Eloge en dessins de la maternité bretonne

Amzer-lenn / Temps de lecture : 8 min

colloque famille langue bretonne

Le souci de la famille et de la maternité ont  été au cœur des programmes du mouvement breton d’entre les deux guerres, mouvement appelé « premier EMSAV« . Les militants bretons d’alors, avaient bien conscience que l’on ne pouvait prétendre défendre la langue, la culture, les traditions bretonnes … et la Foi, si dans le même temps les familles rejetaient l’enfant ou que la famille n’était qu’une question accessoire. Aujourd’hui, ce même milieu, appelé le « second Emsav« , principalement de gauche et souvent indifférent à la dimension religieuse de la famille, ne se préoccupe guère, sinon plus du tout, du problème de la relève des générations, se calquant ainsi sur toute la doxa anti-familiale des gouvernements français. Prétendre  défendre une langue, tout un héritage culturel, artistique, mais – grand paradoxe- sans se soucier de faire des héritiers, ne peux être crédible. C’est œuvrer pour une Bretagne muséifiée, façon civilisation disparue qui ne peut que contenter les chercheurs, mais pas l’avenir, car la question est : « qui recueillera cet héritage ? »

Les Bretons militants nationalistes de cette époque, mais également ceux que l’on qualifiera de régionalistes, auront  dans leurs programmes pour un relèvement de la Bretagne la préoccupation majeure de l’enfant et de la famille nombreuse. Cette préoccupation sera d’autant plus nécessaire et plus vive que la Bretagne sortait, comme toute la France, d’une terrible épreuve : l’hémorragie causée par la guerre de 1914-1918, créant ainsi une société bretonne de veuves et d’orphelins. De plus, à cette époque, les pays voisins comme l’Allemagne, l’Italie, la Belgique ou la Hollande avaient des politiques familiales dynamiques, réalisant en quelques années une explosion de naissances. Ceux qui visitèrent ces pays étaient impressionnés du nombre incroyable d’enfants, débordants de santé, que l’on pouvait rencontrer partout.  Cette situation ne manqua pas d’interpeller les Bretons ayant le souci de l’avenir de la Bretagne, et de se rendre à cette évidence naturelle : un peuple qui ne faisait plus d’enfants ne pouvait prétendre à aucun avenir. Alors, dans ce cas, à quoi bon défendre sa langue, sa culture, son patrimoine ? Un souci, une logique que rappelleront sept décennies plus tard les avertissements de Saint Jean-Paul II et de Mère Térésa : «Un peuple qui tue ses propres enfants n’a pas d’avenir», allusion évidente à l’avortement.

Aujourd’hui, ceux qui sont lucides, perçoivent que l’Europe va dans un avenir proche payer très cher son hiver démographique, sa détestation de ses propres enfants, au point de les faire tuer dans le ventre de leur mère. Et en tuant l’enfant, c’est aussi l’héritage culturel et spirituel que l’on tue…

DES GOUVERNEMENTS QUI N’AIMAIENT PAS LA  FAMILLE…  ET QUI NE L’AIMENT  TOUJOURS  PAS…

Entre 1920 et 1940, la France qui a donc un grand besoin de combler les vides créés par les hécatombes de la guerre, n’a guère cette préoccupation. Elle ne cesse de s’enfoncer dans les revendications sociales de toutes natures, sauf celle de la famille. Pour les gouvernements d’alors, tous anticléricaux (comprendre antichrétien), la famille et les nombreux enfants sont l’affaire des catholiques, surtout celles du monde paysan regardé comme arriéré, gardien de traditions et de croyances obscurantistes. En cela, ces gouvernements du point de vue idéologique, ne diffèrent guère de ceux d’aujourd’hui.  C’est bien cette mentalité qui dicte l’absence d’une politique familiale, la détestation de la famille nombreuse, surtout si elle est catholique.

Mais revenons aux Bretons d’entre les deux guerres. La presse bretonne, qu’elle soit nationaliste ou régionaliste -nuance qui dans le contexte de l’époque a son importance- consacre de nombreux articles à la famille bretonne : citons -en brossant un éventail large- les journaux et revues comme l’Heure Bretonne, Breiz Atao, Stur, Feiz ha Breiz, Feiz ha Breiz ar Vugale (Foi et Bretagne des Enfants), An Oaled (Le Foyer Breton), Le Bulletin de l’Union des Oeuvres Bretonnes, La Paroisse Bretonne de Paris, Ololê, Dihunamb, et bien d’autres publications parfois éphémères. Nous pourrions y ajouter les nombreuses homélies des évêques bretons très sensibles à ce sujet, mais aussi des sermons de mariages faisant l’éloge de l’enfant, de la famille nombreuse qui est « don de Dieu et avenir de la Patrie. »

Evidemment, ces articles seront toujours illustrés de photos mettant en valeur l’enfant breton. Mais aussi de dessins exaltant la maternité, ou encore de caricatures fustigeant le mépris de la France pour la famille, l’enfant.

