La troménie de Locronan : c’est cette année ou dans sept ans…

Amzer-lenn / Temps de lecture : 5 min

J’ai vécu ma première troménie vers l’âge de 13 ans. Il faisait aussi chaud que cette année. Pas moyen pour moi de faire les 12 kilomètres. Certains font toutes les éditions, comme René, habitant la limite de Plonevez-Porzay et de Locronan, qui en a fait onze. Il avait six ans quand il a commencé. Il sera avec l’équipe de Sainte Anne-la-Palud.

Alors que cet événement ancestral draine depuis des centaines d’années un monde considérable, et qu’un certain nombre de pardons, pèlerinages et processions parsemant le calendrier liturgique disparaissent au fil des années ou sont décalés, perdant leur sens et parfois leurs rites spécifiques issus d’une certaine piété populaire, quelques grands pèlerinages et pardons (dont notamment les troménies de Locronan dans le diocèse de Quimper & Léon) se maintiennent et remportent un réel engouement, comme tous ceux qui (re)mettent à l’honneur toute cette expression d’une piété ancestrale qui parle aux tripes et à l’âme. L’engouement des visiteurs de la Vallée des Saints correspond, même si ce n’est pas le seul élément, à cet enracinement qui regarde vers le ciel.

Il en des de même pour le Tro Breiz, ou encore cette fameuse Troménie de Locronan.

Le terme de troménie est une francisation du breton tro-minihi, littéralement tour (tro) du minihi dérivation du latin monachia (espace monastique du haut Moyen Âge). L’appellation la plus ancienne désigne la Grande troménie de Locronan, une circumambulation religieuse d’environ douze kilomètres qui se déroule tous les six ans. L’hagiographie du haut Moyen Âge consacre les troménies comme des circuits de fondation d’espaces sacraux monastiques.

Il existe aujourd’hui quatre troménies en activité à Locronan (2e dimanche de juillet pour la petite, entre le 2e et le 3e dimanche de juillet pour la grande), Landeleau (dimanche de Pentecôte), Gouesnou et Bourbriac (jeudi de l’Ascension) ; les troménies de Locquénolé, Plouzané et Plabennec ont disparu récemment, celle de Locmaria-Quimper au XVIIe siècle.

Dans le cas de Locronan, la grande troménie pourrait correspondre à la pérégrination d’un espace sacral antique. Le circuit passe par la forêt de Nevet, dont l’étymologie découlerait de nemet (« sacré »), dérivation du nemeton druidique. La forme du circuit, le nombre de stations et sa périodicité sexennale renvoient à l’époque pré-chrétienne. Il semble que ce soit la grande troménie de Locronan qui ait consacré le terme de troménie pour les autres circumambulations de Basse-Bretagne, par l’intermédiaire de l’Évêché de Quimper. Les autres circumambulations sont appelées vernaculairement Tro ar relegou (Tour des reliques), Tro sant Sane (Tour de saint Sané), Leo Dro (Tour de la lieue).

Ayant pour départ et terme l’église Saint-Ronan, la Grande troménie de Locronan se déroule entre le deuxième et le troisième dimanche de juillet.

La marche votive suit l’orbite apparente du soleil, de l’ouest vers le nord, l’est et le sud et consiste en un parcours que la tradition orale a fixé précisément, par d’anciens chemins ou sentiers frayés à travers taillis, ruisseaux, cultures. Douze croix de pierre marquent autant de haltes pour la proclamation d’évangiles notés dans un rituel ancien. Une quarantaine de huttes de branchages, habitées huit jours durant, par des statues de saints, représentants des églises et chapelles alentour, sont dressées au long du parcours.

Les bénévoles des différents sanctuaires et chapelles qui ponctuent le parcours (42 cette année !) sont à pied d’oeuvre dès 5h30, pour remettre en place leurs statues, qui ont quitté leur église ou leur chapelle pour venir saluer pendant une semaine le passage des pèlerins et des reliques de saint Ronan, mais aussi les fleurs, les chaises installées pour la journée. Les bénévoles mettent un point d’honneur à créer de belles stations, incitant au son des clochettes les pèlerins à laisser leur obole.

