La longue histoire du cantique : “Nann n’e ket é Breizh” ou plutôt “N’en eus ket é Breizh”

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

partitionAfin de compléter le propos récemment publié par Louis-Marie Salaün concernant le cantique dédié à Saint Yves, je vous fais part de quelques éléments d’une étude assez complète et documentée (cliquez ici) faite par Fañch Morvannou, professeur honoraire à l’université de Bretagne occidentale,  sur les cantiques en breton à saint Yves, en particulier ceux qui concernent ce cantique.

Concernant la mélodie, il existe une petite variante par rapport à l’air issu du Barzaz Breizh ; ce procédé est très courant dans la musique bretonne aussi bien sacrée que profane.

Par contre, c’est l’air d’origine qui est employé pour les cantiques : « Avèl hon tadeù » et « Reine de l’Arvor »

 

Sur le plan des paroles, l’abbé Julien Clisson (1883-1945) n’est que le réviseur et l’organisateur final dans sa forme actuelle (et définitive ?) de la dernière version du cantique datée des années 1920. À cette occasion, on tailla beaucoup dans le cantique, des couplets furent supprimés (plus de circonstance), d’autres ajoutés, d’autres modifiés. Au demeurant, ce cantique avait déjà connu selon les festivités au cours des ans un certain nombre de modifications, nous y reviendrons.

 Le seul regret qu’on puisse avoir est que cette version corrigée ait modifié le refrain  d’origine:

Au départ, c’était :

 

« N’en euz ket enn Breiz

N’en euz ket unan,

N’en euz ket urzant evel zant Ervoan,

N’en euz ket ur zant evel zant Ervoan.

 

Nous sommes passés de » N’en euz ket » à « N’an eus ket »puis à « nann eus ket, il y eut donc erreur de transcription et l’on confondit deux formes sensiblement différentes :

N’en eus ket qui correspond à la forme plus classique (i en vannetais : nend eus ket) et elle a été au final confondue  à cause d’une orthographe plus ou moins fluctuante avec une forme plus familière : Nann, n’eus ket.  

À titre de comparaison, on pourrait transcrire en français la première forme :

« Il n’existe pas en Bretagne, il n’existe pas un seul, il n’existe pas de saint (aussi grand) que saint Yves)

Toutes proportions gardées, la seconde forme, pourrait être traduite ainsi  :

« Non, y’a pas en Bretagne, non y’a pas un seul,

Non y’a pas un saint comme saint Yves. »

Sur le plan du registre de langage, la forme ancienne est tout de même plus correcte et plus élégante, sans compter que pour la compréhension inter-dialectale, elle est aussi plus adaptée.

 

Le cantique d’origine fut écrit en 1883 par l’abbé Jean-François le Pon (1848-1898) surnommé Laouenan Zant Ervoan (le roitelet de saint Yves) ou Laouenanig (le petit roitelet). Natif de Plourivo, il fut successivement professeur au petit séminaire de Tréguier, vicaire à la cathédrale de tréguier puis recteur de Plougrescant où il mourut prématurément à l’âge de 50 ans.

Il écrivit ce cantique en  1883 lorsqu’il était vicaire à la cathédrale. Il l’avait composé au départ pour lever des fonds pour la reconstruction du tombeau de saint Yves qui avait été détruit par la soldatesque révolutionnaire en 1794. Cette heureuse initiative était due à notre grand historien national, Arthur Le Moyne de La Borderie qui reçut l’appui inconditionnel de Mgr Eugène Boucher, natif de Rostrenen, affectueusement surnommé «  eskob Zant Erwan » (l’évêque de saint Yves)

La première mouture présentait le projet du tombeau ; achevé en 1888, il devait être inauguré cette même année, mais la mort subite de Mgr Bouché et la longue vacance du siège épiscopal  reportèrent l’inauguration au 9 septembre 1890. A cette occasion, l’abbé Le Pon remania son cantique en retranchant des couplets ou en en modifiant. Il fut ce même jour élevé à la dignité de chanoine honoraire par le nouvel évêque, Mgr Faillères qui avait été ému et impressionné par son cantique.

Ce même évêque reçut de ses diocésains à son tour le titre « d’eskob Zant Erwan » et Arthur de La Borderie le titre tout aussi officieux de « doktor Zant Erwan » (docteur de saint Yves)

 

Selon les témoignages de l’époque, cette cérémonie, dans un contexte de persécutions étatiques contre L’Église, en particulier contre les congrégations religieuses et les écoles chrétiennes, fut spécialement grandiose et triomphale.

L’écrivain Anatole Le Braz, présent ce jour-là, témoigne :

« Soudain une voix isolée, une voix d’homme, large et pleine, entonna sur l’air d’une vieille complainte guerrière, un cantique en langue armoricaine composé par un prêtre de l’endroit :
N’an n’eus ket en Breiz, nan n’eus ket unan
N’an n’eus ket eur Sant evel sant Erwan […] Cela fit l’effet d’une diane dans la cour d’une caserne endormie. Un grand frisson secoua la foule. Les plus engourdis sursautèrent. Un chœur formidable se mit à répéter chaque verset à la suite du chanteur. Ce fut une clameur folle, éperdue, dont toute la cathédrale vibra. […]

 « Ce cantique de saint Yves, entonné à tue-tête par plus de cinq mille voix, montait en une clameur formidable et roulait au loin comme un hymne de guerre. »

 

En 1905, le cantique fut révisé et réactualisé par un auteur inconnu, et enfin dans les années 20 (je n’ai pas de date précise), l’abbé Clisson nous offrit la  version  que nous chantons aujourd’hui et qui fut insérée dans les recueils successifs de cantiques à saint Yves ainsi que dans le leor kantigou Brezonek eskopti Sant Brieg ha Landreger de 1933.

 

Pour terminer, je cite Fañch Morvannoù :

« Les paroles du N’en euz ket enn Breiz sont d’une inspiration très pauvre, et le grain de la doctrine y est quasi inexistant. Or ce cantique a des allures de chant national breton. C’est qu’il est entièrement sauvé par sa mélodie, celle d’» une vieille complainte guerrière » en effet. S’agit-il d’un air breton, celtique ? Tout au moins figure t-il dans le Barzaz Breiz, où il accompagne le long poème intitulé Lez Breiz (« la hanche de la Bretagne », c’est-à-dire son soutien : il s’agit du roi Morvan), poème que La Villemarqué rattache à la série des « fragments épiques ».

À propos du rédacteur Uisant ar Rouz

Très impliqué dans la culture bretonne et dans l'expression bretonne dans la liturgie, Uisant ar Rouz met à disposition d'Ar Gedour et du site Kan Iliz le résultat de ses recherches concernant les cantiques bretons, qu'ils soient anciens ou parfois des créations nouvelles toujours enracinées dans la Tradition. Il a récemment créé son entreprise Penn Kanour, proposant des interventions et animations en langue bretonne.

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Un commentaire

  1. Merci beaucoup pour toutes ces précisions !!

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