Régulièrement, la question se pose : veut-on réellement prendre en compte la culture bretonne ?
Il est clair qu’une certaine catégorie de « décideurs / animateurs / organisateurs / metteurs-en-scène… » n’en a que faire, quitte à aller à l’encontre d’une population qui y est attachée… et à l’encontre de ce que l’Eglise demande comme nous le rappelons bien souvent. Quitte à ce que le patrimoine devienne amas de ruines, à l’instar de certains de nos édifices… et communautés locales.
Monseigneur Moutel, évêque de Saint-Brieuc & Tréguier, a récemment dit avec raison dans sa lettre pastorale qu’ « une approche trop superficielle du breton et de la culture bretonne nous conduirait à un soutien minimaliste, voire à la tentation d’une “folklorisation” de certaines fêtes. Chanter et prier en breton, moyennant un bon accueil de tous, c’est une chance et même une grâce, puisque les mots de la foi s’y trouvent enrichis d’une couleur particulière. »
Malheureusement, cette couleur particulière est trop souvent gommée. En poussant la réflexion plus loin, nous pourrions même dire qu’en effaçant cette couleur, les mots de la foi se retrouvent donc appauvris…
Ainsi bien trop de paroisses mettent à l’écart de la liturgie les cantiques bretons tout au long de l’année… excepté pour quelques pardons. Tout comme des spectacles qui voient le jour dans l’ignorance de la culture bretonne. Citons par exemple l’Ecole Sainte Anne de Port-Louis qui travaille actuellement à la mise en scène d’un spectacle de rue sur le thème de Noël, qui aurait pour décor les belles bâtisses et les rues de la cité. Une très bonne initiative, mais…nous avons pu avoir connaissance du script qui, à notre grand regret, ne comporte rien de breton. Pas un mot, pas une musique, pas un chant en breton. Le directeur de l’école avait dit en mai 2015 : «Soyons les témoins que l’école est un lieu où l’on cultive le partage, l’échange, un lieu ou tout un chacun occupe une place importante dans une communauté éducative solidaire». On voit que la Bretagne et les Bretons n’ont pas de place importante dans ce projet. Un oubli ? A moins que la culture bretonne ne soit un boulet pour certains cathos qui ont oublié leurs racines ou ignorent celles du territoire qui les accueille ?
Nous parlons régulièrement sur AR GEDOUR de la liturgie hors-sol, portée dans une indifférence totale depuis des décennies. Nous évoquons donc cet autre sujet aujourd’hui : la mise en scène hors-sol comme c’est le cas de différents spectacles qui sont montés en Bretagne qui n’est souvent pas due à une opposition frontale mais à une ignorance qui va s’accentuant. Il y a des exceptions : la paroisse de Saint-Patern à Vannes avait fait un effort d’inculturation dans un spectacle de Noël l’an passé et c’est à souligner. Nous pourrions évoquer le son et lumière « Nicolazic, paysan breton » qui est un très beau spectacle, mais dont malheureusement, le seul passage en breton est le discours du Pape Jean-Paul II. A l’exception du Diocèse de Quimper & Léon qui s’est démarqué par exemple avec les pièces sur Santig Du ou sur Saint Pol-Aurélien, permettant de faire connaître la vie de ces saints locaux aux jeunes générations, la majorité des événements et des mises en scènes se retrouvent hors-sol. Il faut des troupes de théâtre non-confessionnelles pour proposer quelque chose qui tient la route niveau enracinement comme AR BASION VRAZ / LA PASSION CELTIQUE jouée par Ar Vro Bagan. Il faut encore par exemple un Centre de Musique Sacrée pour que soit composée une pièce mettant en valeur les poèmes de YB Calloc’h, comme PROMESA, excellente cantate sur laquelle nous reviendrons prochainement. Il faut un Yann-Fañch Kemener pour remettre à l’honneur les Cantiques de la Passion qui ont déserté nos offices mais sont prisés par les festivals, comme les Kanerion Pleuigner à l’Interceltique. Il faut un Festival Interceltique pour que l’on évoque sans complexe les saints fondateurs et évangélisateurs de la Bretagne dans le cadre du magnifique spectacle de la « Nuit Interceltique ». Notre liste est loin d’être exhaustive.
Dans le domaine évoqué aujourd’hui, disons clairement que tout un pan du patrimoine culturel -et spirituel- de la Bretagne se francise, laissant la langue bretonne aux oubliettes. Pourquoi retrouve-t-on si souvent ces pièces qui participent passivement à l’éradication de notre patrimoine authentiquement breton, alors que l’on souligne dans le même temps via de multiples conférences le malheur des déracinés ?
AR GEDOUR a décidé de réagir en vous en parlant et en vous invitant à partager au plus grand nombre nos propositions, car les gens n’y pensent pas que ce soit ici à Port-Louis, ou ailleurs. Notre culture se meure dans l’indifférence générale, et nous ne pouvons nous y résoudre. Il ne s’agit donc pas de critiquer ici des actions qui ont le mérite d’exister, mais de souligner ce qui ne va pas et d’apporter un éclairage nouveau qui permettrait de mieux cerner les enjeux d’une véritable inculturation.
François-Xavier Bellamy disait dans « L’urgence de transmettre » que « la civilisation qui a perdu le sens de l’actualité de son héritage, qui a perdu le sens de la dimension profondément vivante de la tradition qu’elle a reçu, cette civilisation-là ne peut que s’écrouler de l’intérieur », ajoutant lors d’une de ses conférences que « la langue bretonne est ce par quoi des générations entières ont appris à apprivoiser leur propre condition humaine, à apprivoiser le milieu dans lequel ils vivaient, à apprivoiser la terre dans laquelle ils grandissaient… et tuer une langue, la combattre, la déconstruire, c’est toujours déconstruire cette puissance de vie, cette fécondité qu’est une langue, cette promesse de liberté qu’elle représente ».