A l’intonation du « Veni Creator », la procession déroule son long cortège, bannières déployées. Au chant des cantiques, à la prière du chapelet, des litanies (en latin, français et breton) elle s’achemine sur les confins de l’antique prieuré, au long des terres de Plonévez et Quéménéven. On s’agenouille au pied de Plas a Horn avant d’en gravir la pente abrupte pour atteindre, sur la hauteur, dominant la baie du Ménez Hom, la chapelle « Ar Zonj », dont on fait le tour avant d’y déposer les reliques. Puis après un temps de repos – une prédication sur le site… et une pause rafraichissante – la procession reprend par la crête de Plogonnec. Et après les dernières stations d’Évangile, le passage près du flanc de la « Jument de pierre », elle redescend jusqu’à l’Église pour le Te Deum, le salut du Saint Sacrement, et les derniers cantiques à Saint Ronan.

An hini ne ra ket an Droviny e beo
A ra neï e maro
A hed he cherj bemde*.

Dans l’intervalle des six ans séparant deux Grandes troménies, se déroule tous les ans une troménie abrégée apparue pour la première fois en 1889 sous le terme de « Petite troménie » dont le parcours est plus restreint (5 km). Dans les deux cas, le parcours est difficile et témoigne d’une ferveur considérable qui attire aujourd’hui encore une foule de pèlerins. Il est bien dit que *si on ne fait pas la troménie de son vivant, on sera contraint de le faire après sa mort d’une longueur de cercueil chaque jour…

Pour ceux qui viennent à la Troménie, et qui disposent d’une enceinte bluetooth, (ou qui peuvent en disposer avec la complicité d’un proche, chargez les accus au max ! Une retransmission de l’animation de la Troménie sur la page Facebook de la paroisse Sainte Anne-Châteaulin ! « En direct », ce qui vous permettra, avec votre téléphone connecté sur votre enceinte, de collaborer à la sonorisation de ceux qui vous entourent durant la marche ! Une autre alternative à la sonorisation parsemant les parcours, et permettant aussi à ceux qui ne peuvent venir à la Troménie d’y participer différemment.

 

Cliquez ici pour visionner l’agenda

 

Photos F. Le Corre / Ar Gedour (DR)

À propos du rédacteur Eflamm Caouissin

Marié et père de 5 enfants, Eflamm Caouissin est impliqué dans la vie du diocèse de Vannes au niveau de la Pastorale du breton. Tout en approfondissant son bagage théologique par plusieurs années d’études, il s’est mis au service de l’Eglise en devenant aumônier. Il est le fondateur du site et de l'association Ar Gedour et assure la fonction bénévole de directeur de publication. Il anime aussi le site Kan Iliz (promotion du cantique breton). Après avoir co-écrit dans le roman Havana Café, il a publié en 2022 son premier roman "CANNTAIREACHD". En 2024, il a également publié avec René Le Honzec la BD "L'histoire du Pèlerinage Militaire International".

