La liturgie romaine et l’inculturation

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IVe Instruction de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements 
pour une juste application de la Constitution conciliaire sur la liturgie (n. 37-40) (*)

Préambule

     1. De légitimes diversités dans le rite romain ont été admises dans le passé et de nouveau prévues par le Concile Vatican II dans la Constitution Sacrosanctum Concilium, surtout dans les Missions (1). « L’Eglise, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien commun de toute la communauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique » (2). Elle qui a connu et connaît encore une diversité de formes et de familles liturgiques, estime que cette diversité, loin de nuire à son unité, la met en valeur (3). 


     2. Dans sa Lettre apostolique Vicesimus quintus annus, le Pape Jean-Paul II a indiqué l’effort pour enraciner la liturgie dans les diverses cultures comme une tâche importante pour le renouveau liturgique (4). Déjà prévu dans les précédentes Instructions et les livres liturgiques, ce travail doit être poursuivi à la lumière de l’expérience, en accueillant, là où c’est nécessaire, des valeurs culturelles « qui peuvent s’harmoniser avec les aspects du véritable et authentique esprit liturgique, dans le respect de l’unité substantielle du rite romain, exprimé dans les livres liturgiques » (5). 

a. Nature de cette Instruction

     3. Sur mandat du Souverain Pontife, la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements a préparé cette Instruction; les Normes pour adapter la liturgie au tempérament et aux conditions des différents peuples, contenues dans les articles 37-40 de la Constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium, y sont définies; certains principes, exprimés en termes généraux dans ces articles, y sont expliqués de manière plus précise, les prescriptions exposées d’une façon plus appropriée et enfin l’ordre à suivre pour les observer y est déterminé plus clairement, de sorte que cette matière soit désormais mise en application uniquement par ces prescriptions. Tandis que les principes théologiques relatifs aux questions de foi et d’inculturation ont encore besoin d’être approfondis, il a paru bon à ce Dicastère d’aider les évêques et les Conférences épiscopales à considérer ou à mettre en oeuvre, selon le droit, les adaptations prévues dans les livres liturgiques; à soumettre à un examen critique les aménagements peut-être déjà accordés et enfin, si, dans certaines cultures, le besoin pastoral rend urgente cette forme d’adaptation de la liturgie que la Constitution dit « plus profonde » et déclare en même temps « plus difficile », à organiser selon le droit, d’une manière plus appropriée, son usage et sa pratique. 

 

b. Remarques préliminaires

     4. La Constitution Sacrosanctum Concilium a parlé d’adaptation de la liturgie en indiquant certaines de ses formes (6). Par la suite, le Magistère de l’Eglise a utilisé le terme « inculturation » pour désigner, d’une manière plus précise, « l’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Eglise » (7). « L’inculturation signifie une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines » (8). 


     Le changement de vocabulaire se comprend, même dans le domaine liturgique. Le terme « adaptation », emprunté au langage missionnaire, pouvait faire penser à des modifications surtout ponctuelles et externes (9). Le terme « inculturation » peut mieux servir à désigner un double mouvement: « Par l’inculturation, l’Église incarne l’Évangile dans les diverses cultures et, en même temps, elle introduit les peuples avec leurs cultures dans sa propre communauté » (10). D’une part, la pénétration de l’Evangile dans un milieu socioculturel donné « féconde comme de l’intérieur les qualités spirituelles et les dons propres à chaque peuple (…), elle les fortifie, les parfait et les restaure dans le Christ » (11). D’autre part, l’Eglise assimile ces valeurs, dès lors qu’elles sont compatibles avec l’Évangile, « pour mieux approfondir le message du Christ et pour l’exprimer plus parfaitement dans la célébration liturgique comme dans la vie multiforme de la communauté des fidèles » (12). Ce double mouvement à l’oeuvre dans l’inculturation exprime ainsi l’une des composantes du mystère de l’Incarnation (13). 


     
5. L’inculturation ainsi comprise a sa place dans le culte comme dans les autres domaines de la vie de l’Église (14). Elle constitue un des aspects de l’inculturation de l’Evangile, qui demande une véritable intégration (15), dans la vie de foi de chaque peuple, des valeurs permanentes d’une culture, plus que de ses expressions passagères. Elle doit donc être étroitement solidaire d’une action plus vaste, d’une pastorale concertée, qui vise l’ensemble de la condition humaine (16). 

