Saints bretons à découvrir

Le Mystère de Noël dans les rues de Port-Louis le samedi 19 décembre 2015

Amzer-lenn / Temps de lecture : 12 min

Nous revenons sur l’excellente initiative d’un spectacle itinérant de Noël mis en place à Port-Louis, dans le Diocèse de Vannes. Nous avions regretté l’absence totale de langue bretonne (un cantique de Noël en breton, voire bilingue, eût été de bon aloi), d’autant que le Père Frédéric Fagot, maître d’oeuvre de ce projet, disait que  « c’est aussi une formidable aventure humaine pour vivre en commun quelque chose de fort, de beau et de vivant, tout en transmettant notre histoire aux générations de demain ». Or notre histoire est aussi ce lien très fort entre la culture bretonne et la foi chrétienne. Une culture bretonne qui si elle était prise en considération toucherait encore plus de gens sur de telles actions. Nous avons alerté en amont : espérons qu’il en sera tenu compte si un tel projet se renouvelle. Toujours est-il que ce projet a accueilli un réel enthousiasme tant de la part des acteurs que des spectateurs, et qu’il n’a pas démérité. Yves Daniel y était et nous propose donc, dans son style inimitable, de revivre ce moment d’exception qui en aura touché plus d’un. 

SAM_4447.jpgJ’y étais … Pas uniquement comme spectateur, j’y ai participé comme figurant : on nous avait demandé, les anciens du spectacle donné pour le demi millénaire de la basilique d’Hennebont, de venir étoffer celui préparé par les enfants de l’école Sainte Anne sous l’égide de son directeur, Erwan Touche, de ses maitresses, des mamans et de beaucoup de papas.

Quand le Père Frédéric Fagot, maître d’œuvre des deux mises en scène, sollicite une collaboration, il n’y a que deux réponses possibles : 1°) à quelle heure a lieu la prochaine répétition, 2°) où se déroule-t-elle ?

La répétition générale s’est déroulée dans les rues de Port Louis, en costume, tandis qu’en raison du temps, la générale a eu lieu, à l’abri de la pluie, dans la salle des fêtes de Locmalo. Grâce à quoi, je vais pouvoir vous raconter le spectacle vu, au sec, mais de loin en raison de son succès.

Les paroles, dialogues et musiques étaient enregistrées sur une bande son. Première observation : les enfants connaissaient bien mieux leur texte que nous lors de notre spectacle. Deuxième observation : les enfants avaient beaucoup plus de mal que nous à se positionner dans l’espace et à mimer, quelque fois, de façon exagérée, les paroles amplifiées par les hauts parleurs juchés au haut d’un triporteur aménagé et habilement manœuvré à cet effet.

Pour l’occasion, et soulager les couturières et costumières dont le stock était forcément limité, j’avais ressorti de la naphtaline mon burnous acheté rue Djamaa es Zitouna à Tunis, enfilé sur une belle djellaba marocaine, cadeau de Noël de mon gendre de l’époque et coiffé un keffieh blanc de la meilleure facture, israélienne, ce qui avait provoqué, dès l’entrée du sîq, les quolibets des guides jordaniens de Petra.

Mon rôle et celui de mes camarades adultes était de me fondre et canaliser, en tant que de besoin, la foule des spectateurs qui, bien avant le début du spectacle, commençaient à affluer place saint Pierre où devait se dérouler la première scène, celle de l’annonciation, par quoi tout a commencé.

 

On y voyait la jolie petite sainte vierge, avec son voile bleu comme le ciel d’été, la parthénée de la septante que la vulgate a traduit en « virgo », accepter en toute liberté le destin qui lui avait été fixé depuis le début des siècles, tel que transmis par l’ange Gabriel.

Un petit moment de doute qui donne toute son épaisseur à son « fiat » : « comment cela va-t-il se passer alors que je n’ai pas connu d’homme ? » Que serait- il arrivé si Marie avait répondu : « non ! » ou plus couramment : « je n’ai pas le temps ! » ou, quand on a le temps, « je n’ai pas les moyens ! » qui sont nos excuses habituelles et rebattues.

Un qui ne doit pas être content c’est Joseph, à qui Marie était promise : sa fiancée se retrouve enceinte alors qu’il n’a rien fait pour cela ! Il est au travail à son établi de charpentier. Le même archange Gabriel le rassure sur l’honnêteté de sa Marie et lui explique la situation extraordinaire. Il y croit et prend à cœur de s’occuper de sa fiancée enceinte.

Les voilà partis ensemble pour Bethléem, lieu de recensement de la tribu de David à laquelle ils appartiennent tous les deux. En effet, Rome, la puissance occupante, sans doute pour des raisons fiscales, avait ordonné le recensement de toute la population d’Israël, regroupée par tribu pour en faciliter la réalisation pratique. Marie enceinte est juchée sur un âne et Joseph s’occupe d’elle avec tendresse et attention.  Ils remontent la rue de la Pointe et nous les suivons en prenant garde de ne pas troubler leur intimité.