Dans ce domaine, peu de dessinateurs, de caricaturistes. D’ailleurs la presse bretonne n’utilisera que rarement  l’art du dessin, de la caricature pour illustrer des articles d’ordre politique ou social, se réservant davantage pour le littéraire et l’artistique. Ce qui fera dire que le Breton avait le sens politique plutôt … triste.

Un de ces dessinateurs-caricaturistes sera un certain Yann Riec,  qui dessinera plus de trente caricatures politiques pour le journal Breiz Atao (qui est devenu à cette époque l’organe du PNB), et c’est à celles-ci que nous allons nous intéresser, du moins pour celles qui concernent la famille.

Nous en retiendrons trois qui résument assez justement le sujet, des dessins qui pourraient fort bien illustrer des articles d’aujourd’hui :

En 1938, il réalise une très jolie aquarelle (18 x 24) qui exalte la maternité bretonne : la mère est habillée d’une robe « drapeau breton », le fameux Gwenn ha Du (Noir et blanc, drapeau qui à l’époque est considéré comme séditieux, aussi bien par l’évêché que par le gouvernement). Le berceau de l’enfant est décoré de symboles celtiques : l’hermine stylisée, le soleil celtique très en vogue alors, avec en son centre le triskell, symbolisant le renouveau de la Bretagne par la maternité ; la mère et l’enfant se situant sur la terre bretonne entourée de la mer. Ce dessin était destiné au journal Breiz Atao, mais il en fera finalement une autre version, destinant la première… à sa fiancée qui l’ayant  trouvée si beau, voulu l’avoir. La deuxième version, réalisée à l’encre de chine, est assez semblable à la première, mais met en scène le père et la mère et leurs quatre enfants, c’est donc la famille nombreuse qui est mise en avant. Là encore, le soleil celtique se lève sur la Bretagne.

Le troisième dessin, ressort  plutôt de la caricature, il fustige le couple bourgeois français avili dans le confort matérialiste, refusant l’enfant, lui préférant chats et chiens ; ces deux dessins illustrent un article intitulé « Agonie française » (numéro 301  de Breiz Atao du 1er mai 1938). Relevons ce passage mordant :

 «Cette France qui se dépeuple à un rythme accéléré, parce que la majorité des Français ont peur de l’enfant et lui préfère un toutou. Cette France qui sait si bien compter sur nous en temps de guerre, et nous remercier en temps de paix en traitant nos femmes, nos filles, nos sœurs, de Bécassines. Que les Français élèvent leurs toutous en guise d’enfants, et nous nos enfants bretons qui seront ceux d’une Bretagne saine et prolifique, son avenir ».

Ces deux dessins sont signés Yann Riec. Des illustrations de cette nature, pour des raisons idéologiques évidentes, ne risquent guère de se trouver dans la presse bretonne ou assimilée d’aujourd’hui, tant la famille et la natalité ne sont pas dans les préoccupations bretonnes. Défendre l’héritage celte, c’est bien :  encore faut-il prévoir les héritiers qui le recueilleront, sinon à quoi bon ! …

Dessiner des enfants, des évènements familiaux : naissances, mariages, communions, seront  des spécialités de ce dessinateur. Les couleurs, la poésie ou la naïveté du trait donnent à ses œuvres ce cachet très particulier qui lui est propre.

Après la guerre, la presse bretonne militante a disparu. Toutefois de modestes revues à la diffusion limitée voient le jour : Kroaz-Vreiz, qui prend le relais de Feiz ha Breiz qui a cessé de paraître en mars 1944, Sked, Barr han Eol war Feiz ha Breiz, Bleun-Brug, puis plus tard Imbourc’h ou encore l’Appel d’Ololê. Toutes sont catholiques et défendent la famille, alors que la presse militante politique ne s’y intéresse pas. Une recension de tous ces articles serait éloquente de cet intérêt du Premier Emsav, catholique ou non,  pour la famille. A l’heure où l’on parle de l’avenir des retraites, la famille n’est-elle finalement pas le pivot ?

À propos du rédacteur Youenn Caouissin

Auteur de nombreux articles dans la presse bretonne, il dresse pour Ar Gedour les portraits de hauts personnages de l'histoire religieuse bretonne, ou encore des articles sur l'aspect culturel et spirituel breton.

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2 Commentaires

  1. dominique de lafforest

    merci pour ces « documents » que les générations qui « font » la Bretagne de 2020, ignorent et vont découvrir (« le petit reste » qui lit « ar Gedour »!!!

  2. Bonjour,
    Comme j’aime votre article ! il est tellement réel hélas pour les jours si tristes que nous vivons….
    Il y a un blog qui a signalé que près de 3500 enfants avaient été tués en l’espace des 8 premiers jours de l’année 2020. Une horreur !!! et plus de 9 millions d’enfants depuis l’année 1976 !!!!… et ils et nous pleurons sur nos maigres retraites ? hum….

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