     Comme toutes les formes de l’action évangélisatrice, cette entreprise complexe et patiente demande un effort méthodique et progressif de recherche et de discernement (17). L’inculturation de la vie chrétienne et de ses célébrations liturgiques, pour l’ensemble d’un peuple, ne pourra d’ailleurs être le fruit que d’une progressive maturité dans la foi (18). 


     
6. La présente Instruction a en vue des situations très diverses. Ce sont en premier lieu les pays de tradition non chrétienne, où l’Evangile a été annoncé à l’époque moderne par des missionnaires qui ont apporté en même temps le rite romain. Il est maintenant plus clair qu’ « en entrant en contact avec les cultures, l’Eglise doit accueillir tout ce qui, dans les traditions des peuples, est conciliable avec l’Évangile, pour y apporter les richesses du Christ et pour s’enrichir elle-même de la sagesse multiforme des nations de la terre » (19). 


     
7. La situation est différente dans les pays d’ancienne tradition chrétienne occidentale, où la culture a été depuis longtemps imprégnée par la foi et par la liturgie exprimée dans le rite romain. Cela a facilité, dans ces pays, l’accueil de la réforme liturgique, et les mesures d’adaptation prévues dans les livres liturgiques devraient être suffisantes, dans l’ensemble, pour faire droit aux diversités locales légitimes (cf. ci-dessous, n. 53-61). Dans certains pays cependant, où coexistent plusieurs cultures, surtout à cause de l’immigration, il faut tenir compte des problèmes particuliers que cela pose (cf. ci-dessous, n. 49). 


     
8. Il faut être également attentif à l’instauration progressive, dans les pays de tradition chrétienne ou non, d’une culture marquée par l’indifférence ou le désintérêt pour la religion (20). Face à cette dernière situation, ce n’est pas d’inculturation de la liturgie qu’il faudrait parler, car il s’agit moins en ce cas d’assumer des valeurs religieuses préexistantes en les évangélisant, que d’insister sur la formation liturgique (21) et de trouver les moyens les plus aptes pour rejoindre les esprits et les coeurs. 

 

I. Le processus d’inculturation à travers l’histoire du salut

     9. Les questions posées présentement pour inculturer le rite romain peuvent trouver un éclairage dans l’histoire du salut. Le processus d’inculturation y fut à l’oeuvre sous des formes diverses. 
     Le peuple d’Israël a gardé tout au long de son histoire la certitude d’être le peuple choisi par Dieu, témoin de son action et de son amour au milieu des nations. Il a emprunté aux peuples voisins certaines formes de culte, mais sa foi au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob a fait subir à ces emprunts de profonds changements, premièrement de sens et souvent de forme, pour célébrer le mémorial des hauts-faits de Dieu dans son histoire, en incorporant ces éléments à sa pratique religieuse. 
     La rencontre du monde juif avec la sagesse grecque a donné lieu à une nouvelle forme d’inculturation: la traduction de la Bible en grec a introduit, la parole de Dieu dans un monde qui lui était fermé et a suscité, sous l’inspiration divine, un enrichissement des Écritures.. 


     
10. La Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes (cf. Lc 24, 27 et 44) avaient pour but de préparer la venue du Fils de Dieu parmi les hommes. L’Ancien Testament, comprenant la vie et la culture du peuple d’Israël, est ainsi histoire du salut. 
     En venant sur la terre, le Fils de Dieu, né d’une femme, né sujet de la Loi (cf. Ga 4, 4), s’est lié aux conditions sociales et culturelles du peuple de l’Alliance, avec lequel il a vécu et prié (22). En se faisant homme, il assumait ainsi un peuple, un pays et une époque, mais en vertu de là commune nature humaine, « d’une certaine façon, il s’est uni ainsi lui-même à tout homme » (23). Car « nous sommes tous dans le Christ et la nature commune de notre humanité reprend vie en lui. C’est pour cela qu’il a été appelé le nouvel Adam » (24). 