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2 Commentaires

  1. La grande Troménie, c’est tous les six ans et c’est cette année : 2013, année impaire, divisible par trois… allez savoir pourquoi c’est comme ça ! Les autres années, l’année dernière et l’année prochaine, c’était, et ce sera, la « petite » Troménie : six km au lieu d’une bonne douzaine !!
    Et ça dure toute la semaine : du dimanche 14 au dimanche 21 juillet, le chemin est ouvert, de jour comme de nuit, il y en a pour tout le monde, tous les goûts, allez savoir pourquoi, c’est comme ça !!
    J’ai jeté mon dévolu sur le dimanche d’ouverture, le 14, fête nationale, jour du défilé militaire sur les champs Elysées et de la garden- party – où je n’étais pas invité – au palais présidentiel ; j’avais pourtant bien hésité, vue la température caniculaire, à opter pour une Troménie solitaire et nocturne, mais j’ai eu peur de manquer de couleur locale, de soleil, de gens… Je n’ai pas été déçu.
    Première satisfaction : le jeune Nicolas C., 14 ans, le fils de nos hôtes qui passe ainsi ses vacances chez nous depuis plus de 10 ans, a répondu positivement à ma proposition de m’accompagner, délaissant les activités ludiques virtuelles qui sont aujourd’hui d’usage chez les garçons de son âge.
    Je ne lui avais pas masqué les difficultés : la marche, la soif, la chaleur, les offices religieux, rien ne l’a rebuté, pas même le départ programmé à 7 h, le lendemain matin.
    A l’heure dite, il était fin prêt : en route pour Locronan, le soleil se lève sur une belle journée d’été, la voie rapide de Quimper est presque vide de véhicules, j’en profite pour traverser la belle préfecture du Finistère quasiment déserte et faire admirer à mon petit camarade, les flots tranquilles de l’Odet le long des quais et le soleil levant illuminant la dentelle des flèches de la cathédrale Saint Corentin.
    Le monde appartient à ceux qui savent se lever tôt et profiter des prémisses de cette belle journée d’été, encore toute neuve, dont on ne sait pas encore de quoi elle sera faite ; arrivés à Locronan, aucun problème pour trouver une place de parking, bien à l’ombre.
    Les estaminets sont encore fermés et, seuls, commencent à s’affairer, les responsables, en tenue locale glazik ainsi que les ouvrier municipaux, en survêtements fluorescents, occupés à démonter la scène où s’est joué, la veille, devant le grand porche de l’église, le Mystère de Saint Ronan.
    La porte est ouverte, je fais à Nicolas les honneurs du sanctuaire encore vide de fidèles, prenant le soin de bien faire le tour du gisant, dans le bon sens, lui expliquant les statues du chœur et la vie du saint ermite illustrée par les médaillons de la chaire à prêcher, il m’écoute attentivement sans poser de questions.
    Un petit café est bienvenu à la terrasse ensoleillée, puis nous nous dirigeons sur la place vers la boulangerie pour l’acquisition de notre déjeuner : pain, jambon, pâté, fromage, gâteaux ; très aimablement, la boulangère nous offre de conserver notre en-cas bien au frais pendant la cérémonie annoncée pour 10 h 30.
    Dès à présent, la place commence à se remplir de monde : pardonneurs et pardonneuses en costume local, touristes de tous horizons, cannes nordiques en mains, en tenue estivale de randonneur et randonneuse, vraisemblablement plus confortable, mais bien moins seyante.
    A 10 heures est prévu l’accueil des croix et des bannières. De peur de n’avoir pas de place à l’intérieur de l’église nous nous faufilons vers le chœur ; la nef et les bas-côtés sont déjà noirs de monde ; nous arrivons à jeter notre dévolu près du buffet d’orgue, sur la droite – « côté épitre », disait-on avant Vatican II – un banc qui n’apparait pas réservé, mais qu’au cours de l’office, long, nous céderons à des personnes plus âgées, pour nous élever au-dessus du dossier sur un bandeau de granit en saillie, froid et rugueux.
    Les hommes en costume bleu et velours noir viennent chercher les croix qui étaient placées derrière le maitre-autel : ce sont les croix de chacune des paroisses voisines qui vont être accueillies, avec les bannières, par la croix de procession de la paroisse de Locronan, la paroisse locale, la paroisse d’accueil.
    Au bout d’un bon moment, après le baiser des bannières – que nous n’aurons pas vu – voici que s’avance derrière la croix de Locronan, la procession des croix et des bannières avec les représentants et représentantes de chaque paroisses voisines, en costume local ; tout ce joli monde se met à occuper, devant l’autel, les places qui leur ont été réservées.
    Enfin apparait le clergé en habits sacerdotaux blancs ornés de belles broderies d’inspiration celte, les diacres en dalmatique, les prêtres en chasuble, je reconnais le Père Sébastien G, mon professeur de liturgie, et, chape sur les épaules, mitré et crosse en main, l’évêque de Quimper et Léon, Monseigneur Jean-Marie Le Vert, lui-même, en personne, ancien élève de Ginette puis de l’Ecole Navale.
    Après le mot d’accueil, le voici qui entonne – en breton – l’hymne dédié à Saint Ronan dont les couplets racontent l’histoire, sa conversion, son arrivée en Armorique, ses démêlés avec la méchante Keben, son âme damnée, sa mort et son enterrement, tous ses bienfaits, passés, présents et à venir : c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes tous ici rassemblés …
    Si vous ne nous écoutez
    Nous irons à genoux
    Nous plaindre sans cesse
    Auprès de Saint Corentin

