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Jubilé Saint Vincent Ferrier : les reliques au pardon de la chapelle Saint Vincent de Plouay le 2 septembre 2018

Amzer-lenn / Temps de lecture : 9 min

Saint Vincent Ferrier partage avec son compatriote madrilène, le laboureur Isidore (1080-1130) –  à moins qu’il ne s’agisse du saint évêque de Séville, au VI° siècle, dont la fête tombait, autrefois, début avril, la veille de celle de Saint Vincent Ferrier – le patronage de la chapelle située à quelques kilomètres au nord de Plouay, sur l’ancienne route du Faouët, d’où l’on y accède par un long chemin poussiéreux sinuant à l’ombre des grands arbres qui le bordent de part et d’autre.

Cet édifice aurait disparu sans l’acharnement courageux d’un petit groupe de  passionnés qui, il y a une trentaine d’année, se sont pieusement mis à la tâche pour le restaurer, lui redonner vie et y honorer les saints qui y sont traditionnellement révérés, non plus ensemble mais séparément : Isidore au printemps et Vincent à la fin de l’été.

Le pardon de saint Vincent Ferrier revêtait cette année une particulière solennité : pensez donc, le 5 avril prochain, on célébrera le 600° anniversaire du décès, à Vannes, de ce grand prédicateur dominicain que fut Saint Vincent Ferrier, né le 23 janvier 1350 à Valence en Espagne.

Il était présent ce dimanche 2 septembre 2018 à son pardon, du moins ses reliques, dans une bien modeste châsse en argent, à l’image sans doute de l’humble personne qu’il fut de son vivant, placée, sans autre ornement, sur le côté du chœur de la chapelle durant l’office, mais qui sera, à l’issue, portée en procession sur les solides épaules de deux jeunes hommes jusqu’au tan-tad sur le placître où se déroulent les festivités profanes du pardon.

A l’occasion de ce 600° anniversaire,  l’évêque de Vannes, Mgr Raymond Centène a proclamé jubilaire dans son diocèse l’année allant du 18 mars 2018 à la pentecôte 2019, « grand événement pour notre Eglise diocésaine destiné à renouveler notre vie chrétienne et notre dynamisme missionnaire en nous appuyant sur l’exemple de sa vie ».

C’est ainsi que les reliques de Saint Vincent Ferrier et sa châsse ont quittés la cathédrale Saint Pierre de Vannes où le saint prédicateur a été, selon ses vœux, inhumé malgré les souhaits contraires tant de ses compatriotes valenciens que de sa communauté dominicaine qui se disputaient sa dépouille, pour, au cours de cette année jubilaire, parcourir les paroisses qui en font la demande et les offrir ainsi à la vénération des fidèles.

Voilà donc un jeune dominicain, professeur de théologie, écrivain distingué dans la ligne des mystiques espagnols de son temps, dont l’ami, Pierre de Lune, est élu en 1394, pape en Avignon sous le nom de Benoît XIII, successeur de Clément VII qui y était revenu, alors qu’à Rome, Urbain VI, en 1378 puis Boniface IX en 1389 succédaient également à Grégoire XI.

Maître Vincent, de l’ordre des prêcheurs, est appelé à tous les honneurs, qu’il déclinera imperturbablement. Mais ce n’est pas pour des motifs politiques qu’il quittera Avignon, ni pour éviter de cautionner le Schisme que poursuit son ami Benoit XIII, mais parce qu’il est appelé par le Christ lui-même dont le pape, qu’il soit d’Avignon, de Rome, de Pise ou d’ailleurs, n’est que le vicaire sur terre, à exercer une mission d’apostolat et de prédication.

Apostolat qui le mènera sur toutes les routes d’Europe, jusqu’à son extrémité occidentale : la Bretagne.  Il est à Tours, venant de Bourges quand les émissaires du duc Jean V le prient de venir jusqu’à Vannes, capitale du duché, où il arrive en mars 1418, juché sur un âne comme le montre le vitrail sud de la chapelle

Le même vitrail illustre l’arrivée du prédicateur à Nantes, en bateau, comme ses prédécesseurs gallois, mille ans auparavant. Mais, depuis tout ce temps, les populations de Bretagne avaient nécessairement besoin d’une « piqure de rappel », la tiédeur s’était emparée de leurs cœurs.

Toutefois, ce n’est pas une navigation maritime depuis les côtes espagnoles qui a mené Saint Vincent à Nantes, mais, au départ de Tours, la descente de la Loire, voie plus sure que la voie terrestre, faute alors d’autoroutes et de ligne TGV.

Il prêche et guérit les malades : missionnaire courageux, il garde le « souci permanent des plus fragiles » comme le précise la plaquette éditée à l’occasion du jubilé diocésain.

Au-dessus du maître autel, Saint Vincent-Ferrier est représenté ailé, tenant une trompette, apparaissant dans cet appareil à un vieux breton en bragou-braz lui tendant les bras.

Aussi bizarre soit elle, c’est une représentation traditionnelle du saint prédicateur : la trompette n’est pas celle de la renommée, mais celle du jugement dernier et les ailes, brunes comme celles d’un rapace, sont pourtant celles d’un ange, aussi vrai que dans le cadre de ses prédications, le dominicain se présentait à son auditoire comme l’ange chargé d’annoncer le jugement dernier, la fin du monde, le 7° ange de l’Apocalypse de Saint Jean : «aux jours où l’on entendra le septième ange, quand il commencera de sonner de sa trompette, alors sera l’accomplissement du mystère de Dieu, comme il en fit l’annonce à ses serviteurs les prophètes. » (Apo, 10, 7)

« Ô Dieu qui avez fait parvenir à la connaissance de votre nom une multitude de nations par la prédication merveilleuse du bienheureux Vincent, votre confesseur, accordez, nous vous en prions, que celui dont il a annoncé la venue comme juge sur terre, nous méritions de l’avoir comme rémunérateur dans les Cieux ». (Oraison finale des litanies, tirée du « traité de la vie spirituelle » de Saint Vincent-Ferrier)

Il est vrai que le contexte s’y prêtait particulièrement : schismes, difficultés de succession, guerres, épidémies de peste etc…

Mais nos temps ne sont-ils pas aussi « apocalyptiques » qu’au XV° siècle ? La prédication de saint Vincent Ferrier n’est-elle pas toujours d’actualité : ne perdons nous pas notre temps à des broutilles sans intérêt, en négligeant l’essentiel ?