     
11. Le Christ, qui a voulu partager notre condition humaine (cf. He 2, 14), est mort pour tous, pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (cf. Jn 11, 52). Par sa mort, il a voulu faire tomber le mur de séparation entre les hommes, faire d’Israël et des nations un seul peuple. Par la puissance de sa résurrection, il attire à lui tous les hommes et il crée en lui un seul Homme nouveau (cf. Ep 2, 14-16; Jn 12, 32). En lui, un monde nouveau est déjà né (cf. 2 Co 5, 16-17) et chacun peut devenir une créature nouvelle. En lui, l’ombre fait place à la lumière, la promesse devient réalité et toutes les aspirations religieuses de l’humanité trouvent leur accomplissement. Par l’offrande qu’il a faite de son corps, une fois pour toutes (cf. He 10, 10), le Christ Jésus établit la plénitude du culte en esprit et en vérité dans la nouveauté qu’il souhaitait pour ses disciples (cf. Jn 4, 23-24). 


     
12. « Dans le Christ (…), la plénitude du culte divin est entrée chez nous » (25). En lui, nous avons le grand prêtre par excellence, pris d’entre les hommes (cf. He 5, 15; 10, 19-21), mis à mort dans sa chair, mais rendu à la vie dans l’esprit (cf. 1 P 3, 18). Christ et Seigneur, il a fait du peuple nouveau « un royaume, des prêtres pour Dieu son Père » (cf. Ap 1, 6; 5, 9-10) (26). Mais avant d’inaugurer par son sang le Mystère pascal (27), qui constitue l’essentiel du culte chrétien (28), il a voulu instituer l’Eucharistie, mémorial de sa mort et de sa résurrection, jusqu’à ce qu’il vienne. Ici se trouvent le principe de la liturgie chrétienne et le noyau de sa forme rituelle. 


     
13. Au moment de monter vers son Père, le Christ ressuscité assure ses disciples de sa présence et les envoie proclamer l’Evangile à toute la création et faire de toutes les nations des disciples en les baptisant (cf. Mt 28, 19; Mc 16, 15; Ac 1, 8). Le jour de la Pentecôte, la venue de l’Esprit Saint crée la nouvelle communauté entre les hommes, en les rejoignant tous, par delà le signe de leur division: les langues (cf. Ac 2, 1-11). Désormais, les merveilles de Dieu seront publiées à tous les hommes de toute langue et de toute culture (cf. Ac 10, 44-48). Les hommes rachetés par le sang de l’Agneau et unis dans une communion fraternelle (cf. Ac 2, 42) sont appelés de toute tribu, langue, peuple et nation (cf. Ap 5, 9). 


     
14. La foi au Christ offre à toutes les nations d’être bénéficiaires de la promesse et de partager l’héritage du peuple de l’Alliance (cf. Ep 3, 6) sans renoncer à leur culture. Sous la poussée de l’Esprit saint, saint Paul, à la suite de saint Pierre (cf. Ac 10), a ouvert la voie de l’Eglise (cf. Ga 2, 2-10), sans maintenir l’Évangile dans les limites de la loi mosaïque, mais en gardant ce qu’il avait lui-même reçu de la tradition qui vient du Seigneur (cf. 1 Co 11, 23). Ainsi, dès les premiers temps, l’Église n’a exigé des convertis non circoncis « rien au-delà du nécessaire », selon la décision de l’assemblée apostolique de Jérusalem (Ac 15, 28). 


     
15. En se réunissant pour rompre le pain le premier jour de la semaine, qui devient le jour du Seigneur (cf. Ac 20, 7; Ap 1, 10), les premières communautés chrétiennes ont suivi l’ordre de Jésus qui, dans le contexte du mémorial de la Pâque juive, institua le mémorial de sa Passion. Dans la continuité de l’unique histoire du salut, elles ont pris spontanément des formes et des textes du culte juif, en les adaptant pour exprimer la nouveauté radicale du culte chrétien (29). Sous la conduite de l’Esprit Saint, un discernement a été opéré entre ce qui pouvait ou devait être gardé ou non de l’héritage juif. 


     
16. L’expansion de l’Évangile dans le monde fait naître d’autres formes rituelles dans les Églises venant de la gentilité, sous l’influence d’autres traditions culturelles. Toujours sous la conduite de l’Esprit Saint, un discernement a été opéré parmi les éléments provenant des cultures « païennes » entre ce qui était incompatible avec le christianisme et ce qui pouvait être assumé, en harmonie avec la tradition apostolique, dans la fidélité à l’Évangile du salut. 