    Ah mais !! Monsieur Saint Ronan a intérêt à nous écouter et à exaucer nos prières, sinon, gare à l’évêque de Quimper !
    Nicolas me parait attentif au déroulement de la célébration, je lui explique la liturgie de la parole, après la demande de pardon, puis l’offertoire, la consécration et la communion, nous n’en perdons pas une miette, ni lui, ni moi.
    Nous écoutons le « ch’éma, Israël » du Deutéronome (6,4), réitéré : « cette loi n’est pas au-dessus de tes forces » (30,11), puis, le psaume 19 à la gloire de Yahvé, « soleil de justice », et l’épitre de Saint Paul aux Colossiens sur la primauté du Christ, « image du Dieu invisible » (1,15).
    L’évangile de Luc raconte, ce dimanche, l’histoire du bon samaritain avec la définition du « prochain » (10, 29-37), l’autre que moi, comme en écho à l’évangile du dimanche précédent et l’annonce de Jésus au monde par l’intermédiaire de ses disciples : « le règne de Dieu est tout proche de vous » (10,9), nous a opportunément rappelé Monseigneur Le Vert dans son homélie.
    La charité, après l’espérance et la foi, il y a 15 jours, « et pour vous qui suis-je ? », c’est Pierre qui a répondu pour tous les apôtres : « le Christ (l’oint) de Dieu » (10,9). Voici traitées en moins d’un mois les trois vertus théologales. Riches sont l’enseignement de la parole, et le souci pastoral et pédagogique de l’Eglise de Vatican II.
    La cérémonie se poursuit par la présentation et l’offrande du pain et du vin, « fruits de la terre et du travail des hommes », leur consécration en corps et sang du Christ et la prière eucharistique se conclut par un vibrant « amen ».

    La communion est donnée en plusieurs endroits de l’église par les célébrants, puis la cérémonie se termine par l’angélus en breton : il est midi.