Il faut que les gens qui, passivement ou activement déconstruisent cette fécondité, (re)découvrent le riche patrimoine breton. Par exemple, pour Noël, nos paroisses devraient diffuser les richesses bretonnes de Noël accessibles notamment via notre article dédié. De nombreuses partitions, MP3, traductions sont aussi disponibles sur KAN ILIZ. Nos nombreux articles participent à cette mise à disposition de ces belles choses oubliées mais qu’il faut que chacun se réapproprie.
Rappelons que l’inculturation est essentielle pour un véritable ancrage de l’Evangile dans les coeurs. Nos missionnaires le savaient et cette inculturation dans les divers peuples a participé succès de leurs missions à travers le monde. Il suffit de relire Vatican II et particulièrement Ad Gentes, le décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise pour se rappeler comment ne pas tomber dans du hors-sol et comment toucher au plus profond de chacun (cf aussi « écologie culturelle » de Laudato Si).
Voici ce que Mgr Centène disait en février 2014 : « Il me parait important de transmettre ce patrimoine breton et de garder ses spécificités car elles font partie de notre identité profonde. Il faut réussir à sortir du complexe que l’on a imposé disant que parler breton était arriéré. Il faut retrouver cette fierté d’être breton. On voit qu’une culture dominante peut écraser des cultures spécifiques, et il faut lutter contre cela. Car pour savoir ou l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Et cela est essentiel dans nos temps troublés. Aujourd’hui, à travers les écoles bilingues, une génération refleurit. L’Eglise a eu un grand rôle dans la préservation de la langue bretonne. Aujourd’hui, il y a une résurgence des cultures locales. Il faut que l’Eglise reprenne sa place dans cette préservation, mais aussi pour évangéliser. Car nos cantiques bretons favorisent l’intériorité essentielle à l’évangélisation… »
Au-delà de cet aspect, le fait d’utiliser le « média » breton ferait aussi que le côté « catho sur la voie publique » serait certainement mieux accepté de beaucoup, car nous saurions alors les toucher, chose que l’Eglise devrait mieux prendre en compte car c’est un fait réel : la culture bretonne est très prisée de par le monde, et le succès des différents festivals, festoù-noz, pardons… l’atteste. Il y a une réelle attente, que les chrétiens ignorent trop souvent. Preuve en sont les veillées de Noël organisées dans des bars (comme à Quimperlé) pour chanter… des cantiques de Noël ! Et oui ! Pas de cantiques bretons à l’église ? Qu’à cela ne tienne… on les chantera ailleurs ! Ceux qui se disent missionnaires devraient certainement s’interroger… La culture bretonne de par sa visibilité et sa popularité, de par son histoire et de son lien étroit avec la foi chrétienne, contribue justement à mieux faire passer le message, d’autant plus quand il y a un blocage sur le plan de la visibilité du catholicisme dans l’espace public de la part de certains pouvoirs publics un brin laïcards. La culture bretonne devient alors un appui de choix et non un boulet supplémentaire ! Il est donc bien dommage que ne soit que peu saisie l’occasion de toucher ainsi des gens « des périphéries » qui seraient interpellés parce qu’on prendrait (enfin) en compte leur culture, quelque chose qui les fait vibrer même s’ils ne parlent pas tous breton.
« L’Eglise aurait tout à gagner à s’appuyer sur la culture bretonne pour transmettre la foi aux jeunes » disait récemment le Père Corentin Sanson, un jeune prêtre du Diocèse de Quimper dans une interview au journal La Croix. Les écoles catholiques aussi, oserions-nous ajouter.
Revenons-en à ce spectacle de Noël : la culture bretonne est spécialement dynamique dans le pays de Port-Louis par le biais du cercle An Drouz Vor (qui dépend théoriquement du patronage paroissial Cercle Jeanne d’Arc) le Bagad Nozeganed, par les cours du soir de langue bretonne pour adultes, ainsi que par l’école Diwan de Riantec qui scolarise plusieurs enfants port-louisiens. Il s’agit dans la plupart des cas de personnes très investies localement mais souvent éloignées de l’Eglise, mais qui sont prêtes à faire un pas vers celle-ci à condition qu’elle prenne en considération notre culture. L’analyse est aussi valable pour bien d’autres lieux. En a-t-on conscience ?
L’Eglise a été un phare et un moteur pour la culture bretonne pendant des siècles. Il est triste que certains milieux catholiques – continuant ainsi l’oeuvre initiée lors du Grand Chambardement – ne s’en rappellent plus et laissent cette culture partir aux « périphéries » sans même en comprendre les enjeux. Mais il n’est jamais trop tard. Les idées ne manquent pas : osons organiser à la Vallée des Saints, lieu où l’Eglise est bien trop absente, une Grande Veillée Bretonne de la Toussaint (avec messe et procession) à laquelle seraient conviés les 5 diocèses bretons ! Osons annoncer Pâques et la Nativité dans la rue ! Cent fois oui ! Mais osons le faire en tenant compte de la culture locale, ce qui décuplera la portée de l’annonce !
Il n’est pas trop tard pour cela, et AR GEDOUR est -comme d’habitude – prêt à aider en ce sens !