     
17. La création et le développement des formes de la célébration chrétienne se sont faites graduellement selon les conditions locales, dans les grandes aires culturelles où s’est diffusée la Bonne Nouvelle. Ainsi sont nées les familles liturgiques diverses de l’Occident et de l’Orient chrétien. Leur riche patrimoine conserve fidèlement la plénitude de la tradition chrétienne (30). L’Église d’Occident a parfois puisé dans le patrimoine des familles liturgiques de l’Orient des éléments de sa liturgie (31). L’Eglise de Rome a adopté dans sa liturgie la langue vivante du peuple, le grec d’abord, puis le latin et, comme les autres Églises latines, elle a assumé dans son culte des moments importants de la vie sociale d’Occident, en leur donnant une signification chrétienne. A bien des reprises, au cours des siècles, le rite romain a montré sa capacité d’intégrer des textes, des chants, des gestes et des rites de diverses provenances (32), et de s’adapter aux cultures locales en pays de mission (33), même si à certaines périodes le souci de l’uniformité liturgique l’a emporté. 


     
18. En notre temps, le Concile Vatican II a a rappelé que l’Église « sert et assume toutes les facultés, les ressources et les formes de vie des peuples en ce qu’elles ont de bon; en les assumant, elle les purifie, elle les renforce, elle les élève (…). Son activité n’a qu’un but: tout ce qu’il y a de germes de bien dans le coeur et la pensée des hommes ou dans leurs rites propres et leur culture, non seulement ne pas le laisser perdre, mais le guérir, l’élever, l’achever pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme » (34). Ainsi la liturgie de l’Église ne doit être étrangère à aucun pays, à aucun peuple, à aucune personne, et en même temps elle transcende tout particularisme de race ou de nation. Elle doit être capable de s’exprimer dans toute culture humaine, tout en maintenant son identité, par fidélité à la tradition reçue du Seigneur (35). 


     
19. La liturgie, comme l’Évangile, doit respecter les cultures, mais en même temps elle les invite à se purifier et à se sanctifier. 
     En devenant chrétiens, les juifs ne cessent de demeurer pleinement fidèles à l’Ancien Testament, qui conduit à Jésus, le Messie d’Israël; ils savent qu’il a accompli l’Alliance mosaïque, en étant le médiateur de l’Alliance nouvelle et éternelle, scellée par son sang sur la croix. Ils savent que, par son sacrifice unique et parfait, il est le grand prêtre authentique et le Temple définitif (cf. He 610). Du même coup, sont relativisées les prescriptions comme la circoncision (cf. Ga 5, 16), le sabbat (cf. Mt 12, 8 et par.) (36) et les sacrifices du Temple (cf. He 10). D’une manière plus radicale, les chrétiens venus du paganisme ont dû, en adhérant au Christ, renoncer aux idoles, aux mythologies, aux superstitions (cf. Ac 19, 18-19; 1 Co 10, 14-22; Col 2, 20-22; Jn 5, 21). 
     Mais, quelle que soit leur origine ethnique et culturelle, les chrétiens doivent reconnaître dans l’histoire d’Israël la promesse, la prophétie et l’histoire de leur salut. Ils reçoivent les livres de l’Ancien Testament aussi bien que ceux du Nouveau comme la parole de Dieu (37). Ils accueillent les signes sacramentels, qui ne peuvent être pleinement compris que par l’Écriture Sainte et dans la vie de l’Église (38). 


     
20. Concilier les renoncements exigés par la foi au Christ avec la fidélité à la culture et aux traditions du peuple auquel ils appartenaient, tel fut le défi posé aux premiers chrétiens, dans un esprit et pour des raisons différentes, suivant qu’ils venaient du peuple élu ou étaient originaires du paganisme. Et tel sera celui des chrétiens de tous les temps, comme l’attestent les paroles de saint Paul: « Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens » (1 Co 1, 23). 
     Le discernement, qui a été effectué au cours de l’histoire de l’Église, demeure nécessaire pour que, au moyen de la liturgie, l’oeuvre du salut accomplie par le Christ se perpétue fidèlement dans l’Église par la puissance de l’Esprit, à travers l’espace et le temps, et dans les diverses cultures humaines. 