    Ni ho salud gant karantez
    Rouannez ar Zent hag an Elez

    Le soleil nous aveugle à la sortie, la foule est là, bien présente, les bannières sont portées haut, les croix brillent de tout leur or et argent ; il y a du monde chez la boulangère, mais je n’hésite pas à remonter toute la queue qui déborde sur la place pour récupérer notre « mainguion », comme l’on dirait du côté d’Issoudun.
    Nous remontons la Grand’Rue jusqu’au parking récupérer la gourde pleine d’une eau qui a su rester fraiche bien à l’ombre et nous voilà à la recherche d’un endroit confortable pour prendre notre repas.
    J’avise une des tables de pique-nique, bien ombragée par un grand pin maritime, occupée par une dame toute seule qui m’explique que les places sont prises ; je me renseigne sur le nombre d’occupants présumés : « nous sommes quatre ! », me précise-t-elle d’un ton péremptoire ; je lui assure que, dès l’arrivée de ses amis, nous ne manquerons pas, Nicolas et moi de leur laisser toute la place.
    Nous n’en avons rien fait, d’abord par ce que les trois autres personnes, arrivées alors que notre repas était presque achevé, se sont avérées fort aimables et enjouées, il y avait en plus de Danielle, chargée de la réservation, Paulette, Monique et… j’ai oublié son prénom, toutes quatre en vacances à Douarnenez et puis, il faut dire, la table était largement suffisante pour nous accueillir tous les six !
    En ramenant nos affaires à la voiture, je croise mon ami trobreizien Jean-Yves, le Cipal de Landivisiau, né angevin et léonard convaincu ; nous tombons dans les bras l’un de l’autre et partons prendre, de conserve, le café de l’amitié en attendant que la procession se mette en branle, le départ est prévu pour 14 heures, il fait très chaud.
    Nous admirons les beaux costumes, peu confortables sous le soleil de juillet, une jeune femme en costume guérandais attend gaillardement la mise en marche devant la statue d’un saint guérisseur portée par des hommes en bagou braz, plus seyant et confortable en période de chaleur, nous ont-ils assuré, que le pantalon.
    La bannière du Tro-breiz est là, mais il n’y a pas assez de monde pour la porter. Pourtant le Tro breiz semble s’être donné rendez-vous à Locronan : j’ai vu au moins deux voitures de la Turballe, celle du proc et celle du confrère nantais, ainsi qu’un membre du service de sécurité, un ouvreur, mais sans sa chasuble jaune, insigne de ses hautes fonctions. Très vexé, son épouse surtout, d’avoir été comparé, dans une de mes précédentes chroniques, au regard de sa tenue de service, aux « chiens jaunes » de l’aéronautique navale sans qui les avions ne voleraient pas … allant jusqu’à réclamer une mise au point que la familiarité de mes lecteurs avec l’aviation embarquée rend parfaitement inutile, voire totalement superflue.
    Jean Yves, Nicolas et moi, emboitons le pas de la procession qui s’est mise en marche, nous insinuant juste derrière de belles dames portant l’image de la Sainte Vierge. Nous descendons par un chemin creux, nous arrêtant souvent en raison, nous semblait-il, des encombrements du passage, mais pas du tout. En fait, cette marche est loin d’être une randonnée sportive que j’imaginais pouvoir boucler en quelques heures : on s’arrête tout le temps, d’abord pour faire ses dévotions aux saints patrons des paroisses et chapelles voisines qui se sont tous donné rendez-vous sur le parcours, puis ensuite pour écouter la lecture de l’évangile et son commentaire à chacune des douze stations qui jalonnent le parcours.
    Il y a ainsi , tout du long du chemin, plus d’une bonne quarantaine de petites huttes de branchages tendues de draps blanc, décorées de fleurs d’hortensia qui ne tiendront pas la semaine, avec la statue du saint ou un reliquaire, un panneau explicatif vantant les spécialités médicales du thaumaturge. Un paroissien ou une paroissienne, des enfants souvent, attirent l’attention des pardonneurs par le tintement d’une petite clochette et tendent une assiette de faïence qui finit par se remplir de petits sous jaunes tirés de la charité du passant.
    J’ai ainsi honoré Monsieur Saint Yves, mon saint patron, trouvé entre saint Even, de Kerlaz, qui guérit les fièvres et N. D. de Clarté, dont la chapelle de Plonevez-Porzay a été édifiée en mémoire d’un compagnon breton du roi de Pologne, Jean Sobieski, celui qui, à la tête des troupes de la Sainte Ligue, obtint la levée du siège de Vienne et la défaite des troupes turques, le 12 septembre 1683, sous le règne de notre grand roi-soleil, Louis XIV ; nous n’en avons retenu que les « viennoiseries » et, particulièrement, le croissant.
    Jean Sobieski était le gendre de ma lointaine cousine, née Françoise de la Châtre, épouse de la Grange d’Arquien ; du coup, j’y ait été de ma petite pièce, écornant sérieusement mon capital, je n’avais pas prévu assez de monnaie …, il ne faut pas oublier de se remplir les poches avant de partir pour la troménie aux fins d’éviter de froisser les susceptibilités.
    Tout ça, c’était un peu avant la station consacrée à Sainte Anne la Palud, la procession s’était alors bien organisée. Devant : les pardonneurs en costume, les croix, les bannières, les statues, les reliquaires, et même la cloche de Saint Ronan, magnifique théorie de bretons et bretonnes en costume varié, puis, juste devant le clergé, la croix paroissiale de Locronan, et, derrière : le tout-venant, c’est-à-dire nous, en costume de touriste estival. Nicolas et moi ne nous sommes encombrés que d’une gourde pour deux, Jean Yves est harnaché comme le parfait trobreizien qu’il est avec son GPS individuel et portatif de responsable départemental des randonnées pédestres.
    Devant nous, trainés et poussés par des hommes forts, deux chariots acoustiques fonctionnant avec de lourds accus et surmontés chacun d’un grand hautparleur grâce auxquels les chants ou le chapelet ponctuant la marche seront entendus, ainsi qu’à chaque station, la lecture de l’évangile et son commentaire.
