Christian Bobin me tutoie. Si, si : je viens de refermer son dernier livre que le petit Jésus m’a apporté dans mon soulier, en guise d’étrennes – je n’ai jamais vraiment cru au Père Noël, si ce n’est pour éviter de faire de la peine à ma maîtresse d’école – et l’auteur m’a donné le manuscrit de son livre posé sur sa table d’écriture. « Il est à toi, maintenant », m’a-t-il affirmé (page 202).
Bon, c’est une figure de style, une manière, pour l’auteur, amateur de formules originales et oniriques, de parler et d’écrire : en réalité, son manuscrit, il l’a transmis à son éditeur préféré qui le publie dans sa collection de référence : nrf, la nouvelle revue française, fondée il a 110 ans, dirigée actuellement par Michel Crépu, digne successeur à ce poste d’André Gide (1869-1951), prix Nobel de littérature en 1947, dans un format inhabituel, 18,5 x 23,5, qui permet de le distinguer aisément dans une bibliothèque parmi les autres ouvrages « in octavo », 12 x 22, de cette prestigieuse collection.
Mais puisqu’aux dires de l’auteur lui-même ce livre m’appartient désormais, maintenant que je l’ai lu « in extenso », autant me l’approprier carrément en commençant par l’auteur.
De 5 ans mon cadet, comme moi, il a 8 ans (page 197), « un enfant du monde éternel, prétendu ancien » (page 193), né natif du Creusot comme chacun sait, il m’embobine à chaque fois, le Christian ; une des premières fois, ce fut en 1992 avec l’histoire hagiographique de Pietro Bernadone, le père de Saint François d’Assise, « le Très-Bas », distingué, l’année suivante, par les « Deux Magots », l’autre Goncourt.
Cette fois, c’est l’abbatiale saint Foy de Conques, dans l’Aveyron, Conques-en-Rouergue dorénavant, pour la distinguer, si besoin était, de son homonyme sur Orbiel, affluent de l’Aude, qui a impressionné l’ami Christian. Et plus particulièrement ses vitraux conçus et réalisés par Pierre Soulages qui aura 100 ans la veille du prochain Noël 2019.
Malgré tout, Christian Bobin reconnait la nécessité de s’appuyer à un pilier pour « mieux voir un vitrail dans les hauteurs » (page 197), la fraicheur de la pierre pénètre sa main droite et son bras forme comme un arc boutant lui évitant de s’effondrer, ce qui ne manquera pas de se produire s’il retire brutalement sa main droite.
Curieusement, Christian Bobin ne déjeune pas, ni ne dîne ou même, soupe, selon les heures de la journée : indistinctement, comme les animaux quand ils ont faim, même avec les amis qu’il reçoit, il « mange » (page 31 et 202).
104 petits chapitres sur 203 grandes pages, autant que des vitraux controversés installés dans les années 1990 dans l’abbatiale Sainte Foy de Conques, qui se lisent aussi clairement que la lumière sur les pavés de la nef avant que ne soit refermée la dernière page du livre sur le soleil aveuglant d’un après-midi d’été.
Comme ceux d’albâtre translucide de la petite église du début du IX° siècle, au plan grec, de Germigny des Prés dans le Loiret ou les grandes plaques de verre dépoli de la synagogue de plan trinitaire de Beth-Shalom, près de Philadelphie, conçue par le grand architecte américain Franck lloyd-Wright (1867-1959), les vitraux de Pierre Soulages sont destinés, en premier lieu, à protéger l’intérieur de l’abbatiale des courants d’air, caniculaires l’été et glacés en hiver, tout en laissant pénétrer la lumière du jour. « Conques, 104 attaques de la lumière » (page 80), comme l’orchestre la première note du premier mouvement de l’ouverture de la symphonie sous la baguette du chef.