 

II. Exigences et conditions préalables pour l’inculturation liturgique

a. Exigences venant de la nature de la liturgie

     21. Avant toute recherche d’inculturation, il faut garder présente à l’esprit la nature même de la liturgie. Elle « est, en effet, le lieu privilégié de la rencontre des chrétiens avec Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ (cf. Jn 17, 3) » (39). Elle est à la fois action du Christ prêtre et action de l’Église qui est son Corps, car, pour accomplir son oeuvre de glorification de Dieu et de sanctification des hommes, exercée à travers des signes sensibles, il s’associe toujours l’Église qui, par lui et dans l’Esprit Saint, rend au Père le culte qui lui est dû (40). 


     
22. La nature de la liturgie est intimement liée à la nature de l’Église, au point que c’est surtout dans la liturgie que la nature de l’Église se manifeste (41). Or, l’Église a des caractères spécifiques qui la distinguent de toute autre assemblée ou communauté. 
     En effet, elle ne se forme pas par une décision humaine, mais elle est convoquée par Dieu dans l’Esprit Saint et répond dans la foi à son appel gratuit (
ekklesia est en rapport avecklesis, « appel »). Ce caractère singulier de l’Église se manifeste par son rassemblement comme peuple sacerdotal, en premier lieu le jour du Seigneur, par la parole que Dieu adresse aux siens et par le ministère du prêtre, que le sacrement de l’Ordre rend capable d’agir au nom du Christ Tête en personne (42). 
     Parce qu’elle est
 catholique, l’Église surmonte les barrières qui séparent les hommes: par le baptême, tous deviennent fils de Dieu et ne forment en Jésus qu’un seul peuple, où « il n’y a plus ni juif ni païen, ni esclave ni homme libre, où il n’y a plus l’homme et la femme » (Ga 3, 28). Ainsi est-elle appelée à rassembler tous les hommes, à parler toutes les langues, à pénétrer toutes les cultures. 
     Enfin, l’Église chemine sur terre, loin du Seigneur (cf. 2 Co 5, 6): elle porte la figure du temps présent dans ses sacrements et ses institutions, mais elle est tendue vers la bienheureuse espérance et la manifestation du Christ Jésus (cf. Tt 2, 13) (43). Cela se traduit dans l’objet même de sa prière et demande: tout en étant attentive aux besoins des hommes et de la société (cf. 1 Tm 2, 14), elle exprime que nous sommes citoyens des cieux (cf. Ph 3, 20). 


     
23. L’Église se nourrit de la parole de Dieu, consignée par écrit dans l’Ancien et le Nouveau Testament, et, en la proclamant dans la liturgie, elle l’accueille comme une présence du Christ: « C’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures » (44). La parole de Dieu a donc dans la célébration de la liturgie une importance extrême (45), de sorte que l’Écriture Sainte ne peut être remplacée par aucun autre texte, quelque vénérable qu’il soit (46). La Bible fournit également à la liturgie l’essentiel de son langage, de ses signes et de sa prière, surtout dans les psaumes (47). 


     
24. Comme l’Église est le fruit du sacrifice du Christ, la liturgie est toujours la célébration du mystère pascal du Christ, glorification de Dieu le Père et sanctification de l’homme par la puissance de l’Esprit Saint (48). Le culte chrétien trouve ainsi son expression la plus fondamentale lorsque chaque dimanche, dans le monde entier, les chrétiens, rassemblés autour de l’autel sous la présidence du prêtre, célèbrent l’Eucharistie: ensemble, ils écoutent la parole de Dieu et font mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, dans l’attente de sa venue glorieuse (49). Autour de ce noyau central, le mystère pascal s’actualise, avec des modalités spécifiques données, à travers la célébration de chacun des sacrements de la foi. 


     
25. Toute la liturgie gravite donc autour du sacrifice eucharistique en premier lieu et des autres sacrements, confiés par le Christ à son Église (50). Celle-ci a le devoir de les transmettre fidèlement à toutes les générations avec sollicitude. 
     En vertu de son autorité pastorale, elle peut disposer ce qui peut être utile au bien des fidèles, selon les circonstances, les temps et les lieux (51). Mais elle n’a aucun pouvoir sur ce qui relève de la volonté du Christ et qui constitue la partie immuable de la liturgie (52). Briser le lien que les sacrements ont avec le Christ qui les a institués, et avec les actes fondateurs de l’Église (53), ce ne serait plus les inculturer, mais les vider de leur substance. 