Miracles de la prédication de Vincent : point besoin de micros ni de systèmes de sonorisation sophistiqués, comme au festival des Vieilles Charrues à Carhaix : il était entendu de tous, quelle que soit la finesse de leurs ouïes, en plein air comme en salle et il y en avait des centaines, voire des milliers qui se rassemblaient au son de sa voix comme pour une rave-party…

Autre miracle : bien que n’étant pas spécialement brittophone, Maître Vincent se faisait non seulement entendre, mais aussi comprendre de tout son auditoire breton, qu’il soit de Quimper, du Léon ou tout simplement vannetais !

Voilà de quoi faire rêver tous les professionnels de la parole, qu’ils soient chanteurs, enseignants, avocats ou, curés ! ….

La mort de Saint Vincent sera aussi édifiante : non seulement il a écouté, les bras levé, la lecture de la Passion avant d’expirer, mais la duchesse elle-même, la propre épouse du duc Jean V, Jeanne de France (1391-1433), la fille du roi de France Charles VI, était présente à son agonie et c’est elle qui, par dévotion, lavera les pieds du futur saint : elle est représentée avec sa couronne sur le vitrail de la chapelle.

Bien évidemment les bretons, leurs princes et leurs familles en tête, ont largement œuvré pour la canonisation de saint Vincent Ferrier. Dès son accession au trône pontifical, l’évêque de Valence, Mgr Alfonso Borgia, le premier de sa famille à accéder à ces hautes fonctions, élu sous le nom de Calixte III, prononcera la canonisation de son compatriote. Mais, de son côté, Alain de Coëtivy (1407-1474) né à Plouvien, au nord de Brest, fait cardinal – un des rares bretons à avoir reçu, jusqu’à présent, la pourpre cardinalice – par le pape Nicolas V, le prédécesseur immédiat de Calixte III, usera, à la demande des ducs de Bretagne, Jean V et ses fils François 1° et Pierre II qui lui succéderont, de toute son influence à la Cour pontificale qui était importante. On se rappelle que c’est à lui, inhumé dans la basilique sainte Praxède à côté de Sainte Marie Majeure à Rome, que l’on doit la création de la paroisse Saint Yves des Bretons, aujourd’hui située vicolo della Campana au nord de Saint Louis des Français, près du Tibre.

Mais revenons à la petite chapelle Saint Vincent de Plouay où se déroule la messe du pardon célébrée par le recteur de l’ensemble paroissial qui comprend également celles de Calan, Inguiniel et Lanvaudan, l’abbé Daniel, mon homonyme, Vincent de son prénom – comme saint Vincent de Paul (1576-1660) que ses parents avaient prénommés ainsi , ai-je lu quelque part, en l’honneur, précisément, du prédicateur espagnol. Originaire de Cherbourg où demeurent ses parents, présents à la cérémonie, l’abbé Vincent Daniel, est arrivé récemment sur le secteur et c’est le premier pardon de saint Vincent qu’il célèbre. Il a revêtu les ornements blancs en l’honneur du saint confesseur et la messe est dite – faute de place, sans doute – « ad orientem », le dos au peuple.

L’assistance est nombreuse et priante, la famille de saint Dominique à laquelle appartenait le saint du jour est dignement représentée par une sœur de Pont-Calleck, tout proche, venue en voisine et en coule noire sur ses habits d’un blanc immaculé.

C’est mon camarade Mikaël Messina qui préside aux chants, en latin pour le credo, le sanctus, le pater noster et l’agnus dei, en grec pour le Kyrie, en breton pour le refrain du psaume, l’anamnèse  et la communion, en français pour le reste, étant précisé que les paroles du gloria étaient parfaitement conformes aux prescriptions liturgiques qui veulent qu’elles ne soient pas fantaisistes, comme elles le sont trop souvent !

L’hymne à Sant Uisant sera chanté en breton pendant la procession et l’angélus, également chanté en breton, à l’arrivée, après l’extinction du grandiose Tan Tad.

A Plouay, Saint Vincent Ferrier a été honoré comme il le mérite et le jubilé diocésain célébré selon les vœux de Mgr l’évêque, avec la ferveur habituelle des nombreux pèlerins rassemblés pour le pardon sous un chaud soleil d’été augurant d’une bonne après-midi de festivités nombreuses et variées.

Mais il y aura, d’ici la pentecôte de l’an prochain, bien  d’autres manifestations organisées dans le cadre du jubilé diocésain, à l’occasion du 6° centenaire de la mort à Vannes de saint Vincent Ferrier.

Ne les manquez pas ! ….

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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2 Commentaires

  1. Jarnoüen de Villlartay

    Merci pour cette piqure de rappel,
    L’église de Garlan (29), mon village de la Paroisse St Yves du Pays de Morlaix, possède un reliquaire de Saint Vincent Ferrier. L’annonce, grâce à vous, de son 600° anniversaire nous place dans dès maintenant dans la dynamique de son jubilaire.
    Amicalement
    Gilles 02 98 79 16 80

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