Au croisement de la rue de la poste, là où la promenade Paubert passe au-dessus de la rue, Marie rencontre sa cousine, la vieille Elizabeth, tombée, elle aussi, mystérieusement enceinte, malgré son âge presque canonique ! Elles se saluent toutes les deux et leurs fœtus se reconnaissent… Ils ne sont pourtant encore nés ni l’un ni l’autre et si leurs mères, comme toutes les mères du monde, se doutent du destin hors du commun de leur progéniture, elles ignorent encore toutes les deux que l’un, le fils d’Elizabeth et de Zacharie sera Jean Baptiste, le Précurseur, qui se dira indigne de délacer les sandales de l’autre, le fils de Marie, Jésus, fils de Dieu, sauveur de l’humanité, le messie que les juifs attendaient pour les libérer de l’occupant romain.

Tandis que Joseph et Marie sur son âne reprennent leur route vers Bethléem, voici que, de la rade, arrive aux pontons, un navire illuminé dans le soir couchant, transportant des personnages certainement importants, vu leur riche costume, ils débarquent sur le quai, boulevard de la Compagnie des Indes où les attendent leurs montures : deux magnifiques chameaux de Sibérie à deux bosses (le dromadaire n’en a qu’une).

Nous remontons la rue Mercière, mais voilà que, tout en haut, arrivé rue des Dames, des soldats romains nous barrent la route vers la place Notre Dame. « Vade retro Populus ! ».

Bon, ce n’est pas du latin très classique, mais on a compris : « arrière populace ! », bien que nous soyons plus de la plèbe que du peuple, celui assimilé au sénat sur les insignes militaires romaines « SPQR », Senatus PopulusQue Romanus. Alors, refoulés rue des Dames, voilà qu’au croisement de la rue Saint Louis, l’ancêtre de Louis XIII qui a donné son nom à Port-Blavet, un groupe de jeunes danseuses orientales offrent au spectateur patient un spectacle haut en couleur, les autres enfilent, sans plus attendre, la rue Saint Louis.

Au beau milieu, se tient, juché sur un tonneau, un de ces bateleurs qu’affectionnaient les populations d’autrefois,SAM_4478.jpg tenant dans ses bras… un lionceau !

Pas une peluche, un vrai petit lionceau, fils du lion et de la lionne. Le lion de Juda, figure héraldique de la ville de Jérusalem d’aujourd’hui, l’emblème du désert, là où Marc fait débuter son évangile, rappelant la prophétie d’Isaïe avec « la voix de celui qui crie dans le désert » (1,3), c’est là qu’habite Jean Baptiste (1,4), là où l’Esprit conduit Jésus, tout frais baptisé, là où il reste 40 jours, tenté par Satan (1, 12-13).

 C’est ainsi que  le lion ailé, un des « quatre vivants » d’Ezechiel (1, 10-11) et de l’Apocalypse de Saint Jean (4, 7-8) sera attribué par Saint Irénée de Lyon (130-202) à l’évangéliste Marc, tandis que l’enfant ailé le sera à Mathieu qui débute son évangile par la généalogie et les récits d’enfance de Jésus. Le taureau ailé, du type de ceux sacrifiés en holocauste sur l’autel de YWH au Temple de Jérusalem par le prêtre Zacharie, futur père de Jean-Baptiste, sera attribué à Luc qui commence son récit par ce personnage et l’aigle, à Jean, dont le prologue est consacré au Verbe incarné et à la vision mystique du salut tandis que l’Apocalypse annonce la parousie du Christ, son retour pour le grand jugement…

Ainsi le tétramorphe, attribué dans l’ordre à Matthieu, Marc, Luc et Jean, illustre l’humanité, (l’enfant), les tentations dans le désert (le lion), la passion sacrificielle (le taureau) et la résurrection de Jésus (l’aigle), les quatre stades de son intervention parmi nous.

Mais pour l’instant, il n’est pas encore né, alors que nous voilà en plein Jérusalem, devant le Palais d’Hérode, au balcon de l’hôtel de la Citadelle, place du Marché, noire de monde, animée par les bateleurs, jongleurs et funambules du cirque Hart ; alors que, tout d’un coup, débouchant de la grand ’rue, les trois rois mages dans leurs magnifiques habits de lumière suivis, d’un pas à l’amble et  nonchalant, de leur fières montures, les chameaux aux doubles bosses venus d’outre rade.

Les rois mages exposent à Hérode, roi des Juifs, qu’une étoile leur a annoncé la naissance du futur roi des juifs, et qu’ils souhaitent aller lui rendre hommage à son lieu de naissance. On comprend l’émotion d’Hérode à l’évocation de son possible successeur, émotion justement partagée par son entourage qui précise que, selon les écritures, c’est à Bethléem que naitra celui qui doit guider le peuple d’Israël.