     
26. L’Église du Christ est rendue présente et signifiée, en un lieu et en un moment donnés, par les Églises locales ou particulières qui, dans la liturgie, la manifestent en sa vraie nature (54). C’est pourquoi chaque Église particulière doit être en accord avec l’Église universelle, non seulement sur la doctrine de la foi et sur les signes sacramentels, mais aussi sur les usages reçus universellement de la tradition apostolique ininterrompue (55), Ainsi en est-il de la prière quotidienne (56), de la sanctification du dimanche, du rythme de la semaine, de Pâques et du déroulement du mystère du Christ tout au long de l’année liturgique (57), de la pratique de la pénitence et du jeûne (58), des sacrements de l’initiation chrétienne, de la célébration du mémorial du Seigneur et du rapport entre liturgie de la parole et liturgie eucharistique, de la rémission des péchés, du ministère ordonné, du mariage, de l’onction des malades. 


     
27. Dans la liturgie, l’Église exprime sa foi sous une forme symbolique et communautaire: cela explique l’exigence d’une législation qui entoure l’organisation du culte, la rédaction des textes, l’accomplissement des rites (59). Cela justifie aussi le caractère impératif de cette législation au cours des siècles et jusqu’à maintenant pour assurer l’orthodoxie du culte, c’est-à-dire non seulement pour éviter les erreurs, mais pour transmettre l’intégrité de la foi, car la « règle de prière » (lex orandi) de l’Église correspond à sa « règle de foi » (lex credendi) (60). 
     Quel que soit son degré d’inculturation, la liturgie ne pourrait se passer d’une forme constante de législation et de vigilance de la part de ceux qui ont reçu cette responsabilité dans l’Église: le Siège apostolique et, dans les normes du droit, la Conférence épiscopale pour un territoire donné, l’évêque pour son diocèse (61). 

 

b. Conditions préalables à l’inculturation de la liturgie

     28. La tradition missionnaire de l’Église a toujours visé à évangéliser les hommes dans leur propre langue. Souvent même, ce sont les premiers apôtres d’un pays qui ont fixé par l’écriture des langues jusque là seulement orales. Et à bon droit, car c’est par la langue maternelle, véhicule de la mentalité et de la culture, que l’on peut atteindre l’âme d’un peuple, façonner en lui l’esprit chrétien, lui permettre une participation plus profonde à la prière de l’Église (62). 
     Après la première évangélisation, la proclamation de la parole de Dieu dans la langue du pays demeure d’une grande utilité pour le peuple dans les célébrations liturgiques. La traduction de la Bible, ou du moins des textes bibliques utilisés dans la liturgie, est ainsi nécessairement le premier moment d’un processus d’inculturation liturgique (63). 
     Pour que la réception de la parole de Dieu soit juste et fructueuse, « il faut promouvoir ce goût savoureux et vivant de la Sainte Ecriture dont témoigne la vénérable tradition des rites aussi bien orientaux qu’occidentaux » (64). Ainsi l’inculturation de la liturgie suppose d’abord une appropriation de l’Écriture Sainte par une culture donnée (65). 


     
29. La diversité des situations ecclésiales n’est pas sans importance pour juger du degré d’inculturation liturgique nécessaire. Autre est la situation des pays évangélisés depuis des siècles et où la foi chrétienne continue à être présente dans la culture, autre celle des pays où l’évangélisation est plus récente ou n’a pas pénétré profondément les réalités culturelles (66). Différente encore est la situation d’une Église où les chrétiens sont minoritaires dans la population. Une situation plus complexe peut se trouver encore quand la population connaît un pluralisme culturel et linguistique. Seule une évaluation précise de la situation pourra éclairer le chemin vers des solutions satisfaisantes. 


     
30. Pour préparer une inculturation des rites, les Conférences épiscopales devront faire appel à des personnes compétentes, tant dans la tradition liturgique du rite romain que dans l’appréciation des valeurs culturelles locales. Des études préalables d’ordre historique, anthropologique, exégétique et théologique sont nécessaires. Mais elles ont besoin d’être confrontées à l’expérience pastorale du clergé local, en particulier autochtone (67). L’avis des « sages » du pays, dont la sagesse humaine s’est épanouie à la lumière de l’Évangile, sera aussi précieux. De même, l’inculturation liturgique visera à satisfaire les exigences de la culture traditionnelle (68), tout en tenant compte des populations marquées par la culture urbaine et industrielle. 