    J’allais oublier les tambours qui battent la marche pour encourager les marcheurs, comme à la bataille, mais sans les fifres ; pas de binious ni de bombardes, c’est comme ça
    Les trois premières stations étaient quasiment en ville : Saint Eutrope, l’évêque de Saintes, en Charente, Ecce Homo, le Christ aux liens et Saint Germain, l’évêque d’Auxerre dans l’Yonne.
    Avec Ste Anne, 4° station, nous quittons les frondaisons fraichement ombrées pour un large pré inondé de soleil où sont priés successivement, N.D. de Bonne Nouvelle, celle de la victoire de Jean de Montfort (1339-1399) sur Charles de Chastillon dit de Blois (1319-1364) à la bataille d’Auray, le jour de la Saint Michel – 29 septembre – 1364. Bonne nouvelle pour le vainqueur, le futur duc Jean III, mais pas pour son challenger, neveu par alliance du précédent duc, Jean III de Dreux : vaincu, il y trouva la mort ; sa canonisation échouera mais, en raison de sa piété sans faille, il sera déclaré bienheureux … en 1904, sa dépouille repose dans l’église Notre Dame de Grâces près de Guingamp.
    Puis c’est le tour de Saint Miliau, roi de Bretagne au VI° siècle, le père du jeune Saint Mélar ou Méloir, auquel son vilain oncle avait fait couper la main et la jambe droite pour l’empêcher de tenir l’épée et de monter à cheval, et, partant, neutraliser ainsi un rival, mais les prothèses d’airain qui lui avaient été confectionnées grandissaient miraculeusement avec l’enfant…
    Et Saint Jean, le long d’un joli petit ruisseau courant entre les hautes herbes au pied d’une ligne de trembles, les brouettes sonorisées nous permettent d’entendre sans peine son évangile et le commandement du Christ : « aimez-vous les uns les autres », grâce à quoi, nous ne sommes plus ses serviteurs, mais ses amis (15, 12-16) !
    Saint Guénolé, fils de Sainte Gwen, fondateur de l’abbaye de Landevennec et Saint Ouen, évêque de Rouen, sont célébrés aux 8° et 9° stations, au milieu des champs de blé ; se dresse maintenant devant nous la montagne de la forêt de Nevet, dont le nom évoque le Nemeton, sanctuaire celte.
    Lors de la traversée de la route de Châteaulin on est prévenu : ça monte dur !! Attention aux cardiaques, aux estropiés, aux femmes enceintes, bref, le principe de précaution et l’information claire et préalable fonctionnent à plein : nous sommes avertis, il y a une bétaillère qui monte par la route, tirée par un tracteur agricole.
    Courageusement, bravant tous les dangers, nous entamons notre montée ; en effet, elle sera rude, ponctuée d’arrêts pour reprendre souffle. Tiens, voici notre ami trobreizien Fanch qui, en bon fils qu’il est, accompagne son vieux père encore bien vaillant ; je dépasse un ecclésiastique étouffant sous son aube en laine écrue, une femme en costume de Pont-Labbé, épuisée et pourtant les lourdes croix et les bannières déployées sont montées à bout de bras…
    Nicolas, jeune cabri, grimpe sans peine et prend de l’avance, Jean Yves et moi sentons le poids des ans et des Picons-bières, notre montée est plus pénible et plus lente, comme pour beaucoup d’autres.
    En avant hisse, et voici que la pente s’adoucit, et tout en haut, on est accueillis par des bénévoles souriants distribuant force eau fraiche et galettes au beurre particulièrement bienvenus. C’est le fameux Plas ar Horn, lieu de la corne, où se dresse la chapelle Saint Ronan qui offre, le temps de la pause, la châsse de ses reliques à la dévotion des courageux pardonneurs ; bannières et croix reposent sur les râteliers prévus à cet effet, les porteurs et porteuses se désaltèrent et reprennent souffle. Nous faisons de même.
    Monseigneur Le Vert prend place dans la chaire extérieure pour nous commenter le début de l’évangile de Mathieu sur Joseph et la grossesse inattendue de sa fiancée ; l’Ange du Seigneur le rassure et lui demande d’accueillir la mère et l’enfant à naître, un garçon, qu’il devra nommer « Jésus », Dieu sauve (1, 18-23).
    La procession se remet en marche, tranquillement, selon l’ordre institué et nous emboitons le pas au clergé et aux chariots acoustiques pour redescendre sur Locronan ; malgré l’heure qui tourne, le soleil est encore haut et la baie de Douarnenez nous apparait entre deux arbres, au-dessus de la haie qui borde la route, toute scintillante de reflets d’argent, aux pieds de la presqu’ile de Crozon qui s’étire vers la pleine mer, sur l’ouest lointain.
    Saint Theleau, à cheval sur son cerf, comme Edern, puis Saint Maurice, des rives de la Laïta, à la croix Keben, celle devant laquelle on ne se signe pas : elle marque l’endroit où la méchante femme a été engloutie dans les flammes de l’enfer, ce sont les deux dernières stations, je me débarrasse de mes dernières piécettes dans l’écuelle de Saint Tugen, dont la clé protège à la fois des chiens enragés et du mal de dent, on ne sait jamais, on n’est jamais trop prudent…
    Nous avions auparavant contourné la « gazeg vaen », la jument de pierre, devenue la « Kador Sant Ronan », la chaise de Saint Ronan, mais aucune femme en mal d’enfant ne s’y est assise pour se reposer….
    Déjà le haut clocher carré de Locronan perce au-dessus des arbres, nous traversons carrément un champ de blé dont les épis blondissent dans l’attente de la prochaine moisson. Alors je comprends pourquoi la mi-juillet, entre la fenaison et la moisson : je suis tel le propriétaire qui vient de faire le tour de son domaine avant la récolte, comme tous ceux qui m’entourent et nos pères avant nous, dans les pas de Ronan, mesurant la récolte à venir.
    Nous ne passerons pas sous les reliques de Saint Ronan pour entrer dans la chapelle du Penity où nous accéderons par la porte de côté afin de retrouver notre place du matin, mais le chœur est, cette fois, bien gardé et c’est debout que nous assisterons au salut du Saint Sacrement.
    Après le « tantum ergo » et l’adoration, explose sous les voutes du vénérable édifice un retentissant « da feiz hon tadou koz » sortant de toutes les gorges déployées, malgré la soif et la fatigue :
    Feiz karet on tadou
    Morse ni n’ho naho
    Kentoh ni a varvo !, kentoh ni a varvo !, kentoh ni a varvo !