« L’abbatiale de Conques est le dévoilement de la structure joueuse de l’univers » (page 158). A Patmos, l’apôtre Jean et son école ont eu l’idée de l’abbatiale de Conques qu’ils ont traduit par « apocalypse », titre du livre qui clôt la Bible et dont le verset 17 du chapitre 16 figure, à défaut de dédicace, en exergue de « la nuit du cœur » de Christian Bobin. La dédicace n’interviendra qu’à la page 138, au bas du 70° vitrail « que ce livre soit personnellement dédicacé à chacun de ceux qui entreprennent de le lire, est un mystère »
L’auteur a aimé « les grandes dalles brunes sur lesquelles on fait ses premiers pas dans l’abbatiale », elles lui rappellent l’ondulation de la croute, « carapace brunie, gonflée, séparée par un peu de vide » du gâteau au fromage que lui confectionnait sa mère (page 170), l’odeur en moins, sans aucun doute. Certaines d’entre elles « présentaient la même dorure sombre que sur les croissants trop cuits des hôtels » (page 138).
Mais pourquoi avoir choisi pour ces comparaisons pâtissières les dalles de Conques à plus de 5 heures d’automobile du Creusot plutôt que celles de Vézelay, par exemple, à moins de 2 heures ?
A cause de « la résine très chic d’une spiritualité » qui « séquestre » les pavés de Vézelay, tandis qu’à Conques, « devant l’abbatiale, les pavés remuent comme une troupe d’enfants en colonie de vacances » (page 185)
Peut-être aussi parce que la chambre 14 de l’hôtel Sainte Foy, qui en dispose de 17, rue Gonzague Florens, du nom d’un père prémontré de la 2° moitié du XIX° siècle, bénéficie d’un charme tout particulier alors qu’il n’existe pas, à Vézelay, d’hôtel à l’enseigne de Sainte Marie-Madeleine, ni, partant, de chambre 14.
J’ai noté que Pierre Soulages, qui a expliqué son travail à Conques dans le livre de Bruno Duborgel « la lumière révélée », a exposé au Creusot, à l’Arc, esplanade François Mitterrand, le dernier trimestre 2018. Réponse du berger à la bergère ?
Conques, sur la « via podensis », celle qui part du Puy en Velay et Vézelay, point de départ de la « via lemovicensis » ne se rejoignent qu’à Ostabat, dans les Pyrénées Atlantiques, sur le chemin de saint Jacques de Compostelle. Mais pour Christian Bobin, « tous les pèlerins cheminent vers un décor de théâtre, une mélancolie d’historien » (page 198)
Allez raconter ça aux jacquets, micquelots, paumiers, romieux et autres trobreiziens !
Il le sait pourtant le creusotin : « les pèlerins vont au ciel à pieds. L’inégale conversion des pierres durcit leur voûte plantaire, leur invente un fer à cheval en corne » (page 11). Et encore : « les pèlerins cherchent du neuf par voie d’usure » (page 53) ; il sait de quoi il parle : « un pèlerin c’est quelqu’un qui tire son diable sur les chemins pour le faire maigrir » (page 58)
Les églises se vident, et alors ? « Les églises sont les tombes du dieu dont il vient de sortir, y laissant le meilleur de lui, plié comme un linge : son silence. » (Page 191)
« La nuit du cœur » se déroule sous nos yeux, en plein jour ; pourquoi ce titre ?
Sans doute en référence à la dernière phrase du livre sur laquelle il se referme sans toutefois se clore : « quand la lettre d’amour est parfaite, ce n’est même plus l’histoire de celui ou de celle qui la reçoit »
Merci Christian Bobin, toi qui vois Dieu comme un papillon « piquant en banzaï sur une armada de pissenlits, (…), même démarche ivrogne, même gaieté peu bruyante et scandaleuse » (page 141), pour ta lettre d’amour inachevée à l’homme dont, selon toi, « le plus beau, c’est sa patience, cette tension maintenue de la corde de l’âme » (page 189)
Ton livre tient tout à la fois de la sagesse de l’ardéchois Gustave Thibon (1903-2001), le philosophe territorial et de l’imagination du conteur auvergnat Henri Pourrat (1887-1959), d’Ambert, comme tu es du Creusot.
Christian Bobin, « la nuit du cœur », nrf-Gallimard, septembre 2018, 203 pages, 18€
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