 

c. Responsabilité de la Conférence épiscopale

     31. Puisqu’il s’agit de cultures locales, on comprend pourquoi la Constitution Sacrosanctum Concilium demande sur ce point l’intervention « des diverses assemblées d’évêques légitimement constituées, compétentes sur un territoire donné » (69). A cet égard, les Conférences épiscopales doivent considérer « avec attention et prudence ce qui, en ce domaine, à partir des traditions et de la mentalité de chaque peuple, peut opportunément être admis dans le culte divin » (70). Elles pourront parfois admettre ce qui « dans les moeurs des peuples n’est pas indissolublement solidaire de superstitions et d’erreurs (…), pourvu que cela s’harmonise avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique » (71). 


     
32. II leur appartient d’estimer si l’introduction dans la liturgie, selon la procédure indiquée plus loin (cf. ci-dessous, n. 62 et 65-69), d’éléments empruntés aux rites sociaux et religieux des peuples, qui constituent actuellement une partie vivante de leur culture, peut enrichir la compréhension des actions liturgiques sans provoquer des répercussions défavorables pour la foi et la piété des fidèles. 
     Elles veilleront en tout cas à éviter le danger qu’une telle introduction n’apparaisse aux fidèles comme le retour à un état antérieur à l’évangélisation (cf. ci-dessous, n. 47). 
     De toute manière, si des changements dans les rites ou les textes sont jugés nécessaires, il importe de les harmoniser avec l’ensemble de la vie liturgique et, avant qu’ils ne soient pratiqués, encore moins ordonnés, de les présenter avec soin d’abord au clergé, et ensuite aux fidèles, de manière à éviter le risque de les troubler sans raisons proportionnées (cf. ci-dessous, n. 46 et 69). 

 

III. Principes et normes pratiques pour l’inculturation du rite romain

     33. Les Églises particulières, surtout les jeunes Églises, en approfondissant le patrimoine liturgique reçu de l’Église romaine qui leur a donné naissance, deviendront capables de trouver à leur tour dans leur propre patrimoine culturel, si cela est jugé utile ou nécessaire, des formes appropriées, pour les intégrer dans le rite romain. Une formation liturgique aussi bien des fidèles que du clergé, telle que la Constitution Sacrosanctum Concilium le demande (72), devrait permettre de saisir le sens des textes et des rites présentés dans les livres liturgiques actuels et ainsi, bien souvent, d’éviter des changements ou des suppressions dans ce qui provient de la tradition du rite romain. 

 

a. Principes généraux

     34. Pour la recherche et la mise en oeuvre de l’inculturation du rite romain, on doit tenir compte de: 1. la finalité inhérente à l’oeuvre d’inculturation; 2. l’unité substantielle du rite romain; 3. l’autorité compétente. 
     
35. La finalité qui doit guider une inculturation du rite romain est celle-là même que le Concile Vatican II a mise à la base de la restauration générale de la liturgie: « organiser les textes et les rites de telle façon qu’ils expriment avec plus de clarté les réalités saintes qu’ils signifient et que le peuple chrétien, autant qu’il est possible, puisse facilement les saisir et y participer par une célébration pleine, active et communautaire » (73). 
     Il importe aussi que les rites « soient adaptés à la capacité des fidèles et, en général, qu’il n’y ait pas besoin de nombreuses explications pour les comprendre » (74), tout en tenant compte de la nature même de la liturgie, des caractères biblique et traditionnel de sa structure et de son mode d’expression, tels qu’ils ont été exposés ci-dessus (n. 21-27). 


     
36. Le processus d’inculturation se fera en gardant l’unité substantielle du rite romain (75). Cette unité se trouve exprimée actuellement dans les livres liturgiques typiques, publiés sous l’autorité du Souverain Pontife, et dans les livres liturgiques confirmés par le Siège apostolique (76). La recherche d’inculturation ne vise pas la création de nouvelles familles rituelles; en répondant aux besoins d’une culture déterminée, elle aboutit à des adaptations, qui font toujours partie du rite romain (77). 


