminée qui l’ont condamnées : sa grande dimension et son emplacement au sommet de l’arche qui signent son aspect ostentatoire, voire provocateur.

Sans doute, si la croix avait été plus discrète, moins imposante et placée sur le côté de l’arche, la Cour en aurait décidé autrement.

Mais on sait bien que la clef de voute est la pierre qui fait tenir l’ensemble de l’édifice.

Rappelons-nous ce que chante le psalmiste, repris par Mathieu (21, 42) les actes de apôtres (4, 11) et la 1° lettre de Pierre (2, 7) : « la pierre qu’avait rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de faîte » (psaume 118, verset 22)

Le Conseil d’Etat, la loi de la séparation de 1905 et la Fédération Morbihannaise de la libre pensée auront beau faire, la croix continuera d’être ce qu’elle est : appelée à régner sur toute la terre, qu’elle figure ou non au sommet de l’arche qui encadre la statue de saint Jean-Paul II sur la place de Ploërmel.

En attendant, mieux vaut ne pas choquer les petites gens que de s’attacher une meule au cou et de se précipiter à la mer ! …. (Mt 18,6 ; Mc 9,42 ; Lc 17,2)

 

 

Yves DANIEL

Ancien assistant des Universités

Ancien chargé de cours de Droit

 (à l’ENA de Tunis, l’IUT de Poitiers, L’INSET d’Abidjan et à l’ENSIB de Bourges)

Avocat honoraire au barreau de Lorient

Etudiant en théologie à l’UCO d’Angers

 

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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4 Commentaires

  1. Article très éclairant pour les profanes du droit. Petite précision, Ploërmel n’est plus sous-préfecture depuis 1926, suite à une réforme du gouvernement de Pointcarré qui a supprimé beaucoup d’arrondissements.

  2. Pour moi « la libre pensée » est un groupe sectaire et anachronique. Pour leur répondre, les ploermélais, mécontents de la décision du conseil d’état peuvent exposer un crucifix à la fenêtre de leur logement
    Un logement est un lieu privé donc cette exposition sera inattaquable juridiquement

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