    « Foi chérie de nos pères, jamais nous te renierons, plutôt nous mourrons ! » (trois fois)
    Un des prêtres officiant a extrait du reliquaire deux côtes en argent et les offre à la vénération des fidèles, comme à Saint-Yves – Bubry, le bras du saint, le jour de son pardon ; nous prenons la file pour aller baiser avec respect la sainte relique.
    Nous quittons les lieux au soleil couchant : il est 21 heures passées, nous avons achevé notre pèlerinage.
    Nous ne manquons pas, Jean Yves et moi, avant de regagner nos foyers respectifs d’honorer cette belle journée en éclusant à la terrasse du bistrot de la place une excellente et fraiche Britt, sous le regard indulgent et amusé de Nicolas.
    Dans six ans, nous serons immanquablement vieux, mais Nicolas sera là avec les copains et copines qu’il aura persuadés de l’accompagner dans cette prochaine grande Troménie ; de là où nous serons, nous marcherons avec eux comme ceux qui nous ont précédés l’ont fait avec nous et, encore une fois, la moisson sera belle au pays de Locronan, protégé par la vertu de Monsieur Saint Ronan.
    Dans moins de 15 jours nous nous retrouverons à N. D. des Grèves dans le quartier de Rocabey à Saint Malo pour notre marche annuelle, 125 Km, vers Dol puis Dinan ; Jean Yves aura terminé son Tro-breiz ; pour ma part, je devrais encore patienter l’année prochaine 2014 qui m’emmènera de Dinan à Vannes sur le tombeau de Saint Patern, déjà honoré en 2010, lors du périple Ste Anne d’Auray – Nantes et jusqu’en 2015 pour revenir à Brangolo, mon point de départ en 2008.
    J’irai alors à Quimper chercher le diplôme qui sera remis le 31 juillet prochain, à mon ami Jean-Yves, en la cathédrale Saint Samson à Dol
    Cette fois, la bière sera agrémentée de Picon bien frais, on ne se refait pas …
    Nicolas a dormi tout le long du chemin de retour, la tête pleine de souvenirs et d’images que son appareil photo numérique, en panne de piles, n’aura pas su immortaliser à sa place, mais sa mémoire vive est encore plus sure que tous les supports informatiques du monde et il en sera toujours ainsi.
    Le 21 juillet, la journée présidée par Monseigneur Yves Le Saux, évêque du Mans, né à Hennebont, aura été, pour la clôture de la Troménie 2013, aussi chaude et ensoleillée que le dimanche de son ouverture, le 14.
    Nous n’y sommes pas retournés pour de multiples raisons, mais que les pardonneurs de la clôture sachent que ceux de l’ouverture ont bien pensés à eux, comme à tous ceux de la semaine.
    Bon, il ne faudrait pas que les moissons ni les pèlerins du Tro-Breiz souffrent d’un excès de canicule : un beau temps est un temps qui ne dure pas ! …
    Ma n’or zelaouit ket
    Ni ielo d’an daoulin
    ‘Vid en em glemm bepréd
    Dirag sant Kaourintin

    extraits des « chroniques d’un viator » parues chez Edilivre en 2016

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