     
37. Les adaptations du rite romain, même dans le domaine de l’inculturation, dépendent uniquement de l’autorité de l’Église. Cette autorité appartient au Siège apostolique, qui l’exerce par la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements (78); elle appartient aussi, dans les limites fixées par le droit, aux Conférences épiscopales (79) et à l’évêque diocésain (80). « Personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie » (81). L’inculturation n’est donc pas laissée à l’initiative personnelle des célébrants ou à l’initiative collective d’une assemblée (82). 
     De même, les concessions accordées à une région donnée ne peuvent être étendues à d’autres régions sans les autorisations requises, même si une Conférence épiscopale estimait avoir des raisons suffisantes pour les adopter dans son propre pays. 

 

b. Ce qui peut être adapté

     38. Dans l’analyse d’une action liturgique en vue de son inculturation, il est nécessaire de considérer aussi la valeur traditionnelle des éléments de cette action, en particulier leur origine biblique ou patristique (cf. ci-dessus, n. 21-26), car il ne suffit pas de distinguer entre ce qui peut changer et ce qui est immuable. 


     
39. Le langage, principal moyen pour les hommes de communiquer entre eux, a pour but, dans les célébrations liturgiques, d’annoncer aux fidèles la bonne nouvelle du salut (83) et d’exprimer la prière de l’Église au Seigneur. Aussi doit-il toujours exprimer, avec la vérité de la foi, la grandeur et la sainteté des mystères célébrés. On devra donc examiner avec attention quels éléments du langage du peuple peuvent convenablement être introduits dans les célébrations liturgiques et en particulier s’il est opportun ou contre-indiqué d’employer des expressions des religions non chrétiennes. Il sera également important de tenir compte des divers genres littéraires employés dans la liturgie: textes bibliques proclamés, prières présidentielles, psalmodie, acclamations, refrains, répons, hymnes, prière litanique. 


     
40. La musique et le chant, qui expriment l’âme d’un peuple, ont une place de choix dans la liturgie. Aussi doit-on favoriser le chant, en premier lieu des textes liturgiques, pour que les voix des fidèles puissent se faire entendre dans les actions liturgiques elles-mêmes (84). « Puisque, dans certaines régions, surtout en pays de mission, on trouve des peuples possédant une tradition musicale propre qui tient une grande place dans leur vie religieuse et sociale, on accordera à cette musique l’estime qui lui est due et la place convenable, aussi bien en formant leur sens religieux qu’en adaptant le culte à leur génie » (85). 
     On sera attentif au fait qu’un texte chanté se grave plus profondément dans la mémoire qu’un texte lu, et cela doit rendre exigeant sur l’inspiration biblique et liturgique, et sur la qualité littéraire des textes de chant. 
     On pourra admettre dans le culte divin les formes musicales, les airs, les instruments de musique « selon qu’ils sont et peuvent devenir adaptés à un usage sacré, et qu’ils s’accordent à la dignité du temple et qu’ils favorisent véritablement l’édification des fidèles » (86). 


     
41. La liturgie étant une action, les gestes et les attitudes ont une particulière importance. Parmi eux, ceux qui appartiennent au rite essentiel des sacrements et qui sont requis pour leur validité doivent être conservés tels qu’ils ont été approuves ou déterminés par la seule autorité suprême de l’Église (87). 
     Les gestes et attitudes du prêtre célébrant doivent exprimer sa fonction propre: il préside l’assemblée en la personne du Christ (88). 
     Les gestes et attitudes de l’assemblée, parce que signes de communauté et d’unité, favorisent la participation active en exprimant et en développant l’esprit et la sensibilité des participants (89). On choisira dans la culture d’un pays les gestes et attitudes corporelles qui expriment la situation de l’homme devant Dieu, en leur donnant une signification chrétienne, en correspondance, si possible, avec les gestes et attitudes provenant de fa Bible. 


     
42. Chez certains peuples, le chant s’accompagne instinctivement de battements de mains, de balancements rythmiques ou de mouvements de danse des participants. De telles formes d’expression corporelle peuvent avoir leur place dans l’action liturgique chez ces peuples, à condition qu’elles soient toujours l’expression d’une vraie prière commune d’adoration,

 

La totalité du document est téléchargeable ici : Liturgie et inculturation.pdf

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD".

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3 Commentaires

  1. Barthélémy VANGTOU

    Où trouver la suite du document ci-dessus “La liturgie romaine et l’inculturation?”

  2. Nous vous avons envoyé la totalité du document par courriel. Cela pouvant intéresser un certain nombre de nos lecteurs, nous l’avons aussi placé en fin d’article, en téléchargement.

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