Heureusement, les mages ont été plus malins qu’Hérode qui leur avait demandé de revenir lui rendre compte de leur voyage à Bethléem.  « Ils prirent une autre route pour rentrer chez eux » (Mt 2, 12).

On sait que mal intentionné, le roi Hérode qui tient farouchement à son trône, fera « mettre à mort, dans Bethléem et tout le territoire, tous les enfants de moins de deux ans » (Mt 2, 16), c’est le massacre des Saints Innocents dont la fête est célébrée 3 jours après Noël.

Heureusement, averti en songe, Joseph, avec Marie et l’enfant Jésus fuiront en Egypte.

Nous, pour l’heure, nous suivons les rois mages sur la route de Bethléem en prenant la rue de la Marine, parcourue de marchands, étals de forains aussi divers que variés : on y distribue du pain avec les 4 mendiants des desserts provençaux : des noix pour les augustins, des figues pour les franciscains, des amandes pour les carmes et des raisins secs pour les dominicains.

On pouvait même y boire du vin chaud et la terrasse de la Civette n’a pas désemplie.

Il y avait du monde, pensez donc, et la rue de la Marine, bien étroite pour contenir toute la foule.

On a fini par arriver face à l’église Notre Dame ; Joseph et Marie était arrivés bien avant nous. Oh, le petit Jésus est né : il est dans les bras de Marie qui le passe à Joseph ; maladroit, il n’a pas l’habitude de tenir un nouveau-né dans ses bras, fusse-t-il le messie !…

L’âne est en pleine forme, la vache ressemble à un petit zébu de Madagascar avec sa bosse sur le haut du dos et ses grandes cornes en guidon de vélo.

Nous sommes aussi émus du spectacle que la troupe de bergers qui partage, en premiers, l’intimité de la venue au monde du fils de l’homme, comme l’appelle mon ancêtre éponyme (Daniel 7, 13), avant même les rois mages, qui viennent, comme ils l’avaient dit, avec leurs chameaux patibulaires, adorer l’enfant Jésus.

Et voici que s’ouvrent toutes grandes les portes de l’église d’où sortent une théorie d’enfants porteurs de lumignons suivie d’adultes avec des torches allumées. Les yeux brillent de part et d’autre du parvis, tant parmi les artistes que chez les auditeurs,  lorsqu’est entonné le « minuit chrétien »

Minuit, chrétiens, c’est l’heure solennelle
Où l’Homme-Dieu descendit jusqu’à nous,
Pour effacer la tache originelle,
Et de son Père arrêter le courroux.
Le monde entier tressaille d’espérance,
A cette nuit qui lui donne un Sauveur.
Peuple, à genoux, attends ta délivrance
Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur (bis)

De notre foi que la lumière ardente
Nous guide tous au berceau de l’Enfant,
Comme autrefois une étoile brillante
Y conduisit les chefs de l’Orient.
Le Roi des rois naît dans une humble crèche :

Puissants du jour, fiers de votre grandeur,
A votre orgueil, c’est de là que Dieu prêche.
Courbez vos fronts devant le Rédempteur (bis).

Le Rédempteur a brisé toute entrave,
La Terre est libre et le Ciel est ouvert.
Il voit un frère où n’était qu’un esclave,
L’amour unit ceux qu’enchaînait le fer.
Qui lui dira notre reconnaissance ?
C’est pour nous tous qu’il naît, qu’il souffre et meurt.
Peuple, debout ! Chante ta délivrance.
Noël ! Noël ! Chantons le Rédempteur (bis).

La musique ne le rend pas des plus facile des cantiques de Noël, néanmoins, grâce aux maitresses, les enfants se sont honorablement acquitté de leur tâche.

Certes, Efflam a regretté du brezhoneg, mais il est bien difficile de plaire à tout le monde !

Moi, j’étais ravi, et je n’étais pas le seul : plus de 7.000 personnes ont, plus ou moins, en fonction de la densité de la foule, suivi le spectacle. Pour beaucoup c’était un moyen de manifester leur point de vue sur la présence de la crèche dans l’espace public, diversement appréciée, au regard de la laïcité, par la jurisprudence administrative.

Malgré nos efforts, les petits n’ont pas toujours pu tout voir, alors, on attend, avec impatience, le DVD, avant de récidiver l’an prochain !…

Noël est bien le mystère premier, celui de l’incarnation sans lequel pas de rédemption possible ; autrement dit : pas de Pâques sans Noël !

À propos du rédacteur Yves Daniel

Avocat honoraire, il propose des billets allant du culturel au théologique. Le style envolé et sincère d'Yves Daniel donne une dynamique à ses écrits, de Saint Yves au Tro Breiz, en passant par des chroniques ponctuelles.

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